Corps de l’article

Vous rencontrez aujourd’hui une patiente âgée de 45 ans que vous suivez depuis 3 ans. Elle présente des diagnostics de maladie bipolaire, de dépendance à la cocaïne et au cannabis et d’hépatite C chronique détectée il y a cinq ans. Après plusieurs années de consommation intense de substances et d’instabilité psychosociale, la dame partage maintenant un logement avec une colocataire qui ne consomme pas, elle prend sa médication de façon assidue depuis sept mois et ne consomme que du cannabis une fois par semaine. Ayant entendu parler d’un nouveau traitement contre l’hépatite C, elle désire en savoir davantage. Vous connaissez l’existence de certains programmes qui offrent le traitement, dont l’un se trouve à votre hôpital. Vers quel programme orienter cette patiente ? Quels sont les critères d’inclusion et d’exclusion ? Quels seraient les effets secondaires du traitement dans ce cas-ci ? Est-il approprié de recommander cette patiente à un tel programme compte tenu de ses antécédents ?

L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) est associée à une altération de la qualité de vie, à une détérioration générale de la santé et à un risque élevé de cirrhose, qui se traduit par une mortalité dans 5 % des cas. Les traitements du VHC ont évolué de façon exponentielle au cours de la dernière décennie de sorte que le taux de guérison se situe maintenant entre 45 et 80 % (Sherman, 2007). Il en résulte une diminution considérable des complications potentiellement mortelles de la maladie et des coûts qui y sont associés. Malgré ces progrès encourageants, seule une minorité d’individus ont accès au traitement contre le VHC ; pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale ou de consommation de drogues, l’accès au traitement est encore plus difficile. Cet état de fait est particulièrement étonnant dans une ville comme Montréal étant donné la gratuité et la proximité des soins et des ressources. Nous abordons brièvement ici l’ampleur de la problématique du VHC et les obstacles à l’obtention des soins pour les populations avec une comorbité de troubles mentaux et de dépendances. Nous décrivons également le processus qui a mené à l’instauration d’un programme de traitement du VHC à l’intention de ces populations au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

Contexte et épidémiologie

Histoire naturelle et épidémiologie de l’infection par le VHC

L’infection par le VHC est la principale cause de maladies hépatiques chroniques et de transplantations hépatiques au Québec et en Amérique du Nord (Allard, 2008 ; Hoofnagle, 2002). Les nombreuses souches du VHC sont classifiées en plusieurs génotypes et sous-types associés qui ont une incidence sur la durée et l’efficacité du traitement, mais non sur la morbidité de l’infection (OMS, 2002). L’infection par le VHC évolue vers la chronicité chez 80 à 85 % des gens. Les autres se débarrassent spontanément du virus, habituellement dans les six mois suivant le contact infectieux, une période appelée phase aiguë (Allard, 2008).

Le VHC est transmis principalement par exposition percutanée à du sang ou à des liquides biologiques contaminés. Il existe également de faibles risques de transmission à l’entourage ou par voie sexuelle, quoique ces instances demeurent insuffisamment documentées à l’heure actuelle (Sherpard, 2005). Le risque de transmission de la mère à l’enfant à naître, ou transmission verticale, est estimé à 5 % (OMS, 2002). Dans les pays développés, l’usage de drogue par voie intraveineuse est le mode de transmission dominant depuis plus de 30 ans (Sherpard, 2005).

L’OMS (2002) estime que 3 % de la population mondiale est infectée par le VHC. Au Canada, la prévalence est de 0,8 %, ce qui équivaut à environ 270 000 habitants (Remis, 2007). Au Québec, le VHC occupe le deuxième rang au classement des maladies à déclaration obligatoire (Leclerc, 2010). Près de sept utilisateurs de drogues injectables (UDI) sur dix seraient infectés par le VHC à Montréal (Leclerc, 2008). Notons que le pourcentage de nouvelles infections par le VHC a connu une hausse significative dans la région de Montréal depuis 1998 et ce, en dépit des mesures de prévention déployées, notamment les centres d’échange de seringues et les programmes de traitement de substitution à la méthadone (Parent, 2008).

