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Ce recueil de 25 chapitres, si l’on compte l’introduction et l’épilogue de Samir Amin, constitue la version française d’un recueil paru en anglais sous le titre Introduction to international development: approaches, actors, and issues, et dont la publication a été dirigée par les trois mêmes personnes, dans un ordre différent (Haslam et al., 2009). À travers l’expérience de chercheurs provenant d’horizons variés et de spécialistes des questions de développement, Beaudet, Schafer et Haslam veulent présenter à des étudiants de premier cycle universitaire le développement international sous toutes ses coutures, pour un bilan, – avouons-le d’emblée – mitigé ; on y trouve du très bon et de l’excellent, mais aussi l’inverse.

Il m’apparaît impossible de passer sous silence mon sentiment ambivalent après la lecture de cet ouvrage. Certains chapitres comportent de nombreuses affirmations vagues, sans fondement, ou parfois même des faussetés (comme cette idée que la Chine se présente « comme une proposition pour rééquilibrer cette mondialisation, la rendre plus équitable » – Beaudet, p. 97) ou des maladresses gênantes (Singapour toujours placé dans les pays en développement – Haslam, p. 179), qui peuvent rendre malaisée leur utilisation en classe. Plusieurs chapitres, souvent les mêmes, comptent aussi des traductions maladroites et, pour certains, dans une publication qui se veut sérieuse, une quantité inacceptable d’erreurs de frappe, d’orthographe, de syntaxe ou de ton inapproprié (plus d’une dizaine d’endroits dans les quatre premières pages de l’introduction) : une recension rapide a permis d’en identifier dans plus de 80 des pages du recueil, souvent plus d’une par page. De plus, la cartographie est carrément déficiente, les quelques cartes utilisées étant à peu près illisibles (p. 31, 91, 123, 398 en particulier). Enfin, l’ensemble souffre un peu (beaucoup) du fait que la première partie, à l’exception des excellents chapitres III (Klein) et IV (Martinez), ne construit pas vraiment le contexte pourtant annoncé et sur lequel tout l’ouvrage aurait pu reposer. En particulier, l’introduction est pleine de confusions (le développement équivaut à la croissance économique, p. 8 ; mais l’inverse est affirmé aux p. 6 et 9) résultant souvent d’une imprécision dans la manière d’attribuer les idées aux auteurs, ou de se les approprier. La lecture du chapitre laisse le lecteur francophone bouche bée par l’utilisation du futur proche (langage parlé) sur un ton qui, même s’il est candide, reste beaucoup trop journalistique, presque amateur, ce qui nuit à la mise en valeur des chapitres thématiques – plusieurs excellents – qui suivent, quand il ne l’induit pas en erreur, dans un texte visant un public universitaire (« vous allez découvrir, […] remarquer, […] admirer, […] voir, […] », etc. (p. 2) ; le chercheur reste aussi pantois pour qui veut démêler la terminologie du développement, et l’étudiant voyageur se voit incrédule devant des affirmations saugrenues comme « vous allez comprendre la polarisation de notre monde : d’un côté, des privilégiés qui vivent bien et qui peuvent exercer des choix ; et de l’autre, des défavorisés qui n’ont que très peu de contrôle sur leur vie » (p. 3). La moindre expérience de terrain en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique latine, ou même chez nous au Québec ou au Canada, démontre exactement que cette polarisation n’existe pas et que notre monde se présente d’une manière beaucoup plus nuancée que cela, « à géographies variables » pour paraphraser l’ancien président du Brésil, Fernando Henrique Cardoso, ce que plusieurs des auteurs du recueil s’attachent d’ailleurs à bien démontrer individuellement.

