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Introduction

Les coopératives de santé sont nées de la concertation entre citoyens et professionnels de la santé afin de mettre sur pied des services accessibles localement et adaptés aux besoins du milieu (Béland, 2007). Elles sont présentes un peu partout au Canada, notamment dans l’Ouest canadien. En milieu urbain, ces coopératives sont situées à Regina, à Saskatoon et à Prince Albert, alors qu’en milieu rural elles se retrouvent sur une bonne partie du territoire (Girard, 2006). Au Québec, la première coopérative de services de santé a vu le jour en 1995 dans la petite communauté rurale de Saint-Étienne-des-Grès (Girard, 1997; 2006). Aujourd’hui, le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité dénombre plus de vingt coopératives de services de santé.

Comme les autres types de coopératives (d’habitation, funéraires, etc.), les coopératives de santé sont des entités privées appartenant à leurs membres regroupés en association. Dans ce cadre, elles s’acquittent de différentes responsabilités, dont celles de voir au suivi de l’état de santé, à l’accès aux services et à la coordination des soins des patients qu’elles servent. Cependant, ces coopératives ne peuvent travailler en parallèle des établissements et des professionnels du système de santé public, du fait que les services médicaux qu’elles offrent sont soumis à la loi canadienne de la santé qui impose une norme selon laquelle l’accès à ces services est public, sans aucune discrimination. Les coopératives de santé ne peuvent par conséquent restreindre leurs offres de services à leurs seuls membres. De ce fait, elles font partie de l’ensemble des fournisseurs de services de santé d’un territoire donné. Elles ont donc, en lien avec les autres, à se préoccuper de la continuité et de la coordination des soins dans leur communauté tout entière.

Bien que, comme l’ont démontré Lamarche, Pineault et Brunelle (2007), les organisations qui sont en réseau avec l’ensemble du système public de soins obtiennent de meilleurs résultats que celles qui ne le sont pas, les défis d’intégration sont de taille. Les conditions d’exercice ainsi que les modalités d’organisation et de financement du milieu coopératif sont en effet très différentes de celles qui existent dans le secteur public de la santé. Il faut donc dépasser les analyses de la faisabilité des mises en réseau qui se limite le plus souvent aux aspects techniques nécessaires à l’intégration et à l’adéquation des ressources humaines et financières. La question qui se pose alors est : comment faire pour permettre l’intégration des pratiques ayant cours dans les organisations publiques avec celles des coopératives de santé? C’est à ce questionnement que nous consacrons cet article.

En première partie, nous décrivons le contexte dans lequel prend place notre sujet, soit celui du réseau de santé. Puis nous y situons l’intégration organisationnelle comme enjeu majeur, avant de considérer le projet comme moyen privilégié pour atteindre cette intégration. Enfin, les conditions aptes à statuer sur la faisabilité d’un tel projet sont exposées en prenant appui sur le projet de clinique d’urgence réseau soutenu par la Coopérative Santé Aylmer et le Centre de santé et de services sociaux de Gatineau.

Le projet au coeur du réseau et de l’intégration organisationnelle sous-jacente

Dans le secteur de la santé, un réseau apparaît à la fois comme une organisation réticulaire (Landry et Association des hôpitaux du Québec, 1995; Shortell et al., 1993), un ensemble d’organisations interreliées et complémentaires, un rapprochement naturel de services (Larivière, 2001) ou « un système décentralisé [où les] relations entre médecine ambulatoire, les hôpitaux, les cliniques et les organismes communautaires [sont organisées] » (Contandrioploulos, 2000, p. 42). Quoi qu’il en soit, il est reconnu que les organisations créent des liens entre elles pour procéder à certains partages et échanges de ressources ou d’activités, de même que pour répondre à un environnement socioéconomique de plus en plus exigeant et ouvert sur le monde (Poulin, Montreuil et Gauvin, 1994).

Au Québec, un grand mouvement de mise en place des réseaux a été entrepris en 2004, date de création des centres de santé et de services sociaux (CSSS) chargés de former les réseaux locaux de services (RLS) sur leur territoire de desserte. Un RLS est prévu se constituer de l’alliance des producteurs de services de chaque territoire, particulièrement les centres hospitaliers, les cabinets privés de médecine (y compris les groupes de médecins de famille – GMF), les pharmacies, les organismes communautaires, les centres de réadaptation, les ressources privées et les partenaires intersectoriels. À cette liste de producteurs de services s’ajoutent les coopératives de santé, lorsqu’elles sont présentes sur un territoire de CSSS. À la base même de la constitution de ces réseaux, c’est l’amélioration de l’intégration de l’organisation des services de première ligne (Contandriopoulos et al., 2007) qui est visée afin de favoriser une plus grande accessibilité et une meilleure continuité dans la prestation des soins (Commissaire à la santé et au bien-être, 2010; ministère de la Santé et des Services sociaux, 2004).