Le centre-ville de Montréal, où est situé le CHUM, est le territoire où réside le plus grand nombre d’UDIs et, par conséquent, où l’on retrouve le plus haut taux de transmission de l’hépatite C (Leclerc, 2010). L’ancrage de la consommation de drogues dans les grandes métropoles n’est pas un phénomène récent ni aléatoire. Dans un rapport de recherche en 1999, Perreault proposait un modèle explicatif où des facteurs comme le marché noir, les pôles d’attraction que sont les bars et les discothèques, les sources illicites de financement, les groupes d’appartenance, la répression policière et la présence de ressources publiques et communautaires interviennent et interagissent avec un environnement voué à la désintégration (Perreault, 1999). La toxicomanie est ainsi intimement liée à une vulnérabilité sociale, en plus de s’accompagner de multiples comorbidités ou de les engendrer. La pauvreté, l’itinérance ou l’instabilité résidentielle, l’exclusion sociale, la violence et la judiciarisation sont autant de facteurs liés aux problématiques de santé physique et mentale et d’abus de substance dans cette population.

Plus de 50 % des toxicomanes souffriraient ainsi de troubles psychiatriques concomitants (CCLAT, 2009 ; Skinner, 2004). À l’inverse, différentes études menées aux États-Unis révèlent que 15 à 20 % des personnes qui ont recours à des services de santé mentale présentent également une problématique de toxicomanie. Ces taux seraient encore plus élevés chez les personnes avec des troubles mentaux sévères (Kessler, 2005 ; Mercier, 1997). Mentionnons que la cooccurrence de troubles mentaux sévères et du VHC est 2,5 fois plus élevée en zone urbaine qu’ailleurs (Rosenberg, 2001). Ces données soulignent la spécificité des besoins des patients atteints du VHC à Montréal, liés non seulement à cette infection, mais aussi aux multiples autres conditions qui y sont associées.

Traitement des hépatites C aiguës et chroniques

Dans les premières années suivant la découverte du VHC, le taux de succès du traitement par interféron alpha était de 8 à 9 %. En une décennie, l’efficacité des traitements de l’hépatite C chronique a progressé de façon fulgurante ; cette évolution est illustrée dans la Figure 1. Le traitement de l’hépatite C chronique est offert dans sa forme actuelle depuis 2002 ; il combine un immuno-modulateur, l’interféron-péguylé ou peg-interféron à la ribavirine, un médicament antiviral. Le peg-interféron est administré une fois par semaine par voie sous-cutanée ; la ribavirine est prise deux fois par jour par voie orale. En phase chronique, la bithérapie permet l’éradication soutenue de la charge virale chez 45 % des porteurs du génotype 1 et chez 80 % des porteurs des génotypes 2 et 3 (Sherman, 2007). Chez les patients qui y répondent bien, le traitement permet la résorption des lésions histologiques du foie et diminue de façon importante la morbidité et la mortalité secondaires à la maladie (Pearlman, 2011). Chez les porteurs en phase aiguë, le traitement par peg-interféron, utilisé seul à partir de la 12e semaine d’infection, aurait un taux de succès supérieur à 90 %, tous génotypes confondus (Sherman, 2007). Le traitement des hépatites C chroniques et aiguës entraîne cependant de nombreux effets secondaires qui nécessitent une surveillance étroite (Tableau 1). Ces réactions, tant physiques que psychiatriques, peuvent occasionner des souffrances intenses et altérer la qualité de vie ; dans certains cas, elles peuvent être suffisamment invalidantes pour perturber les activités de la vie quotidienne et domestique (Gournay, 2002).

