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1. Introduction et problématique

C’est une évidence de dire que les activités de lecture pendant les trois dernières années de l’école primaire doivent en priorité être consacrées à la compréhension, afin de préparer au mieux les élèves aux études secondaires, où le temps n’est plus à l’apprendre à lire mais au lire pour apprendre (Leach, Scarborough et Rescorla, 2003). Mentionnons qu’en France, les enfants de trois ans entrent à l’école maternelle pour une durée de trois ans. Ils fréquentent ensuite l’école primaire pendant cinq ans avant de poursuivre leur scolarité au collège d’enseignement secondaire, qu’ils abordent généralement à l’âge de 11 ans. La dernière année de maternelle est regroupée avec les deux premières années de primaire pour former le cycle II (dit cycle des apprentissages fondamentaux, qui comprend la grande section de maternelle, le cours préparatoire et le cours élémentaire 1re année). Au Québec, ces trois années correspondent respectivement à la dernière année de garderie, aux 1re et 2e années du primaire. Les trois dernières années françaises de primaire sont également regroupées pour former le cycle III (dit cycle des approfondissements, qui se compose des cours élémentaire 2e année et moyens 1re et 2e années). Elles correspondent aux 3e, 4e et 5e années du primaire au Québec.

Même s’il faut accorder la priorité à la compréhension lors des trois dernières années de l’école primaire, des élèves commencent cette dernière période avec de notables difficultés dans le traitement des mots écrits, ce qui crée d’importantes différences interindividuelles : certains lisent les mots rapidement et sans effort apparent ; d’autres emploient encore trop souvent une procédure analytique qui requiert une grande partie de leur attention. Pour ces derniers, il peut s’avérer judicieux de mettre en place des activités pour améliorer leurs mécanismes d’identification des mots et, ainsi, accroître la part des ressources cognitives pouvant être consacrée aux traitements sémantiques. La présente recherche s’inscrit dans cette perspective. Elle a pour objectif de tester un programme d’entraînement à la lecture qui vise à parfaire l’identification des mots en proposant des exercices centrés sur le décodage et la révision des correspondances entre graphèmes et phonèmes. Dispensé dans le cadre et le temps scolaires, ce programme s’adresse à des élèves de huit ans, identifiés comme faibles décodeurs au sein de leur classe d’origine, scolarisés en classes régulières (cours élémentaire 2e année).

Après avoir rappelé l’importance du développement des procédures d’identification automatiques des mots écrits, de la phonologie et de l’acquisition des règles de décodage, nous évoquerons quelques études ayant montré l’impact positif d’entraînements ciblés sur les correspondances graphophonologiques. Nous présenterons ensuite deux dispositifs contrastés (seul ou à deux), susceptibles d’être employés pour mettre en oeuvre un programme d’entraînement. Ensuite, la méthodologie de l’expérimentation sera détaillée et suivie de la présentation et de la discussion des résultats obtenus. Le peu d’impact positif observé nous amènera enfin à réexaminer certains de nos postulats de départ et à proposer de nouvelles pistes de remédiation pour de faibles lecteurs.

2. Contexte théorique

2.1 L’importance de l’automatisation de la reconnaissance des mots écrits

En général, en fonction du but qu’il s’est fixé et pour peu qu’il dispose des connaissances linguistiques et conceptuelles nécessaires, tout lecteur compétent accède facilement, et sans effort cognitif particulier, au sens des messages véhiculés par les textes. Cette activité, qui se déroule en temps réel, mobilise différentes composantes en interaction, certaines relevant du domaine de l’identification des mots écrits, d’autres du domaine de la compréhension (élaboration d’inférences, calcul des référents). Ses ressources attentionnelles étant limitées, le lecteur est alors contraint de partager son attention entre les composantes, chacune d’entre elles en exigeant une part plus ou moins importante. Cette allocation d’attention, qualifiée de coût cognitif, varie en fonction du degré d’automatisation des traitements mis en oeuvre pour chaque composante : plus un traitement est automatisé, moins la part d’attention nécessaire à son accomplissement est importante, et plus le coût est faible. Au contraire, plus un traitement exige de contrôle, plus la part attentionnelle nécessaire est grande, et plus le coût est élevé (Fayol, 1996). Pour que l’activité de lecture se déroule sans encombre, la somme des coûts des différentes composantes ne doit pas dépasser la totalité des ressources attentionnelles mobilisables par le lecteur.

Des composantes citées plus haut, seules celles qui relèvent de l’identification des mots semblent vraiment spécifiques au traitement du langage écrit, car l’activité de compréhension, qu’elle se déroule dans des contextes écrits ou oraux, ferait appel à des processus largement similaires (Fayol, 1992 ; Morais 1994 ; Sprenger-Charolles et Colé, 2003). De plus, au fil du temps, les traitements mis en oeuvre par la composante d’identification peuvent s’automatiser. Ce point est à souligner, car une identification rapide et précise des mots écrits est reconnue comme un préalable, certes non suffisant, mais nécessaire pour que l’activité de lecture se déroule dans de bonnes conditions. Par conséquent, il convient de réserver une large place aux interventions qui visent l’automatisation des procédures d’identification au cours de l’enseignement en général et des actions de soutien en particulier, si et tant que l’expertise des élèves est jugée insuffisante à ce niveau.

2.2 La place accordée à la phonologie et à la reconnaissance des mots par les modèles de lecture

Chez l’expert, en prenant comme référence le modèle de la double voie (Coltheart, 1978 ; Coltheart, Rastle, Perry, Langdon et Ziegler, 2001), la reconnaissance des mots peut se faire de deux façons différentes : par accès direct aux représentations lexicales stockées en mémoire à long terme, pour les mots connus (voie directe, procédure lexicale) ; par l’entremise de conversions graphophonologiques, pour les mots nouveaux (voie indirecte, procédure sublexicale). Dans le cadre des modèles connexionnistes (Harm et Seidenberg, 2004 ; Seidenberg et McClelland, 1989), la reconnaissance ne se fait pas par le biais d’entités déjà mémorisées au sein du lexique mental, mais grâce à l’activation conjointe d’unités phonologiques, orthographiques, sémantiques et contextuelles concernées par le traitement de l’information lexicale. Si, contrairement au premier modèle cité, la phonologie n’est plus ici la caractéristique principale d’une procédure particulière, elle reste néanmoins toujours présente comme un des éléments participant à la reconnaissance.

Cette place importante accordée à la phonologie se retrouve également au sein des modèles développementaux qui décrivent l’apprentissage de la lecture comme une succession de stades (Frith, 1985). Elle se retrouve encore au sein de modèles dits fonctionnels, comme par exemple celui de Seymour (1997), qui envisage la constitution du lexique orthographique comme prenant simultanément appui sur les procédures logographique et alphabétique, ou celui de Goswami et Bryant (1990), qui prédit l’utilisation des analogies avant le développement d’une procédure de mise en correspondance des graphèmes et des phonèmes.

Enfin, la phonologie est toujours présente dans les modèles d’apprentissage de type connexionniste pour lesquels la reconnaissance des mots s’effectue par une distribution de l’activation au sein de configurations originales qui associent précocement informations phonologiques, orthographiques, sémantiques et contextuelles (pour un commentaire, voir Gombert, 2002 ; pour un exemple, Rouibah, Ploux et Ji, 2001).