L’intégration organisationnelle

L’intégration organisationnelle fait référence aux affiliations, aux regroupements, aux partenariats ou aux liaisons entre les différents groupes d’acteurs et s’associe à la qualité de la collaboration entre différentes unités (ou différents groupes) qui doivent unir leurs efforts pour satisfaire aux demandes de l’environnement (Lawrence et Lorsch, 1989). Dans ce sens, l’intégration s’oppose à la juxtaposition (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2001), à l’indépendance (Organisation mondiale de la santé, 1996), aux fractionnements, aux divergences, à la spécialisation, et ce, afin de faire obstacle à l’organisation dite en « silos » longtemps décriée (Demers, Dupuis et Poirier, 2002; Glouberman et Mintzberg, 2001a; 2001b). L’intégration se démarque alors nettement de la différenciation, concept vis-à-vis de l’intégration identifié par Lawrence et Lorsch dès 1989.

Cette orientation apparaît clairement dans les recherches qui ont porté sur l’intégration dans le domaine de la santé. Ces études mettent l’accent sur : 1) la mise en place des cadres de coordination des responsabilités attribuées, des règles définies, des ressources et des dispositifs financiers, des informations transmises; 2) l’appariement des modalités de prise en charge des patients et aux règles associées à la pratique professionnelle; et 3) la définition d’un ensemble commun de référence, qui s’articule dans un système collectif de normes et de valeurs de façon à assurer la cohérence de l’organisation (Fleury, Grenier et Ouadahi, 2007; Shortell et al., 2000). L’intérêt pour la coordination, la mise en commun et l’appariement se concrétise dans l’engouement transmis par Shortell et al. (2000) pour l’adoption des modalités structurelles d’intégration verticale ou horizontale. L’intégration horizontale consiste à rassembler les valeurs, les pratiques à l’intérieur des niveaux similaires (ex. : deux hôpitaux de soins de courte durée) et à lier les processus cliniques. L’intégration verticale se caractérise par la constitution d’une seule direction pour différents niveaux de distribution de soins et de services ou des organisations de missions différentes (ex. : un CLSC et un CHSLD[1]).

Cependant, parce que l’intégration ne va pas de soi dans un contexte comme celui de la santé, où les divisions intra et interdisciplinaires et intra et interorganisationnelles sont vives, plusieurs auteurs se sont penchés sur les enjeux qui y sont liés. C’est ainsi que les études ont exploré : 1) les facteurs de succès ou d’échec de l’intégration (Conrad et Shortell, 1996; Fleury, 2002; Friedman et Goes, 2001; Shortell, Gillies et Anderson, 1994; Walston, Kimberly et Burns, 1996), 2) les déterminants et les facteurs de contingence, relevant les leviers fonctionnels et structurels à l’intégration (Axelsson et Axelsson, 2006; Gillies et al., 1993; Young, Parker et Charns, 2001), ou, encore, 3) les aspects relationnels (D’Amour et Oandasan, 2005; D’Amour, Tremblay et Bernier, 2007; Lamothe, 2002; 2007). Ces études montrent bien la nécessité, imposée par l’intégration organisationnelle, de s’intéresser autant aux coordinations et aux mises en commun qu’aux différences et même aux divergences et aux fractionnements.

Le projet

Pour permettre l’intégration organisationnelle, le projet est au coeur de la réforme de la santé du Québec, par l’intermédiaire des projets cliniques et organisationnels (PCO). En effet, les PCO s’organisent autour des activités à intégrer pour corriger les problèmes d’accès en temps opportun et pour contrer les bris dans la continuité des services (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2004). Sous la coordination des CSSS, ces projets misent sur des ententes et des mesures contractuelles (Rousseau et Cazale, 2007) entre les acteurs sollicités quant aux activités de soins à développer ou à consolider et aux façons de faire.

