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Introduction

L’insécurité de l’emploi, selon l’opinion des actifs occupés, s’est accrue dans les pays européens ces 15 dernières années (CERC, 2005). Bien des raisons économiques peuvent être mises en avant : la réduction du cycle de vie des produits, l’utilisation croissante des technologies de l’information et des communications, les logiques d’intérêt à court terme qui résultent de la financiarisation des marchés (Ramaux, 2005) et, enfin, la crise économique.

Au regard de la turbulence et de l’imprévisibilité de l’environnement économique, la notion de « carrière », qui renvoie à l’idée d’un cheminement linéaire, ascendant et déterminé au sein de la même entreprise, cède le pas à celle d’« employabilité », définie comme la capacité d’un salarié à conserver ou obtenir un emploi, dans sa fonction ou dans une autre fonction, à son niveau hiérarchique ou à un autre niveau. Kuhn et Moulin (2006) entrevoient la sécurité de l’emploi comme un mythe désormais déconnecté de la réalité de l’entreprise, même s’ils admettent que certains salariés y sont encore accrochés : « L’ambiguïté autour de cette évolution peut aller jusqu’au renversement : de l’obligation de préserver l’emploi, on passe au courage de rompre la relation avant que l’effectif surnuméraire n’entrave la bonne marche de la société, au point de la conduire au dépôt de bilan » (Kuhn et Moulin, 2006, p. 30).

Pourtant, il serait exagéré de considérer l’insécurité de l’emploi comme une caractéristique irrémédiable de l’évolution de la « société du risque » (Beck, 2001). Accroître la sécurité perçue demeure possible, y compris dans les organisations de petite taille dans lesquelles les possibilités de cheminement professionnel à long terme sont réputées pour être plus difficiles (Fabi et Garand, 2005) et les expertises internes en matière de gestion des ressources humaines (GRH), plus faibles (Hornsby et Kuratko, 2003). Dans la lignée des travaux de Lacoursière et al. (2005) et de Fabi, Raymond et Lacoursière (2007a, 2007b), qui portent sur l’incidence de certaines pratiques de GRH sur la performance, notre étude concerne leur incidence sur le sentiment d’insécurité de l’emploi défini comme le sentiment du caractère non stable de l’emploi occupé (Campbell et al., 2007). Dès lors que la littérature académique envisage l’autonomie (Deci et Ryan, 1985) et les pratiques participatives (Jaouen et Tessier, 2008) comme des sources de réconfort, la question se pose de savoir si des pratiques de GRH favorisant l’autonomie et la participation sont de nature à accroître le sentiment de sécurité de l’emploi. Afin de tester cette proposition, la présente étude s’appuie sur la base de données constituée à l’occasion de la deuxième vague de l’European Social Survey (ESS) menée entre 2004 et 2005 au sein de 25 pays européens.

1. Cadre conceptuel

Permettant d’attirer et de fidéliser les salariés aux compétences et savoir-faire organisationnels développés, les pratiques de GRH intéressent également les petites structures. Se caractérisant par une fonction RH plutôt embryonnaire, celles-ci peuvent voir dans la mise en place de certaines pratiques managériales une particularité qui les différencierait avantageusement des entreprises concurrentes de taille similaire (Huselid, Jackson et Schuler, 1997), voire des entreprises de taille plus importante.

Dès lors que cette étude a pour objet le lien entre certaines pratiques de GRH et l’insécurité perçue, une recension des études empiriques existantes portant sur le sentiment d’insécurité ainsi qu’une analyse des particularités de la fonction RH en petite entreprise précèdent l’élaboration des hypothèses.