Sans exposer davantage ces modèles et les conceptions du développement propres à chacun, retenons que tous mettent de l’avant l’importance de l’apprentissage du code et considèrent cet apprentissage comme un passage obligé menant à la maîtrise des stratégies orthographiques et à l’expertise en lecture. Autrement dit, apprendre à reconnaître les mots écrits, c’est aussi, outre l’habileté à trouver leur signification, apprendre à retrouver leur prononciation.

2.3 Les observations longitudinales

Comme le suggèrent les modèles évoqués précédemment, la médiation phonologique et la maîtrise du décodage occupent une place centrale lors des premières années d’apprentissage de la lecture. Une étude effectuée auprès d’élèves francophones a permis de le vérifier (Sprenger-Charolles, Béchennec et Lacert, 1998). Ces derniers ont été suivis de la dernière année de maternelle jusqu’au cours élémentaire 1e année. Leur capacité de lecture a été plusieurs fois évaluée. Les principaux résultats indiquent que, dès la fin du cours préparatoire, les élèves commencent à se constituer un lexique orthographique dont la mise en place serait favorisée par le recours à la médiation phonologique, elle-même prenant appui sur l’existence de capacités métaphonologiques précoces. Reste à savoir si ces résultats ne sont pas, pour l’essentiel, dépendants des méthodes d’enseignement de la lecture utilisées par les enseignants recrutés pour cette recherche, apparemment uniquement phoniques.

Une étude plus récente conduite par Pierre (2003) permet de lever le doute. Les élèves québécois participant à cette expérience fréquentent des classes dans lesquelles les enseignants apprennent à lire avec une méthode dite globale (whole-language). Pour connaître les stratégies de lecture employées par les élèves, on leur a demandé de lire oralement un texte au sein duquel des mots cibles avaient été distingués. Les transcriptions des lectures ont permis de repérer différentes stratégies, allant de la non-reconnaissance à la lecture spontanée et sans aide. L’analyse de ces transcriptions fait apparaître qu’en fin d’année et malgré l’approche globale, les élèves ont recours, mais avec de fortes différences dans la maîtrise et l’automatisation des procédures, au décodage pour lire les mots. Cette analyse laisse également supposer que l’accès à l’étape orthographique ne se fait pas à partir du stade logographique, mais par le biais de l’étape alphabétique.

Les conclusions de cette étude se rapprochent de celle de Sprenger-Charolles et collab. (1998) : tous les élèves qui apprennent à lire, quelle que soit la méthode employée par les enseignants, utiliseraient des stratégies de décodage. D’autres arguments en faveur d’une telle thèse sont apportés par les expériences d’entraînement, les seules en mesure de montrer l’incidence causale de ces facteurs sur la réussite en lecture.

2.4 Les expériences d’entraînement

Signalons simplement les synthèses établies par Bus et Van Ijzendoorn (1999), Ehri, Nunes, Willows, Schuster, Yaghoub-Zadeh et Shanahan (2001a) ainsi qu’Ehri, Nunes, Stahl et Willows (2001b). Les deux premières rappellent l’existence de liens étroits et virtuels entre capacités métaphonologiques et réussite de l’apprentissage de la lecture, tandis que la dernière rappelle les effets d’un enseignement explicite des correspondances graphophonologiques. D’autres recherches, menées dans ce domaine, ont également contribué à enrichir les résultats sur le sujet et nous les décrirons ci-après.

D’abord, l’étude de Torgesen, Alexander, Wagner, Rashotte, Voeller et Conway (2001) concerne 60 enfants qui présentent d’importantes difficultés de lecture et bénéficient, à ce titre, d’un temps d’enseignement en classe spécialisée. Âgés de 8 à 10 ans, ils sont aléatoirement répartis au sein de deux groupes recevant chacun un programme spécifique.

Le programme Auditory Discrimination in Depth vise essentiellement le développement des consciences phonémique et articulatoire ainsi que l’apprentissage des correspondances entre graphèmes et phonèmes. Il débute par la présentation de paires de consonnes (par exemple, /p/ et /b/) et se poursuit par l’introduction des voyelles. Le décodage et la reconnaissance globale des mots font également partie de ce programme d’entraînement. Finalement, un temps est réservé à la lecture de courts textes.

Le programme Embedded Phonics insiste davantage sur l’écrit. Lors d’une première séance, sont proposés des exercices de lecture globale et d’écriture de mots (en étirant leur prononciation pour mieux repérer les phonèmes qui les composent) ainsi qu’un enseignement des correspondances graphophonologiques. En début de séance suivante, un temps est consacré à la lecture des mots antérieurement présentés. Suivent des exercices d’écriture, de lecture silencieuse et de lecture orale de textes. La séance se termine par l’écriture de phrases contenant les mots appris.

Les deux programmes durent de 8 à 9 semaines, à raison de deux séances par jour, dispensées en situation individuelle. À la suite de cette période, chaque élève bénéficie une fois par semaine, et ce, pendant huit semaines, de l’appui du maître de soutien. Ce dernier vient en classe pour aider l’élève à mettre en pratique ce qui a été travaillé lors de la phase d’entraînement intensif.

Les principaux résultats de cette étude montrent que les élèves progressent en lecture de mots (décodage, exactitude, reconnaissance globale) et en compréhension de textes, les programmes Auditory Discrimination in Depth et Embedded Phonics donnant sensiblement les mêmes résultats. De plus, les progrès observés à l’issue de la période d’entraînement se maintiennent au premier post-test différé (un an après), sont toujours présents au deuxième (deux ans après) et 40 % des élèves peuvent réintégrer une classe ordinaire à plein temps. Seule la vitesse en lecture n’évolue pratiquement pas, les auteurs suggérant qu’à ce sujet, un entraînement plus spécifique est nécessaire. Cette étude, aux résultats remarquables, nécessite toutefois un investissement très important, en temps et en personnes. Torgesen et ses collaborateurs (2001) précisent d’ailleurs qu’un tel programme n’est pas envisageable en l’état dans le milieu scolaire ordinaire. Il en va de même pour le programme de tutorat développé par Vellutino et Scanlon (2002), qui permet de nettes améliorations du niveau de lecture, mais exige une forte mobilisation des enseignants pour assurer de 75 à 80 sessions individuelles de 30 minutes chacune.

Un autre type d’entraînement, nommé le Word Building, également centré sur le décodage, a été proposé par McCandliss, Beck, Sandak et Perfetti (2003). S’adressant à de faibles décodeurs âgés de sept à dix ans, ce programme comprend 20 sessions d’environ 50 minutes chacune, dispensées individuellement, trois fois par semaine. Après avoir souligné que c’est rarement le décodage de la première lettre du mot qui pose problème aux faibles lecteurs, ces auteurs se proposent d’attirer leur attention sur les lettres situées à l’intérieur des mots. À cette fin, et à l’aide d’un jeu de dominos de lettres, on soumet aux élèves des exercices progressifs de comparaison et de manipulation de mots ne différant que d’un seul graphème (sat, sap, tap, top…). En fin de séance, sont aussi présentées des phrases contenant les mots étudiés. Comparativement à un groupe contrôle apparié et à l’issue de l’entraînement, les progrès sont plus importants en lecture de pseudo-mots (décodage), en conscience phonémique et en compréhension de phrases pour le groupe entraîné.