Cette notion de projet comporte des caractéristiques qui la distinguent des conceptions sous-jacentes aux activités organisationnelles courantes. Le projet décrit par le Project Management Institute (PMI) est un ensemble d’activités délimité dans le temps et découpé selon quatre phases spécifiques : la définition, la planification, la réalisation et la clôture. Le caractère ponctuel, éphémère et unique du processus (Project Management Institute, 2008) comporte des défis de gestion qui obligent à mettre davantage l’accent sur l’aspect dynamique des organisations qui supportent un projet et qui tiennent compte des ressemblances et des différences entre les pratiques des acteurs. Dans ces circonstances, c’est l’ensemble des liens qui se constituent entre les acteurs et les structures qui doivent être examinés dès le démarrage du projet (définition et planification) et, à ce titre, faire partie des considérations à analyser dans les évaluations de risque de succès ou d’échec (Harper et Pitt, 2004; O’Shaughnessy, 2006). Les analyses de faisabilité doivent alors reposer autant sur l’étude des besoins de la population, sur les aspects techniques nécessaires (appareillage, aménagements), sur l’adéquation des ressources humaines et financières, sur les relations entre les acteurs sollicités par le projet que sur la dynamique entre tous ces aspects (Clegg et al., 2006; Linehan et Kavanagh, 2006; Marshall, 2006; Sillince et al., 2006; Sydow, 2006; Windeler et Sydow, 2001).

Si la nature même du projet sied bien à l’intégration organisationnelle, celui-ci est d’autant plus pertinent dans la situation actuelle de la réforme de la santé qui repose sur une telle intégration et, de façon plus spécifique, en vue d’établir des alliances entre une coopérative de santé et une organisation publique.

Les projets d’intégration des pratiques apparaissent en effet fondamentaux pour les coopératives de santé qui sont la propriété de citoyens membres désireux d’entretenir des relations privilégiées avec les dispensateurs de soins et d’assumer une responsabilité accrue. En effet, la gestion de projet est une approche intéressante pour les citoyens qui ont, en même temps, à voir à la gestion des affaires courantes de la clinique médicale et à travailler à l’établissement de relations avec les différents partenaires du réseau public de la santé (Brassard, LeBlanc et Étienne, 2009)

Devant l’importance des enjeux soulevés pour la réussite des projets (Crowley et Karim, 1995; Li et al., 2001), il est apparu nécessaire d’appréhender les conditions aptes à supporter l’intégration organisationnelle entre les coopératives de santé et les établissements publics. C’est à cette fin que nous avons posé un cadre d’analyse qui s’attarde aux bases sur lesquelles des acteurs différents, avec des logiques souvent dissemblables, acceptent de travailler ensemble, de même qu’à la dynamique sous-jacente.

Le projet de clinique d’urgence réseau en Outaouais québécois et les conditions d’intégration organisationnelle

Afin d’aborder les conditions d’intégration organisationnelle entre une coopérative de santé et un établissement public, nous traiterons d’un cas concret, celui du projet de clinique d’urgence réseau (CUR). Ce projet a été mis en place par la Coopérative Santé Aylmer (CSA) et le Centre de santé et de services sociaux de Gatineau (CSSSG) en vue de pouvoir traiter les urgences mineures au sein de la communauté locale.

Le projet de clinique d’urgence réseau (CUR) de la Coopérative Santé Aylmer et du Centre de santé et de services sociaux de Gatineau

En 2001 des médecins, des professionnels de la santé et des citoyens se sont rassemblés autour de l’idée de reconvertir la clinique médicale privée existante, et sur le point de fermer, en coopérative de santé afin de pallier la détérioration de l’offre de services dans le secteur Grande-Rivière (Aylmer) de la ville de Gatineau. La formule coopérative ouvrant plusieurs possibilités de regroupements, autres que celle associée à la consolidation des services de médecine familiale, c’est le choix qui a été fait lors de la formation de la Coopérative Santé Aylmer. À cet effet, le modèle de coopérative de solidarité a été retenu. Trois ans plus tard, la CSA est devenue propriétaire des immobilisations d’une autre clinique existante, la Clinique médicale Aylmer-Lucerne.

Aujourd’hui, la Coopérative Santé Aylmer compte un peu plus de 9 000 membres, ce qui en fait la plus importante coopérative de solidarité dans le secteur de la santé au Québec. Ses locaux hébergent maintenant des médecins spécialistes itinérants, une pharmacie, un centre dentaire, un centre de ressources en psychologie familiale, un laboratoire de prélèvements sanguins et d’électrocardiogramme, ainsi qu’un groupe de médecine familiale (GMF) formé de huit médecins. En plus de garantir un service avec rendez-vous à leurs patients, les médecins du GMF participent à une clinique d’urgence qui reçoit en consultation autant les personnes inscrites au GMF que les membres de la CSA.