1.1. La perception de l’insécurité de l’emploi

La présente étude ne cherche pas à mesurer l’insécurité de l’emploi en s’appuyant sur le taux de transition annuel des individus de l’emploi vers le non-emploi (Behaghel, 2003) ni en utilisant les indices de protection légale de la stabilité de l’emploi (Botero et al., 2004). Elle porte sur le sentiment d’insécurité, c’est-à-dire sur la perception subjective des salariés de l’insécurité de leur emploi (Postel-Vinay et Saint-Martin, 2004). Selon Stephens (2004), ce sentiment donne des informations fiables sur l’insécurité effective de l’emploi : dans une enquête menée aux États-Unis, il apparaît que les personnes inquiètes pour la sécurité de leur emploi risquent effectivement beaucoup plus de le perdre. Les anticipations subjectives de perte d’emploi auraient un pouvoir de prédiction significatif sur la perte future de celui-ci.

Aussi, le sentiment d’insécurité peut être un critère d’évaluation plus juste du malaise social que le taux de chômage ou les indicateurs de protection légale. C’est une des raisons pour lesquelles les chercheurs en GRH l’utilisent afin d’appréhender son incidence sur la satisfaction et les comportements au travail (Cornolti, 2006). Une corrélation positive apparaît entre l’insécurité perçue et la colère, la nervosité, la tristesse, la tension, la culpabilité, le désengagement, le désintérêt (Näswall, Sverke et Hellgren, 2005), la santé mentale (Hellgren et Sverke, 2003), le stress (Lim et Qing, 2006), les comportements de retrait (Probst, 2002) et l’intention de départ (François-Philip de Saint Julien, 2006). D’autres travaux ont mis en exergue une corrélation négative entre l’insécurité et le niveau de satisfaction (De Witte et Näswall, 2003), le bien-être psychologique (Bohle, Quinlan et Mayhew, 2001), la contribution des salariés (Jick et Greenhalgh, 1989), l’implication (De Witte et Näswall, 2003) et l’effort au travail (Brandes et al., 2008).

Si la majeure partie des études ont porté sur les effets du sentiment d’insécurité et non sur ses variables explicatives, c’est parce que, selon Jacobson et Hartley (1991), l’analyse des causes du sentiment d’insécurité est un sujet sensible que les entreprises préfèrent éviter, craignant que les enquêtes engendrent de l’anxiété chez les personnes interviewées. Les quelques études portant sur les déterminants du sentiment d’insécurité, en particulier celle de Ashford, Lee et Bobko (1989), ont permis d’élaborer une classification des facteurs explicatifs en distinguant les caractéristiques individuelles des salariés (âge, genre, ancienneté, statut socioéconomique, niveau d’études, nombre d’enfants, situation économique, nature du contrat de travail, exercice de responsabilités managériales, expérience de chômage, etc.), les facteurs liés à la personnalité des salariés (optimisme ou pessimisme, cohérence, estime de soi, implication au travail, individualisme ou collectivisme, etc.) et certains facteurs environnementaux et organisationnels (comme la communication). L’incidence de l’organisation du travail et, de façon plus particulière, des pratiques de GRH sur le sentiment d’insécurité n’a pas donné lieu, à notre connaissance, à des travaux de recherche dans le contexte de la petite entreprise. Cette relation possible entre certaines formes d’organisation du travail et le sentiment d’insécurité est seulement suggérée dans les études récentes de Mauno et al. (2005).

1.2. Les particularités de la GRH dans les petites entreprises

Si les effectifs constituent le critère le plus couramment appliqué en Europe pour définir la petite entreprise, différents seuils sont utilisés, allant de 5 jusqu’à 49. Le choix de l’European Social Survey s’étant porté sur un seuil de 25 salariés, nous avons retenu dans cette étude le terme de « petite entreprise » pour évoquer les structures de moins de 25 salariés, regroupant par là même les très petites entreprises (0 à 9 salariés) et une partie des petites entreprises (10 à 49 salariés) (Mahé de Boislandelle, 1999).

Si la vision de la spécificité de la petite entreprise ne doit pas être dogmatisée (Torrès et Julien, 2005), on peut retenir que la relation employeur-employé est moins régie par un dispositif de GRH que par le bon vouloir du dirigeant (Parlier, 2006). Faute de ressources financières et d’expertise, les dirigeants des petites entreprises préfèrent le plus souvent assumer eux-mêmes les responsabilités de GRH (Torrès et Gueguen, 2008).