D’autres programmes, conduits en situation réelle de classe et sur des périodes plus brèves, qui s’adressaient à des groupes d’élèves et non à un élève en particulier, ont aussi obtenu des résultats intéressants. Ainsi, Chardon (2000) a montré qu’un entraînement suivi collectivement par de faibles lecteurs de fin de primaire peut s’avérer efficace. Composées d’exercices centrés sur les habiletés métaphonologiques, l’automatisation des mécanismes de reconnaissance des mots et la lecture orale, neuf heures de soutien sont dispensées, à raison de deux séances d’une heure par semaine à de petits groupes d’élèves. À l’issue de l’entraînement, et comparativement à un groupe contrôle, des effets bénéfiques et statistiquement significatifs sont relevés en lecture orale, mais également, et c’est l’essentiel, en compréhension en lecture silencieuse. L’expérimentation de Chardon (2005) a également contribué à améliorer le niveau de lecture d’élèves de cours préparatoire en Zone d’éducation prioritaire (ZEP) grâce à un programme composé de 13 séances d’une heure, dispensées en classe entière, de une à deux fois par semaine. Mentionnons ici que les établissements scolaires situés en Zone d’éducation prioritaire, sont dotés de moyens supplémentaires et l’action éducative y est renforcée pour tenter de faire face aux difficultés scolaires et sociales. Les Zones d’éducation prioritaire ont actuellement laissé la place au Réseau Ambition Réussite (RAR, pilotage national) et aux Réseaux de réussite scolaire (RRS, pilotage académique).

Chaque séance comporte des exercices visant à améliorer la conscience phonologique, la maîtrise du décodage, des activités d’écriture et d’exploration haptique et visuo-haptique des lettres. Les résultats d’un premier post-test montrent une amélioration significative de la lecture de mots, de l’habileté phonologique et de la qualité de l’écriture pour le groupe entraîné (par comparaison avec les résultats d’une classe contrôle et d’une classe placebo). Cependant, les trois classes ne se distinguent pas entre elles dans des épreuves de dictée et de compréhension. Par contre, lors d’une évaluation différée effectuée deux mois après l’entraînement, le niveau moyen de lecture de la classe entraînée, établi grâce à un test standardisé (Inizan, Inizan et Bartout, 2002), est supérieur à celui des deux autres classes et atteint, d’après les concepteurs du test, le seuil de lecture qualifié comme suffisant pour passer en classe supérieure.

La brève présentation de ces quelques expériences rappelle qu’il est possible d’entraîner efficacement les élèves en décodage, à différents niveaux de l’école primaire et d’atténuer ainsi les difficultés de lecture.

2.5 Les modalités des entraînements

Les type d’entraînements qui viennent d’être passés en revue ont été dispensés aux élèves sous différentes formes : en groupe restreint, en situation de tutorat, en dehors ou à l’intérieur même de la classe ou de l’école. Si certaines de ces formes sont aisément transférables au domaine de la classe (et proches des situations de pédagogie différenciée mises communément en place par les enseignants), ce n’est pas le cas pour d’autres, qui requièrent matériel et personnel d’encadrement sur de longues périodes. Aussi, pour l’entraînement dont il est question dans la présente recherche, nous avons choisi deux dispositifs qui pouvaient facilement être mis en oeuvre par des enseignants, dans le cadre d’une classe ordinaire.

Le premier s’apparente au domaine de l’enseignement direct (Bissonnette, Richard et Gauthier, 2005), reconnu comme efficace lorsqu’il s’adresse à des élèves en difficulté de lecture, aussi bien pour le décodage (Torgesen, 2002) que pour la compréhension (Bianco et Bressoux, 2009). Lors d’une première phase collective, l’enseignant présente les objectifs de la leçon et explicite les notions qui seront mises à l’étude. Dans une deuxième phase, toujours dirigée et contrôlée par l’enseignant, qui fournit, au besoin, des compléments d’information à ce moment-là, les élèves s’exercent, soit individuellement soit en groupe. Enfin, dans une dernière phase, et avant que des révisions périodiques ne soient proposées, les élèves travaillent seuls. Le deuxième dispositif choisi se rattache au domaine de l’apprentissage coopératif (Buchs, Lehraus et Butera, 2006 ; Darnon, Butera et Mugny, 2008), censé favoriser, grâce aux interactions et confrontations de points de vue entre élèves, l’acquisition des notions mises à l’étude. En général, les recherches dans lesquelles les principes de cet apprentissage sont mis en oeuvre montrent des résultats positifs bien que, lorsqu’il s’agit de lecture, ce soit surtout la compréhension qu’on ait cherché à améliorer (Palincsar et Brown, 1984) et non le décodage. Cependant, quelques travaux ont approché cet aspect, en voici deux exemples. Le premier est celui de Lavoie, Lévesque et Laroui (2008) qui, tout en montrant qu’il est possible de faire travailler de jeunes enfants en situation dyadique, analysent en début, milieu et fin d’année scolaire, le contenu des interactions de 30 dyades d’élèves scolarisés en première année de primaire, placés en situation d’écriture. Ces chercheurs identifient deux catégories d’interactions : celles ayant pour objet les conventions de l’écrit (référence aux correspondances phonèmes-graphèmes, à l’écriture des lettres, à l’orthographe des mots…) et celles faisant référence au sens de la tâche et au sujet du message à écrire (questions sur la tâche à réaliser, exemples de choses à écrire…). Parmi les résultats présentés, nous retiendrons particulièrement ceux qui permettent aux auteurs de suggérer la pertinence qu’il peut y avoir à regrouper les élèves en dyade, dès lors qu’un enseignant désire susciter des échanges sur les conventions de l’écrit. L’impact que pourrait avoir la mise en place d’un tel dispositif sur les performances ultérieures des élèves en lecture n’est toutefois pas explicitement démontré...

Le deuxième exemple concerne la recherche menée par Fijalkow (1995) au niveau du cours préparatoire (âge moyen : six ans) et du cours élémentaire 1re année (âge moyen : sept ans), et centrée sur les interactions et comportements des élèves lors d’ateliers de lecture-écriture. Les observations ont eu lieu en classe, à un moment où les élèves travaillaient en autonomie, sans possibilité de solliciter l’enseignant. Elles ont montré que la plus grande partie du temps est consacrée au travail demandé, et que les demandes d’aide des élèves sont adressées de préférence à leurs pairs avant de se tourner vers les documents disponibles dans la classe. Comme pour la précédente, les résultats de cette étude suggèrent qu’il est possible de demander à des élèves de travailler en groupe, au cours de situations d’apprentissage de la langue écrite. Néanmoins, les preuves de la supériorité d’un tel dispositif en termes d’efficacité par rapport à d’autres situations d’enseignement-apprentissages ne sont pas apportées. Cependant, étant donné que les situations d’apprentissage coopératif sont en général bénéfiques lorsqu’il s’agit de travailler la compréhension de texte, nous pensons qu’il en serait de même lorsqu’il s’agit de travailler le code.