Cependant, l’équipe clinique de la CSA éprouve des difficultés à répondre aux besoins de la population de son territoire. Selon les données compilées à ce jour, la clinique d’urgence de la CSA enregistre annuellement plus de 22 000 visites. De ce nombre, 70 % sont des patients qui n’ont pas de médecin de famille ou, encore, qui en ont un qui exerce dans une autre clinique médicale et qui n’est pas accessible pour répondre aux besoins formulés. Ces statistiques confirment la tendance observée depuis 2005. De l’ensemble des visites, il appert que neuf sur dix ont pour objet une urgence mineure et que, lorsque la CSA n’offre pas de services d’urgence, les personnes du secteur Grande-Rivière doivent se rendre au centre hospitalier public le plus proche, qui relève du Centre de santé et de services sociaux de Gatineau. Ces constats révèlent l’intérêt pour la CSA de créer une clinique d’urgence pouvant fonctionner 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et ayant pour finalité le traitement des urgences mineures pour la population de son territoire (Benoit, 2007). Toutefois, la CSA ne possède ni les équipements techniques, ni les ressources humaines et financières nécessaires pour créer une telle clinique, d’où l’idée d’un partenariat avec le CSSSG.

Avec ses quelque 5 000 employés et ses services destinés à une population estimée à 230 000 personnes, le CSSSG est le deuxième établissement public du genre en importance au Québec, après celui de Laval. Il est formé de deux centres hospitaliers, de quatre centres d’hébergement, de huit sites de centres locaux de services communautaires (CLSC), d’une maison des naissances et d’une unité de médecine familiale.

En raison de la pénurie de professionnels de la santé dans l’Outaouais québécois, il est fréquent que les urgences des centres hospitaliers du CSSSG débordent et que le temps d’attente y soit supérieur à la moyenne québécoise. À cet égard, la constitution d’un partenariat avec la CSA est vue comme une solution à l’amélioration de l’accessibilité des services d’urgence de première ligne, ce qui permettrait, du même coup, de réduire la pression sur les urgences des centres hospitaliers (celui du secteur Hull en particulier).

Ainsi, des études ont été effectuées pour confirmer les besoins de la population en matière de services d’urgences mineures, de nombreuses analyses techniques et financières ont été produites et des plans et devis pour la conduite du projet ont été réalisés. Toutefois, malgré les besoins et les intérêts de part et d’autre pour former une alliance en vue de traiter les urgences mineures, le projet ne semble pas vouloir se concrétiser à court terme. C’est donc au regard des difficultés qu’a connues le projet que nous nous sommes intéressés aux conditions de faisabilité de l’intégration organisationnelle. Nous nous sommes alors préoccupés de la manière dont se sont structurées les pratiques en nous inspirant d’un cadre théorique relatif à la constitution des interfaces organisationnelles construites lors d’études antérieures (St-Pierre, Gauthier et Rheinharz, 2007a; 2007b; St-Pierre et al., 2009). Parce que ce cadre théorique repose sur la théorie de la structuration d’Anthony Giddens (1987), il fait appel autant au pouvoir des acteurs dans leur contexte qu’à la signification et à la reconnaissance qui sont associées aux tâches à exécuter, aux fonctions cliniques à remplir, aux interventions à mener, au savoir-faire, au savoir-être et à la distribution des ressources matérielles et financières.

Les conditions de faisabilité de l’intégration organisationnelle

Parce que le projet CUR a été reconnu important pour la région et qu’il exige que certaines activités conduites par les partenaires soient intégrées, l’analyse de faisabilité d’un tel projet est apparue essentielle, dès le démarrage du projet. L’étude du projet, en lien avec le cadre théorique choisi, a ainsi permis de mettre au jour trois étapes incontournables qui posent les conditions de réalisation d’un tel projet. Le tableau qui suit résume ces étapes.