Il en résulte, d’une part, que le degré de formalisation des pratiques liées aux ressources humaines est relativement faible dans ces entreprises. Ces pratiques se réduisent essentiellement au recrutement et à la rémunération (Madou, 2002 ; Pearson et al., 2006 ; Fabi, Raymond et Lacoursière, 2007a, 2007b). Quelle que soit la personnalité du dirigeant, les programmes de fidélisation des salariés sont très peu nombreux. Même si, dans certaines petites entreprises, les pratiques de GRH s’avèrent être très sophistiquées (Deshpande et Golhar, 1994 ; Hill et Stewart, 1999 ; Hornsby et Kuratko, 2003), il semble que le degré de formalisation de telles pratiques s’accroît avec la taille de l’entreprise (Jaouen et Tessier, 2008).

Il en résulte, d’autre part, que l’importance accordée au droit est faible. L’absence de politiques et de directions des ressources humaines peut être interprétée comme un moindre respect des règles légales, notamment concernant les modalités de rupture du contrat de travail.

La petite entreprise offre toutefois un environnement de travail qui peut susciter la préférence de certains salariés ou jeunes diplômés (Barber et al., 1999). Le confort d’un milieu familial ou l’attachement à une localité particulière peut justifier le choix de la petite entreprise. De plus, si les opportunités d’avancement y sont a priori moins nombreuses, certains employés peuvent espérer des promotions plus rapides leur permettant de se rapprocher directement de l’équipe de direction. Enfin et surtout, selon certaines études (Arnold et al., 2002 ; Crandall et Parnell, 2003), les formes de valorisation de l’autonomie, source d’épanouissement des salariés, seraient plus fréquentes dans le contexte de la petite entreprise, faisant alors de celle-ci un environnement privilégié.

1.3. Hypothèses de recherche

Partant de l’idée que les pratiques de GRH favorables à l’autonomie des salariés et à leur participation aux décisions sont possibles dans le contexte de la petite entreprise, notre étude s’intéresse au lien entre ces pratiques et le sentiment d’insécurité des salariés.

1.3.1. L’influence de la taille de l’entreprise sur l’insécurité perçue

Dans la mesure où Böckerman (2004) constate un lien positif entre les entreprises de moyenne et grande taille et le sentiment de sécurité, on peut supposer que l’insécurité perçue de l’emploi est plus élevée dans les organisations de petite taille.

H1. Le sentiment d’insécurité de l’emploi est plus fort dans les entreprises de petite taille (moins de 25 salariés).

1.3.2. L’influence de l’autonomie et des pratiques participatives sur l’insécurité perçue

L’autonomie, comme les pratiques participatives, donnent aux salariés la possibilité d’exercer une influence sur leur milieu, directement ou indirectement, afin que celui-ci devienne plus gratifiant ou moins menaçant (Ganster et Fusilier, 1989). Selon Hiroto (1974), un salarié qui a le sentiment de ne pas contrôler son environnement sera davantage soumis au risque de dépression, de moindre performance ou de désengagement dans certaines activités. Au contraire, le sentiment « d’accomplissement » (McClelland, 1975) ou « d’autodétermination », défini par Deci et Ryan (1985) comme le sentiment de pouvoir initier et réguler ses propres actions, constitue une source d’épanouissement et de réconfort. En disposant à la fois d’une autonomie et de la possibilité de participer aux décisions, les salariés ont doublement le sentiment de contrôler leur environnement. Ces deux caractéristiques de l’organisation du travail renforcent la confiance que Couteret (1998) envisage comme un concept majeur de la relation entre dirigeant et salariés dans la très petite entreprise.

Concernant l’autonomie, des études ont déjà suggéré son incidence sur le sentiment de sécurité (Mauno et al., 2005). La littérature scientifique retient deux principales formes de valorisation de l’autonomie.