Afin de poursuivre notre travail sur le soutien en lecture et compte tenu des éléments théoriques et empiriques rappelés ici, nous avons envisagé une nouvelle recherche d’entraînement en lecture. Après avoir expérimenté avec des élèves du cours préparatoire (âge moyen : six ans) et du cours moyen 2e année (âge moyen : onze ans), autrement dit de début et de fin d’école élémentaire, nous avons choisi de nous intéresser aux faibles décodeurs de cours élémentaire 2e année (âge moyen : huit ans). Pour dispenser l’entraînement que nous allons présenter, nous avons fait appel aux deux dispositifs contrastés déjà évoqués :

  • le premier dispositif sera qualifié d’individuel (IND) : l’enseignant conserve le contrôle de la situation, gère le temps, propose les activités, guide l’élève. Ce dispositif évoque les situations d’enseignement direct, mais s’en distingue cependant en ne proposant aucune phase de travail collectif, et ce, pour conserver un fort contraste avec le deuxième dispositif ;

  • le deuxième dispositif, au sein duquel les élèves seront regroupés par équipe de deux, sera qualifié de dyadique (DYA). Il est censé favoriser les interactions entre les élèves et peut être rattaché au domaine de l’apprentissage coopératif. Soulignons que contrairement au premier, ce deuxième dispositif ne se rapproche pas d’une forme pédagogique communément employée dans les classes où nous sommes intervenus, les élèves ayant peu l’habitude (aux dires des enseignants) de travailler en groupe, encore plus rarement par deux.

L’entraînement ainsi proposé nous permet de faire les deux hypothèses suivantes :

  • des activités visant à perfectionner les mécanismes de décodage et de reconnaissance des mots écrits devraient améliorer le niveau de lecture des élèves (décodage et compréhension) ;

  • les performances des élèves travaillant par deux devraient être supérieures à celles des élèves travaillant seuls (conformément aux observations généralement faites lors d’entraînements à la compréhension).

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Soixante-quatorze élèves, répartis dans trois classes régulières de cours élémentaire 2e année d’une même école primaire de la région de Valence, en France, ont participé à l’expérience. Tous les milieux socioéconomiques sont représentés, avec toutefois une prédominance des milieux moyens, voire faibles. Le choix d’une même école se justifie pour plusieurs raisons : facilité de mise en oeuvre expérimentale, homogénéité de l’environnement social et unité des caractéristiques morphologiques des classes. Deux classes ont été désignées comme expérimentales (les élèves bénéficiant de l’entraînement en sont extraits) et les élèves du groupe contrôle ont été choisis dans la troisième.

3.2 Instrumentation

Le pré-test s’est déroulé à la fin octobre, juste avant les vacances de la Toussaint. Tous les élèves des trois classes ont été évalués à l’aide de quatre épreuves standardisées, toutes à passation collective, excepté l’épreuve de l’Alouette-R, administrée en situation individuelle. Un post-test, au contenu identique, a été administré en février, à l’issue de l’entraînement.

3.2.1 Compréhension écrite

Proposée par Aubret et Blanchard (1991), l’épreuve se compose de trois feuillets comportant chacun deux ou trois textes narratifs accompagnés de questions. Elle est étalonnée du cours élémentaire 2e année (âge moyen : huit ans) à la 3e de collège (âge moyen : quatorze ans). Sa forme est très proche des situations d’évaluation de la compréhension qui sont généralement proposées aux élèves par les enseignants. D’après ces concepteurs, ce test présente une très bonne validité et une fidélité satisfaisante (0,84).

3.2.2 Orthographe

Ce test classique de dictée fait partie d’une batterie d’épreuves pour l’école élémentaire, Batelem-R (Savigny, Barbier, Coupey Le Roy, Girard et Roussel, 2001). Il distingue plusieurs aspects : la phonétique, l’orthographe d’usage et l’orthographe grammaticale. Par ordre croissant de difficulté, sont dictés des phrases isolées puis de courts paragraphes. Dans cet article, seul le score global sera examiné. Cette batterie d’épreuves présente une validité satisfaisante dans le cadre scolaire. Cependant, bien qu’elle soit jugée correcte, les auteurs ne fournissent pas de données chiffrées sur la fidélité de l’évaluation orthographique.

3.2.3 Alouette-R

Cette épreuve (Lefavrais, 2005), dans laquelle un élève est placé pendant trois minutes en situation de lecture orale d’un texte de 265 mots, permet d’évaluer l’efficience du décodage à partir du calcul de plusieurs indices : le nombre de mots correctement lus (indice C), la précision (indice CM) et la vitesse de lecture (indice CTL), souvent confondue pour les premiers niveaux scolaires avec l’indice C, bien peu de lecteurs débutants parvenant à lire tout le texte dans le temps imparti. Nous n’avons donc conservé ici que les indices qui concernent le nombre de mots correctement lus et la précision. Même si l’auteur ne donne pas d’indication sur sa validité et sa fidélité, cette épreuve permet de distinguer précisément les enfants présentant des difficultés de lecture des normolecteurs du même âge. Elle demeure l’une des plus employées par les personnes qui s’intéressent aux difficultés ou aux troubles de la lecture.

3.2.4 Vitesse en lecture

D’après ses concepteurs (Khomsi, Pasquet, Nanty et Parbeau-Guéno, 2005), cette épreuve de biffage permet d’apprécier, dans un contexte fortement contraint par le temps, la qualité des stratégies phono-alphabétiques et les connaissances orthographiques disponibles lors d’une tâche de lecture silencieuse de mots isolés. Pendant les deux minutes que dure la passation, les sujets doivent biffer le plus possible de mots jugés mal orthographiés parmi un corpus de 150 mots (des homophones graphiques ou des pseudo-logatomes). Notons que des logatomes sont des mots inventés, sans signification, mais leur prononciation est possible ; quant aux pseudo-logatomes, ce sont des mots présentant des perturbations orthographiques qui peuvent être des omissions, des ajouts et des substitutions de lettres ; ils sont donc dérivés de mots réels. Leur oralisation, ou sous-oralisation, aboutit à des « mots » qui n’existent pas (fenêdre*, chotolat*…). Une note de vitesse en lecture (VL) ainsi qu’un indice de précision (PL) sont calculés.

À titre indicatif, les auteurs mentionnent que la corrélation entre la note VL et la réussite scolaire en français (mesurée grâce aux évaluations nationales d’élèves de 11 ans) est de 0,55, mais ils ne fournissent aucune indication sur la fidélité de l’épreuve.

3.2.5 Épreuves supplémentaires

Il serait peu pertinent de tester les effets d’un soutien en décodage et ceux attendus sur la compréhension en lecture sans s’être auparavant assuré, au moins, de la présence de capacités cognitives et intellectuelles suffisantes chez les élèves. À cette fin, deux épreuves complémentaires ont été administrées : l’une visant à apprécier le niveau intellectuel et l’autre, la compréhension du langage oral. Leurs scores ont été pris en compte, d’une part pour apparier les sujets des différents groupes, d’autre part pour repérer les élèves en très grande difficulté (un seul, dont les résultats ne seront pas intégrés à la présente recherche).

3.2.6 Matrices progressives colorées

Ce test de raisonnement logique, dont la passation s’est effectuée en demi-classe, permet une appréciation du niveau intellectuel. D’après les auteurs (Raven, Court et Raven, 1998), sa fidélité est élevée (au-delà de 0,90) et sa validité très satisfaisante : forts liens avec d’autres mesures de l’aptitude intellectuelle, et des corrélations pouvant aller jusqu’à 0,91 avec la Wechsler Intelligence Scale for Children (W.I.S.C.).