Figure 1

Évolution de la réponse au traitement à base d’interféron pour le VHC

Évolution de la réponse au traitement à base d’interféron pour le VHC
Source: (Chen, 2010)

-> Voir la liste des figures

Tableau 1

Effets indésirables associés aux traitements pharmacologiques du VHC

Effets indésirables associés aux traitements pharmacologiques du VHC
Source: (Chen, 2010)

-> Voir la liste des tableaux

En 2004, moins de 10 % des Québécois dont l’infection par le VHC était répertoriée avaient entrepris ou complété un traitement (Allard, 2006). Les données dont nous disposons suggèrent que l’accès au traitement est encore plus limité chez les usagers de drogues illicites. En effet, les études réalisées auprès de ces populations montrent des taux de traitement oscillant entre 1 et 6 %, alors que plus de 70 % en font la demande (Grebely, 2009 ; Sherman, 2007). De plus, les personnes avec des troubles mentaux sont souvent jugées admissibles au traitement (Freedman, 2009). Il y a pourtant consensus sur l’efficacité et la faisabilité du traitement chez ces clientèles, à condition qu’il soit administré dans un cadre de soins multidisciplinaires adapté et intégré (Sherman, 2007).

Accès et barrières au traitement de l’hépatite C : concepts et répercussions en milieu urbain

Vous dirigez votre patiente vers le service d’hépatologie de l’hôpital où vous travaillez. La dame obtient un rendez-vous quelques mois plus tard. Dans l’intervalle, elle fait une rechute à la cocaïne et doit être hospitalisée pendant une semaine pour stabiliser un état compatible avec une hypomanie. Quelques jours après avoir reçu son congé de l’hôpital, elle se rend à son rendez-vous en hépatologie, mais se trompe de pavillon et aboutit plutôt à votre clinique. Vous lui obtenez un nouveau rendez-vous deux mois plus tard auquel la dame se présente avec quinze minutes de retard. Lors de cette évaluation, on l’informe qu’elle doit être abstinente de toute substance pendant au moins six mois pour être éligible au traitement. On la renvoie à vos soins en lui suggérant de prendre rendez-vous de nouveau lorsqu’elle aura complété six mois de sobriété et de stabilité sur le plan psychiatrique. La dame se présente à votre bureau, à la fois frustrée et inquiète de voir sa maladie hépatique se détériorer.

Pour les personnes qui souffrent de comorbidité en santé mentale et toxicomanie, l’accès au traitement de l’hépatite C est particulièrement difficile. Pourtant, la majorité des populations vulnérables se trouvent en milieux urbains où la proximité des services laisse présager un taux élevé d’accessibilité. Au-delà de la proximité géographique, bien d’autres facteurs entrent en jeu comme autant d’entraves à l’accès aux services de santé et aux traitements, notamment dans le cas de l’hépatite C.

Modèle conceptuel de l’accès et des barrières au traitement du VHC

Andersen (1995), qui a élaboré l’un des premiers modèles intégratifs d’accès aux soins de santé, estime que l’accessibilité serait déterminée par des facteurs « prédisposants », des facteurs « facilitants » et les besoins particuliers du patient ; ces besoins seraient issus de l’évaluation subjective d’une personne sur sa propre santé et de l’évaluation objective du corps médical (Andersen, 1995). Les facteurs « prédisposants » incluent les caractéristiques socioculturelles qui peuvent influer sur les attitudes envers la maladie et la conception qu’en a le patient ; la langue, l’origine ethnique et les croyances religieuses, par exemple. À cela s’ajoutent, dans une ville comme Montréal, les sous-cultures de la rue et des milieux marginalisés, leurs codes inédits et leurs systèmes de valeurs vis-à-vis du système de santé et le recours aux traitements. Les facteurs « facilitants » font référence aux ressources financières de l’individu et de son entourage, de même que la quantité de ressources de santé disponibles. La pertinence de ces enjeux est particulièrement évidente en milieu urbain où règnent des inégalités sociales importantes (Bernard, 2007). Dans des contextes de pauvreté extrême, même le prix des transports en commun peut en décourager certains et les empêcher de poursuivre le traitement.

La ligne de pensée de l’Institute of Medicine (Millman, 1993) s’est avérée structurante dans l’élaboration de l’offre des services au CHUM. Au-delà de la compréhension des facteurs prédisposant et facilitant l’accès aux soins, le modèle proposé préconise un arrimage entre les caractéristiques du patient et celles du programme, l’objectif étant de tendre vers une meilleure adéquation entre les deux. Cette approche nous a amenés à envisager de nouvelles stratégies d’offre de services conçues en fonction des besoins spécifiques de la population montréalaise atteinte de comorbidités en santé mentale et toxicomanie et n’ayant pas accès à des soins.