En premier lieu, selon les travaux de Kalleberg et Van Buren (1996), les descriptions de tâches étant moins précises, les possibilités d’accomplir des tâches diversifiées semblent plus fréquentes dans les petites entreprises. En leur donnant l’occasion de prendre du recul et d’être impliqués dans le fonctionnement d’un service, la diversité des tâches est de nature à favoriser une vision transversale qui donne du sens au travail et de la valeur aux actions entreprises (Hackman et Oldham, 1980).

En deuxième lieu, dans une étude menée auprès de diplômés d’universités, Arnold et al. (2002) montrent que les salariés des petites entreprises sont particulièrement satisfaits de l’autonomie dans l’organisation du travail et dans le choix des moyens leur permettant d’atteindre les objectifs visés. Brian et al. (1997), qui ont effectué une enquête auprès d’un échantillon de plus d’un millier d’entreprises, montrent également que les salariés des petites entreprises jouissent d’une flexibilité particulièrement forte dans l’organisation du travail. Plus récemment, Jaouen et Tessier (2008) constatent que la flexibilité dans l’organisation du temps de travail constitue l’une des forces majeures de la très petite entreprise en matière de GRH. L’autonomie dans l’organisation de la journée de travail permettrait de s’approprier le travail, d’être à l’origine de l’action, c’est-à-dire la « cause personnelle » de ses comportements selon les termes de DeCharms (1981).

Concernant les pratiques participatives, elles font leur apparition dans les structures de petite taille, permettant à celles-ci de s’afficher comme un lieu de coopération, de responsabilité et de pouvoir décentralisé. L’étude de la Society for Human Resource Management (2005) témoigne de l’importance grandissante accordée par les dirigeants des petites entreprises aux propositions des employés. Le management de type participatif, en particulier le meilleur partage des informations, les remontées d’idées et les réunions de travail, constitue l’une des principales préconisations faites par Jaouen et Tessier (2008) aux dirigeants de la très petite entreprise. Les auteurs anglo-saxons (Mueller et al., 1994 ; Crandall et Parnell, 2003) mettent en valeur la participation des salariés dans la stratégie comme un critère fondamental d’intégration sociale et de satisfaction au travail dans les petites entreprises comme dans celles de plus grande taille.

Ce sont ces trois dimensions, les possibilités d’accomplir des tâches diversifiées, d’organiser sa journée de travail et d’influer sur les décisions qui seront tour à tour mises en relation avec le sentiment d’insécurité.

H2. Le sentiment d’insécurité de l’emploi diminue lorsque les salariés ont la possibilité d’accomplir des tâches variées (a), d’organiser leur journée de travail (b) ou d’influer sur les décisions (c).

Dès lors que les études précitées notent l’existence d’une autonomie particulière des salariés dans les petites structures, la taille de l’entreprise est retenue comme un élément de variance susceptible d’intervenir dans la relation entre les pratiques de GRH et le sentiment d’insécurité.

H3. La possibilité d’accomplir des tâches variées (a), d’organiser leur journée de travail (b) ou d’influer sur les décisions (c) a une incidence différente sur l’insécurité perçue des salariés selon la taille de l’entreprise.

En outre et indépendamment de la taille de l’entreprise, différents éléments de variance liés aux caractéristiques socioprofessionnelles des salariés peuvent intervenir dans cette relation entre pratiques de GRH et sentiment d’insécurité. Par exemple, les hommes qui, dans la plupart des études (Deloffre et Rioux, 2004), expriment un sentiment d’insécurité plus fort que les femmes seraient-ils particulièrement sensibles à ces pratiques de GRH ? Les jeunes ayant en moyenne un sentiment de sécurité moins élevé (Deloffre et Rioux, 2004) seraient-ils particulièrement réceptifs à l’égard de ces pratiques ? Parce que l’ancienneté renforce incontestablement la perception de la stabilité de l’emploi (Postel-Vinay et Saint-Martin, 2004 ; Campbell et al., 2007), les salariés les moins anciens seraient-ils particulièrement sensibles à l’autonomie et aux pratiques participatives ?

Nous avons donc testé le modèle schématisé dans la figure 1 qui met en évidence les hypothèses de recherche précitées.