3.2.7 Épreuve Compréhension syntaxico-sémantique

Cette épreuve (Lecocq, 1996) évalue la compréhension de phrases à l’audition. Nous en avons proposé une version restreinte, composée de 28 items, choisis à partir des 14 derniers blocs de l’épreuve, à raison de deux items par bloc. Alors même qu’elle est très utilisée et étalonnée à l’oral sur 2000 enfants, nous n’avons pu trouver d’indications sur la validité et la fidélité de cette épreuve.

3.3 Déroulement

3.3.1 Les groupes expérimentaux IND et DYA

Les 14 élèves ayant obtenu les plus faibles scores au test de l’Alouette-R (indice C, nombre de mots correctement lus) ont d’abord été identifiés dans chaque classe expérimentale. Ils ont ensuite été affectés au sein des deux groupes expérimentaux, chacun étant constitué d’un nombre identique d’élèves choisis parmi ceux préalablement sélectionnés. Nous avons aussi équitablement réparti, entre ces deux échantillons, les quelques élèves susceptibles, à cette période de l’année, de bénéficier d’une prise en charge ponctuelle par des enseignants spécialisés chargés de l’aide scolaire. Enfin, dans la mesure du possible, l’équilibre entre filles et garçons a été respecté (six filles et huit garçons dans chacun des deux groupes).

3.3.2 Le groupe contrôle

Il est également composé de 14 élèves (sept filles et sept garçons), issus de la troisième classe sollicitée, et choisis suivant les mêmes critères retenus pour sélectionner les élèves des groupes expérimentaux. Pendant toute la durée de l’expérimentation, hors de la période de tests, ces élèves bénéficient du programme habituel dispensé à ce niveau scolaire.

3.3.3 Équivalence des groupes

Des tests de Kruskall-Wallis visant à vérifier l’équivalence des performances des trois groupes ont été effectués. Toutes les valeurs H ainsi obtenues se sont révélées non significatives pour chacune des épreuves.

Les caractéristiques des élèves apparaissent dans les tableaux 1 et 2 (avec des précisions sur les valeurs moyennes ou médianes des étalonnages de référence des épreuves standardisées).

Tableau 1

Caractéristiques générales des élèves au regard de leur âge et du nombre de ceux-ci par groupe

Caractéristiques générales des élèves au regard de leur âge et du nombre de ceux-ci par groupe

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Tableau 2

Caractéristiques des élèves au pré-test dans chacun des groupes

Caractéristiques des élèves au pré-test dans chacun des groupes

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Hormis pour les indices concernant le nombre de mots correctement lus (indice C de l’épreuve Alouette-R dont les scores se situent à plus d’un écart-type de la moyenne standard) et la vitesse en lecture (indice VL de l’épreuve Vitesse en lecture dont les scores correspondent à peu près au centile 25), il est à noter que les performances s’éloignent peu des notes étalonnées, même si quelques scores minima attestent de réelles difficultés (notamment en compréhension en lecture silencieuse et en orthographe). C’est donc avant tout une faiblesse dans l’automaticité du décodage ou de la reconnaissance des mots écrits que les tests permettent de pointer ici : en situation orale, par l’observation de nombreuses hésitations ou confusions de sons pour les mots contenant des graphies complexes, de reprises de lecture pour les mots les plus longs et de non respect des règles contextuelles ; au test de biffage de mots, par le constat d’une certaine lenteur d’exécution de la tâche. L’entraînement que nous proposons vise donc à améliorer les mécanismes spécifiques de la lecture (habileté de décodage graphophonologique) pour aider les élèves à acquérir un niveau d’efficacité susceptible de leur permettre de lire plus rapidement et avec moins d’effort n’importe quel mot rencontré.

3.3.4 Les entraînements

Chaque entraînement comporte 11 séances programmées, en accord avec les enseignants, à horaire et jour fixes, entre novembre et février. Chaque séance dure une heure et est dispensée dans une salle de l’école réservée à cet effet pour toute la durée de l’entraînement.

L’entraînement individuel (IND). Les élèves travaillent individuellement sous le contrôle de l’expérimentateur. De fait, ils se retrouvent dans une situation assez proche de celle vécue quotidiennement en classe. Par contre, les exercices, par leur forme et leur contenu, se distinguent de ceux habituellement donnés par leurs enseignants, car ces derniers ne proposent plus de travail systématique centré sur le décodage. En début de séance, les graphèmes et les phonèmes mis à l’étude sont extraits d’un court texte écrit au tableau. Voici par exemple, inspiré de Gaulet (2007), le texte de la séance portant sur la révision des phonèmes « che » [H] et « je », [j] et de leurs graphies : Je suis juché sur la chaise de Serge. Quel drôle de siège… J’ai chu ! Par la suite, les élèves sont individuellement sollicités pour lire quelques-uns des mots inscrits sur une fiche appelée Gammes et qui comporte trois séries de 25 mots, numérotés et présentés en colonnes (parchemin, engin…). Différents exercices sont ensuite proposés : des mots contenant les sons étudiés sont dictés afin de compléter des phrases (L’oiseau jaune se cache dans sa cage), des mots sont à recomposer (à partir de lettres o-u-e-h-c-m ou de syllabes gi-a-té), et des graphèmes à choisir pour compléter des mots (une ma.ine rou.e). L’expérimentateur veille à l’avancée du travail, fournit les corrections nécessaires et les commente. La séance se poursuit par la distribution d’une nouvelle fiche sur laquelle apparaissent 28 triplets de mots, chacun recelant deux distracteurs qui contiennent soit des inversions de lettres (charmant / chramant), soit des remplacements de graphèmes par d’autres phonologiquement proches (parachute / parajute).

Compte tenu du rythme de travail élevé atteint par les élèves, un exercice supplémentaire consistant à accepter ou refuser la similarité phonologique de 28 paires de mots (lendemain / landemin) leur est proposé pour les cinq dernières séances. L’expérimentateur ne corrige pas ces derniers exercices avec les élèves, mais il leur en fournit les résultats d’une séance sur l’autre. S’il reste un peu de temps, la séance se termine par un exercice collectif de lecture rapide. À l’énoncé d’un mot de la fiche Gammes, les élèves sont invités à retrouver le numéro de celui-ci dans les séries, à le noter sur une ardoise et à présenter publiquement le résultat.

L’entraînement dyadique (DYA). Les élèves sont associés par paire regroupant, d’après les résultats du pré-test, des sujets de même niveau de lecture orale. Les liens d’amitié, le sexe ou la classe d’origine n’ont pas été pris en compte. Le matériel (ordre de présentation des phonèmes et des graphèmes, textes, ensemble des fiches d’exercices) est identique à celui de l’entraînement individuel (IND). Toutefois, si chaque élève reçoit personnellement les fiches dans la situation précédente, ce n’est plus le cas ici. Chaque paire d’élèves possède le matériel en exemplaire unique, et ce, afin de favoriser les interactions entre partenaires. Pendant les trois premières séances, il nous a paru opportun de rappeler quelques règles à observer lors d’un travail en équipe et d’inviter les partenaires à pratiquer des changements de rôles : qui écrit, qui interroge l’autre, qui lit la consigne ? Cependant, très rapidement, les élèves se sont montrés suffisamment autonomes pour organiser l’ensemble du travail par eux-mêmes. À sa manière, la tâche de dictée a facilité cette prise d’autonomie car, de fait, elle exige une répartition des rôles entre celui qui dicte et corrige les erreurs et celui qui écrit. Ainsi, à partir de la quatrième séance, chaque équipe a reçu l’ensemble des fiches regroupées dans un dossier, y compris le texte de dictée momentanément protégé du regard.

