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1. Introduction et problématique

Cette étude vise à décrire les représentations des élèves du primaire et du secondaire quant à l’influence du redoublement sur leur réussite scolaire à partir des témoignages des principaux intéressés : ceux qui ont redoublé. L’outil théorique dont nous nous sommes dotées est celui du rapport au Savoir, qui nous a permis d’examiner 1) les représentations des élèves face au redoublement scolaire en fonction d’aspects identitaires comme le genre du sujet et la manière dont il s’engage dans ses apprentissages, 2) le rapport des élèves à l’apprentissage de matières scolaires précises, et 3) le rapport à l’école des élèves ayant redoublé et leurs relations avec les autres élèves. Il est à noter que nous préférons l’utilisation de l’expression rapport au Savoir, prise au singulier, compte tenu du caractère englobant que celle-ci revêt dans cette étude. En effet, comme nous le précisons plus loin dans cet article, le rapport au Savoir est à la fois rapport au monde, à l’apprentissage, à soi et aux autres. Nous complèterons cette étude par l’appréciation générale que ces élèves portent sur leur année de redoublement, ainsi que par une incursion du côté de leur motivation scolaire.

1.1 Le redoublement scolaire : éléments de définition

Le redoublement représente le recommencement d’une année scolaire par un élève. Selon Durand (1999), les acteurs du système éducatif (enseignants, directions d’écoles, etc.) accordent différentes significations à cette pratique. Pour certains, le redoublement constitue un outil d’intervention qui vise à venir en aide aux élèves en difficulté. Il leur offre alors une seconde chance. D’autres acteurs du milieu scolaire considèrent plutôt que le redoublement réfère à une méthode punitive qui contribue à augmenter le taux d’échec scolaire.

Cela dit, le redoublement scolaire existe depuis fort longtemps, depuis l’apparition de l’école comme institution sociale. Au Québec, bien que des politiques de promotion automatique se soient développées au début des années 1960, le redoublement est demeuré pratique courante (par exemple, en 1993-1994, le taux de retard scolaire se situe à 16,2 % chez les élèves du primaire et à 32,9 % chez les élèves du secondaire) jusqu’à ce qu’il soit remis en question au cours des années 1990, un lien semblant exister entre le redoublement (ou le retard scolaire) et le décrochage (Durand, 1999 ; ministère de l’Éducation du Québec, 1992 ; ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). Au début des années 2000, avec l’implantation de la réforme scolaire, le débat sur cette question a repris de plus belle à la suite des prescriptions ministérielles visant à abolir le redoublement scolaire. Au même moment, l’indicateur sur le redoublement scolaire a été retiré. Il est ainsi devenu impossible d’en saisir la pleine mesure, puisque les données statistiques apparaissent imprécises à cet égard (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2009). En 2007, le redoublement a été réintroduit à la fin de chaque année scolaire, tant au primaire qu’au secondaire. Parmi les motifs qui ont conduit à cette décision, il est possible d’évoquer la pression populaire et celle du corps enseignant : un sondage rendu public en mars 2007 par la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) indique que 81 % des Québécois et des parents se disent en faveur du redoublement scolaire.

1.2 Enjeux du redoublement scolaire

Toutefois, plusieurs questions se posent au sujet de la pertinence du redoublement scolaire. Au Québec, le choix de faire redoubler ou de promouvoir un élève en difficulté est tributaire d’un processus de décision qui relève essentiellement de la responsabilité de chaque enseignant et de la direction d’école, ce qui soulève des questions quant à l’équité d’une telle mesure (Pouliot et Potvin, 2000). Selon Cosnefroy et Rocher (2005), deux formes d’injustices peuvent alors apparaître. Si le redoublement scolaire est vraiment efficace, il devient injuste que des élèves qui éprouvent des difficultés en soient privés. Et si le redoublement est inefficace, ce sont les élèves qui ont été soumis à cette mesure qui sont pénalisés. On doit donc être certain du bien-fondé de cette pratique et en étudier rigoureusement l’influence sur le cheminement scolaire des élèves avant de prendre quelque décision que ce soit.

Par ailleurs, Peretti (2005) s’interroge au sujet des effets du redoublement scolaire sur les inégalités sociales. Caille (2004) soutient qu’il existe un écart de performance considérable entre les élèves ayant redoublé et ceux n’ayant pas redoublé : la moyenne des résultats scolaires des élèves ayant redoublé est nettement moins élevée que celle des élèves qui n’ont jamais redoublé, et ce, tout au long du cheminement scolaire. Ce constat montre selon lui l’inefficacité du redoublement. De plus, les élèves en difficulté qui sont amenés à redoubler proviennent souvent de milieux défavorisés. Le redoublement scolaire viendrait ainsi amplifier les difficultés des élèves issus de ces milieux, puisque cette pratique entraîne généralement une diminution de la motivation, du sentiment d’efficacité personnelle et des aspirations professionnelles des élèves, comme le suggèrent des études antérieures sur cette question (Bouffard, Brodeur et Vezeau, 2005 ; Bowman, 2005 ; Hong et Yu, 2007 ; Jimerson, 2001 ; Jimerson, Anderson et Whipple, 2002 ; Jimerson et Ferguson, 2007 ; ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec (2003) ; Morrison et Ieong On No, 2007 ; Peretti, 2005 ; Xia et Glennie, 2005). La question des représentations des élèves au sujet de l’influence du redoublement sur leur réussite scolaire mérite donc toute notre attention.

Dans la section qui suit, nous dévoilons le cadre théorique mobilisé pour les fins de cette recherche, qui s’articule autour de la notion de rapport au Savoir. Les questions de recherche sont aussi formulées. Plus loin, nous explicitons la méthodologie empruntée. Les résultats issus de l’analyse Alceste et de l’analyse thématique sont ensuite présentés et discutés à la lumière des travaux antérieurs sur la question. La conclusion reprend quelques-uns des faits saillants de l’étude et ouvre sur des pistes pour des recherches ultérieures.

2. Contexte théorique

Dans ce qui suit, nous présentons quelques éléments de définition qui se rapportent à la théorie du rapport au Savoir. Le choix de la notion de rapport au Savoir se distingue à plusieurs égards des perspectives plus déterministes souvent empruntées dans les études précitées en lien avec le redoublement scolaire, et représente une manière nouvelle d’aborder la question du redoublement scolaire.

