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André Corboz enseigna à l’Université de Montréal de 1968 à 1980 ; aujourd’hui, il est professeur émérite à l’ETH Zürich. Son oeuvre éclectique est le fruit d’une grande curiosité intellectuelle et d’une grande sensibilité littéraire. Elle touche à l’histoire de l’art, de l’architecture et de la ville, trouve ses objets en Europe et en Amérique du Nord, va de l’analyse empirique à l’essai polémique, mais se présente toujours sous la forme d’une prose précise et dynamique.

L’érudition et l’éloquence de Corboz sont bien en évidence dans cet ouvrage. Lucie K. Morisset a rassemblé 17 textes dont la publication originale date de 1974 à 2003. Elle y a ajouté une introduction, une entrevue de Corboz et une postface par une collègue italienne, ainsi qu’environ 200 images de bonne qualité.

La première partie du livre inclut deux essais méthodologiques. Avec une imagination nourrie par une grande culture, Corboz a su identifier des hypothèses fécondes (il parle de l’« aggressivité de l’hypothèse » [p. 24]) sur tel plan, tendance ou phénomène urbain, pour en révéler la généalogie parfois surprenante et les sens toujours multiples.

Dans la deuxième partie du livre, cinq essais sur les représentations de la ville et du territoire démontrent la connaissance encyclopédique de Corboz en matière d’histoire de la ville et de l’urbanisme, sa capacité de trouver le mot juste et la bonne métaphore (il parle du territoire comme palimpseste et des lieux qu’il contient comme résultats d’une condensation [p. 87]) et sa sensibilité à l’historicité des concepts par lesquels nous comprenons la ville.

Suivent ensuite six études de cas de divers plans, dont le plan d’Hochelaga qu’on trouve dans la version italienne des Voyages de Jacques Cartier, le plan de Ville Mont-Royal, la grille territoriale américaine et le plan pour Une ville contemporaine de 3 millions d’habitants de Le Corbusier. Corboz y fait preuve de talents de détective ; son enquête lui permet d’affirmer (avec réserves) que nul autre que Palladio serait l’auteur du plan d’Hochelaga. Dans les textes sur l’urbanisme américain, la maîtrise du détail semble parfois moins assurée qu’elle ne l’est dans ceux sur l’urbanisme européen, mais l’analyse reste fine et le commentaire judicieux.

La dernière partie du livre est composée, d’une part, d’un survol de l’histoire de l’urbanisme moderne de Cerda à nos jours et, d’autre part, de trois essais sur la réanimation et la restauration du patrimoine bâti. Dans le premier texte, Corboz revient sur un thème déjà abordé plus tôt, celui de la mort de la ville et de la naissance de l’hyperville, un réseau urbain régional ou même national sans véritable centralité et dont l’ordre se situe dans des processus de structuration et non dans une quelconque harmonie spatiale ou architecturale. Dans les trois autres textes, il passe du descriptif au normatif et contribue à une théorie de la restauration.

Le livre est un bel ouvrage, tant par son contenu que par sa forme. Son seul défaut est l’existence de chevauchements évidents entre certains essais ; le livre ne perdrait rien à sa valeur si les chapitres II, VI et XII ne s’y trouvaient pas. Mais en général, le lecteur trouvera dans ce recueil une excellente introduction à l’oeuvre d’un érudit, ainsi que des études empiriques fascinantes et des idées provocatrices sur la ville en devenir.