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Les oeuvres romanesques de Nathalie Sarraute et de Georges Perec ont en commun d’être remplies de descriptions d’intérieurs, d’éléments architecturaux et de personnages obsédés par la décoration de leurs appartements. Le lexique de la construction y est également très présent et l’architecture est à la fois un thème et un procédé.

Par l’entremise d’une comparaison entre deux oeuvres aussi différentes que celles de Sarraute et de Perec, je voudrais montrer comment la question de l’architecture (qu’il soit question de décoration intérieure, d’édification du vide ou de la structure des romans), devenue lieu de manipulations et de détournements, permet de mieux comprendre la conception du roman de ces deux écrivains.

L’architecture comme thème : édification d’un mode de vie et construction de mots

La recherche du dispositif architectural parfait est à l’oeuvre dans les romans de Sarraute et de Perec. Les descriptions d’intérieurs et le thème de l’architecture sont en effet associés à une constante recherche de beau, de solide et d’harmonie. Chez Sarraute, d’une part, bien des personnages paraissent exclusivement préoccupés par l’arrangement de leurs appartements et, d’autre part, les mots y sont considérés comme des éléments architecturaux. Dans Entre la vie et la mort, on a affaire à un écrivain en puissance qui dit :

[…] avec les mots, je construis ce monument à notre gloire à tous, cette cathédrale où vous pourrez vous recueillir et avec les autres exhaler, vers le ciel muet vos nobles plaintes. Je sais les mots, je les triture, je les assemble, je les cimente, je les dresse… Vous verrez ces voûtes, ces piliers, ils s’élancent[1].

L’idée de construction avec les mots traverse toute l’oeuvre de Sarraute. Ces mots, en vertu de ce qu’ils cherchent à représenter, sont, à tout moment, susceptibles d’édifier des clichés. De la même manière, les personnages sarrautiens sont des architectes, toujours prêts à mettre sur pied ce que Sarraute appelle « la belle construction[2] », image surfaite que les protagonistes intercalent entre eux et le réel, derrière laquelle ils aiment s’abriter. Gisèle, par exemple, forme avec Alain, son prince charmant, un couple idéal. Cette vision pour le moins stéréotypée semble alors indéfectible :

Elle a détourné la tête, elle a fui, elle a couru se réfugier auprès de son mari, elle a posé la main sur son bras, ils se sont regardés dans les yeux, là, face à tous les autres… […] elle a senti très fort […] qu’ils étaient à eux deux… […] quelque chose d’indestructible, d’inattaquable… Pas un défaut dans la dure et lisse paroi. Pas un moyen pour les autres de voir ce qu’il y avait derrière[3].

Un peu plus loin, on peut lire un passage similaire :

Aussitôt qu’il était là, tout se remettait en place. Les choses prenaient forme, pétries par lui, reflétées dans son regard... […] De l’uniformité, du chaos, de la laideur quelque chose d’unique surgissait, quelque chose de fort, de vivant […], quelque chose qui tout vibrant, traversé par un mystérieux courant, ordonnait tout autour de soi, soulevait, soutenait le monde[4].

La jeune femme cherche à construire des images stables pour faire front aux angoisses qui l’assaillent. En faisant agir sa sensibilité, elle devient un être esthétique pour qui la perception du monde est d’abord une affaire de proportions. Cette dimension de la perception, envisagée comme construction est ce qui émeut le personnage et le pousse à métamorphoser des sensations indicibles en éléments architecturaux.

Chez Perec, les personnages sont aussi des architectes. Jérôme et Sylvie dans Les choses réalisent en rêve l’agencement de l’appartement idéal. Les personnages passent leur temps à projeter des images d’abondance au point de devenir mégalomanes. Ainsi, au milieu du récit, la visite d’une simple exploitation agricole se transforme en une vision hallucinante de gigantisme alimentaire, vision qui, dans un second temps, se métamorphose en construction d’une ville utopique et paradis urbain :

Tout ce qui se mange et tout ce qui se boit leur était offert. […] Il y avait des charcuteries, temples aux mille colonnes aux plafonds surchargés de jambons et de saucisses, antres sombres où s’entassaient des montagnes de rillettes, de boudins lovés comme des cordages, des barils de choucroute […] Ils sombraient dans l’abondance. Ils laissaient se dresser des Halles colossales. Devant eux surgissaient des paradis de jambons, de fromages, d’alcools. […] Ils longeaient les façades d’acier, de bois rares, de verre, de marbre. Dans le hall central, le long d’un mur de verre taillé qui renvoyait dans la cité tout entière des millions d’arcs-en-ciel, jaillissait du cinquantième étage une cascade qu’entouraient les vertigineuses spirales de deux escaliers d’aluminium. Des ascenseurs les emportaient. Ils suivaient des corridors en méandres, gravissaient des marches de cristal, arpentaient des galeries baignées de lumière, où s’alignaient à perte de vue, des statues et des fleurs, où coulaient des ruisseaux limpides, sur des lits de galets multicolores. Des portes s’ouvraient devant eux. Ils découvraient des piscines en plein ciel, des patios, des salles de lecture, des chambres silencieuses, des théâtres, des volières, des jardins, des aquariums, des musées minuscules, conçus à leur unique usage […] etc[5].