Figure 1

Modèle de la recherche

Modèle de la recherche

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2. Méthode de recherche

Les informations requises pour évaluer la corrélation entre des pratiques de GRH et le sentiment d’insécurité proviennent de la base de données constituée à l’occasion de la deuxième vague de l’European Social Survey (ESS)[1]. Cofinancée par la Fondation européenne de la science, la Commission européenne et les instituts scientifiques des pays participants, l’enquête menée entre 2004 et 2005 repose sur plus de 500 variables portant sur les caractéristiques, les opinions, les comportements et les croyances des individus. Les données, dont une partie est relative à l’emploi et aux conditions de travail, ont été recueillies au moyen d’entretiens directifs réalisés au domicile du répondant. Parce qu’elle concerne les perceptions individuelles, cette base de données apparaît tout à fait adaptée à notre approche.

2.1. L’échantillon

La population retenue pour les besoins de notre étude est celle des actifs salariés, dont l’âge est compris entre 18 ans et 65 ans, ayant répondu aux questions relatives à la sécurité de leur emploi et à la taille de l’organisation, soit 32 595 individus (les non-réponses ont été éliminées de l’échantillon). Leurs caractéristiques sociodémographiques sont présentées dans le tableau 1 en fonction de la taille de l’organisation : moins de 25 salariés ; plus de 25 salariés (25 inclus).

Tableau 1

Caractéristiques de l’échantillon

Caractéristiques de l’échantillon

* Le taux de réponse à la question de l’ancienneté n’est que de 53,9 %, ce qui explique les effectifs plus faibles sur cette variable.

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Nous pouvons constater que 17 138 salariés, soit 52,58 % des individus de l’échantillon, travaillent dans des entreprises de moins de 25 salariés.

2.2. Mesure du sentiment d’insécurité

Dans certaines études, le sentiment d’insécurité est évalué à partir de deux concepts complémentaires : les risques de rupture qui concernent l’emploi et le sentiment d’impuissance de salariés considérant qu’ils ne peuvent pas éviter cette rupture (Ashford, Lee et Bobko, 1989 ; Jacobson, Klandermans et Van Vuuren, 1991 ; Rosenblatt et Ruvio, 1996). Dans le prolongement de ces travaux, l’insécurité au travail peut être définie comme « un état mental qui survient quand un individu perçoit une perte potentielle dans la continuité de sa situation de travail et pense qu’il n’a aucun pouvoir pour l’empêcher » (Cornolti, 2006, p. 33).

Dans d’autres travaux (Burchell et al., 1999 ; Campbell et al., 2007), le sentiment d’insécurité est appréhendé à travers une seule question qui peut prendre deux formes différentes. Ou bien les individus sont interrogés sur la plus ou moins forte probabilité qu’ils attribuent au risque de perte d’emploi. Ou bien les individus sont invités à porter un jugement sur le caractère stable de l’emploi occupé : « Dans quelle mesure êtes-vous d’accord ou non au sujet de votre emploi, avec l’affirmation suivante : mon emploi est sûr ? » Le sentiment d’insécurité est alors défini comme le sentiment d’une discontinuité possible du lien d’emploi entre un salarié et une entreprise. C’est cette définition et ce dernier critère de mesure du sentiment d’insécurité qui sont retenus dans la présente étude, les salariés ayant dû exprimer leur degré d’accord avec la proposition suivante : « Mon emploi est sûr » (« My job is secure[2] »).

Les réponses sont mesurées au moyen de l’échelle « vraiment/assez/un peu/pas du tout ». L’indice de la variable « insécurité de l’emploi » correspond donc au score moyen de valeurs comprises entre 1 et 4 : plus la valeur de l’indice est élevée, plus l’insécurité perçue de l’emploi est grande. La moyenne théorique correspondant à une opinion neutre (insécurité perçue comme n’étant ni forte ni faible) s’élève à 2,5.