Dans la mise au point de ces nouvelles stratégies, nous devions également prendre en compte la nature même du traitement de l’hépatite C avec ses bienfaits, ses risques et ses inconvénients. Il va sans dire que le traitement antiviral doit s’accompagner d’interventions pharmacologiques et psychothérapeutiques et faire l’objet d’un suivi étroit (Sherman, 2007). En effet, les études démontrent que l’issue du traitement dépend en grande partie du mode de prestation des soins, d’où l’importance d’offrir des services adaptés aux besoins spécifiques des patients.

Historique du traitement de l’hépatite C chez les populations souffrant de troubles comorbides au CHUM

À la fin des années 90, 250 patients étaient suivis en traitement de substitution à la méthadone au Service de médecine des toxicomanies (SMT) du CHUM ; parmi ces patients, 63 % étaient porteurs des anticorps du VHC (Tableau 2). Le dépistage et le suivi des cas d’hépatite C chronique étaient assurés par les médecins du SMT-CHUM, mais les patients qui désiraient obtenir le traitement étaient acheminés vers le service d’hépatologie. À cette époque, le taux d’efficacité du traitement et le rapport risques/bénéfices étaient très différents de ce qu’ils sont maintenant ; les critères d’exclusion étaient donc plus nombreux et beaucoup plus stricts (NIH, 1997). Ainsi, très peu de patients traités au SMT-CHUM parvenaient à se qualifier pour recevoir le traitement. Hormis ces exigences, les délais d’attente pour un premier rendez-vous en hépatologie avaient un effet dissuasif chez les patients admissibles au point où la plupart d’entre eux ne se présentaient pas le moment venu. D’autres faisaient part de leur difficulté à établir un lien de confiance avec une nouvelle équipe ou à se sentir à l’aise dans une structure inconciliable avec une clientèle marginale. La situation au CHUM était loin d’être unique ; en effet, plusieurs études menées de 1990 à 2001 révélaient que près de 86 % des patients infectés par le VHC n’avaient pu bénéficier d’un traitement pour une raison ou une autre (Evon, 2007).

Tableau 2

Mission, approches et structures du SMT-CHUM

Mission, approches et structures du SMT-CHUM

-> Voir la liste des tableaux

À partir des années 2000, la disponibilité du traitement pour le VHC s’est accrue considérablement grâce à l’introduction de la bithérapie. Dès 2001, un nouveau protocole a été mis en place pour permettre aux médecins du SMT-CHUM d’entreprendre et de superviser le traitement de l’hépatite C des patients suivis dans le programme de substitution, en collaboration avec un hépatologue. Dans le cadre de ce protocole, une infirmière désignée comme intervenante pivot gérait chaque cas individuellement pour la substitution à la méthadone et du traitement de l’hépatite C. Un suivi hebdomadaire en début de traitement permettait de surveiller les effets secondaires, d’évaluer les risques de rechute et, surtout, d’apporter le support psychologique essentiel à la persévérance en traitement. Chez ces patients, dont certains fréquentaient depuis longtemps le SMT-CHUM, le lien de confiance avec l’équipe et l’assiduité à la médication de substitution étaient déjà acquis et représentaient un gage de succès.

En 2002 aux États-Unis et en 2004 au Canada, nous assistions alors à une certaine ouverture envers le traitement des personnes consommant activement des drogues (NIH, 2002 ; Sherman, 2004). Les nouvelles lignes directrices recommandaient une évaluation « cas par cas » basée sur le calcul des risques et bénéfices et sur l’aptitude du patient à adhérer au traitement. Le SMT-CHUM n’a conservé aucune statistique sur les traitements de l’hépatite C prodigués entre 2001 et 2005. Néanmoins, compte tenu du nombre élevé de personnes infectées reçues en consultation pendant cette période, le pourcentage de personnes traitées serait demeuré très faible. Ce constat a mené à s’interroger sur la possibilité de traiter le VHC au moyen d’un programme intégré et adapté aux besoins des personnes avec des troubles comorbides.