2.1 La notion de rapport au Savoir

Relativement nouvelle, la notion de rapport au Savoir s’est d’abord développée en France dans les années 1970, et particulièrement dans les années 1980 et 1990 en réaction aux travaux de chercheurs ayant tenté d’expliquer l’échec scolaire dans des écoles de milieux défavorisés par le recours aux théories de la reproduction, de l’origine sociale et du handicap socioculturel (Charlot, 1997, 2003 ; Charlot, Bauthier et Rochex, 1992 ; Jellab, 2006, 2008 ; Kalali, 2007 ; Rochex, 2004 ; Venturini, 2005, 2007a, 2007b). Or, pour Charlot et ses collaborateurs, ces théories expliquent l’échec scolaire par des manques ou des carences, ce qui revient à aborder ce phénomène par la négative. Ce que propose la perspective sociologique du rapport au Savoir, c’est plutôt une lecture en positif de l’échec ou de la réussite scolaire, et ce, par la compréhension du rapport au Savoir de l’élève et des processus qui accompagnent sa structuration.

Toutefois, avant de définir de façon plus précise la notion de rapport au Savoir, il convient tout d’abord de se doter d’une définition de la réussite scolaire. À ce chapitre, Lapointe (2006) propose une définition de ce concept qui ne se réduit pas uniquement à l’obtention du diplôme par les élèves, lequel est accordé sur la base des notes ou des performances scolaires de ces derniers. En effet, bien que la réussite scolaire soit par définition davantage du ressort de l’école, plusieurs facteurs externes doivent être considérés ; par exemple, les facteurs d’ordre personnel, familial, culturel, économique et religieux (DeBlois, 2007). Ainsi, le concept de réussite scolaire renvoie spécifiquement à la mission d’instruction de l’école québécoise et, autrement dit, à la réussite scolaire, mais il intègre aussi le développement de compétences reliées aux missions de socialisation et de qualification.

2.2 Le rapport au monde, à l’apprentissage, à soi et aux autres

Selon une conception sociologique de la notion de rapport au Savoir (Charlot, 1997, 2003), l’échec scolaire est perçu comme une suite d’événements qui s’inscrivent dans l’histoire personnelle et scolaire de l’élève. Plus largement, le rapport au Savoir désigne également un certain rapport au monde et à l’apprendre. Ce monde déjà là, et construit par des humains, est composé d’oeuvres, d’objets, de pratiques, de concepts, de théories, d’institutions, de relations, de symboles, etc. Le processus d’appropriation du monde et de construction de soi que l’on nomme apprendre, et que l’enfant est amené à réaliser dès sa naissance et plus tard, en tant qu’élève, passe entre autres par la médiation qu’exercent les personnes qui vivent autour de lui, telles que la famille, les adultes, l’enseignant, l’auteur d’un manuel scolaire, les institutions, etc. Ainsi, pour apprendre, l’intervention de l’autre ou des autres est requise : l’élève doit s’engager dans un certain type de relation avec les autres. Cela implique également une part d’activité du sujet. L’acte d’apprendre est donc un mouvement à la fois intérieur (qui appartient au sujet) et extérieur (qui requiert l’intervention des autres) à l’élève.

Selon cette même perspective, il ne peut y avoir de Savoir sans qu’une personne entretienne un certain rapport, ou une certaine relation, à ce Savoir. En fait, le Savoir n’a de sens et de valeur qu’en référence aux rapports qu’il suppose et qu’il produit avec le monde, avec soi-même et avec les autres (Charlot, 1997, p. 74). Cette définition du rapport au Savoir fait apparaître trois dimensions reliées : les dimensions épistémique (rapport au monde et à l’apprentissage), identitaire (rapport à soi) et sociale (rapport aux autres).

La dimension épistémique (ou le rapport au monde et à l’apprentissage) désigne l’appropriation par l’élève d’un monde qui lui préexiste. Ce monde est, entre autres, constitué de savoirs inscrits dans des documents officiels comme les programmes d’études du primaire et du secondaire et les manuels scolaires. Ces savoirs s’inscrivent dans des institutions telles que l’école et sont déjà acquis par certaines personnes, dont les enseignants. La dimension épistémique réfère à l’idée d’un rapport entretenu avec un Savoir en tant qu’objet et d’un rapport à l’apprentissage, plus englobant, correspondant à une manière de s’engager ou non dans l’apprentissage. Cette dimension recouvre également les raisons qui font que l’élève décide ou non de s’y engager.

La dimension identitaire (ou le rapport à soi) renvoie à l’histoire personnelle de l’élève, à son image de soi, à ses attentes, à ses buts, à ses valeurs et à ses représentations, à ses pratiques, à sa manière de voir la vie ainsi qu’aux relations qu’il entretient avec les autres (par exemple, les autres élèves, les amis, les enseignants). Cette dimension est intimement liée à la dimension sociale (ou rapport aux autres), puisque apprendre ne peut se faire qu’en présence de l’autre.

2.3 Rapport au Savoir et réussite scolaire : premiers éléments d’une typologie

Des recherches antérieures (Charlot, Bautier et Rochex, 1992 ; Plantier, 2002 ; Venturini, 2005, 2007a, 2007b) à propos de cette notion ont permis d’identifier différents processus et d’élaborer une typologie des rapports au Savoir d’élèves. Il en ressort notamment que certains types de rapport au Savoir peuvent être indicatifs d’un cheminement qui mène à la réussite scolaire, ce qui présente un intérêt certain pour notre étude. C’est le cas d’une étude québécoise (Beaucher, 2004) portant sur la nature du rapport au Savoir de vingt élèves de cinquième secondaire, à la lumière de leurs aspirations et de leurs projets professionnels. Sur la base des données qualitatives tirées d’un bilan de savoir (adapté de Charlot, Bauthier et Rochex, 1992 ; Jellab, 2001) et d’entretiens semi-structurés, il apparaît qu’un rapport enthousiaste au Savoir contribue à donner plus de sens à l’apprentissage, ce qui favoriserait davantage la réussite scolaire. Dans cette perspective, le Savoir est perçu par les élèves comme un moteur essentiel pour leur développement, leur autonomie et leur créativité. Pour ces élèves, ce qui a du sens, ce sont les apprentissages qui leur permettent d’évoluer, de progresser sur le plan humain. Un rapport confiant au Savoir contribuerait également à donner du sens à l’apprentissage. Le Savoir constitue ici un levier vers la culture. Il permet d’élucider le monde, le réel. Les élèves qui établissent ce type de rapport au Savoir font preuve d’ouverture face à l’apprentissage, dans la mesure où ils considèrent que celui-ci leur sera utile ultérieurement. Il en va autrement lorsque les élèves entretiennent un rapport utilitaire ou paradoxal au Savoir. Dans le premier cas, le Savoir constitue un atout pour la concrétisation de leurs projets professionnels. Les élèves qui entretiennent un rapport utilitaire au Savoir se préoccupent de l’utilisation concrète, pratique et évidente de ce qu’ils apprennent à l’école. Ils attribuent de la valeur à l’apprentissage en milieu scolaire lorsqu’il leur permet d’obtenir un diplôme et d’accéder à un métier. Dans le cas du rapport paradoxal, le Savoir est conçu comme un moyen d’adaptation. Ce qui a du sens aux yeux de ces élèves est ce qui leur permet d’évoluer dans la société. L’apprentissage scolaire en serait toutefois dépourvu. Dans ces deux derniers types de rapport au Savoir, les élèves confèrent plus difficilement du sens à l’apprentissage. Leur vulnérabilité face à des situations d’échec scolaire s’en trouve ainsi augmentée. Certaines de ces variations du rapport au Savoir d’élèves de cinquième secondaire (Beaucher, 2004) pourront être reprises lors de la discussion, venant ainsi fournir un nouvel éclairage aux résultats obtenus dans notre étude.