Comme pour l’entraînement individuel, et excepté pour les tout derniers travaux dont les résultats sont communiqués aux élèves d’une séance sur l’autre, la correction des exercices est immédiate et collective. Si l’heure n’est pas totalement écoulée, les équipes réalisent un exercice de lecture rapide où chaque élève, à tour de rôle, demande à son partenaire de retrouver le numéro du mot qu’il a choisi au sein de la fiche Gammes.

3.4 Méthode d’analyse des données

L’emploi de tests statistiques paramétriques suppose trois conditions : mesures effectuées au niveau de l’échelle d’intervalles, échantillons issus de distributions parentes normales et homogénéité des variances (Langouet et Porlier, 1998). Or, le faible effectif de nos échantillons rend peu probable l’hypothèse de normalité sur l’ensemble de nos distributions. Pour nos calculs, nous avons donc retenu des tests non paramétriques :

  • le test de Kruskall-Wallis (comparaison de plusieurs groupes indépendants) pour tester l’équivalence des trois groupes de lecteurs avant l’entraînement ;

  • le test de Wilcoxon (comparaison de deux groupes appariés) pour tester l’évolution des performances entre pré-test et post-test de chaque groupe ;

  • le test de Mann-Whitney (comparaison de deux groupes indépendants) pour vérifier l’efficacité de l’entraînement (première hypothèse) et l’éventuelle supériorité des scores des élèves ayant travaillé par deux (deuxième hypothèse).

Vu le nombre important de tests effectués, le seuil de signification a été ajusté avec la correction de Bonferroni.

3.5 Considérations éthiques

Les enseignants participant à cette recherche ont été informés oralement de ses objectifs, de ses éventuelles implications pratiques, des méthodes de recueil des données et du respect de leur stricte confidentialité (le nom des élèves apparaissait dans les fichiers de traitement des données sous une forme codée). Par contre, si le thème général de l’étude leur a été révélé d’emblée, le contenu précis des tests et séances n’a été rendu public qu’en fin d’expérimentation, et ce, afin de garantir la plus grande neutralité possible de leur part. S’agissant d’enfants mineurs, l’autorisation des familles a été obtenue par le biais du directeur d’école. Enfin, l’inspecteur de l’Éducation nationale de circonscription a également donné son accord. Sauf ceux concernant le test de niveau intellectuel des élèves, les principaux résultats ont été communiqués à l’ensemble des enseignants de l’école lors d’une conférence de formation, en fin d’année scolaire.

4. Résultats

4.1 Évolution des performances entre pré-test et post-test

Nous présentons les scores moyens et médians obtenus par les élèves aux différentes épreuves avant et après les entraînements dans le tableau 3. Y sont également indiqués les indices de dispersion.

Tableau 3

Caractéristiques des élèves au post-test et identification des différences pré-test – post-test statistiquement significatives dans chacun des groupes

Caractéristiques des élèves au post-test et identification des différences pré-test – post-test statistiquement significatives dans chacun des groupes

1. Le seuil de signification est ajusté avec la correction de Bonferroni (* = p ≤ 0,01 ; ** = p ≤ 0,001 ; selon le test de Wilcoxon). Le tableau se lit de la façon suivante : par exemple, les élèves du groupe IND répondent correctement, en moyenne, à davantage de questions de compréhension écrite au post-test (18,0) qu’au pré-test (13,7). Cette progression est significative à p ≤ 0,01.

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En ce qui concerne les épreuves de compréhension et d’orthographe, les différences observées entre les deux tests sont positives et significatives (respectivement p = 0,002 ; p = 0,003 et p = 0,002 pour les groupes IND, DYA et Contrôle à l’épreuve de compréhension écrite ; p = 0,008 ; p = 0,001 et p = 0,001 pour les mêmes groupes à l’épreuve d’orthographe). Les performances du post-test permettent même aux trois groupes de rejoindre ou même parfois de dépasser, pour les groupes expérimentaux, les performances standard attendues. Au-delà d’un classique effet de re-test, la période de quatre mois entre les deux passations et la poursuite de l’enseignement en classe peuvent expliquer en partie cette augmentation générale des performances.

Les progressions des épreuves de lecture centrées spécifiquement sur l’efficacité des mécanismes de décodage sont en revanche moins homogènes. En ce qui concerne l’Alouette-R, si tous les élèves ont lu correctement davantage de mots d’une passation à l’autre (indice C significatif à p = 0,001 pour les groupes), ceux du groupe IND progressent un peu plus que les deux autres, car ils sont les seuls à améliorer significativement leur précision de lecture à l’oral (indice CM, significatif à p = 0,002). En s’intéressant à l’épreuve Vitesse en lecture, l’indice de vitesse (VL) des groupes IND et DYA s’accroît (respectivement p = 0,009 et p = 0,0009), alors que, dans le même temps, le groupe contrôle ne progresse pas (p = 0,12). Quant à la précision (indice PL), sa stabilité pourrait être due au fait que les élèves des trois groupes ont atteint d’emblée un score relativement élevé (p = 0,09 ; p = 0,46 et p = 0,44).

En résumé, nous constatons davantage d’évolutions significatives des performances chez les élèves des deux groupes entraînés (cinq pour le groupe IND, quatre pour le groupe DYA) que chez leurs homologues du groupe contrôle (seulement trois). L’observation de ces différences d’évolution laisse suggérer que l’entraînement a eu un impact positif sur la vitesse de lecture et, à un moindre degré et uniquement pour le groupe IND, sur sa précision. Cependant, la question essentielle est de savoir si les différences de progressions observées entre les groupes (et mesurées par les écarts de performances entre post et pré-test) sont significatives. À titre d’exemple, si les trois groupes progressent significativement à l’épreuve de compréhension, nous constatons que les gains moyens de performances ne sont pas identiques : alors que les groupes IND et DYA augmentent respectivement leurs scores moyens de 4,3 points (18-13,7) et de 6,9 points (20,2-13,3), le groupe Contrôle ne voit le sien progresser que de 3,8 points (16,3-12,5). Pour autant, et comparativement à celle du groupe Contrôle, les progressions supérieures des deux groupes expérimentaux sont-elles suffisantes pour affirmer que l’entraînement est efficace ? Par ailleurs, la plus importante progression du groupe DYA permet-elle d’affirmer que l’entraînement à deux donne de meilleurs résultats que l’entraînement individuel ?

Présentées dans le tableau 4, les comparaisons par paire des progrès réalisés par les trois groupes entre pré-test et post-test vont nous permettre de répondre à ces questions et aux deux hypothèses que nous avons formulées.

Tableau 4

Comparaisons par paire des progrès réalisés par les trois groupes entre pré-test et post-test

Comparaisons par paire des progrès réalisés par les trois groupes entre pré-test et post-test

1. Le seuil de signification est ajusté avec la correction de Bonferroni (* = p ≤ 0,01 ; ** = p ≤ 0,001 ; selon le test de Mann et Whitney). Le tableau se lit de la façon suivante : par exemple, pour l’épreuve de compréhension, la progression des performances des groupes IND et Contrôle n’est pas statistiquement différente (z = -1,15 ; p = 0,25). Soulignons que les deux différences statistiques notées ici révèlent des progressions à l’avantage de l’un ou l’autre groupe expérimental.