S’agit-il d’un rêve ou d’un cauchemar ? Difficile à dire. Il y a là un évident désir de maîtrise, systématiquement contrarié par le caractère infini de ces constructions artificielles. Les frontières entre l’imaginaire et le réel deviennent poreuses. De plus, à force d’être montrées et détaillées, les énumérations d’objets, on ne peut plus prosaïques à l’origine, gagnent en abstraction et acquièrent des qualités poétiques. Enfin, le romancier, en utilisant la figure de l’énumération, emboîte les termes. Perec brise toute systématicité en introduisant des éléments atypiques dont la fonction est de rendre les objets étanches les uns aux autres. Ces combinaisons peuvent faire l’objet de déplacements potentiellement illimités, mais qui, en raison de cette potentialité, réduisent l’exhaustivité des inventaires à une pure utopie.

Entre réalisation et suspens, la totalité chez Perec devient alors virtuelle et l’objet, en tant que composante de cette totalité virtuelle, est alors envisagé comme une possibilité pour le romancier. Quittant son état et ses fonctions traditionnelles, cet objet occupe désormais le statut ambigu d’une entité en passe d’être quelque chose : chaque élément énuméré porte en effet en germe toutes les autres combinaisons dont il fait ou aurait pu faire l’objet dans l’oeuvre romanesque. De la sorte, on se dégage de la chose uniquement montrée pour elle-même, telle quelle, car, assemblés les uns aux autres, les objets sont agencés pour former de nouveaux objets, comme chez le sculpteur français César.

Certaines oeuvres de César, et non des moindres, sont même la résultante d’un plan très étudié. Il y a, par exemple, ce grand poisson en fer, nettement figuratif, et dont l’intérieur constitue aussi l’extérieur, grâce à un remarquable agencement de tubulures. Or il s’agit de tubes non modifiés, et qui nous apparaissent bien tels que le plombier lui-même pourrait les employer. Cette fois, c’est l’objet qui entre dans l’objet ; c’est la chose qui tout en gardant sa nature propre en constitue une autre[6].

L’objet est donc l’élément d’un assemblage incomplet par définition puisque toujours en mesure d’être reconduit, décomposé, recomposé, selon des combinaisons infinies et à même d’être détourné de ses fonctions d’origine. Le produit final, ici le roman de Perec, est à ce titre impossible à concevoir dans la totalité, confinant à ce que Bernard Comment définit comme « l’illusion de la plénitude du monde », autrement dit, le refus du « sens lié[7] ».

La représentation de l’objet ne s’arrête pas à l’aspect visuel mais comporte également une recherche de cohérence entre la disposition des éléments les uns par rapport aux autres et la structure interne de l’objet, ce qui fait songer à la fabrication des objets de la culture Pop, soumis aux impératifs du design. Or, si les artistes Pop empruntent leurs matériaux à la culture de masse, représentée par les objets « vitrines » et les objets « courants », celle-ci profite à son tour de toutes les innovations de l’art. On pourrait en déduire que Perec, à la manière du designer, réinvente l’espace domestique en s’adonnant à des assemblages inédits. Pour cela, il emploie des matériaux composites et privilégie une esthétique de l’éclatement et de la cohabitation des styles, esthétique relevant typiquement de l’époque qui commence à recycler les éléments de la modernité et qui, à ce titre, paraît se libérer des diktats existentialistes et phénoménologiques en vigueur depuis le milieu du XXe siècle en célébrant la banalité du monde.

De plus, lorsque Perec ordonne son récit, il se fixe des contraintes, autrement dit, il donne une architecture à ses livres. Or, ces contraintes, loin de restreindre son imagination, la stimule :

On avait construit la maison au moins vingt ans avant, à la façon d’alors. On aurait dit un Casino d’inspiration rococo, à la fois palais colonial, bungalow pour pays chauds, lupanar ultra-chic.

Un vantail à trois battants, garnis d’ajours ainsi qu’un moucharab, ouvrait sur un haut corridor, long d’au moins vingt pas, qui conduisait à un grand salon rond : il y avait un grand tapis d’Ankara, puis, tout autour, divans sofas, vis-à-vis, coussins, miroirs. Un colimaçon montait jusqu’aux loggias. Issus du plafond fait d’un bois dur mais clair (du gayac ou du santal), un filin d’aluminium, qu’accrochait au bout un piton d’airain poli tout à loisir par un artisan hors pair, supportait un lampion japonais qui donnait au tout un jour opalin, mais plutôt faiblard[8].