3. Questions de recherche

Comment des élèves qui ont redoublé décrivent-ils leur rapport à l’école et à l’apprentissage ? Quel type de rapport au monde, à soi et aux autres est le leur ? Comment parlent-ils de leur expérience du redoublement et de son influence sur leur rapport au Savoir ?

4. Méthodologie

De type exploratoire, l’étude vise à recueillir des témoignages aussi riches que possible auprès d’élèves ayant redoublé ou étant toujours en redouble- ment scolaire. Elle s’appuie sur une démarche méthodologique mixte rigoureuse, tant du point de vue de la collecte que de l’analyse et de l’interprétation des données.

4.1 Sujets

En ce qui a trait au recrutement des sujets, nous avons d’abord communiqué avec plusieurs directions d’écoles des niveaux primaire et secondaire de la Commission scolaire des Premières-Seigneuries, laquelle dessert un vaste territoire comprenant une part importante d’arrondissements de la ville de Québec ainsi que des villes situées au nord et à l’est de la Capitale nationale. Cette étude visait à répondre à une demande de la commission scolaire, qui désirait recueillir des indications à propos de l’influence de l’expérience du redoublement sur le rapport au Savoir d’élèves de la fin du primaire et documenter ces mêmes éléments pour des élèves de troisième secondaire, puisque ces jeunes qui avaient redoublé se trouvaient toujours à l’école. Il s’agit, de plus, d’une année importante dans leur parcours scolaire en ce qui concerne leur orientation professionnelle. Au cours de cette rencontre avec les directions d’écoles, de l’information à propos de la présente recherche leur a été fournie ainsi que les formulaires de consentement à faire signer par les parents et les élèves intéressés. Les directions de six écoles primaires ont donc lancé un appel de volontaires auprès des élèves en fin de troisième cycle (6e année), et les directions de cinq écoles secondaires en ont informé les élèves du deuxième cycle (3e et 4e secondaire), à l’exception d’une direction d’école qui a aussi approché les élèves de 5e secondaire. Cet appel de volontaires a permis de rencontrer 34 élèves en mars et avril 2008, 12 élèves du primaire (quatre filles et huit garçons) et 22 élèves du secondaire (11 filles et 11 garçons). Au primaire, un élève était en train de redoubler et 11 avaient déjà redoublé. Au secondaire, six élèves se trouvaient dans leur année de redoublement, 14 avaient déjà redoublé et deux élèves redoublaient pour une seconde fois. En tout, 31 entrevues semi-structurées ont été retenues pour analyse (11 au primaire et 20 au secondaire), trois entrevues ayant été perdues pour des raisons techniques.

4.2 Instrumentation

L’entretien semi-structuré se présente comme une technique de collecte de données particulièrement pertinente quand il s’agit de comprendre et d’interpréter le sens donné à une expérience par des sujets, comme c’était le cas dans la présente étude. Le guide d’entretien utilisé auprès des 31 élèves a été mis au point par Bader, Doucet, Therriault et Lapointe (2008) afin d’examiner les représentations des élèves eux-mêmes quant à l’influence du redoublement sur leur réussite scolaire en lien avec leur rapport au Savoir. Il a été adapté au niveau scolaire des élèves et au moment du redoublement (passé ou présent).

En ce qui concerne les principaux thèmes abordés lors des entretiens, les premières questions renvoyaient spécifiquement à l’histoire personnelle et scolaire des élèves. Plus précisément, il était question de l’appréciation générale de l’école, primaire ou secondaire, en tant qu’institution. Les questions suivantes concernaient le regard que les élèves portaient sur des lieux précis, des personnes significatives qu’ils côtoyaient à l’école, les règlements scolaires et les relations qu’ils entretenaient avec les enseignants et les autres élèves. Certaines questions visaient à interroger l’expérience des élèves en lien avec le redoublement scolaire. D’abord, les élèves étaient amenés à décrire l’année ayant conduit au redoublement (le passé). D’autres questions invitaient les élèves à décrire l’année du redoublement, que celle-ci se situe dans le passé ou dans le présent, et à dresser un bilan de leur expérience du redoublement. En guise de conclusion, les élèves étaient invités à réfléchir à leur avenir, à leurs projets.

Les entrevues menées auprès d’élèves du primaire et du secondaire ont ainsi permis de recueillir des éléments pertinents en regard des dimensions épistémique, identitaire et sociale qui sont prises en compte dans l’étude du rapport au Savoir, et d’examiner les relations possibles entre chacune d’elles, en lien avec la réussite scolaire des élèves qui redoublent. En ce qui concerne la dimension épistémique (ou le rapport au monde et à l’apprentissage), lors des entrevues, les élèves ont été invités à indiquer leur préférence pour certaines matières et activités d’apprentissage. D’autres questions leur ont permis de s’exprimer à propos du sens qu’ils confèrent aux apprentissages. Au secondaire, des questions portaient sur l’intention des élèves de poursuivre ou d’abandonner leurs études. À diverses occasions lors des entrevues, des questions adressées aux élèves ont référé aux dimensions identitaire et sociale. C’était le cas lorsqu’il a été question de l’attitude des élèves et de leur comportement à l’école, et de leurs relations avec les enseignants, les professionnels de l’école, les autres élèves, leurs amis, leurs parents ainsi que leur famille.

4.3 Déroulement

Au cours du printemps de l’année 2008, un appel de volontaires a été lancé auprès d’élèves ayant redoublé dans des écoles desservies par la Commission scolaire des Premières-Seigneuries. Pour ce faire, nous avons obtenu la collaboration de plusieurs directions d’écoles. Trente quatre élèves se sont montrés intéressés par l’étude. Nous avons mené les entretiens semi-structurés en mars et avril, en une seule séquence, sur le terrain des personnes visées, c’est-à-dire les établissements scolaires que fréquentaient ces élèves. Ces entretiens, d’environ 1h-1h30, ont permis de recueillir le point de vue d’élèves de la fin du primaire et du deuxième cycle du secondaire quant à l’influence du redoublement sur leur réussite scolaire. Au final, 31 entretiens ont été retranscrits et soumis à deux méthodes d’analyse : un traitement quantitatif à l’aide du logiciel Alceste et une analyse thématique de questions ciblées, ce dont il est question dans ce qui suit.