Pour être efficace, ce programme se voudrait disponible, accessible, accommodant, abordable et acceptable (Penchansky, 1981). L’expérience de la dernière décennie amenait à penser qu’une telle entreprise était réalisable, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, la quête d’un traitement demeurait un puissant facteur de motivation au sein de la clientèle souvent perçue comme réfractaire à l’intervention. Deuxièmement, la possibilité de nouer une relation thérapeutique solide avec le patient et de concentrer les interventions dans un seul lieu permettrait d’exercer une influence positive et une surveillance plus étroite. Enfin, la collaboration souhaitée de tous les intervenants était déjà acquise. Tous les éléments semblaient donc en place non seulement pour traiter l’hépatite C de façon efficace, mais aussi pour favoriser une amélioration de la santé globale, de la qualité de vie et du fonctionnement de la personne.

Développement et organisation du programme actuel au CHUM

Les balbutiements du programme actuel

En 2005, une nouvelle cohorte d’utilisateurs de drogues injectables séronégatifs pour le VHC était recrutée par la Cohorte St-Luc, un projet de recherche épidémiologique prospective sur les facteurs individuels et contextuels de la transmission des infections virales parmi les UDI dirigé par la Dr Julie Bruneau, médecin au SMT. Les sujets étaient dépistés à intervalle de trois mois à l’aide de tests d’anti-VHC et d’ARN-VHC. Cette surveillance intensive d’une population à haut risque était une rare occasion de dépister l’hépatite C dans sa phase aiguë. En effet, les hépatites C aiguës représentent moins de 1 % des cas déclarés (Allard, 2008), ce qui s’explique en grande partie par la présentation souvent asymptomatique de l’infection. Or, le traitement en phase aiguë est plus efficace et mieux toléré, tout en étant deux fois moins long que le traitement en phase chronique (Sherman, 2007). Les personnes référées au SMT-CHUM dans le cadre de ce projet présentaient un profil très différent de celles en traitement de substitution. La plupart avaient un mode de vie désorganisé, des comorbidités psychiatriques non traitées et une consommation de drogue incontrôlée qui les poussaient à adopter des conduites à risque (utilisation de seringues ou de matériel d’injection souillés). La fenêtre thérapeutique correspondant à l’infection aiguë n’étant que de 3 à 5 mois, il fallait par nécessité avoir recours à une stratégie de traitement intégré. Mettre en place une structure d’accueil efficace pour traiter ces patients allait s’avérer un défi de taille pour l’équipe du SMT-CHUM.

Entre 2005 et 2009, la Cohorte St-Luc a référé 52 personnes en infection aiguë dont 40 se sont présentées à au moins un rendez-vous. Parmi ces personnes, seulement 4 ont été exclues du traitement pour des raisons médicales ou psychiatriques. Par ailleurs, l’infection s’est résolue spontanément chez 5 patients et 12 ont dépassé les délais prescrits pour recevoir le traitement en phase aiguë. Parmi les 19 patients ayant entrepris le traitement, 16 l’ont complété avec un taux de réponse virale soutenue atteignant 87,5 % (74 % en intent to treat). Somme toute, les taux des patients ayant entamé (36.5 %) et complété (84 %) le traitement se sont avérés nettement plus élevés que dans la population générale ; ces résultats témoignent de la pertinence d’une approche thérapeutique concertée et adaptée aux besoins des patients. Le projet « Impact » de la Cohorte St-Luc qui se termine en 2012 étudie les retombés de ce programme sur la qualité de vie, l’usage de drogues et l’acquisition d’infections virales.