La suppression de la lettre « e » est ici la règle sur laquelle le romancier s’appuie pour décrire la construction de la maison. Celle-ci revêt la forme d’un assemblage où les mots banals sont reliés à des mots inusités pour aboutir à l’écriture. Les mots sont rattachés entre eux par un fil invisible que Perec exploite pleinement.

Chez Sarraute, il s’agit moins d’énumérations / accumulations que d’éléments invisibles, dont la recherche appliquée, et toujours reconduite, fait le partage entre le monde connu et un autre, celui qui fuit. Si on considère qu’une surface blanche peut être peinture, un silence une musique, un morceau de métal une sculpture, le tropisme peut être littérature. En effet, cette recherche littéraire sur le mouvement intérieur partage des similitudes intéressantes avec les expansions réalisées par César. Ce dernier a présenté ses sculptures avec la volonté de briser les lois traditionnelles et de franchir les limites imposées par la ligne[9]. Ce qui m’a particulièrement fait songer aux tropismes sarrautiens dans les sculptures césariennes est cette métamorphose — César exécutait ses expansions en public — de la matière liquide et spongieuse en objet lisse et précieux. Ces expansions, à l’image des tropismes qui s’édifient sur les reformulations et les annulations successives des termes qui qualifient les objets, se déroulent en deux temps :

Le premier temps est celui de l’envahissement, le polyuréthane suivant sa loi propre se développe monstrueusement. Il n’existe aucune possibilité d’échange entre l’espace et la sculpture mais [une] disparition de l’un dans l’autre. Puis vient le temps de la fixation. Le polyuréthane s’est transformé en un objet que l’on déplace d’un lieu dans un autre. Il apparaît alors évident que l’expansion qui s’est réalisée en absorbant un espace, transporte celui-ci dans le nouvel espace et que l’ajustement des deux est impossible. Ainsi la matière molle qui s’est affaissée le long d’une surface verticale, devient, une fois durcie et détachée de ce support, une sculpture qui se dresse dans le vide[10].

La matière qui se répand et sur laquelle Sarraute travaille finit elle aussi, tôt ou tard, par se figer sous le poids des mots. La romancière parle « d’éruption » et de « coulée que les mots ont dressée[11] » : « [s]ur ce qui bouge dans les recoins ombreux, flageole, frémit, se dérobe…, informe, mou, vaguement inquiétant…, dans ce qui suinte, coule, saigne, palpite, ils lancent ces mots[12]… ».

Comme on peut le voir dans les citations qui précèdent, le lexique de l’architecture et le thème de la construction sont omniprésents chez Sarraute et chez Perec. On constate que les nombreuses constructions de choses et de mots se dégagent d’une visée phénoménologique — cette idée qui consiste à montrer la chose pour elle-même, telle quelle —, souvent évoquée à propos du nouveau roman avec l’école du regard et du roman oulipien avec ses énumérations de surface. Au contraire, je pense que les choses et les mots, porteurs de sensations et d’imaginaire, forment de nouveaux objets, détournés de leurs fonctions premières et derrière lesquels se cacheraient les intentions des auteurs. À ce titre, même les constructions les plus nettes et les plus résistantes ne restent jamais longtemps debout.

La confrontation au vide : mise à mal de la construction ou possibilité d’un échafaudage ?

La suite du texte de Perec prévient le risque de mégalomanie chez les personnages comme chez l’auteur en opérant un retour à la réalité. Le constat est amer pour Jérôme et Sylvie, une fois les illusions dissipées et leurs constructions jetées à terre :

[…] ils se retrouvaient seuls, immobiles, un peu vides. Une plaine grise et glacée, une steppe aride, nul palais ne se dressait aux portes des déserts, nulle esplanade ne leur servait d’horizon […] de cette immense conquête immobile, […] il ne restait rien : ils ouvraient les yeux, […] ils voyaient en face d’eux […] le puzzle bariolé du cadastre, au centre duquel ils reconnaissaient, presque sans surprise, le quadrilatère presque achevé de la ferme, le liséré gris de la petite route, les petits points en quinconce des platanes, les traits plus marqués des nationales[13]

Toutes ces constructions qui paraissaient si prometteuses n’étaient que poudre aux yeux, trompe-l’oeil dans lesquels les personnages se sont précipités. En face d’eux, Jérôme, Sylvie ne trouvent qu’un plan et donc qu’une construction potentielle, ce « puzzle bariolé du cadastre », au centre duquel ils reconnaissaient « le quadrilatère presque achevé de la ferme ». Ce ne sont que des schémas faisant pâle figure, finalement, à côté des rêveries délirantes qui ont précédé.

