Corps de l’article

Depuis 1941, la collection « Que sais-je ? » a gagné la réputation très enviable de rendre les savoirs essentiels accessibles à tous. Désormais, ce nouveau numéro remplace – sans les disqualifier – les quatre rééditions du « Que sais-je ? » n° 2312 intitulé L’Ethnologie (1986), d’abord rédigé par l’ethnologue Jean Servier (1918-2000) : l’auteur ayant aussi fait paraître dans cette même collection un autre titre similaire : Méthode de l’Ethnologie (1993 [1986]). À l’instar de la précédente, cette nouvelle « introduction critique » (p. 6) à l’ethnologie rédigée par Sylvaine Camelin (Université de Paris X-Nanterre) et Sophie Houdart (CNRS) est ancrée dans la tradition française, comme l’indique d’emblée cette première définition du domaine : « dans les pays anglo-saxons, on appelle anthropologie sociale ce qu’en France on appelle ethnologie » (p. 5). Ailleurs, une distinction similaire est aussi établie avec la sociologie : « à la sociologie l’étude des sociétés modernes et technicisées; à l’ethnologie celle des sociétés exotiques » (p. 6). Toutefois, on constate que ces distinctions et délimitations strictes entre ces disciplines connexes se sont sensiblement amenuisées avec le temps. Contrairement à Jean Servier qui remontait jusqu’à l’Antiquité pour retrouver les origines de l’ethnologie, le présent parcours débute ici au XIXe siècle, après un bref rappel des expéditions antérieures vers les nouveaux mondes, qui font méditer sur les notions d’altérité et de diversité (p. 9).

Cet ouvrage se subdivise en quatre chapitres substantiels : « Découvrir et décrire le monde », « Prendre note des états du monde », « Renverser l’appréhension de la réalité », « Être dans le monde, les domaines de l’engagement ». Ces quatre chapitres couvrent une multitude de dimensions ayant marqué l’évolution de la discipline ethnologique, principalement au XXe siècle : les aspects méthodologiques (observation, classification), mais aussi des thèmes et des concepts comme le postcolonialisme, la reconfiguration amenée par l’avènement de la postmodernité, les aspects religieux (incluant les croyances et la sorcellerie, p. 88), la culture, l’art, l’esthétique, les musées. Toute une section porte sur les différents défis et sur certains terrains plus récents de l’ethnologie (voir les passages sur l’ethnoscience, p. 82 ; « engagement et responsabilité de l’ethnologue », p. 109). L’approche générale est à la fois chronologique et thématique ; mais ce livre ne devrait pas pour autant être perçu comme étant une simple « histoire de l’ethnologie » – il ne l’est pas. Presque chaque page est l’occasion d’une citation pertinente, du rappel de la contribution d’un auteur significatif (Marcel Lévy-Bruhl, Marcel Mauss), d’un ouvrage marquant, d’un exemple approprié. De brefs encadrés fournissent des illustrations précises et des études de cas, par exemple à propos de la fondation du Musée de l’Homme à Paris en 1937 (p. 27), du Globalization Project élaboré par Arjun Appadurai dans des salles de cinéma de Bombay (p. 47). On appréciera en outre quelques remarques méthodologiques judicieuses qui invitent les jeunes chercheurs à la prudence quant au risque de généralisation abusive, par exemple à propos d’une des communautés aborigènes d’Australie : « la description sociologique d’un groupe n’est pas valable pour l’ensemble des groupes » (p. 116).

On sent dès les premières pages que L’Ethnologie de Sylvaine Camelin et Sophie Houdart est résolument centré sur les défis actuels de cette discipline en mouvance, souvent dans une ouverture interdisciplinaire que l’on ne peut que saluer surtout lorsqu’on connaît par ailleurs les vives résistances qui peuvent exister à ce propos en Europe (p. 6). Les dernières pages sur le thème « engagement et responsabilité de l’ethnologue » osent questionner et remettre en question la discipline et ses institutions, mais aussi la profession d’ethnologue : ainsi, un ethnologue peut-il moralement accepter de travailler pour l’armée lors d’un conflit militaire ? (p. 110).

Par sa précision et sa passion contagieuse, ce texte échappe au piège de la superficialité et du survol. La documentation et les sources sont variées et à jour, incluant en outre des références en anglais et quelques sites Internet. Ce livre au style élégant et clair permettra aux étudiants du baccalauréat et aux non-ethnologues de mieux situer cette discipline, ses courants, et plusieurs de ses principaux auteurs. Même les professeurs en sciences sociales sortiront instruits après la lecture de ce livre invitant. En outre, les deux titres sur l’ethnologie écrits par Jean Servier dans cette même collection serviront de compléments utiles (Servier 1986, 1993 [1986]). Je signalerai une erreur d’orthographe à l’éditeur sur la page de garde : le nom de famille de Claude Lévi-Strauss ne prend pas de « y » mais bien un « i » (p. 2).