4.4 Méthode d’analyse des données

Afin d’effectuer l’analyse des données, les entrevues ont été transcrites intégralement. Elles ont ensuite fait l’objet de deux traitements : un traitement mixte à l’aide du logiciel Alceste et un traitement qualitatif manuel consistant en une analyse thématique des réponses à certaines questions ciblées (Paillé, 1996).

En ce qui a trait au traitement automatisé avec Alceste, nous avons d’abord procédé au codage des variables démographiques de chacune des entrevues, puis nous avons regroupé dans un même document les textes des 31 entrevues. Le logiciel Alceste procède ensuite à quatre opérations dont trois sont retenues et expliquées aux fins du présent article. Dans la première, il effectue, à partir d’un tableau croisé, une classification descendante hiérarchique du vocabulaire présent dans le corpus, ce qui permet d’établir la cooccurrence de certains ensembles de mots différents d’autres ensembles (Figure 1). Les ensembles lexicaux ainsi créés sont appelés classes. Comme l’expliquent Lapointe et Langlois (2004), les classes correspondent à la notion de monde de représentations issue de la psychologie sociale française. Elles permettent d’identifier les sous-discours ou mondes lexicaux (Reinert, 1986) présents dans un corpus et de mieux comprendre les diverses facettes des représentations des sujets sur un phénomène donné. L’analyse qualitative du vocabulaire de chaque classe et des extraits d’entrevue qui la représentent permet alors d’identifier les thèmes et sous-thèmes appartenant à chaque classe (voir les tableaux 1 à 4). Ces extraits, appelés unités de contexte élémentaires (UCE), sont sélectionnés par le logiciel même. La manière de présenter ces extraits diffère des méthodes qualitatives d’analyse de données en ce qu’elle ne requiert pas d’associer un code ou un pseudonyme aux extraits sélectionnés. Ceux-ci sont plutôt automatiquement identifiés à l’aide du numéro d’ordre dans le corpus.

Dans la deuxième opération, Alceste associe automatiquement chacune des classes aux variables démographiques qui caractérisent le plus les sujets qui y sont statistiquement associés. Il est important de rappeler ici que cette association n’est pas exclusive et ne vise pas à comparer des sujets entre eux. Il s’agit plutôt d’une relation statistique permettant de vérifier à quelles caractéristiques démographiques des sujets les sous-discours sont plus particulièrement reliés.

La troisième opération consiste à sélectionner de façon automatique des extraits d’entrevues plus représentatifs de chaque classe sur la base de la présence de mots possédant un χ2 plus élevé.

Quant à l’analyse thématique (Paillé, 1996), elle a été réalisée manuellement, l’ampleur du corpus n’exigeant pas que l’on fasse appel à un logiciel de soutien comme Atlas.ti, N Vivo ou QDA minor. Cette analyse a porté sur les questions de l’entrevue qui concernaient sur les perceptions des élèves rencontrés au sujet des matières scolaires qui avaient été la cause de leur redoublement, de leur expérience personnelle du redoublement, de leurs perceptions de leurs résultats scolaires dans ces matières au terme de l’année de redoublement et de leur intention de poursuivre ou d’abandonner leurs études. Les réponses les plus porteuses de sens ont été identifiées, puis traduites en thèmes génériques. La fréquence des thèmes a ensuite été vérifiée afin d’établir leur prépondérance.

4.5 Considérations éthiques

Les 31 élèves concernés ont accepté de participer à la présente recherche de manière volontaire. Ce choix s’est effectué sans aucune contrainte. Le consentement libre et éclairé des sujets de notre étude a été obtenu par le biais d’un formulaire prévu à cet effet, qui a été signé à la fois par les parents et par les élèves. Au préalable, nous leur avions fourni de l’information pertinente au sujet de la nature et des objectifs de la recherche, lors du premier appel de volontaires. De plus, avant de débuter l’entretien, les élèves ont été informés des raisons de celui-ci et des retombées possibles d’une telle étude. Par ailleurs, nous avons pris soin d’informer les élèves du traitement confidentiel et anonyme des données recueillies. Pour ce faire, un code a été attribué à chacun des sujets, de façon à rendre anonymes les transcriptions d’entretiens. Nous avons ensuite utilisé ces codes lors de l’analyse des données. Ces renseignements figuraient dans le formulaire de consentement et ont été rappelés au moment de l’entrevue. Enfin, pour permettre la diffusion des résultats auprès des acteurs concernés par la problématique du redoublement scolaire, nous avons informé les enseignants des résultats de la recherche par le biais d’un rapport (Bader, Doucet, Therriault et Lapointe, 2008) remis à la Commission scolaire.

5. Résultats

5.1 Quatre classes

Comme on le remarque dans la figure 1, qui se lit de droite à gauche, la première étape d’analyse avec Alceste a permis de faire ressortir quatre classes que l’on peut envisager comme quatre mondes de représentation distincts. Les élèves rencontrés décrivent donc de quatre manières différentes l’influence qu’a eue le redoublement sur leur relation au Savoir, à l’école et à la réussite scolaire, chacun de ces quatre sous-discours étant associé plus significativement, sans leur être exclusif, à des sous-groupes d’élèves particuliers (garçons / filles, primaire / secondaire). On peut observer que la procédure analytique a d’abord permis de distinguer les classes 1 et 3 des classes 2 et 4, puis la classe 1 a été distinguée de la classe 3, et la classe 2 a été distinguée de la classe 4. Ces résultats sont expliqués plus en détail dans ce qui suit.

Figure 1

Arbre de la classification descendante hiérarchique

Arbre de la classification descendante hiérarchique

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5.1.1 La classe 1 : Je dois faire mon temps pour avoir mon diplôme

La classe 1 contient un discours sur le Savoir, l’école et la réussite scolaire, marqué par la nécessité de tout faire pour obtenir un Diplôme d’études secondaires (DES) ou un Diplôme d’études professionnelles (DEP) afin de s’assurer un emploi intéressant. On y trouve en même temps une certaine lassitude face au cheminement scolaire, un manque de confiance en soi et dans ses chances de succès. Les mots qui caractérisent cette classe ainsi que leur χ2 sont présentés dans leur ordre décroissant d’importance à l’intérieur du tableau 1.

Tableau 1

Thème et mots les plus caractéristiques de la classe 1

Je dois faire mon temps pour avoir un diplôme

Thème et mots les plus caractéristiques de la classe 1

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Voici trois extraits d’entrevues qui sont caractéristiques de cette classe :

La manière de décrire l’influence du redoublement sur le rapport au Savoir et à la réussite scolaire que l’on retrouve dans cette classe est particulièrement représentative des garçons (χ2 = 3,98), d’élèves du secondaire (χ2 = 121,35), d’élèves qui ont entre 15 et 17 ans (χ2 = 37,77), d’élèves qui redoublent actuellement et qui avaient déjà redoublé une année au secondaire (χ2 = 74,34).