En apparaissant dans Les choses, cette image de quadrilatère non achevé ne relève pas du hasard chez Perec dans la mesure où elle fait écho à La vie mode d’emploi. Relatant les aventures de chacun des locataires d’un immeuble dans lequel le lecteur se promène, l’oeuvre n’est en réalité qu’un trompe-l’oeil dont l’ambition était de séduire le lecteur pour l’inciter à poursuivre et à adhérer au récit. Cet immeuble (dont certains lecteurs ont cherché l’existence véritable dans le XVIIe arrondissement) tient debout grâce au personnage de Bartlebooth qui, en édifiant son propre projet, relie de manière artificielle toutes les histoires des locataires de l’immeuble. Perec dira à cet égard que

tout se passe dans la tête du lecteur… Mon ambition, en mettant La vie mode d’emploi en chantier, il y a dix ans, était de mettre au point une machine à produire des romans, des enchevêtrements de récits concomitants, un peu à la manière de Dos Passos, le père du simultanéisme[14].

Au fond, le dispositif architectural n’est pour Perec qu’une métaphore du travail de l’écrivain :

Un livre, c’est un peu comme une partie d’échecs entre le lecteur et moi : au départ, il n’y a rien, puis on commence à lire, interviennent les personnages, et à la fin il ne reste rien. Sinon qu’on a lu, qu’on a eu, j’espère, du plaisir à lire comme Bartlebooth a peint, a fait des puzzles[15].

D’où un retournement déceptif lié à l’oeuvre : le rectangle, dessiné dans le Cahier des charges de La vie mode d’emploi et représenté dans le livre par l’immeuble, censé comporter 100 cases dont chacune correspond à un chapitre, fait office de structure. Or, non seulement, le rectangle et, par conséquent, le roman sont incomplets — il leur manque la case située dans son coin inférieur gauche, une cave censée faire l’objet du chapitre 66 —, mais le lecteur apprend, à la toute fin du roman, que cet immeuble dans lequel il s’est confortablement installé n’est qu’un fantasme, un projet de toile laissée « pratiquement vierge[16] » par un peintre. À cet instant, qu’il a été victime d’un trompe-l’oeil. Le peintre Valène ira même jusqu’à imaginer, au chapitre 28, la destruction de l’immeuble qui semble, de ce point de vue, promis à disparaître un jour ou l’autre :

Au regard d’un individu, d’une famille, ou même d’une dynastie, une ville, une rue, une maison, semblent inaltérables, inaccessibles au temps, aux accidents de la vie humaine, à tel point que l’on croit pouvoir confronter et opposer la fragilité de notre condition à l’invulnérabilité de la pierre. Mais la même fièvre qui […] a fait surgir de terre ces immeubles, s’acharnera désormais à les détruire. Les démolisseurs viendront et leurs masses feront éclater les crépis et les carrelages, défonceront les cloisons, tordront les ferrures, disloqueront les poutres et les chevrons, arracheront les moellons et les pierres : images grotesques d’un immeuble jeté à bas, ramené à ses matières premières dont des ferrailleurs à gros gants viendront se disputer les tas[17]

En définitive, chaque fois qu’un personnage perecquien cherche à édifier sa vision du monde, celle-ci se solde par un échec. Cette exaltation de l’éphémère se traduit par l’image d’une construction constamment mise en pièces et réduite à néant. Cependant, avant même d’être confronté à ce vide, il faut préalablement construire un monde artificiel dans lequel les personnages et les lecteurs se laissent emporter. Néanmoins, cet emportement est moins spontané qu’il en a l’air, le romancier l’a connu avant le lecteur. En cela, le romancier a calculé et anticipé les étapes que son lecteur va franchir avant de connaître une déception. Il a assigné à son projet une intention précise : celle de faire surgir le vide.

L’idée du vide est également très présente chez Sarraute. L’auteur a recours à la technique du trompe-l’oeil, mais cette figure fonctionne différemment dans ses romans. Les constructions perecquiennes relèvent du fantasme et débouchent, en fin de parcours, sur un retournement déceptif lié au dévoilement d’une vacuité, tandis que chez Sarraute, la vacuité n’a pas besoin d’être dévoilée, elle apparaît d’entrée de jeu. Ainsi, les constructions de Gisèle sonnent faux. Elles sont surfaites et n’apparaissent pas autrement. Aussitôt édifiées, les images projetées par la jeune femme s’effritent. Voilà, la

belle construction qui vacille, qui penche […], il y avait eu déjà quelque chose, une fissure, une malfaçon… […] oui, déjà à ce moment-là, l’édifice n’était pas si beau, si parfait… Il y avait eu cette très fine craquelure à travers laquelle une vapeur malodorante, des miasmes avaient filtré[18].

Le solide n’est plus en mesure de masquer le sentiment d’un vide devant des images surfaites. En outre, le vide fait place ici à l’avènement des tropismes, ces mouvements inexprimables et invisibles qui précèdent les paroles ou les gestes de tout un chacun et qui font la substance des romans de Sarraute. Or, de tels mouvements ne peuvent surgir qu’en étant confrontés à des images creuses et des constructions d’univers factices. Faisant office de repoussoirs, de telles constructions orientent le lecteur vers une substance invisible et souterraine.

