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Paru pour la première fois en 1992, The Canadian North. Issues and Challenges de Robert M. Bone aborde la géographie du Nord canadien en fonction de dimensions sociales, politiques, économiques et physiques, sans jamais les isoler les unes des autres. Il s’agit d’un tour de force que seul un grand professeur pouvait réaliser. Cet ouvrage de géographie régionale a été réédité successivement en 2003 et en 2009, accompagnant ainsi un regain d’intérêt pour les études nordiques qu’il a sans doute stimulé en partie. Il aura fallu les nouveaux défis posés par le réchauffement de l’Arctique et ses conséquences géopolitiques pour que les universitaires redécouvrent enfin le paysage nord-canadien.

L’ouvrage comprend neuf chapitres, le premier et le dernier lui servant d’introduction et de conclusion, que viennent ensuite coiffer deux brèves annexes, un lexique des termes spécialisés, ainsi qu’un index détaillé des sujets traités. À la fin de chaque chapitre, une série de sujets de discussion sont proposés pour aider l’étudiant, tout comme le lecteur intéressé, à mieux saisir de quoi il est question. Les notes ainsi que de nombreuses suggestions pertinentes de lecture sur chaque thème se retrouvent aussi en fin de chapitre. Quand au contenu du livre, nous en donnons un aperçu dans les quelques paragraphes qui suivent.

Dans le premier chapitre, Northern Perspectives, l’auteur rappelle que le concept de nord n’est pas univoque. Son acception dépend de la perspective adoptée pour en traiter. Ainsi, les politiciens, les Inuits, les gens d’affaires, les climatologues, etc. ne parlent généralement pas du même Nord. Bone montre ensuite ce qui fait assurément du Nord canadien une région tout à fait distincte à l’échelle du pays.

Le deuxième chapitre, The Physical Base, porte sur les rapports qui s’établissent dans le Nord canadien entre le climat, la végétation, le sol et le pergélisol dans une perspective d’exploitation des ressources, à la fois pour répondre aux besoins des populations qui l’habitent et pour l’accueil des activités industrielles. La biodiversité est en cause, car elle peut facilement être soumise à des pressions excessives.

Au troisième chapitre, The Historical Background, l’auteur montre comment se sont établis, puis ont évolué les contacts entre les premiers habitants du Nord canadien et les Européens, et plus tard, avec les habitants du Canada de base et d’ailleurs. Historiquement, ces relations ont été marquées par l’expansion de la traite des fourrures, par des impératifs militaires et enfin par l’attrait des richesses naturelles considérables qui en ont fait un hinterland de l’économie mondiale, le retrait prévisible des glaces aidant.

Le chapitre IV discute d’une nouvelle géographie de la population du Nord qui pose problème. Les Inuits ainsi que les représentants des Premières Nations ont entrepris de jouer un rôle actif dans le développement de l’économie du Nord, notamment au moyen de revendications territoriales fructueuses. Celles-ci leur ont conféré un droit de regard certain sur des événements télécommandés jusque-là depuis une échelle plus globale. Parallèlement, les populations du Nord se sont regroupées dans des villages dispersés, ce qui a mis en cause leurs genres de vie et qui les a rendues plus dépendantes de l’aide financière des divers paliers du gouvernement canadien. Une population de plus en plus jeune, qui n’a pas accès facilement aux services offerts dans les grands centres, pas plus qu’à un marché du travail dynamique, craint pour son avenir.

Les trois chapitres suivants, intitulés respectivement Resource Development and Northern Benefits, The Role of Megaprojects in Northern Development et Environmental Impact of Resource Projects, se penchent sur la question du développement économique du Nord canadien, alimenté principalement par le grand capital international, ainsi que sur ses impacts sur les populations locales et l’environnement. Peut-on compter essentiellement sur l’exploitation de ressources naturelles non renouvelables pour assurer un développement viable du Nord canadien ? Pour répondre à cette question, l’auteur présente d’abord les domaines dans lesquels des mégaprojets sont élaborés. Il en décrit ensuite quelques-uns, passés et présents, dont l’envergure n’a pas beaucoup d’équivalents ailleurs dans le monde, comme c’est le cas du gigantesque chantier d’exploitation des sables bitumineux du nord de l’Alberta.

De graves problèmes environnementaux découlent de la présence de ces mégaprojets. Or, depuis l’enquête Berger du milieu des années 1970, aux yeux de la population canadienne, les grandes compagnies d’exploitation de ressources naturelles doivent dorénavant assumer leurs responsabilités à cet égard. Elles seraient ainsi sous haute surveillance.

Au chapitre VIII, Bone montre de quelle manière la carte du Nord canadien se redessine à la suite des efforts menés particulièrement par les Inuits pour prendre la place qui leur revient sur cet échiquier d’opérations internationales qu’est devenu le Nord canadien. Ainsi, le territoire du Nunavut, créé en 1999, permet aux Inuits qui y vivent d’être partie prenante des projets qui s’y implantent. Le même processus est en voie de se concrétiser dans la partie nord du Québec.

Enfin, au chapitre IX l’auteur se penche sur les défis à relever. Dans le Nord canadien, uu changement accéléré se produit désormais sur un fond de débat à faire. Le Nord devrait-il devenir un espace en retrait où pourraient s’épanouir des cultures traditionnelles à l’abri d’influences extérieures perçues comme dommageables, ou bien aurait-il intérêt à jouer pleinement la carte d’un hinterland accueillant à bras ouverts les grandes compagnies d’exploitation de ressources naturelles dont on souhaiterait que la présence profite à tous ? Selon l’auteur, il faudra trouver des voies prometteuses de collaboration qui permettront aux uns comme aux autres de tirer profit du changement. Ajoutons qu’un certain rapport de force sera toujours le bienvenu afin que des compromis puissent être envisageables.

Le livre est des plus agréables à lire et s’adresse tant aux étudiants qu’aux personnes avides de découvrir ou d’approfondir leur connaissance de ce Nord qui n’a jamais cessé de fasciner. Il est des plus « informé » et exige du lecteur de prendre le temps de le goûter, comme s’il s’agissait d’un bon roman. Reconnaissons que Bone y pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Le livre pourra laisser sur leur appétit les lecteurs avides de trouver des solutions toutes faites aux « problèmes » du Nord. Par ailleurs, les spécialistes de la géographie humaine se sentiront parfaitement à l’aise là où l’auteur s’attarde à des sujets de géographie physique. Parce que la géographie de Bone est tout sauf une géographie en l’absence de l’Homme. Inversement, les spécialistes de la géographie physique y sont introduits aux rapports complexes qu’entretiennent toujours les humains avec leur environnement.

Enfin, en lisant ce livre de Bone, qui privilégie une approche relativement globale de la géographie du Nord, on ressent le besoin de lire aussi un autre livre. Il s’agirait d’un ouvrage qui pourrait, cette fois, être rédigé par les gens du Nord eux-mêmes et qui nous donnerait alors accès à « leur » géographie. Cela viendra peut-être un jour.