5.1.2 La classe 2 : Je vais y arriver avec des efforts et l’aide des adultes

Le discours de la classe 2 décrit un rapport au Savoir et à la réussite scolaire qui est plus positif et confiant. Les élèves y parlent de leurs stratégies d’études, de l’aide apportée par les adultes, de l’importance d’être discipliné et de faire des efforts. Les mots qui caractérisent cette classe sont présentés à l’intérieur du tableau 2 qui suit, par ordre décroissant d’importance.

Tableau 2

Thème et mots les plus caractéristiques de la classe 2

Je vais y arriver avec des efforts et l’aide des adultes

Thème et mots les plus caractéristiques de la classe 2

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Voici deux extraits d’entrevues qui sont caractéristiques de cette classe :

Le discours de cette classe est plus représentatif des filles (χ2 = 3,86), d’élèves de 12 et 13 ans (χ2 = 73,64), d’élèves de sixième année du primaire (χ2 = 73,64), d’élèves qui ne sont pas en ce moment en année de reprise, mais qui ont redoublé une année au début du primaire (χ2 = 58,57).

5.1.3 La classe 3 : L’école, c’est aussi là où sont les amis

Dans la classe 3, les élèves parlent surtout de leur relation avec les autres personnes qui sont à l’école, particulièrement des élèves plus âgés ou plus jeunes qu’eux, de leurs amis et de leur appréciation de la vie sociale à l’école. Les mots qui caractérisent cette classe sont représentés à l’intérieur du tableau 3.

Tableau 3

Thème et mots les plus caractéristiques de la classe 3

L’école, c’est aussi là où sont les amis

Thème et mots les plus caractéristiques de la classe 3

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Voici deux extraits d’entrevues qui s’avèrent caractéristiques de cette classe :

L’expérience décrite par les élèves dans cette classe est plus représentative des jeunes qui ont 12 et 13 ans (χ2 = 39,58), d’élèves qui sont en sixième année du primaire (χ2 = 39,58) et d’élèves qui se trouvaient dans leur année de redoublement lors des entrevues (χ2 = 2,10). Elle n’est pas associée à un sexe en particulier.

5.1.4 La classe 4 : À l’école, les matières que j’aime, c’est le sport, les arts plastiques, les sciences…

Le discours de la classe 4 est en lien avec le rapport des élèves aux matières scolaires, celles qui les intéressent et les motivent parce qu’ils les considèrent plus faciles, concrètes ou utiles, et celles qu’ils jugent plus difficiles. Chaque élève a ses matières préférées et celles qui lui posent plus de défis, mais certaines matières semblent attirer davantage ces jeunes ayant redoublé : l’éducation physique, les arts plastiques, les sciences. Les mots qui caractérisent cette classe ainsi que leur χ2 sont présentés à l’intérieur du tableau 4, dans leur ordre décroissant d’importance.

Tableau 4

Thème et mots les plus caractéristiques de la classe 4

À l’école, les matières que j’aime, c’est le sport, les arts plastiques, les sciences…

Thème et mots les plus caractéristiques de la classe 4

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Voici trois extraits représentatifs du discours de cette classe :

Le discours contenu dans cette dernière classe est plus représentatif des élèves qui ont 15 et 16 ans (χ2 = 6,51), d’élèves de troisième secondaire (χ2 = 6,47) et d’élèves qui ont redoublé au secondaire (χ2 = 12,37). Tout comme la classe précédente, celle-ci n’est pas associée à un sexe en particulier.

5.2 Résultats de l’analyse thématique des réponses à des questions ciblées

Dans un souci d’enrichir l’analyse mixte réalisée à l’aide d’Alceste, nous avons procédé à une analyse thématique des réponses aux questions concernant l’appréciation des élèves à propos des matières scolaires, leur appréciation générale de l’année de redoublement, que nous avons ensuite comparée à leurs perceptions de leurs résultats scolaires dans les matières en difficulté au terme de l’année de redoublement et à leur intention de poursuivre ou d’abandonner leurs études. Cette analyse permet d’illustrer différents volets des dimensions épistémique, identitaire et sociale prises en compte dans l’étude du rapport au Savoir de ces élèves.

5.2.1 Appréciation des matières scolaires

Pour chaque participant, nous avons identifié les matières scolaires préférées, celles moins aimées, celles jugées plus faciles, plus difficiles, celles où il a échoué et celles dans lesquelles il pense échouer de nouveau. Nous avons aussi repéré les raisons sous-jacentes à l’appréciation positive ou négative de ces matières par les élèves. Parce que les résultats du traitement avec Alceste indiquaient que le discours des sujets associés à la classe 4, soit ceux du secondaire, portait plus précisément sur le rapport des élèves aux matières scolaires, notre analyse thématique effectuée manuellement a porté sur les entrevues avec ces élèves.

En ce qui a trait aux matières scolaires que les élèves du secondaire préfèrent, on retrouve tout d’abord l’éducation physique, évoquée à 17 reprises par ces participants, qui leur permet de pratiquer un sport, de bouger, de dépenser leur énergie, de se défouler. Viennent ensuite les mathématiques (12 énoncés) et les sciences (six énoncés), pour lesquelles certains élèves manifestent un intérêt particulier, et les arts plastiques (huit énoncés) parce qu’ils aiment les techniques qui y sont enseignées. Plusieurs élèves disent apprécier ces matières, car ils s’y considèrent compétents. À l’opposé, les domaines des langues (français, anglais), de l’univers social (histoire), du développement de la personne (éthique) et du développement professionnel (éducation au choix de carrière) sont très peu mentionnés.

En effet, les élèves rencontrés disent peu apprécier le français (11 énoncés), l’histoire (7 énoncés) et l’anglais (6 énoncés). En ce qui concerne l’histoire et l’anglais, ils évoquent principalement des raisons reliées au type de pédagogie employé. En anglais, des élèves apprécient peu le fait de répondre à des questions après le visionnement d’un film, alors qu’en histoire, il semble que l’aspect transmissible de l’acte d’enseigner, s’il fait appel à l’exposé magistral et à la mémoire, déplaît aux élèves. Des élèves disent ne pas apprécier le français et l’anglais parce qu’ils ont de la difficulté à comprendre les notions qui y sont abordées. En français, la grammaire leur pose des défis particuliers.

Par ailleurs, les élèves disent avoir plus de facilité en éducation physique (neuf énoncés) et en anglais (huit énoncés), même si, paradoxalement, certains de ces élèves apprécient peu cette matière. Ces élèves manifestent un intérêt particulier pour le sport et disent posséder des aptitudes en ce domaine. Dans le cas de l’anglais, leur intérêt s’explique parfois par une sensibilité particulière à l’égard de la culture anglophone (par exemple, le fait d’écouter de la musique et la télévision en anglais).