2.3. Mesure de l’autonomie au travail et de la participation aux décisions

L’item « Les tâches de mon emploi sont variées » est mesuré par l’échelle « pas du tout/un peu/assez/vraiment ». Les items « Le management m’offre la possibilité de décider de la manière dont ma journée de travail est organisée » et « Le management m’offre la possibilité d’influencer les décisions relatives à l’activité de l’organisation » sont mesurés par une même échelle allant de 0 (« je n’ai aucune influence ») à 10 (« j’ai un contrôle complet »). Ces items ont permis d’évaluer respectivement les trois dimensions précitées, à savoir les possibilités d’accomplir des tâches diversifiées, d’organiser sa journée de travail et d’influer sur les décisions.

2.4. Méthode d’analyse des données

Afin de tester l’incidence de la taille de l’entreprise et des pratiques de GRH sur l’insécurité perçue de l’emploi, des calculs de corrélation ont été effectués au moyen du logiciel SPSS. L’impact de la taille de l’entreprise et des caractéristiques sociodémographiques sur la relation entre pratiques de GRH et insécurité perçue a été apprécié en effectuant des calculs différenciés par sous-groupes, ces derniers correspondant aux différentes modalités des éléments de variance retenus (taille, genre, âge, ancienneté). Pour savoir si la différence des coefficients de corrélation entre un sous-groupe et l’échantillon non filtré peut être considérée comme significative, le test de comparaison préconisé par Papoulis[3] (1990) est utilisé. Les résultats des tests indiquent la valeur p correspondant à la probabilité pour que les écarts de coefficients de corrélation soient dus au hasard. Lorsqu’un seuil de significativité est atteint – 1 % (***) 5 % (**) 10 % (*) –, on peut dire qu’une modalité de l’élément de variance influe sur le lien entre pratiques de GRH et sentiment d’insécurité.

3. Résultats

Afin d’apprécier le lien entre certaines pratiques de GRH et l’insécurité perçue de l’emploi dans le contexte particulier de la petite entreprise, les principaux résultats descriptifs ainsi que les analyses de corrélation sont successivement présentés.

3.1. Résultats descriptifs

Les données obtenues nous autorisent à une analyse descriptive du sentiment d’insécurité et des pratiques de GRH perçues par les salariés dans les pays d’Europe.

Les 32 595 actifs salariés répondants estiment en moyenne que leur emploi est « assez » sûr (m = 2,17). Si l’on considère la taille de l’entreprise d’appartenance, les organisations de moins de 25 salariés présentent un indice de perception de l’insécurité de l’emploi (m = 2,23) plus élevé que les entreprises plus grandes (m = 2,12). L’insécurité perçue de l’emploi apparaît plus forte dans les entreprises de plus de 25 salariés dans seulement 3 des 25 pays, à savoir la Slovaquie, la Suisse et la Finlande (voir tableau 2).

Tableau 2

Insécurité perçue selon le pays et la taille de l’entreprise

Insécurité perçue selon le pays et la taille de l’entreprise

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S’agissant des pratiques de GRH, les salariés estiment en moyenne que leurs tâches sont assez variées et qu’ils disposent d’une certaine marge de manoeuvre pour organiser leur journée professionnelle. Quoique positifs, ils sont plus réservés sur les possibilités d’influencer les décisions de l’entreprise (voir tableau 3).

Pour ce qui est des pratiques de GRH selon la taille de l’entreprise, les salariés des petites structures bénéficient d’un pouvoir plus important dans l’organisation de leur journée de travail et dans la participation aux décisions de l’entreprise. En revanche, la diversité des tâches à accomplir serait légèrement moindre dans les structures de moins de 25 salariés que dans les entreprises de plus grande taille.

Tableau 3

Pratiques de GRH selon la taille de l’entreprise

Pratiques de GRH selon la taille de l’entreprise

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L’échelle de la variable « Variété du contenu de l’emploi » (allant initialement de 1 à 4) a été redressée sur une échelle de 0 à 10 de manière à permettre une comparaison avec les scores des deux autres variables établis sur une échelle de 0 à 10 (moyenne théorique égale à 5).