De 2005 à 2009, le SMT-CHUM a donc donné priorité au traitement des cas de VHC aigus et au traitement des patients du programme de maintien méthadone. La volonté d’élargir l’offre de service à l’aide d’un programme dédié à l’hépatite C devenait parallèlement une préoccupation réelle pour les intervenants. Cependant, le manque de ressources humaines et financières y faisait obstacle. Vers la fin de 2009, le SMT-CHUM se mit à accepter les personnes référées par des organismes partenaires pour un traitement du VHC chronique à condition qu’elles s’engagent à poursuivre un suivi conjoint. L’arrivée d’un psychiatre au sein de l’équipe amena l’expertise nécessaire au traitement des patients avec des comorbidités psychiatriques plus sévères. C’était le point de départ du programme dans sa forme actuelle. Il a fallu cependant attendre une autre année avant que de nouveaux budgets de santé publique et hospitaliers ne rendent possible l’embauche de personnel infirmier additionnel. Cette bonification substantielle de l’équipe allait permettre d’élargir notre capacité d’accueil annuelle à 150 patients. Elle permettait également de contribuer au développement des « bonnes pratiques cliniques » en consolidant et en testant un modèle de prestation de soins intégrés et en créant des outils d’évaluation et de suivi systématiques.

Le programme actuel : structure et philosophies

Depuis novembre 2010, l’équipe du programme de traitement de l’hépatite C est constituée de deux infirmières cliniciennes, de cinq médecins du SMT-CHUM et d’un psychiatre surspécialisé en psychiatrie des toxicomanies, tous regroupés sur un même étage et auxquels s’ajoute un hépatologue consultant dédié. Grâce à son intégration au sein de l’unité ambulatoire du SMT-CHUM, l’équipe bénéficie également du support d’intervenants qui ont une solide expérience du terrain, dont des travailleurs sociaux, des infirmières, un ergothérapeute et une nutritionniste. Pour leur part, les patients ont maintenant accès à l’ensemble des services de consultation externe : vaccination, counselling et dépistage d’ITSS, entretien motivationnel et groupes thérapeutiques variés. Enfin, le positionnement de l’équipe à l’intérieur du CHUM rend possible les consultations avec d’autres spécialistes et l’accès aux plateaux techniques sur un seul site.

Dans un souci d’accessibilité, le programme compte plusieurs portes d’entrée : une démarche volontaire, une participation au groupe d’entraide par les pairs du programme Contact, une demande de consultation d’un médecin du CHUM, d’un médecin de la communauté, d’un organisme communautaire ou d’un intervenant social ou de la santé à l’interne. Un premier rendez-vous est donné avec une infirmière dans les sept jours suivant la prise de contact de façon à soutenir rapidement la motivation. Chaque patient bénéficie d’une évaluation complète de sa situation pendant une période d’environ six semaines. Cette évaluation comporte notamment des consultations avec des infirmières, des médecins, un psychiatre et d’autres spécialistes si la situation l’exige, un bilan sanguin complet incluant une évaluation du statut VHC-ARN s’il n’est pas connu, un fibroscan et une échographie abdominale. L’objectif de cette étape est de permettre au patient, conjointement avec les cliniciens du programme, de prendre la décision éclairée d’entreprendre ou de différer le traitement. Elle permet aussi de définir certaines conditions préalables au traitement et qui feront l’objet d’un premier plan d’intervention (la stabilisation d’une condition psychiatrique, l’augmentation du contrôle sur certains aspects de la consommation de substances ou l’obtention d’un domicile fixe, par exemple). L’adhésion à ces premiers rendez-vous est reconnue comme un bon indicateur du degré d’engagement du patient (Grebely, 2009) et permet de mettre en évidence les difficultés à envisager à cet égard lors d’un éventuel traitement.

Durant cette période, l’équipe traitante établit aussi les bases d’une étroite collaboration avec les intervenants médicaux, psychosociaux ou communautaires déjà impliqués dans le dossier et, au besoin, élabore avec eux un plan d’intervention concerté. Dès son entrée dans le programme, l’équipe veille à ce que le patient ait un médecin de famille capable de prendre en main son suivi ; elle l’aide aussi à reconnaître et à mobiliser parmi ses relations personnelles, familiales et communautaires des ressources susceptibles de l’appuyer, d’optimiser sa qualité de vie, de favoriser son adhésion au traitement et d’augmenter ses chances de réussite. Lorsque nécessaire, l’équipe organise une rencontre avec les proches pour les informer et les habiliter à supporter le patient en cours de traitement. Le choix du moment opportun pour commencer le traitement revient au patient de concert avec ses intervenants et ses proches.