Étapes de l’analyse de la faisabilité de l’intégration organisationnelle

Étapes de l’analyse de la faisabilité de l’intégration organisationnelle

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Étape 1 – Tisser les liens entre la finalité du projet et les buts poursuivis par les groupes

En premier lieu, parce que l’intégration se lit à travers les liens organisationnels réalistes à établir entre les groupes d’acteurs de la coopérative et ceux de l’organisation publique, il est essentiel de circonscrire ces liens. Ce sont les activités qui se répètent régulièrement, dites régularisées (ex. : pour les urgences mineures, cela peut être le traitement des infections des voies respiratoires, de la cellulite ou des abcès), activités qui commandent la conduite d’interactions en flots continus entre les groupes d’acteurs interpellés, qu’il est intéressant de prendre en compte. C’est en considérant ces activités que l’analyse doit s’engager, étant donné qu’elles dévoilent l’essence même du projet. Ce dévoilement s’effectue en considérant les buts poursuivis par chaque groupe d’acteurs qui est appelé à mener ces activités. Qu’il s’agisse des médecins, des infirmières ou des dirigeants de la coopérative ou encore du CSSSG, chacun a accepté d’être partie prenante du projet en fonction d’un but précis selon les activités à réaliser. C’est là-dessus que les acteurs font reposer leurs conduites. Par exemple, parce qu’en vertu de la loi les services cliniques doivent être accessibles à tous les citoyens et qu’en plus les membres ont le souci que leur coopérative réponde aux besoins locaux, l’adhésion des dirigeants de la CSA au projet CUR repose sur l’amélioration de l’accessibilité aux services d’urgence de première ligne dans le secteur Aylmer de la ville de Gatineau. Pour les gestionnaires du CSSSG, en vertu des différentes directives ministérielles, c’est un meilleur accès et la réduction de la pression sur ses salles d’urgence qui importent. Ces exemples montrent que, selon les activités à conduire, le but est appelé à se décliner de diverses façons, selon les circonstances.

La recension des buts poursuivis par les différentes parties prenantes est certainement la première étape d’une analyse de faisabilité du projet d’intégration entre la coopérative et l’organisme public. Il s’agit de positionner chacun des groupes d’acteurs, les uns par rapport aux autres, selon leurs buts dans la conduite des activités en lien avec les finalités du projet. Dès lors, certains des défis à relever pourront être dégagés, quant aux rapprochements possibles ou non entre la diversité des buts poursuivis par les parties prenantes du projet et les finalités quant à l’amélioration de l’accessibilité et de la continuité des soins et des services.

Étape 2 – « Contextualiser » les activités régularisées du projet et découvrir les objectifs opérationnels

Étant donné que les activités conduites par les acteurs sont contextualisées, c’est-à-dire qu’elles concernent une question ou un problème à résoudre à un moment donné dans un espace particulier, il faut, dans une seconde étape, y resituer le tout. La contextualité des activités se reconnaît à partir d’une combinaison particulière de règles et de ressources qui guident les conduites de chaque groupe d’acteurs. Ces règles et ces ressources sont, selon StPierre et al. (2006; 2009), les tâches que les acteurs ont à exécuter, les fonctions cliniques ou de gouvernance à remplir, les jeux d’influence et les savoirs (faire et être) dont font preuve les acteurs à un moment donné dans un espace particulier. C’est ce que nous appelons les caractéristiques structurantes. En fonction de ces caractéristiques, chacun des groupes actualise les buts qu’il poursuit en objectifs opérationnels afin de faire face à chaque situation. L’exemple d’une colique hépatique aiguë se présentant un jour de week-end illustre bien cette dynamique structurante contextualisée. Considérant la disponibilité des services d’AOC (accueil et orientation clinique)[2] (du lundi au vendredi), les ressources techniques limitées (diagnostics et graphiques), la nécessité d’une expertise ou d’un savoir spécialisé eu égard à leur fonction de médecin de garde, les omnipraticiens de la CSA choisissent souvent de donner à leur intervention l’objectif de stabilisation de l’état de santé du patient, tout en le dirigeant vers le CSSSG pour des examens diagnostiques plus poussés. Le groupe de médecins spécialistes du CSSSG se donne pour objectif d’intervenir en moins de 24 heures les week-ends auprès des patients dont l’état le commande (ex. : épreuve sanguine supérieure aux standards courants). Étant donné les interférences possibles, et même probables, entre les objectifs de chacun quant aux arrimages entre les activités sous-tendues par le projet, il importe de préciser les caractéristiques, les contextes et les objectifs opérationnels de chaque groupe afin de pouvoir travailler sur ces éléments. Autrement dit, il faut savoir découvrir les activités contextualisées qui importent pour la tenue du projet et y associer ce que les acteurs veulent ou peuvent réaliser.