3.2. Corrélations globales

Une analyse de corrélations (tableau 4) donne un aperçu des relations entre les différentes variables du modèle de recherche.

On observe un lien négatif entre la taille de l’entreprise et le sentiment d’insécurité de l’emploi (r = –0,06 ; p ≤ 0,01). L’application du test de Fisher-Snedecor, qui sert à la comparaison des moyennes et variances observées, confirme que l’insécurité perçue de l’emploi est significativement plus importante dans les entreprises de petite taille (F = 62,03 ; p ≤ 0,01). L’hypothèse 1 est donc validée.

On observe également dans l’ensemble des entreprises un lien positif entre les pratiques de GRH et le sentiment d’une stabilité de l’emploi. Plus ils ont la possibilité d’accomplir des tâches variées dans leur emploi (r = –0,22 ; p ≤ 0,01), d’organiser leur journée de travail (r = –0,19 ; p ≤ 0,01) ou d’influer sur les décisions de l’entreprise (r = –0,17 ; p ≤ 0,01), plus leur sentiment d’insécurité diminue. Les hypothèses 2a, 2b et 2c sont donc validées.

Tableau 4

Matrice des corrélations

Matrice des corrélations

Les seuils de significativité utilisés sont respectivement égaux à 1 % (***), 5 % (**) et 10 % (*).

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3.3. Corrélations par sous-groupes

3.3.1. Approche par la taille de l’entreprise

Si des corrélations négatives existent entre chacune des trois pratiques de GRH et l’insécurité perçue dans les grandes comme dans les petites structures, elles sont plus marquées au sein de ces dernières (voir tableau 5). L’application du test recommandé par Papoulis montre que le lien négatif entre la diversité des tâches et l’insécurité de l’emploi n’est que très légèrement plus marqué dans les entreprises de moins de 25 salariés. Mais il existe une relation négative significativement plus importante au sein des entreprises de moins de 25 salariés entre les deux autres pratiques de GRH – permettant aux salariés d’influencer l’organisation de la journée de travail et de participer aux décisions – et le sentiment d’insécurité. À la différence de l’hypothèse 3a, les hypothèses 3b et 3c sont validées.

Tableau 5

Résultats des analyses de corrélation par sous-groupe (selon la taille de l’entreprise)

Résultats des analyses de corrélation par sous-groupe (selon la taille de l’entreprise)

Les seuils de significativité utilisés sont respectivement égaux à 1 % (***), 5 % (**) et 10 % (*).

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3.3.2. Approche par les caractéristiques sociodémographiques

Les femmes apparaissent plus sensibles que les hommes à l’autonomie et à la participation (voir tableau 6). Mais le test de comparaison des coefficients de corrélation montre que le genre ne constitue un élément de variance significatif que pour l’effet modérateur de la diversité des tâches. Si le pouvoir d’influencer l’organisation de la journée de travail ou les décisions de l’entreprise modère davantage l’insécurité perçue par les femmes, la différence n’est pas significative.

L’âge n’a pas d’incidence significative sur la relation entre les pratiques de GRH et le sentiment d’insécurité (voir tableau 7). Le rôle joué par l’ancienneté reste, quant à lui, extrêmement faible (voir tableau 8). On observera seulement que le pouvoir d’organiser sa journée de travail réduit moins le sentiment d’insécurité des salariés dont l’ancienneté est supérieure à six ans que celui des salariés moins anciens.

Tableau 6

Résultats des analyses de corrélation par sous-groupe (selon le genre)

Résultats des analyses de corrélation par sous-groupe (selon le genre)

Les seuils de significativité utilisés sont respectivement égaux à 1 % (***), 5 % (**) et 10 % (*).

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Tableau 7

Résultats des analyses de corrélation par sous-groupe (selon l’âge)

Résultats des analyses de corrélation par sous-groupe (selon l’âge)

Les seuils de significativité utilisés sont respectivement égaux à 1 % (***), 5 % (**) et 10 % (*).