Dans la partie I sur les théories et approches du développement international, les chapitres de Klein (développement local) et Martinez (sexe et développement) décrivent respectivement, d’une part, comment les approches de développement local ont émergé pour donner davantage de poids aux acteurs et aux collectivités locales dans la définition de leur propre devenir et, d’autre part, comment les questions du sexe, femmes-hommes, ont infiltré l’agenda développementaliste à partir des années 1970 pour s’y construire une niche à part entière. Parmi les leçons à retenir, selon Martinez, il y a le fait qu’« aucune action de développement ne soit neutre quant à ses effets sur les rapports de pouvoir entre les femmes et les hommes » (p. 84).

La deuxième partie aborde les acteurs du développement international : l’État (Houtart), les agences de développement (Brown), les institutions financières (Taylor), les agences et les acteurs du multilatéralisme (Sogge), en fait, un tour d’horizon – parfois maladroit – du système de l’ONU, des firmes multinationales (Haslam) et de la société civile (Armony). Le chapitre de Houtart propose un bilan de la manière dont les États ont utilisé ou se sont approprié le développement, de l’État régulateur à la Keynes aux luttes actuelles pour une autre forme d’État, en passant par les différentes tentatives de modèles dans les anciens pays coloniaux (p. 110), le « capitalisme d’État dans les pays socialistes » (p. 111) ou l’État chez les « tigres asiatiques » (p. 112).

Dans la troisième partie, le développement est combiné à différents thèmes pour faire ressortir toute la palette des enjeux : dette extérieure (Tanimoune), démocratie (Jourde), environnement (Sick), villes (Latendresse et Massé), monde rural (Ramisch), santé (Thibeault), conflits (Zahar), migration (Mondain), droits humains (Thede), autochtones (Gagné), tourisme (Poulin) et économie sociale (Favreau). Ce dernier chapitre fait judicieusement le point sur l’émergence de l’informel, du solidaire et du local dans l’économie. Sa dernière partie évoque le parcours vers l’international d’un réseau d’économie sociale et solidaire, le Groupe d’économie solidaire du Québec (p. 425), alors qu’un tableau résume bien les distinctions entre aide, coopération et solidarité internationales sur le plan des finalités, de l’organisation et de l’institutionnalisation (p. 429). L’ouvrage est conclu par un épilogue rédigé par Samir Amin au sujet de la Chine. Amin y voit que tout espoir n’est pas encore perdu en raison du « droit d’accès à la terre de tous les paysans » (p. 442) qui subsiste malgré les avancées capitalistes de toutes parts.

Au total, l’ouvrage n’atteint qu’à moitié ses objectifs. D’un côté, plusieurs auteurs remplissent avec brio leur mandat de faire l’état des lieux d’un thème spécifique. De l’autre, pour se familiariser avec les concepts-clés et l’évolution des théories sur le développement, il vaudrait mieux passer directement au chapitre III. L’ouvrage est certes multidisciplinaire comme le voulaient les directeurs de la publication ; mais ceux-ci, n’ayant peut-être pas suffisamment tenu compte dans leur échafaudage initial du contenu même de certains textes, en particulier ceux de la troisième partie qui restent plutôt critiques par rapport aux avatars actuels du développement, n’ont réussi qu’à les juxtaposer sans construire un tout cohérent. Il est aussi dommage que des critiques extérieurs sérieux, depuis longtemps pour certains comme Serge Latouche (par exemple, Latouche, 1986), qui proposent d’autres voies que le développement pour améliorer la qualité de vie sur la planète (Latouche, 2007 ; Kempf, 2009) aient été complètement laissés de côté. Dans la même veine, en 2008-2009, utiliser ce même canevas intellectuel pour construire et articuler un tel recueil apparaît insuffisant alors que, dans l’ordre logique, les crises environnementales, sociales, politiques, économiques et énergétiques secouent les relations internationales de tous les côtés. Pourtant, avec bientôt sept milliards de Terriens (en 2012 ?), acteurs de l’anthropocène d’une manière fort inégale certes, il est plus que grand temps de sortir de cette logique de développement où le capitalisme reste roi et maître.