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4.2 Première hypothèse : amélioration du niveau de lecture grâce à l’entraînement

Cette hypothèse n’est validée que très partiellement. L’observation conjointe des deux premières lignes du tableau 4 nous apprend que, comparativement aux résultats du groupe Contrôle, l’entraînement proposé n’a pas permis aux groupes entraînés, respectivement IND et DYA, d’améliorer significativement leurs performances aux épreuves de compréhension écrite (p = 0,25 et p = 0,94), d’orthographe (p = 0,84 et p = 0,09) et de l’Alouette-R (p = 0,74 et p = 0,93 pour l’indice C ; p = 0,89 et p = 0,18 pour l’indice CM). Seul l’indice VL de l’épreuve Vitesse en lecture se montre sensible à l’entraînement (p = 0,006 et p = 0,008), cet impact positif ne se retrouvant pas pour l’indice PL de ce même test (p = 0,05 et p = 0,15).

4.3 Deuxième hypothèse : supériorité des performances des élèves ayant travaillé par deux

Cette hypothèse est invalidée, et c’est l’observation de la troisième ligne du tableau 4 qui nous renseigne à ce sujet. Quelle que soit l’épreuve considérée, les deux groupes IND et DYA ne se distinguent pas l’un de l’autre : les évolutions de leurs progrès sont statistiquement équivalentes en compréhension écrite (p = 0,20), en orthographe (p = 0,18), aux indices C (p = 0,94) et CM (p = 0,04) de l’épreuve Alouette-R et aux indices VL (p = 1) et PL (p = 0,57) de l’épreuve Vitesse en lecture.

5. Discussion des résultats

Cette recherche avait deux objectifs : évaluer l’effet d’un entraînement centré sur le décodage et comparer l’efficacité respective de deux dispositifs pédagogiques contrastés. En ce qui concerne le premier objectif visé, nos résultats ne montrent pas les mêmes impacts positifs que ceux observés dans d’autres recherches d’entraînements centrés sur les mécanismes de reconnaissance des mots écrits (Chardon 2000, 2005 ; Ehri et collab., 2001b ; Torgesen et collab., 2001) ; en effet, seule la vitesse de lecture de l’épreuve de biffage s’améliore, sans progressions significatives de la compréhension ni de l’orthographe. Sans exclure définitivement des effets à plus long terme toujours possibles et que nous avons parfois constatés (Chardon, 2005), interrogeons-nous sur les raisons susceptibles d’expliquer cette faiblesse des résultats.

5.1 Mise en oeuvre, durée de l’entraînement et niveau de performance en lecture des élèves

Les études d’entraînement anglo-saxonnes que nous avons présentées ont été menées de manière intensive, sur de longues périodes, avec des prises en charges individuelles (ou en groupes restreints) d’élèves en grande difficulté. Pour notre travail, conduit en situation réelle de classe, avec des groupes plus importants d’élèves aux difficultés bien moindres, la période d’entraînement a été nettement plus brève. Cependant, plus que la durée (nous avons déjà montré l’impact positif d’un entraînement limité dans le temps à une dizaine d’heures), c’est le niveau initial de lecture qui pourrait être un facteur important à retenir pour expliquer cette différence majeure dans les résultats. Les élèves auxquels nous nous sommes adressé ici ont, semble-t-il, franchi aux niveaux scolaires précédents et avec plus ou moins de succès, l’étape initiale de l’apprentissage du code. Aussi, réviser avec eux les correspondances graphophonologiques n’était peut-être pas le moyen le plus approprié pour parfaire leur niveau de lecture.

Cependant, le constat d’une lenteur du déchiffrage chez ces jeunes lecteurs justifie à nos yeux que toute action de soutien de ce type ne soit pas abandonnée. En effet, compte tenu de leurs ressources attentionnelles limitées, il peut encore s’avérer difficile pour eux d’effectuer simultanément des traitements complexes sur la compréhension et sur le code, dès lors que surgissent de trop nombreux mots nouveaux dans le texte ou des correspondances graphophonologiques complexes (Fayol, 2004). La question qui se pose alors est de savoir quel entraînement pertinent proposer à des élèves qui ont dépassé un premier seuil du savoir-lire, puisqu’un soutien axé exclusivement sur le décodage, qui serait suffisant avec des lecteurs débutants possédant une grande marge de progression (Chardon, 2005), ne parvient plus à améliorer significativement leur qualité de lecture.

5.2 Consolidation du code et entraînement de la fluidité

Une piste pourrait être fournie par la comparaison de la présente étude avec celle que nous avons menée antérieurement avec des élèves plus âgés de cours moyen (Chardon, 2000). Même si, sous des formes différentes, les exercices que nous avons auparavant proposés dans ces deux études portent sur la phonologie, les correspondances graphèmes-phonèmes et les sons complexes, une différence notable existe entre les deux programmes et réside dans la place accordée à la lecture orale. Dans la présente recherche, les élèves ont lu à voix haute, mais le temps passé à cette activité a été nettement moins important qu’avec les élèves de cours moyen qui, à chaque séance, avaient lu et relu des textes narratifs, des poésies (mais aussi des notices médicales pour travailler spécifiquement le décodage) et des listes de mots. Nous avons aussi effectué des enregistrements successifs afin que chaque élève puisse juger par lui-même de la qualité de sa lecture, corriger ses erreurs et constater ses progrès… Ce travail, susceptible d’améliorer la fluidité, reconnue comme essentielle pour parvenir à lire sans effort, et pouvoir ainsi concentrer son attention sur la compréhension (Rasinski, 2003 ; Therrien, 2004 ; Wolf et Katzir-Cohen, 2001), n’a sans doute pas duré assez longtemps et n’a pas été repris suffisamment. Nous pouvons penser que des élèves aux mécanismes d’identification relativement précis mais encore lents auraient pu en tirer profit. Faut-il alors s’abstenir de proposer toute activité de décodage au profit d’une lecture oralisée et contrôlée, dès lors qu’un certain niveau est atteint dans ce domaine ? Peut-être pas, car l’âge des élèves (et donc le niveau scolaire considéré) pourrait également être un facteur important. Si les enseignants avec lesquels nous avons travaillé ici consacrent encore une part importante du temps scolaire à la poursuite de l’enseignement des mécanismes de base, ce n’est en général plus le cas avec les élèves de 10 ans où, pour préparer l’entrée dans l’enseignement secondaire, un passage s’opère de l’apprendre à lire au lire pour apprendre. Dès lors, reprendre un travail centré sur la consolidation des relations graphophonologiques peut s’avérer bénéfique. De plus, comme cette reprise d’exercices portant sur les aspects spécifiques de la lecture n’est plus effectuée en classe, elle apparaît quasiment comme une activité nouvelle aux yeux des élèves et leur permet, pour un temps, de travailler à leur niveau réel de lecture.