Pendant la durée du traitement, les patients peuvent bénéficier de la supervision d’une infirmière lors de l’administration hebdomadaire de l’interféron. Chez les utilisateurs de drogues injectables, la vue de la seringue ou l’acte de s’injecter peuvent être sources de stress. D’ailleurs, plusieurs patients rapportent des épisodes de craving après s’être injecté le médicament, ce qui peut les mettre à risque de rechute. L’emplacement du SMT-CHUM à proximité du centre-ville, d’un grand nombre d’organismes communautaires, de refuges et de lieux de consommation peut aussi contribuer à déstabiliser une sobriété précaire. Si cette proximité facilite les premiers contacts avec les patients et la collaboration avec les partenaires, elle peut rapidement devenir un obstacle à la démarche d’abstinence du patient. En effet, à chacun de ses déplacements au SMT-CHUM, le patient s’étant éloigné un tant soit peu de son milieu de consommation se trouve de nouveau confronté au « spectre » de son ancienne vie. Il risque de rencontrer les individus avec qui il consommait ou ceux qui lui fournissaient des substances, il marche dans les traces de ce qui était tout récemment son « itinéraire » de consommation. Ces rencontres troublantes risquent d’ébranler considérablement une motivation fragile. Par ailleurs, dans le cas de patients isolés ou particulièrement vulnérables, l’engagement au suivi hebdomadaire peut devenir une condition sine qua non à l’obtention du traitement. Les intervenants peuvent ainsi surveiller de près l’apparition d’effets secondaires psychiatriques, de signes de désorganisation ou de rechute imminente tout en fournissant un encadrement et un soutien assidu. Des stratégies pour permettre au patient de se présenter à ses rendez-vous de suivi en évitant les lieux susceptibles de provoquer une rechute peuvent être élaborées avec le patient.

En support à l’intervention professionnelle, l’équipe a mis sur pied un programme d’entraide par les pairs pour les personnes porteuses du VHC qui sont traitées à la clinique ou qui désirent l’être. Les membres du groupe Contact se réunissent une fois par semaine dans un local de la clinique pour échanger et discuter ouvertement de leurs préoccupations concernant l’hépatite C et son traitement. Il s’agit d’un groupe ouvert à tous les patients en traitement ; la participation est purement volontaire et ne nécessite pas d’inscription. Dans ce forum, ce sont les participants eux-mêmes qui animent la discussion, passant ainsi d’un rôle passif à celui de partenaire actif du programme. Une infirmière agit comme modératrice pour maintenir l’harmonie, favoriser les échanges et corriger au besoin les informations erronées. Ce type de groupe existe dans plusieurs cliniques de traitement de l’hépatite C pour les personnes avec des comorbidités, notamment à Oakland, en Californie, et à Vancouver (Grebely, 2007 ; Sylvestre, 2007). Une étude de Galindo (2007) auprès des participants de la clinique OASIS à Oakland, révèle un taux élevé de satisfaction : les patients s’y sentent compris, ils développent un sentiment d’appartenance et se sentent valorisés aux yeux de leur communauté. Leur présence dans le groupe renforce leur motivation à poursuivre leurs démarches de traitement et de réinsertion sociale. Qui plus est, ils se sentent davantage en confiance avec leurs pairs qu’avec les professionnels de la santé. La participation au groupe leur permet donc de surmonter leur méfiance envers ces derniers et envers les autorités en général, d’apprivoiser leurs craintes face au traitement et d’être entourés par des personnes qui ne les jugent pas. D’autres données de recherche suggèrent que les groupes d’entraide par les pairs ont une incidence positive sur le degré d’adhésion au traitement et sur le taux de réponse (Grebely, 2009 ; Sylvestre, 2007).

