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Cet ouvrage s’intéresse aux transformations des systèmes de santé sous l’influence de dynamiques transnationales en prenant comme point de départ le passage de la frontière comme rencontre de deux ou trois réalités nationales connexes. Il examine les cloisonnements formels qui procèdent de la frontière (entre des systèmes de santé, des systèmes juridiques, administratifs et politiques nationaux) ainsi que les pratiques des acteurs (résidants et professionnels de santé) qui transcendent ces cloisonnements dans les zones transfrontalières. Issues d’un colloque et clairement ancrées dans la discipline de la géographie, les seize contributions du livre éclairent quatre dimensions des rapports entre frontières et pratiques en santé.

Les contributions du premier chapitre mettent de l’avant les discontinuités de l’accessibilité aux services de soins (urgence, maternités, maisons de retraite) dans trois zones frontalières entre la France et les pays voisins, ainsi qu’à l’intérieur de systèmes de santé nationaux. La connaissance des cloisonnements dus aux frontières nationales est présentée comme une voie vers l’identification de moyens pour minimiser ces cloisonnements.

Le deuxième chapitre s’intéresse aux mises en réseaux formelles prévues par des politiques de soins transfrontalières émergentes. La contribution sur le secours en montagne met en évidence toute l’ambiguïté de ces politiques qui, d’un côté, facilitent l’intervention par-delà les frontières et, de l’autre, entérinent leur existence dans les textes et les pratiques. L’excellent chapitre sur les soins aux usagers de drogue montre comment les pratiques informelles, voire illégales, de patients et de médecins pour bénéficier de traitements de substitution en Belgique ont suscité des apprentissages pour les médecins français, puis un changement de la politique française.

Le quatrième chapitre discute des transformations du recours aux soins et de l’offre de soins privée et charitable dans les pays en développement, dans un contexte de circulation croissante des patients, des professionnels et des capitaux à l’échelle mondiale. Les auteurs soulignent les effets ambigus de ces dynamiques (moteur économique par l’attraction de patients et de capitaux étrangers, mais aussi accroissement des inégalités sociales) et s’interrogent sur la façon dont les États ajustent leurs politiques d’offre de soins à ce contexte.

Enfin, le dernier chapitre replace au premier plan le rôle de l’État en matière de santé. On voit, d’une part, que l’État peut utiliser ses frontières comme un instrument de contrôle des épidémies à l’occasion de crises sanitaires et, d’autre part, que les expériences transfrontalières se concrétisent rarement par des coopérations bilatérales à l’échelle nationale. Cela dit, les États – en particulier les plus pauvres – sont loin d’avoir l’entier contrôle sur les dynamiques de circulation des patients, des professionnels et des capitaux qui affectent leurs systèmes de santé.

Les chapitres sont parfois inégaux, avec des arguments et des ancrages théoriques plus ou moins poussés. Néanmoins, l’ensemble de l’ouvrage apporte un éclairage utile sur les dynamiques formelles et informelles qui se nouent de part et d’autre des frontières en matière d’offre et de recours aux soins. Il intéressera les géographes, mais aussi les politologues ou sociologues qui s’interrogent sur les dynamiques transnationales et le rôle de l’État en santé.