Corps de l’article

Guy Coulombe a fait partie – avec Michel Bélanger, Louis Bernard, Roch Bolduc, Pierre Martin, Yves Martin, Arthur Tremblay et quelques autres – de la première génération de grands commis de l’État québécois moderne issue de la Révolution tranquille, celle des hommes (les femmes viendront plus tardivement au pouvoir) qui ont eu « le goût du pouvoir public », pour reprendre le sous-titre si bien choisi de la trop courte biographie qui lui a été consacrée par deux chercheurs de la Chaire de leadership Pierre-Péladeau des HEC (Montréal). Trop courte en effet, décevante même, disons-le franchement, et à la hauteur ni du personnage ni de sa génération de hauts fonctionnaires. Guy Coulombe méritait mieux et le livre ne fait pas honneur aux presses universitaires qui l’ont publié.

Il manque à cette biographie une description de l’époque dans laquelle a vécu celui qui en est l’objet, une analyse des principaux enjeux, des débats, des grandes décisions politiques qui permettent de comprendre et d’interpréter l’action et les idées du personnage dont on entreprend de cerner la vie, autant d’évocations qui font la différence entre une grande biographie qui résiste au temps et donne le goût d’en savoir plus au fil des chapitres et un collage de paragraphes qui s’apparentent trop à un curriculum vitae enrichi. Cet ouvrage a par contre l’intérêt de donner la liste impressionnante et la description des nombreux mandats et responsabilités de Guy Coulombe au cours de sa carrière, ce qui permet au lecteur d’avoir une bonne idée de l’action d’un haut fonctionnaire efficace exerçant le « pouvoir public » au cours de la Révolution tranquille et après. Autre mérite de l’ouvrage : les nombreux extraits d’entrevues accordées par Coulombe aux biographes.

La vie privée de Coulombe est rapidement évoquée et les auteurs insistent sur les années de jeunesse, les années d’étudiant et celle de l’établissement en emploi. À la lecture, on voit bien que le jeune Guy Coulombe a vécu la transition entre l’ancien Canada français et le Québec moderne dont on devine les traits à travers les quelques faits rapportés. Fils d’un entrepreneur, enfant d’une famille bourgeoise à l’aise, il s’est volontairement éloigné de la « tradition familiale » qui l’appelait vers le monde des affaires. Ses frères ayant repris l’entreprise de leur père, il a choisi d’étudier la sociologie – une discipline alors presque inconnue au Québec – dans la faculté du père Georges-Henri Lévesque, puis de poursuivre des études au doctorat à l’Université de Chicago et d’entreprendre une recherche de terrain au Honduras à l’Université de Tegucigalpa – où il a failli s’établir – avant de revenir chez lui afin de travailler au Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) à l’élaboration du plan de développement du Bas-Saint-Laurent-Gaspésie dans les années 1960, son premier emploi. Bien que mince, c’est la partie la plus intéressante de l’ouvrage, car on y cerne la personnalité de Coulombe, les convictions qui l’ont guidé toute sa vie. Les expériences professionnelles qui ont été les siennes par la suite – le sauvetage de la préparation des Jeux olympiques de Montréal, la présidence d’Hydro-Québec, la direction de la Sûreté du Québec, l’occupation du poste de directeur général de la ville de Montréal, sans oublier les mandats et présidences de commissions diverses (le CHUM, la négociation avec les Innus, Le Devoir, Montréal international et d’autres) – sont bien évoquées dans l’ouvrage. À travers plus de quarante ans d’action de Guy Coulombe dans la sphère publique, c’est toute l’histoire contemporaine du Québec qui défile sous nos yeux.

Préoccupé par « la question sociale » pendant ses années d’études à l’Université Laval, Guy Coulombe avait fondé, avec François Poulin, les Chantiers étudiants – inspirés de l’oeuvre de l’abbé Pierre, qu’il avait rencontré à Montréal – afin de venir en aide aux familles pauvres de la Basse-Ville de Québec. Cet engagement relevait d’une réelle préoccupation sociale et économique, d’une volonté de contribuer de manière pragmatique au développement de sa société bien plus que d’un engagement d’abord idéologique. Le pragmatisme et la volonté de poser des gestes concrets pour trouver des solutions aux problèmes et aux conflits qu’on lui a soumis ont été deux constantes de l’action de Guy Coulombe bien dégagées dans l’ouvrage. Il avait en lui la fibre d’un entrepreneur – héritage familial – qu’il a mise au service des affaires de l’État, de la recherche du bien commun et du développement social autant qu’économique. L’exercice du pouvoir public tel qu’il le concevait débordait donc largement une certaine vision affairiste et plus étroite qui a eu tendance à s’imposer à partir de la fin du 20e siècle dans bien des appareils d’État, au Québec comme ailleurs.

Une constante apparaît très bien dans l’ouvrage. Guy Coulombe a passé une bonne partie de sa vie de gestionnaire à « éteindre des feux », à trouver des solutions à des situations difficiles (le dossier des Jeux olympiques de 1976, l’exploitation de la forêt boréale) et à relancer des organisations en difficulté (la Sûreté du Québec, Le Devoir). Différents premiers ministres d’allégeances diverses lui ont fait confiance car il avait une conception élevée des affaires publiques et d’excellentes qualités de gestionnaire qui ont fait de lui l’un des plus grands hauts fonctionnaires de l’État québécois de l’ère moderne. Les écrivains et les hommes et femmes politiques étant les choix privilégiés des biographes, il est heureux que les grands commis de l’État commencent à les intéresser, mais encore faudra-t-il que les auteurs y mettent l’effort nécessaire pour leur rendre justice.