Cohabitent dès lors deux conceptions de la construction chez Sarraute. D’un côté, il y a les « grouillements nauséabonds […] ces décompositions », « ces “processus obscurs”[19] » auxquels le romancier doit s’attacher. De l’autre, on trouve ceux qui pensent, — et j’emprunte encore les mots de la romancière — que

l’art justement consiste à assécher tout cela, à en faire une terre solide, dure, sur laquelle on puisse construire, créer une oeuvre. Un grand roman, pour moi, c’est comme Saint-Pétersbourg bâtie sur des marais, comme Venise gagnée, au prix de quels efforts, sur les eaux troubles de la lagune[20]

déclare l’une des voix dans Les fruits d’or

Sarraute se méfie des mots, ces « particules d’acier qui viennent s’aligner le long des contours aimantés d’un dessin […]. Les mots tout lisses, rigides et droits s’élancent pareils aux colonnes d’acier qui dressent dans l’air limpide les cubes étincelants des gratte-ciels[21] ». En même temps, elle n’a d’autre choix que de les utiliser si elle veut donner un aperçu furtif des mouvements intérieurs qu’elle entend dévoiler. Les constructions de mots sont creuses et les objets qu’elles sont censées décrire doivent faire preuve d’instabilité pour laisser les sensations se déployer tout autour. On passe alors d’un état à l’autre. Rien n’est définitif, tout devient réversible. Toute édification finit par s’écrouler pour se reconstruire par la suite, et cela, selon un processus sans fin. On va et vient du beau au laid, du plein au vide, de l’art au pastiche, et ainsi de suite. La sculpture de pierre, autour de laquelle tourne l’action de Vous les entendez ?, est successivement interprétée comme une bête de pierre, puis une sculpture crétoise, un objet religieux. Elle se métamorphose en fonction des sensations qu’elle fait surgir chez le personnage qui l’observe : « Un seul rayon invisible émis par eux peut faire de cette lourde pierre une chose creuse, toute molle[22] ».

Pendant que leurs personnages édifient de belles images, les romanciers construisent sur et à partir du vide. Bien sûr, les types de vides sont distincts. Sous la surface lisse de la construction perecquienne, il y a un vide auquel on se voit brusquement confronté, tandis que la construction sarrautienne a pour fonction de recouvrir un autre type de vide, celui qui exprime la profondeur des sensations que tout le monde est en mesure de ressentir un jour ou l’autre.

On peut donc en déduire, qu’à des échelles différentes, les intentions des auteurs sous-tendent les constructions des personnages. Peut-on dès lors parler de construction à propos du vide, de vide fabriqué ? Si le vide est au centre des romans, il est permis de se demander si les auteurs sont susceptibles de lui attribuer une visée esthétique.

Construire à partir du vide ? Vide et manipulation

Comme j’ai cherché à le souligner, l’écroulement succède toujours à la construction chez Sarraute et chez Perec, révélant, de la sorte, la vacuité inscrite dans leurs oeuvres. La matérialité des mots et des constructions qu’ils permettent d’édifier est, à ce titre, indissociable d’une immatérialité multiforme. Cette immatérialité, c’est d’abord l’invisibilité d’un auteur qui s’efface derrière les constructions qu’il orchestre dans un but précis : Perec a recours aux mots des autres sans le signaler explicitement (si ce n’est dans quelques entretiens où il donne quelques emprunts faits à Flaubert ou explique certains des procédés qu’il utilise[23]) et dessine ainsi ce qu’il appelle son « puzzle » littéraire. Sarraute emprunte le langage banal, celui de la réalité visible afin qu’il se fasse le véhicule d’une réalité nouvelle au sein de laquelle l’écrivain trouve sa propre voix / voie. Le langage utilisé n’a rien, en apparence d’édifiant et de novateur, mais les mots sont travaillés par Sarraute et par Perec. Les écrivains leur font en effet subir toutes sortes de transformations, en exploitent la malléabilité en quelque sorte, pour les sortir des réalités auxquelles ils renvoient à l’origine et découvrir ce qui se cache derrière eux. D’où l’idée d’une vacuité nichée entre la réalité désignée par les mots au départ et ce qu’en font les deux écrivains.

Dans ces conditions, l’immatérialité dont il est question renvoie à des fils invisibles qui relient les mots entre eux et rend, par la même occasion, transparentes les étapes situées entre le projet à l’origine du travail de l’artiste et la manière dont il prend forme dans l’oeuvre de l’écrivain, autrement dit, entre le travail de l’écrivain et l’avènement de son roman comme oeuvre d’art. Du reste, les propos de Nathalie Sarraute traduisent la difficulté de son travail d’écriture, voire de réécriture et son souci constant de la reformulation à propos des états ou des objets qu’elle veut décrire, autant d’étapes préliminaires dont le lecteur a perdu la trace en définitive :

Je travaille en deux temps. Généralement, j’écris tout, du commencement jusqu’à la fin, et c’est mal écrit. Puis, quand c’est terminé, je reprends tout depuis la première page en travaillant le texte comme des poèmes ; je peux recommencer cinquante fois la même page. J’en ai des piles comme ça — pour arriver à deux pages[24].