Les élèves éprouvent cependant plus de difficultés en mathématiques (12 énoncés), en français (huit énoncés) et en histoire (sept énoncés), des matières dont ils jugent le contenu souvent dense et aride. Les formules pédagogiques utilisées (par exemple, le fait d’apprendre par coeur) ne permettent pas, à leurs yeux, une compréhension adéquate de termes mathématiques ou encore de règles grammaticales.

Soulignons que les matières où échouent les élèves ayant redoublé sont principalement le français (18 énoncés) et les mathématiques (16 énoncés). Aux dires des élèves rencontrés, ils risquent fort d’échouer dans ces matières à nouveau, et particulièrement en français.

5.2.2 Appréciation de l’année de redoublement

Lors des entrevues, nous avons demandé aux élèves comment ils se sentaient depuis leur redoublement et quel bilan ils faisaient de leur année de reprise. Les réponses de plusieurs participants à ces questions étaient mitigées. Certains perçoivent leur expérience du redoublement scolaire de manière assez positive :

Pour d’autres élèves, cette mesure a eu des effets positifs au niveau du réseau social, comme le fait de mieux connaître ses amis et de s’en faire de nouveaux. Cela dit, pour certains, refaire une année scolaire est perçu comme perdre une année, et ils expriment leur déception de voir leurs amis quitter le secondaire avant eux. Dans le même sens, être l’élève le plus âgé du groupe dérange quelques élèves : Je trouvais ça plus plate parce que je suis avec des plus jeunes, ça a descendu ma motivation encore plus. D’autres élèves qui trouvent l’expérience pénible se sentent responsables d’avoir redoublé : C’est ma faute de pas m’avoir plus forcé et avoir plus fait mes devoirs. J’ai regretté ça. Ce n’est pas le fun refaire ça.

Lorsque nous avons demandé aux élèves s’ils pensent que le redoublement a été une bonne ou une mauvaise chose pour eux, sur 31 répondants, 20 considèrent que cette expérience a été bénéfique pour leur apprentissage : C’était une bonne chose, c’est sûr que si je n’avais pas fait une deuxième fois mon secondaire un, j’aurais passé tout de suite en secondaire deux, puis je n’aurais rien compris. Sept élèves ont répondu que le fait d’avoir redoublé comporte à la fois des conséquences positives et négatives. Finalement, quatre élèves du secondaire expriment leur mécontentement d’avoir eu à redoubler :

Il est intéressant de souligner que, selon le témoignage de plusieurs élèves, il semble que le redoublement ait été une solution à leurs difficultés scolaires. Plusieurs ont donc intériorisé leur expérience du redoublement de façon positive. Toutefois, les questions qui visaient à savoir si les élèves ont été en mesure de progresser dans les matières scolaires qui étaient la cause de leur redoublement nous conduisent à d’autres conclusions. Nous avons ainsi noté que sur les 31 participants, seulement deux élèves du secondaire remarquent qu’ils n’ont plus de difficulté sur le plan scolaire. Ces deux élèves ont redoublé deux fois, soit deux années consécutives, et lors de l’entrevue, ils se trouvaient dans leur deuxième année de redoublement. Au primaire, seulement deux élèves disent n’avoir aucune difficulté scolaire. Trois élèves pensent réussir dans les matières où ils ont des difficultés, mais de justesse, avec des résultats qui se situent autour du seuil critique des 60 %. Deux autres élèves pensent réussir, compte tenu du programme scolaire Voie alternative. Tous les autres (N = 22) se disent encore en situation d’échec dans les matières pour lesquelles ils avaient redoublé ou dans d’autres matières scolaires. Ainsi, bien que certains élèves expriment une appréciation positive de leur année de reprise, dans la plupart des cas, redoubler ne semble pas leur avoir permis de progresser ni de se sentir plus confiants quant à leur capacité de réussir dans les matières où ils éprouvaient des difficultés.

Finalement, afin de mieux saisir la perception des élèves à l’égard de leur cheminement scolaire, nous avons voulu vérifier s’ils pensent redoubler un autre cours avant de terminer leurs études secondaires. Sur 28 élèves qui ont répondu à cette question, un seul a répondu négativement. Dix élèves pensent redoubler à nouveau, alors que d’autres répondaient : Je ne sais pas trop, ben peut-être, c’est possible. Certains ont répondu : Si je me force plus et que je me donne plus, ça va être correct. Je fais mon possible pour ne pas doubler. Je ne veux pas doubler pour ne pas aller dans un secondaire particulier. Si je continue en voie alternative, ça va déjà plus me motiver. L’appréciation positive de l’influence du redoublement est donc très relative et cette pratique ne semble pas avoir renforcé les perceptions de compétence scolaire des élèves.

Il nous est apparu que les élèves qui ont témoigné d’une certaine appréciation quant à leur année de redoublement ont profité de conséquences positives indirectement reliées à celle-ci. En effet, certains élèves disaient manquer de maturité, et le redoublement leur aurait permis de se retrouver dans un groupe plus jeune qui leur convenait davantage. Pour d’autres, le redoublement semble avoir été une leçon de vie, puisqu’ils disent avoir consommé de la drogue lors de l’année qui les a conduits au redoublement. De plus, il semble que durant l’année de reprise, certains élèves reçoivent davantage de soutien de la part des enseignants et qu’ils profitent d’une relation privilégiée avec eux, puisqu’ils se connaissent davantage. Il est également ressorti qu’en début d’année de redoublement, certains élèves éprouvaient une certaine satisfaction dans les matières où ils avaient échoué ou à risque, car ils y rencontraient peu de difficultés dans la mesure où ils revoyaient des contenus déjà abordés. Plusieurs élèves qui perçoivent leur année de reprise de façon positive ont mentionné que leurs parents étaient à l’origine de leur redoublement, et que si leurs parents avaient pris cette décision, ce devait être parce qu’ils en avaient réellement besoin.

5.2.3 Motivation scolaire

Afin de dresser un portrait sommaire de la motivation des élèves participants, nous leur avons demandé les raisons pour lesquelles ils poursuivaient leurs études secondaires et s’ils avaient l’intention de les terminer. Deux thèmes ont émergé de façon plus distincte de leurs réponses. Tout d’abord, plusieurs élèves ont dit poursuivre leurs études secondaires parce qu’ils désiraient recevoir un diplôme d’études secondaires, professionnelles ou collégiales. Parfois, les élèves évoquent des raisons liées à un futur emploi ou à une certaine qualité de vie.