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Tableau 8

Résultats des analyses de corrélation par sous-groupe (selon l’ancienneté)

Résultats des analyses de corrélation par sous-groupe (selon l’ancienneté)

Les seuils de significativité utilisés sont respectivement égaux à 1 % (***), 5 % (**) et 10 % (*).

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Discussion-conclusion

En montrant que l’insécurité perçue est plus importante dans les petites que dans les grandes entreprises, cette étude plaide en faveur de la mise en place de pratiques de GRH qui pourraient atténuer ce sentiment d’insécurité. Non seulement notre étude révèle l’existence d’un lien négatif entre certaines pratiques de GRH et l’insécurité perçue, mais elle dévoile en outre une corrélation positive – particulièrement forte dans les entreprises de moins de 25 salariés – entre les pratiques offrant aux salariés la possibilité d’organiser leur journée de travail et d’influer sur les décisions et le sentiment de sécurité.

Concernant l’effet des variables sociodémographiques sur la relation entre les pratiques de GRH et le sentiment d’insécurité, le constat est limité : la variété des tâches accomplies rassure davantage les femmes et le pouvoir d’organiser la journée de travail rassure davantage les salariés les moins anciens. Aucun autre lien n’a été observé. Par conséquent, il n’apparaît pas forcément nécessaire d’en tenir compte dans le cadre d’une politique de GRH soucieuse de l’autonomie et de la participation des salariés.

L’une des principales limites méthodologiques de cette étude tient à l’approche corrélationnelle qui met en évidence des relations entre des variables mais n’établit aucune causalité. L’existence d’une corrélation indique que les variables sont reliées ou qu’elles ont tendance à varier simultanément. Les corrélations n’autorisent pas à inférer des liens de causalité de quelque nature que ce soit. Elles permettent néanmoins de formuler les suggestions suivantes.

D’une part, l’autonomie dans l’organisation de son temps de travail serait particulièrement appréciable dans les structures à dimension réduite, dans la mesure où elle serait perçue comme une marque de confiance émanant directement de la personne du dirigeant. D’autre part, les salariés évoluant dans des entreprises de moins de 25 salariés seraient d’autant plus sensibles aux pratiques participatives qu’ils auraient dans certains cas choisi ce type d’entreprise afin d’échapper aux lourdeurs bureaucratiques et de participer au processus de décision.

L’effet modérateur de l’autonomie et de la participation sur la perception de l’insécurité de l’emploi mérite d’être l’objet d’une analyse plus approfondie intégrant d’autres pratiques de GRH, en particulier la formation professionnelle délivrée par l’entreprise ou la liberté décisionnelle dont disposent les salariés pour atteindre leurs objectifs. Par ailleurs, le secteur d’activité en tant qu’élément de variance pourrait être ajouté au modèle proposé afin de voir si les salariés relevant de certains secteurs sont plus sensibles que d’autres aux marges de manoeuvre accordées.

Les travaux de Fabi et Garand (2005) et Fabi, Raymond et Lacoursière (2007a, 2007b) avaient montré comment les petites structures désireuses de développer leurs réseaux à l’international peuvent adapter leurs systèmes de GRH. L’étude effectuée par Couteret (1998) avait dévoilé la pertinence dans la petite entreprise d’une GRH fondée sur la confiance accordée aux collaborateurs. Dans un ouvrage publié en 2008 sur les très petites entreprises, Jaouen et Tessier (2008) s’appuient sur une étude de cas pour préconiser l’organisation flexible du travail et le management de type participatif.

Notre étude suggère qu’il est effectivement pertinent dans les petites structures de favoriser des pratiques de GRH accordant aux salariés une plus grande autonomie et participation aux décisions. Cette proposition a des implications pour les dirigeants des petites entreprises qui, soucieux de rassurer les salariés sur la stabilité de leur emploi et de favoriser leur coopération et leur confiance, ont intérêt à assouplir l’organisation du travail, à reconnaître une liberté d’aménagement du temps de travail et à être à l’écoute des idées de leurs collaborateurs.