Chez Perec, l’écriture est d’abord une activité ludique qui précède l’assemblage des mots et l’écriture à proprement parler. Cet aspect demeure primordial aux yeux de Perec : « nous voulons insister sur ce que nous appelons le faire, qui consiste à écrire des romans… ». Or, ce faire représente un intermédiaire situé entre l’auteur et le lecteur, à la manière de l’immeuble de la rue Simon Crubellier qui, une fois édifié, s’est vu retirer son échafaudage et sa façade.

J’écris parce que j’aime manipuler les mots et manipuler des citations aussi, ou des descriptions. Dans un roman, Jules Verne a entièrement copié une page d’un dictionnaire encyclopédique, et moi aussi, en empruntant des citations, j’utilise cette possibilité. J’aime mélanger le vrai, le demi-vrai et le faux[25].

De plus, on sait que Perec s’est plusieurs fois comparé à l’artisan Winckler dans la mesure où la fabrication de puzzle serait équivalente à la fabrication des livres.

Enfin, la capacité qu’ont les romanciers à construire du vide avec les mots qu’ils utilisent est aussi présente dans les fonctions mêmes de tous ces objets minutieusement décrits dans les romans. En transcendant leur statut d’origine, les objets sont dotés d’une visée esthétique intentionnelle, visée qui demeure bien entendu invisible : « un objet est une oeuvre s’il a été effectivement produit dans une intention esthétique ; il fonctionne comme une oeuvre quand on lui attribue une telle intention[26] ».

En somme, pour le dire rapidement, l’architecture est d’abord un thème. Celle-ci fait toujours l’objet d’un dessin c’est à dire d’une mise en oeuvre préalable : il s’agit en effet d’édifier un cahier des charges dans le cas de Perec ou un important travail de réécriture où l’écriture, contrairement aux apparences, est le contraire d’un foisonnement ou d’un acte spontané. Cette idée de travail préparatoire est, du reste, souvent associée à l’omniprésence chez les deux auteurs de thèmes récurrents dans leurs longues descriptions : agencement des pièces, projets d’embellissement d’un lieu, objets, décoration, style, constructions de bâtiments aux parois dures, nettes et lisses.

Mais, on ne saurait s’en tenir à ce premier niveau de lecture. L’architecture est également un procédé pour Sarraute et pour Perec. En face du dessin, les romanciers forment immanquablement un dessein, si j’ose dire.

L’intention esthétique est bien présente dans les inventaires détaillés des réalisations d’Henri Fleury qui n’est pas sans rappeler l’architecte Art nouveau Henry Van de Velde dans La vie mode d’emploi. Chargé de décorer l’appartement de Madame Moreau et « responsable de tout : du choix des verres, des éclairages, de l’équipement électroménager ; des bibelots, du linge de table, des coloris, des poignées de porte, des rideaux et doubles rideaux, etc. », il voit dans la tâche qui lui incombe

une occasion unique de réaliser son chef-d’oeuvre […], il pourrait, avec ce décor prestigieux et au départ anonyme, donner une image directe et fidèle de son talent, illustrant exemplairement ses théories en matière d’architecture intérieure : remodelage de l’espace, redistribution théâtralisée de la lumière, mélange des styles[27].

Sous couvert d’avoir à résoudre des problèmes d’ordre matériel (électroménagers, poignées de porte, éclairage…), Henri Fleury est avant tout chargé de donner une identité à un espace qui resterait neutre et quelconque sans son intervention. Et, pour cela, il n’hésite pas à confondre les styles que l’on identifie à une période en particulier et à mettre en scène d’innombrables objets devenus élégants. De provenances très diverses et propices à éveiller la curiosité de l’observateur, les objets qu’il choisit mettent en avant un décalage par rapport à leur fonction d’origine :

En plusieurs endroits, les rayonnages de la bibliothèque ont été aménagés en vitrines d’exposition. Dans la première bibliothèque, à gauche, sont ainsi présentés des vieux calendriers, des almanachs, des agendas du Second Empire […] ; dans la seconde — seul rappel des activités de la maîtresse de maison — quelques outils anciens : trois rabots, deux herminettes, une besaiguë, six ciseaux à froid, deux limes, trois marteaux, trois vrilles, deux tarières, portant tous le monogramme de la Compagnie de Suez et ayant servi lors des travaux de creusement du canal, ainsi qu’un admirable Multum in parvo de Sheffield, offrant l’apparence d’un couteau de poche ordinaire — en plus épais toutefois — mais contenant non seulement des lames de tailles variées mais des tournevis, des tire-bouchons, des tenailles, des plumes, des limes à ongles et des poinçons ; dans la troisième, divers objets ayant appartenu au physiologiste Flourens et, en particulier, le squelette, entièrement coloré en rouge, de ce jeune porc dont le savant avait nourri la mère, pendant les 84 derniers jours de la gestation, avec des aliments mêlés de garance, afin de vérifier expérimentalement qu’il existe une relation directe entre le foetus et la mère […] ; dans la cinquième bibliothèque enfin, sur des présentoirs inclinés, plusieurs partitions de musique sont ouvertes, et parmi elles la page de titre de la Symphonie n° 70 en ré de Haydn telle qu’elle fut publiée[28]

Comme cette citation l’illustre parfaitement, l’usage des calendriers et des agendas exposés n’a plus cours, les outils qui, ayant reçu en leur temps cette fonction d’édifier le canal de Suez et donc de fabriquer l’histoire, servent désormais à décorer l’appartement de Madame Moreau de prestige.