Lorsque nous avons demandé aux 22 élèves du secondaire s’il se pouvait qu’ils abandonnent leurs études avant d’avoir obtenu leur diplôme, neuf ont répondu non, et sept ont laissé planer le doute en répondant : Je ne penserais pas, tout est possible, peut-être, mais je ne pense pas. Finalement, trois élèves ont répondu qu’il se pourrait qu’ils abandonnent leurs études secondaires et poursuivent ensuite des études au niveau professionnel.

6. Discussion des résultats

6.1 Vers une typologie du rapport au Savoir

À la lumière des résultats obtenus et en s’inspirant d’une typologie mise au point par Beaucher (2004), nous pouvons identifier certains types de rapports au Savoir qui s’avèrent, selon le cas, plus ou moins propices à la réussite scolaire des élèves rencontrés. De façon plus précise, le traitement par statistique textuelle avec Alceste a fait ressortir deux principaux types de sous-discours quant au rapport au Savoir et à la réussite scolaire de ces élèves. Un premier sous-discours est plus caractéristique des filles et des élèves de la sixième année du primaire. Celui-ci peut être qualifié de rapport enthousiaste au Savoir, selon les termes de Beaucher (2004), traduisant ici de la motivation et un engagement réel dans les apprentissages scolaires, sans déprécier l’année de redoublement. À la suite de Beaucher, nous estimons qu’un rapport au Savoir de cette nature contribue à conférer plus de sens aux apprentissages scolaires, le savoir étant considéré comme un levier pour le développement personnel, ce qui favoriserait davantage la réussite scolaire de ces élèves. Nous formulons dès lors l’hypothèse qu’une relation positive et confiante à l’égard du Savoir pourra les orienter vers plus de succès scolaires. Il s’agit d’ailleurs d’une piste qu’il nous faudra investiguer plus avant dans d’éventuels travaux ayant recours à cette notion de rapport au Savoir, c’est-à-dire l’adéquation possible entre un rapport au Savoir de ce type et un cheminement sco- laire conduisant à la réussite. Cela constitue à nos yeux un apport intéressant de la présente recherche, puisque les études antérieures ayant privilégié une lec-ture psychologique de la question ont surtout fait valoir les impacts négatifs du redoublement, en particulier lorsqu’il a lieu en début de parcours scolaire (Hong et Yu, 2007 ; Peretti, 2004 ; Xia et Glennie, 2005).

Un second sous-discours apparaît plus caractéristique des garçons et des élèves du secondaire. Il traduit un certain ennui et un manque de motivation face à l’année de redoublement et aux apprentissages scolaires. Sans enthousiasme, ces élèves se forcent à poursuivre leur cheminement scolaire afin d’obtenir leur diplôme. Ce discours présente plusieurs similarités avec les traits caractéristiques d’un rapport utilitaire au Savoir, comme le définit Beaucher (2004). En effet, les élèves qui entretiennent un tel rapport au Savoir se préoccupent essentiellement de l’utilisation concrète, pratique et évidente des apprentissages scolaires. Ils attribuent de la valeur au Savoir dans la mesure où celui-ci leur permet d’obtenir un diplôme ainsi qu’un emploi décent. Or, un rapport utilitaire au Savoir semble peu favorable à la réussite scolaire des garçons et des élèves qui redoublent à la fin du secondaire, puisque le sens donné à l’apprentissage se borne à des considérations telles que l’obtention du diplôme (diplôme d’études secondaires, diplôme d’études professionnelles, etc.) et d’un métier, plutôt qu’à un projet de vie stimulant. Un rapport au Savoir de ce type apparaît également dans plusieurs études qui portent sur les rapports aux savoirs scientifiques et scolaires d’élèves du secondaire (Venturini, 2005, 2007a, 2007b) et d’enseignants en formation initiale (Jellab, 2006, 2008), où l’engagement en regard de l’apprentissage des disciplines est facilité par le caractère utile du savoir appris, lequel est fonction du projet professionnel poursuivi. Comme c’est le cas ici, ces travaux ayant recours à la notion de rapport(s) au(x) savoir(s) permettent de prendre en compte plusieurs déterminants en jeu dans l’acte d’apprendre, tels que les théories des attitudes, des comportements et de la motivation face aux matières scolaires. Parce qu’elle s’intéresse à la relation de sens qu’établit l’élève à l’égard du savoir, cette notion apparaît comme un concept fédérateur. De plus, les analyses qui en découlent contribuent à approfondir notre compréhension de la réalité vécue à l’école et en classe par l’élève.

6.2 Influence du redoublement sur la réussite scolaire

Selon l’analyse thématique des réponses données par les sujets à certaines questions ciblées, bien que plusieurs des élèves interrogés se disent satisfaits de leur année de redoublement, leurs prévisions quant à leurs chances de réussite de cette année de reprise sont loin d’être optimistes. En effet, ces élèves pensent échouer à nouveau dans les matières où ils éprouvent le plus de difficultés. Et lorsqu’on leur demande s’ils ont le sentiment qu’ils vont mieux réussir leurs études dans l’avenir, leurs réponses indiquent clairement des hésitations et des doutes. Plusieurs envisagent même de vivre un autre redoublement. À leurs yeux, leurs chances d’obtenir des résultats scolaires satisfaisants ne sont donc pas renforcées par cette année de reprise.

Ainsi, comme l’indiquent Cosnefroy et Rocher (2005) au terme d’une vaste enquête menée auprès d’élèves du primaire et du secondaire, le redoublement aurait des conséquences très négatives sur les apprentissages et les performances scolaires ultérieures des jeunes. En écho à ces résultats, les élèves qui ont participé à notre étude émettent plusieurs réserves quant à leurs chances de succès à moyen et plus long terme. L’impact négatif du redoublement sur les résultats scolaires a d’ailleurs été documenté dans des études longitudinales antérieures (Jimerson et Ferguson, 2007) ; Morrison et Ieong On No, 2007), mais aussi à la suite de recensions des écrits sur le sujet (Jimerson, 2001 ; Jimerson, Anderson et Whipple, 2002). Pour cette raison, il peut s’avérer pertinent, dans nos futures recherches, d’investiguer plus avant sur le cheminement scolaire des jeunes redoubleurs ayant pris part à notre étude.

Nos résultats, de même que les conclusions rapportées dans des études antérieures menées dans divers pays (Cosnefroy et Rocher, 2005 ; Forness, Kavale, Blum et Lloyd, 1997 ; Hong et Yu, 2007 ; Jimerson, 2001 ; Jimerson, Anderson et Whipple, 2002 ; Jimerson et Ferguson, 2007 ; Morrison et Ieong On No, 2007 ; Peretti, 2004 ; Xia et Glennie, 2005), nous portent à croire que le redoublement scolaire n’est pas une solution aux difficultés qu’éprouvent les élèves, en particulier ceux du secondaire. À tout le moins, il semble que le redoublement comporte des effets négatifs sur la motivation des élèves, leur sentiment de confiance en soi, leur rapport au Savoir et à l’apprentissage et leurs résultats scolaires. Il y a toutefois lieu de poursuivre les recherches à ce sujet dans le but d’approfondir notre compréhension de l’influence d’une telle mesure. Pour ce faire, la notion de rapport au Savoir apparaît comme un outil théorique pertinent, car il permet d’intégrer plusieurs dimensions (rapport au monde, à soi et aux autres) aux fins de cette étude portant sur le redoublement scolaire et ses effets sur la réussite scolaire.