Continuité des services en post-traitement

En post-traitement, l’intégration à des services de première ligne et le maintien des habitudes et aptitudes développées pendant le traitement (adhérence à la médication, routine et hygiène de vie, abstinence ou consommation contrôlée, adoption de pratiques d’injection sécuritaires, stabilisation du domicile, fréquentation de ressources communautaires, etc.), sont à l’avant-plan de nos préoccupations. La fin du traitement est toujours un moment critique dans le processus de rétablissement global, que le patient ait atteint ou non une suppression de la charge virale. Les rendez-vous hebdomadaires prennent fin, remplacés par des visites de suivi plus espacées ; les patients ont parfois de la difficulté à transférer l’énergie investie dans le traitement vers la poursuite de nouveaux objectifs de vie (retour aux études ou au travail, etc.). Lorsque le désir de vaincre l’hépatite C cesse d’exister et de servir de motivation à l’abstinence, le risque de rechute s’en trouve renouvelé. Pour parer à ce risque et pallier les difficultés pouvant survenir en période de post-traitement, le SMT-CHUM offre une thérapie de groupe aux personnes en rémission d’une toxicomanie et désireuses de faire un retour à la vie productive. Ce groupe aide les personnes à choisir et à mettre en branle un projet de vie personnel (retour aux études, travail, bénévolat, reprise de la garde des enfants…) ; elles sont accompagnées dans cette démarche par des intervenants et un groupe de pairs.

La prévention de la réinfection est une autre préoccupation importante en post-traitement, particulièrement chez les utilisateurs de drogues injectables. Différents chercheurs ont estimé le risque de réinfection à 2,5 par 100 personnes/année (Pearlman, 2011). Quoique 10 fois plus bas que le taux d’incidence du VHC à Montréal, ce pourcentage n’en demeure pas moins notable. Il importe donc d’informer les personnes traitées et de les habiliter à se protéger contre la réinfection. La psychoéducation et l’exploration des situations et comportements à risque s’avèrent cruciales à cet égard.

Conclusion et perspectives d’avenir du programme

À ce jour, environ 90 % des personnes traitées dans le cadre de notre programme complètent leur traitement. Malgré ces résultats encourageants, il demeure encore impossible de déterminer avec certitude la meilleure façon d’optimiser l’arrimage entre les besoins spécifiques du patient et les services à offrir. Il serait fort souhaitable de pouvoir déterminer la nature et l’intensité des interventions à déployer pour répondre à la fois à des besoins particuliers et optimiser les chances de réussite du traitement. Nous sommes présentement à mettre sur pied un programme de recherche afin d’étudier les variables modifiables qui pourraient maximiser cet arrimage et nous aider à mieux comprendre l’interaction entre les caractéristiques des individus et celles du programme. Ces données permettront de systématiser l’approche flexible et adaptative déjà en place. Aussi, cette systématisation des pratiques est incontournable si nous voulons traiter un plus grand nombre de patients, évaluer les retombés du programme et étendre sa généralisation à des milieux non académiques. D’autres défis se posent lorsqu’il s’agit de programmes de 3e et 4e lignes habituellement caractérisés par des approches très systématiques des problématiques complexes et une application rigoureuse des protocoles basés sur des données probantes. En effet, il n’est pas simple de systématiser une approche que l’on voudrait flexible et adaptative. En plus d’être complexe, la population visée par notre programme présente plusieurs problématiques simultanées tout en se montrant réfractaire à la plupart des modèles de traitement traditionnels. Les intervenants doivent de façon quotidienne établir les limites acceptables pour les patients en traitement ou ceux qui désirent être traités, sans toujours pouvoir se rabattre sur des lignes de pratique prédéterminées. Comment agir, par exemple, avec un patient qui prend sa médication de façon assidue, mais qui ne se présente que sporadiquement aux visites de contrôle et avec qui l’on perd contact par moments ? La réponse à ces questions est loin d’être simple. Toutefois, une chose est certaine : les solutions futures nécessiteront l’apport de professionnels de différents horizons de même qu’un effort d’intégration des soins prodigués à une population souffrante et complexe à plusieurs égards.