Si les objets choisis avec soin par le décorateur, soucieux de déployer son génie artistique, ont été agencés et détournés de manière à faire oeuvre de création, c’est parce qu’ils sont d’abord le produit d’une intention esthétique. Et cette intention fait l’objet de procédures au sein desquelles Fleury mêle les compétences du décorateur, de l’artiste et du designer. Or, les effets produits par ces manipulations sont censés produire des réactions calculées et anticipées par le décorateur :

Madame Moreau n’a jamais dit à Fleury ce qu’elle pensait de son installation. Elle reconnaît seulement qu’elle est susceptible d’alimenter sans peine une agréable conversation d’avant-dîner. La maison miniature fait le délice des Japonais ; les partitions de Haydn permettent aux professeurs de briller et les outils anciens provoquent généralement de la part des sous-secrétaires d’état au commerce et à l’industrie quelques phrases bien venues sur la pérennité du travail manuel et de l’artisanat français dont Madame Moreau reste l’infatigable garante[29].

En dernier lieu, on ne saurait passer sous silence un autre élément présent dans la vitrine : la maison de poupée, composante décorative essentielle sur laquelle le romancier s’attarde singulièrement.

[…] dans la quatrième [vitrine de la bibliothèque], une maison de poupée, parallélépipédique, haute d’un mètre, large de quatre-vingt-dix centimètres, profonde de soixante, datant de la fin du XIXe siècle et reproduisant, jusque dans ses moindres détails un typique cottage britannique : [… énumération] et plusieurs centaines d’objets usuels, bibelots, vaisselles, vêtements, restitués presque microscopiquement avec une fidélité maniaque : [nouvelle énumération][30]

Suivant une habitude qui lui est propre, Perec recourt à la mise en abyme. Par là, il confirme, encore une fois, le parallèle établi entre la mission du décorateur, lequel insère dans l’espace qu’il prend en charge une maison meublée, devenue métaphore de son travail, et celle du romancier qui pratique volontiers les enchâssements d’énumérations et agence son récit tel un architecte, grâce aux calculs oulipiens. En cela, Perec sort les objets quotidiens et usuels de leur cadre d’origine : il les met en scène, comme le fait Henry Fleury, tout en leur conférant une intention esthétique très claire. Le romancier est donc partie prenante du processus d’esthétisation des objets présents dans ses oeuvres.

Chez Sarraute, la technique consiste à faire tourner les points de vue sur les objets. Ceux-ci, décomposés, font ressortir le vide qui leur est inhérent, comme c’est le cas de cette bergère Louis XV décrite par Gisèle :

Le mariage seul donne des moments comme celui-ci, du fusion, de bonheur, où, appuyée sur lui, elle avait contemplé la vieille soie d’un rose éteint, d’un gris délicat, le vaste siège noblement évasé, le large dossier, la courbe désinvolte et ferme des accoudoirs… Une caresse, un réconfort coulaient de ces calmes et généreux contours… au coin du feu… juste ce qu’il fallait… […] Tutélaire, répandant autour d’elle la sérénité, la sécurité — c’était la beauté, l’harmonie même, captée, soumise, familière, devenue une parcelle de leur vie, une joie toujours à leur portée[31].

À cette première réalité de surface, va se greffer une sous-réalité, invisible, mais « grouillante sous ce monde en trompe-l’oeil, ce monde d’apparences[32] ». Cette fameuse bergère, objet dans lequel Gisèle projette ses rêves de mariage devient, quelques pages plus loin, un parfait trompe-l’oeil : « il n’y a de fusion complète avec personne, ce sont des histoires qu’on raconte dans les romans[33]… ». Si l’objet comble un vide, ce n’est que momentanément. Le trompe-l’oeil fonctionne à plein lorsque le personnage prend conscience de son vide intérieur, lorsqu’émane « quelque chose d’inquiétant », « une sensation de faiblesse » de la bergère, faisant ressortir par là le caractère artificiel et inauthentique de l’objet observé ou manipulé.

Tandis que la technique énumérative de Perec encourage la cohabitation de champs distincts, les catégories auxquelles appartiennent les objets sarrautiens se superposent les unes aux autres pour être successivement rejetées et agir comme des repoussoirs. La charge esthétique de l’oeuvre naît de ces oppositions au sein desquelles la romancière dévoile les tropismes. Les mots du quotidien se transforment alors en morceaux de poésie.

