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Sébastien Vincent, enseignant à Montréal, publie ici son mémoire de maîtrise sur les récits autobiographiques de quelques engagés volontaires canadiens-français de 1939-1945. Il a déjà publié, en 2004, un livre sur l’histoire orale de ces engagés volontaires (Laissés dans l’ombre, VLB). Il s’agit donc d’un spécialiste du sujet, jeune chercheur dynamique (il a créé un site Web sur la Seconde Guerre mondiale) et finaliste du Prix du Gouverneur général pour son premier livre. Les attentes sont donc élevées pour la lecture de son deuxième ouvrage. L’histoire des témoignages des combattants, appelée aussi selon les pays : histoire autobiographique, histoire quotidienne, histoire intime, histoire-récit, n’est pas nouvelle. On se souvient tous des oeuvres magistrales (parfois en plus de 10 volumes !) sur la guerre de Henri Amouroux, Henri Michel, Claude Bertin et plus près de nous : Pierre Miquel, Yves Durand, dans lesquelles les témoignages sur la guerre au jour le jour étaient évoqués magnifiquement. Mais il s’agissait de la guerre des Français, ou chez d’autres auteurs, de la guerre anglaise ou américaine.

L’histoire quotidienne de la guerre des Canadiens, anglophones et francophones, commence à intéresser les historiens depuis quelques années. Les sources pour cette histoire canadienne sont maigres, comparées aux sources européennes : archives militaires, sources médiatiques, mémoires officielles et témoignages éparses. Les études sur les témoignages oraux et écrits concernant la Seconde Guerre mondiale relèvent donc d’un grand intérêt pour l’histoire canadienne et québécoise. S. Vincent utilise les 26 livres, publiés par des combattants engagés volontaires francophones, qu’il a pu retracer à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec. À travers l’analyse de ces témoignages, il veut faire « une étude de cas […] plus qu’un panorama achevé » (p. 19) de la guerre. Un programme humble mais alléchant.

Le livre se compose de dix chapitres, bien subdivisés, dans lesquels abondent les notes de bas de pages, le style est clair, direct et parfois lyrique. L’ouverture, qui précède le tout, est remarquable car elle offre un solide résumé historiographique de l’histoire du soldat aux XIXe et XXe siècles. On y retrouve les Keegan, Fussel, Norton-Cru et autres Audoin-Rouzeau. L’auteur y aborde notamment le défi de la narration dans le témoignage historique et la difficulté d’analyse. Le premier chapitre présente les récits et leurs auteurs, des fantassins et artilleurs surtout. La majorité sont des soldats mais plusieurs, tel le futur général Jean V. Allard, sont des officiers. Les récits ont été écrits après coup, la majorité après 1980 et un seul « à chaud » celui du major Poulin (696 heures d’enfer avec le 22e Régiment…) de 1946. Ces jeunes volontaires rêvent d’aventure, d’action, de lutter contre le nazisme. Ils cherchent assez peu à sauver la France ou l’Angleterre.

Les quatre chapitres suivants présentent la guerre racontée par les fantassins et artilleurs. De la campagne d’Italie à la libération, ils témoignent de leur armement, de la violence de la guerre, des terribles canons allemands, etc. La misère endurée par les soldats fait naître de nombreuses critiques face à l’État-major canadien anglophone, manifestement peu sensible aux conditions de vie des francophones au front, même le lieutenant Allard, le plus nuancé, reconnaît le problème. Le chapitre 6 analyse les récits des aviateurs et marins qui, même s’ils semblent vivre dans de meilleures conditions au quotidien, connaissent aussi leurs lots de souffrance et de peur quotidienne. Les ennemis et les Canadiens prisonniers de guerre sont ensuite abordés par l’auteur. Les récits sont parfois terribles (notamment pour ceux prisonniers des Japonais) derrière des mots pudiques et une certaine « pulsion du silence » (p. 217) chez beaucoup de combattants. Les Allemands sont moins craints, chez certains, que les Japonais. Comment tenir dans ces conditions et quelles sont les séquelles au retour de la guerre, forment les thèmes des derniers chapitres du livre. La folie meurtrière, le défoulement, la rage sur le front sont difficiles à oublier une fois revenu à la vie civile. Les témoignages font ressortir les déceptions et les désillusions des engagés volontaires à leur retour au pays, où le statut de héros est loin de leur être accordé. L’auteur conclut finalement sur la richesse de l’histoire de la vie quotidienne de ces combattants pour comprendre l’importance de la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale.

S. Vincent captive le lecteur et fait naître chez lui une soif de connaissances et de détails qui, malheureusement, reste souvent non apaisée. La question fondamentale ici touche l’analyse que l’on peut faire de témoignages écrits, de mémoires en fait, d’acteurs de la Seconde Guerre mondiale. L’auteur se pose beaucoup de questions dans l’avant-propos et nous met en appétit, mais la plupart d’entre elles restent sans réponse à la lecture des récits, très descriptifs, des combattants. Peut-être aurait-il fallu partir, plus souvent, des récits de ces hommes pour bâtir l’analyse et moins de la contextualisation théorique des historiens sur les différents sujets. L’auteur semble chercher ainsi sa cible : public averti ou grand public. Le spécialiste n’apprend pas grand-chose de nouveau : la peur, la violence, la lutte francophone-anglophone, le retour difficile des combattants, etc. Cependant S. Vincent est honnête et ne fait pas dire à ces hommes ce qu’ils ne disent pas finalement.

Nous touchons ici la limite de l’intérêt historique des témoignages sur la vie quotidienne, avec un petit corpus. Autrefois et ailleurs, P. Chaunu avait réglé ce problème, mais il semble difficile ici de travailler sur le quantitatif. Il ressort, malgré tout, de très bons aspects qui rendent ce livre intéressant. Les descriptions de l’armement nous renseignent bien sur l’utilisation et l’appréciation que les volontaires en font. Le rôle de la Croix-Rouge canadienne est détaillé et bien mis en valeur. Le chapitre sur les misères de la vie au front et surtout sur la peur est captivant, notamment car l’auteur part souvent des récits de ces volontaires pour développer l’analyse. On apprend aussi que les critiques contre la hiérarchie militaire canadienne et le fouillis administratif semblent généralisées. Le lecteur a donc un excellent aperçu de l’enfer qu’a été la Seconde Guerre mondiale pour tous ceux qui l’ont vécue et le livre de Sébastien Vincent représente une bonne introduction à l’histoire québécoise de la Seconde Guerre mondiale.