5.3 Choix d’un dispositif pédagogique

En ce qui concerne la comparaison des deux dispositifs pédagogiques, il nous est difficile de nous prononcer sur la supériorité de l’un ou de l’autre, les deux groupes expérimentaux présentant des performances équivalentes. Nous pouvons toutefois souligner qu’a priori, comme aucun des dispositifs n’a d’incidences défavorables sur les performances des élèves, la mise en place de l’un ou de l’autre reste une possibilité pour un enseignant désireux de varier les situations d’apprentissage qu’il met en place. Tout au plus pouvons-nous témoigner que, dans les deux situations, les élèves ont fait montre d’engagement et d’intérêt face aux tâches proposées et aux savoirs à acquérir. Dans l’entraînement individuel (IND), plus proche des situations de classe habituellement rencontrées, la mise au travail a été immédiate, dès le début de la première séance. Dans l’entraînement dyadique (DYA), après un léger temps d’adaptation, tout en interagissant, les élèves ont correctement répondu à la demande : les exercices ont été menés à leur terme et, le plus souvent, correctement. Même si l’objectif n’était pas d’évaluer spécifiquement les interactions des élèves, nous avons pu remarquer qu’ils se sont montrés capables de rester concentrés sur la tâche lors de chaque séance et d’interagir pour exécuter les exercices proposés. Les rappels à la discipline ont été inexistants, car les élèves demeuraient attentifs et persévérants dans l’effort. Par ailleurs, ils sont rapidement devenus autonomes dans l’organisation du travail. Ainsi, comme les études de Fijalkow (1995) ainsi que de Lavoie et ses collaborateurs (2008) le montrent, proposer ce type de situation est possible. Un seul exemple permettra d’illustrer l’ambiance très studieuse qui a régné. Lors d’une des premières séances, un des garçons, apostrophé par l’un de ses camarades sur le fait qu’il faisait équipe avec une fille, lui a répondu : Ça n’a aucune importance, on est ici pour le travail !

5.4 Prise en compte nécessaire du travail des enseignants

Terminons cette discussion en nous intéressant aux trois enseignants sollicités pour cette recherche. Professionnels chevronnés, ils travaillent en équipe, exercent depuis de nombreuses années à ce niveau scolaire et au sein de la même école. Nos échanges avec eux nous ont appris qu’ils accordent, dans leur enseignement, une place importante à la lecture : pratique de la lecture orale, silencieuse, offerte, accent mis sur la compréhension, mais aussi propositions d’activités de remédiation pour les faibles lecteurs présentant des lacunes. Les scores satisfaisants obtenus au post-test, entre autres aux épreuves de compréhension écrite et d’orthographe, témoignent de l’effort engagé à ce niveau. Aussi, nous ne pouvons totalement écarter le fait que notre entraînement, limité à une dizaine d’heures, n’ait pu fournir explicitement la preuve de son efficacité, face à l’important travail accompli au jour le jour par les enseignants. De ce fait, même s’il n’est pas question, pour nous, de remettre en cause le caractère expérimental de notre démarche (évaluations externes des élèves, constitution de groupes expérimentaux, contrôle des variables…) et le recours aux modèles issus de la recherche scientifique, nous pensons que les enseignants doivent davantage être associés à nos études, et leurs expertises et savoirs pédagogiques, davantage mis à contribution. Nous espérons que ces collaborations, en facilitant l’ajustement des entraînements aux réalités et aux contextes didactiques des classes, pourront s’avérer à la fois prometteuses sur le plan de l’enrichissement et de l’adaptation du contenu des séances et utiles aux enseignants, car in fine, nous restons persuadé que les modalités pratiques de mise en oeuvre des entraînements leur appartiennent.

6. Conclusion

Nous sommes parti de l’idée qu’améliorer l’automaticité du décodage ou de la reconnaissance des mots écrits devait permettre, compte tenu d’un système de traitement de l’information à capacité limitée, une plus grande affectation de ressources attentionnelles aux traitements sémantiques de l’écrit (Fayol, 2004). À partir de diverses recherches qui traitaient d’entraînements ciblés sur les correspondances graphophonologiques ayant montré un impact bénéfique sur le niveau de lecture général (décodage et compréhension) des élèves, nous avons choisi ce même type de contenu pour entraîner de jeunes élèves faibles décodeurs. Nos résultats nous invitent à nuancer notre postulat de départ, puisque nous ne retrouvons pas les mêmes effets positifs que ceux rapportés dans la recension des écrits de recherche. Parmi les explications possibles, si le travail effectué au quotidien par les enseignants ainsi que la place et le temps qu’ils accordent au repérage et au traitement des difficultés des élèves semblent important, les caractéristiques des élèves, âges, niveaux de performances en lecture et scolaire restent primordiales. Leur prise en compte demande sans doute qu’à chaque nouvel entraînement, le contenu didactique des séances soit soigneusement examiné pour s’adapter le mieux possible au public scolaire concerné. Dans notre cas, les élèves ayant acquis le corpus de base des correspondances graphophonologiques, la condition principale de l’automatisation du décodage semble être la pratique d’une lecture assidue, guidée ou non par l’adulte, individuelle ou à plusieurs.

Mentionnons ici que cette étude comporte quelques limites dont il convient de tenir compte. D’abord, le nombre peu élevé d’élèves ayant pris part à la recherche rend difficile une généralisation des résultats. Ensuite, si nous avons pris soin de composer chaque groupe expérimental en choisissant des élèves issus de deux classes, le groupe contrôle est, quant à lui, composé d’élèves issus d’une seule classe. Ce mode d’affectation des sujets limite la désorganisation passagère de l’emploi du temps des enseignants, mais ne permet pas de contrôler un éventuel effet dû à la didactique particulière de la classe contrôle. Choisir des élèves en nombre égal dans chacune des trois classes, pour former chacun des trois groupes, aurait limité ce biais. Enfin, l’absence de suivi longitudinal nous prive de l’observation de possibles effets plus tardifs.

Quoi qu’il en soit, et en partie grâce aux enseignements que nous avons pu tirer de notre étude, une nouvelle piste paraît mériter toute notre attention : celle de l’entraînement systématique et contrôlé à la lecture orale. Cette activité permet d’exercer la fluidité en lecture pour parvenir à une lecture précise, rapide, à la prosodie adaptée, ne demandant pas d’effort et autorisant alors une plus grande allocation des ressources attentionnelles aux processus de compréhension (Rasinski, 2003). Si les recherches sont nombreuses en langue anglaise (Torgesen et Hudson, 2006), il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude publiée en langue française qui montre précisément les bénéfices d’une telle pratique sur la compréhension. Or, il reste à savoir si les études menées et les résultats obtenus par les chercheurs anglo-saxons sont généralisables à toutes les langues. Ces travaux méritent donc d’être repris en français, langue avec laquelle il est également permis d’espérer des effets positifs, mais vraisemblablement spécifiques, compte tenu de la plus grande régularité des correspondances graphèmes-phonèmes françaises. Un tel entraînement présenterait également l’avantage de pouvoir stimuler conjointement les deux voies de lecture, tout en abordant les aspects sémantiques, l’élève ne travaillant plus uniquement sur des mots isolés mais sur un texte narratif complet.

En conclusion, cette expérience invite, fort utilement à notre avis, à réfléchir au fait que mettre en place des actions de remédiation en lecture est difficile et dépend à la fois de l’âge, du niveau de lecture et de l’enseignement reçu en classe. Néanmoins, nos différentes recherches suggèrent que les actions suivantes pourraient être proposées avec profit : soutenir le décodage chez l’apprenti-lecteur, faire lire intensément l’élève en passe de maîtriser les règles graphophonologiques, ne pas hésiter à revenir, en cas de besoin, à un enseignement du code associé à des exercices de lecture orale avec des faibles lecteurs plus âgés de fin de primaire.