Aussi, si l’architecture est d’abord un thème pour Sarraute ou pour Perec qui s’en servent pour édifier des images qui partent de dessins bien précis, elle est également un procédé. Exposés, ces objets sont bien des formes, mais ces formes portent la marque d’une finalité.

Or, le fait d’articuler l’utilisation de l’architecture au surgissement d’une vacuité intentionnelle — le dessein —, renvoie à l’étymologie du mot « design » qui signifie, selon Vilém Flusser, « entre autres choses “projet, plan, dessein, intention, objectif”, mais aussi mauvaise intention, conspiration ainsi que forme, structure fondamentale, toutes ces significations étant liées aux idées de ruse et de perfidie[34] ». À cela, il faut ajouter que l’origine latine du mot « designare » signifie « représenter concrètement » et que « signum », ainsi que le mot allemand « zeichnen » qui en dérive, renvoient au signe, au dessin, à l’esquisse et au plan.

Comme tout acte de design, le roman engage donc un travail sur une forme et sur une finalité. Il évoque par là la quête d’une « symbiose entre des dimensions matérielles et immatérielles[35] » de l’objet. En d’autres termes, la matière même du roman est vidée de ce qui faisait sa substance au temps du réalisme traditionnel et c’est là que réside l’intention des auteurs.

Ce rapprochement avec le design peut s’effectuer en vertu du traitement que les romanciers réservent à l’objet romanesque, mais également en raison de la polysémie du mot design[36]. Faire design peut autant s’apparenter à une volonté de l’artiste-décorateur (ils sont nombreux dans Les choses et La vie mode d’emploi) d’exposer des objets usuels transformés en objets esthétiques par le moyen d’une intention, qu’à un savoir-faire comparable à celui que possède l’artisan ou le miniaturiste. On pense, par exemple, à Gaspard Winckler qui fabrique des jouets, des bagues, « des espèces de puzzles, et parmi les plus difficiles qui soient[37] », des « “miroirs de sorcières” en les insérant dans des moulures de bois inlassablement travaillées[38] ». Comme Perec l’annonce dans son préambule et le rappelle au chapitre XLIV :

L’art du puzzle commence […] lorsque celui qui les fabrique entreprend de se poser toutes les questions que le joueur devra résoudre, lorsque, au lieu de laisser le hasard brouiller les pistes, il entend lui substituer la ruse, le piège, l’illusion : d’une façon préméditée, tous les éléments figurant sur l’image à reconstruire […] serviront de départ à une information trompeuse : l’espace organisé, cohérent, structuré, signifiant du tableau sera découpé […] en éléments falsifiés, porteurs d’informations fausses[39]

Quant à Sarraute, elle doit recourir à des ruses pour créer le mouvement au sein d’objets figés. La romancière joue en effet sur la malléabilité et la flexibilité des mots comme s’ils étaient des matériaux plastiques, adjectif qui, selon Le nouveau petit Robert, est « relatif à l’art de donner une forme esthétique à des substances solides » et est « susceptible de se déformer sous l’action d’une force extérieure et de conserver sa nouvelle forme lorsque la force a cessé d’agir[40] ». Si le plastique s’impose dans le design des années soixante de manière à produire des objets qui manifestent une grande fluidité dans leurs formes, on retrouve, d’une certaine façon, cette notion de flux dans les textes sarrautiens qui cherchent la trace d’une substance vivante.

Ainsi, l’intention, immatérielle par définition, pouvant prendre la forme d’un jeu, d’une ruse, d’un trompe-l’oeil, d’un repoussoir, va toujours de pair avec un travail des matériaux que l’écrivain façonne à dessein. Ces matériaux, ce sont les mots qui s’ordonnent sur la page, grâce aux savants échafaudages d’un auteur oulipien et d’une chercheuse de tropismes ; des mots qui, en vertu d’un travail invisible, peuvent prétendre conférer au roman les qualités de l’oeuvre d’art.

Conclusion

En conclusion, je dirais qu’il n’y a rien d’étonnant à considérer que Sarraute et Perec puissent appartenir à la mouvance du courant avant-gardiste, laquelle caractérise la période s’étalant des années 1960 à 1980 et s’oppose aux courants existentialistes et phénoménologiques.

Cependant, en tentant de montrer que les oeuvres de ces romanciers s’érigent sur le vide pris comme objet, je voulais non seulement souligner que j’y voyais une des modalités par lesquelles le roman évolue ainsi qu’une manière de sortir d’un regard phénoménologique sur l’architecture pour adopter une approche davantage post-phénoménologique où le statut des constructions, de l’architecture et des objets représentés a désormais à voir plus avec le design et l’ère post-industrielle qu’avec la chosification du monde, traditionnellement associée à l’école du regard. Finalement, ces auteurs dessinent un espace d’une espèce particulière : le leur.