6.3 Conséquences et solutions de rechange au redoublement

Enfin, plusieurs des élèves du niveau secondaire que nous avons rencontrés disent qu’ils n’auront peut-être pas d’autre choix que de se tourner vers le secteur professionnel ou vers l’éducation aux adultes. Il s’agit, selon leurs dires, d’un choix par dépit ou par défaut, et non d’un véritable choix. On devine, dans la description de leurs aspirations professionnelles, que ces élèves ne perçoivent pas leur avenir professionnel comme très stimulant. Pour plusieurs des redoublants du secondaire, l’école est devenue un passage obligé, qui éveille peu leur curiosité intellectuelle et leur sens critique. Ils y demeurent surtout pour des raisons utilitaires : obtenir son diplôme pour espérer avoir un avenir professionnel minimalement correct (Beaucher, 2004). Ces conclusions rejoignent les constats d’autres chercheurs (Jimerson et Ferguson, 2007 ; Xia et Glennie, 2005) en ce qui a trait aux conséquences, souvent négatives, du redoublement scolaire sur les aspirations professionnelles des jeunes.

À la lumière de nos résultats qui révèlent les effets plutôt négatifs du redoublement sur la réussite scolaire des élèves et à la suite de chercheurs qui se sont penchés sur la question (Forness, Kavale, Blum et Lloyd, 1997 ; Jimerson, 2001), nous en venons à questionner la pertinence d’une telle mesure. Comme eux, nous privilégions la mise en oeuvre, auprès d’élèves à risque, de pratiques pédagogiques susceptibles d’engendrer un rapport au Savoir plus favorable à la réussite scolaire, et ce, dans différentes disciplines. À cet égard, parmi les stratégies évoquées par Xia et Glennie (2005) afin de favoriser l’amélioration des résultats scolaires des jeunes en difficulté, on retrouve l’identification précoce de ces élèves, la mise en place d’une aide individualisée, de programmes de tutorat et d’une école d’été, un plus grand engagement de la part des parents, le développement des programmes scolaires, une restructuration de l’école, etc. Dans le même sens, nous conduisons actuellement des recherches où sont mises à l’épreuve des pratiques pédagogiques alternatives en sciences, de manière à susciter une révision du rapport au savoir scientifique des élèves (Bader et Therriault, 2008).

7. Conclusion

La présente étude contribue au raffinement des connaissances sur les représentations des élèves du primaire et du secondaire quant à l’influence du redoublement sur leur réussite scolaire, et ce, par le biais d’un cadre théorique et d’un mode de collecte de données encore peu utilisés par les chercheurs, soit la théorie du rapport au Savoir et l’entretien semi-structuré. Il s’agissait ici de recueillir le sens de cette expérience scolaire de l’avis même de ceux et celles qui l’ont vécue.

Ce qui se dégage du portrait des 31 élèves interrogés permet de souligner deux aspects. D’abord, les représentations recueillies indiquent que l’influence du redoublement ne semble pas toujours aussi négative que ce que certaines études en disent, entre autres pour les filles et les élèves du primaire, qui décrivent ici un engagement réel dans leurs apprentissages. Il semble cependant confirmer que le redoublement scolaire entraîne de la démotivation et nuit au rapport au Savoir, au projet de vie et aux aspirations professionnelles des garçons et des élèves du secondaire. Notre étude souligne enfin que même si, de manière générale, certains élèves ont intégré le discours des adultes, à savoir que le redoublement est une bonne chose pour eux, leurs résultats scolaires ne semblent généralement pas améliorés à la suite de leur année de reprise. Dès lors, à la suite des travaux antérieurs sur cette question, nous en venons à questionner le recours au redoublement dans les écoles, puis à envisager des mesures alternatives qui visent les élèves à risque, telles que la mise en oeuvre de pratiques pédagogiques innovantes, ce qui contribuerait à la formation d’un rapport au Savoir et à l’apprentissage plus favorable à la réussite scolaire.

De plus, soulignons que le recours à la notion de rapport au Savoir apparaît adéquat aux fins d’une étude de ce type, car celle-ci permet d’explorer le sens de l’expérience du redoublement, d’en saisir la portée, mais également les limites, par une analyse des rapports que les élèves entretiennent à l’égard de l’apprentissage, de matières particulières, de soi et des autres acteurs de l’école. Les résultats obtenus soulignent qu’il s’agit d’un outil théorique fécond afin d’interroger le redoublement et ses effets sur la réussite scolaire des élèves. Des études similaires méritent ainsi d’être poursuivies de manière à cerner plus avant les liens entre certains types de rapports au Savoir et un parcours scolaire conduisant à la réussite. Sur le plan méthodologique, il nous apparaît pertinent de recourir à nouveau, dans des recherches futures, à l’entretien semi-structuré, qui a permis un traitement quantitatif par le biais du logiciel Alceste et une analyse thématique, puisque cela constitue un apport intéressant aux différentes méthodes de collecte et d’analyse des données utilisées dans les études antérieures, qui relèvent davantage de la vérification d’hypothèses que de l’exploration du sens que les acteurs concernés attribuent à leur histoire scolaire.

Pour terminer, rappelons que cette étude a permis de recueillir le point de vue d’élèves redoublants issus d’une seule commission scolaire et qu’il s’avère nécessaire de poursuivre la recherche à ce sujet à plus grande échelle. Il s’agit en effet d’une recherche dont les données ont été obtenues au moyen d’entretiens semi-dirigés auprès de 31 élèves provenant d’un échantillon relativement varié, issus de différents niveaux au primaire et au secondaire, ayant redoublé ou étant en train de redoubler. Certes, nous sommes conscientes du caractère exploratoire de cette étude, vu le petit nombre de sujets par niveau scolaire, mais nous souhaitons faire observer que le fait de recueillir une trentaine d’entretiens avec des élèves en difficulté scolaire volontaires, représentait déjà tout un défi. Enfin, dans de futures recherches, il pourrait s’avérer pertinent d’adjoindre à cette méthodologie qualitative la passation de questionnaires en lien, par exemple, avec l’estime de soi des élèves et leur sentiment de compétence scolaire, ce qui viendrait enrichir l’analyse des données qualitatives issues des entretiens en lien avec le rapport au Savoir d’élèves qui ont vécu le redoublement scolaire.