Étape 3 – Découvrir les moyens spécifiques d’intégration

La troisième étape consiste, à partir de là, à détecter les moyens spécifiques que chaque groupe d’acteurs envisage de prendre. En effet, chacun des groupes consentira à faire certains arrangements avec l’autre groupe pour conduire ses activités propres. C’est pourquoi la mise en évidence de l’adéquation des moyens de chaque groupe d’acteurs pour mener à bien chaque activité régularisée contextualisée doit être faite. Dans le prolongement de l’exemple cité ci-dessus, le groupe de médecins spécialistes du CSSSG acceptera d’accueillir les patients adressés chez eux le week-end par les médecins omnipraticiens de la CSA à condition que l’ensemble des examens (de laboratoire et graphiques) aient déjà été effectués et que, de plus, les autres épreuves diagnostiques soient positives.

Il appert, cependant, que les moyens que chaque groupe entend déployer doivent être adéquats pour répondre aux impératifs d’intégration sous-jacents aux activités à accomplir. Ce qui peut être le cas ou non. Par exemple, les moyens susceptibles d’être pris par les médecins du CSSSG peuvent dépasser les moyens qu’entendent prendre ceux du CSA étant donné les caractéristiques qui les définissent et, de ce fait, les objectifs qu’ils poursuivent dans le projet CUR. Mais, si ces moyens sont adéquats, les médecins de la CSA et ceux du CSSSG seront aptes à mener leurs activités respectives, puisqu’ils obtiendront des réponses satisfaisantes en vue de traiter les questions soulevées ou pour résoudre les problèmes posés.

Cette dichotomie entre adéquation ou inadéquation ne fait pas nécessairement foi de la tenue du projet. Même si les moyens que sont disposés à prendre les acteurs sont inadéquats dans le contexte, les activités pourront ou devront peut-être tout de même être menées. C’est alors que la différenciation entre les acteurs de la coopérative de santé et ceux de l’organisation publique s’accentuera. Cette situation se présente dans le cas où certaines conditions obligeraient la mise en place des activités, tels les dictats d’une instance en position d’autorité ou le financement d’un programme. Si les activités conduites ne répondent pas aux objectifs opérationnels des groupes concernés, l’intégration en est affectée, de telle sorte que les finalités du projet pourraient alors être détournées au profit des objectifs de certains groupes capables d’imposer leurs moyens. Par exemple, lorsque les médecins de la CSA dirigent un patient de la clinique médicale d’urgence réseau vers le plateau technique du CSSSG pour qu’il soit vu en échographie (abdominale), il se peut qu’au bout du compte le patient soit vu après 48 heures, même si les médecins du CSSSG ne voulaient pas dépasser 12 à 24 heures. L’intégration ne répondrait alors pas aux objectifs opérationnels des médecins du CSSSG et, éventuellement, des patients pourraient être refusés, malgré le projet de clinique d’urgence réseau. La récurrence de telles situations peut engendrer auprès des acteurs de la coopérative ou de l’établissement public (ou les deux à la fois) un manque d’intérêt à poursuivre la collaboration. Le projet est donc mis en péril.

La prise en compte des activités régularisées, des buts précis des parties prenantes qui les accomplissent, des contextes au sein desquelles ces activités se déroulent et des objectifs opérationnels qui s’y associent permet de mettre au jour les moyens susceptibles d’être pris par chacun des groupes d’acteurs qui sont parties prenantes d’un projet. C’est cette dynamique qui est à la base de l’intégration et qui permet de baliser les conditions de sa faisabilité afin que le projet atteigne les finalités qui le définissent.

Conclusion

Relativement nouvelles dans le paysage de la santé au Québec, les coopératives de solidarité sont reconnues comme un mode d’organisation utile au renforcement des services de première ligne. À cet égard, il apparaît qu’à l’ère des réseaux locaux de services elles doivent tisser des liens avec les autres organisations du secteur public. C’est ce qu’a choisi de faire la Coopérative Santé Aylmer. En collaboration avec le CSSSG, la CSA élabore ainsi un projet de clinique médicale d’urgence réseau afin de rapprocher les services de première ligne de la communauté locale, dont le traitement des urgences mineures en particulier.

Le fait de situer la constitution de cette clinique médicale d’urgence réseau dans l’optique de la gestion de projet a semblé correspondre à la modalité privilégiée dans la réorganisation du réseau de la santé pour atteindre les finalités relatives aux améliorations de l’accessibilité de la continuité et de la qualité des soins et des services de santé. De plus, c’est par le projet qu’il a été permis de considérer que les études de faisabilité ne pouvaient se permettre de faire l’économie de l’analyse de la faisabilité de l’intégration organisationnelle. Cette analyse, en accord avec les études menées dans le secteur de la santé, commande une lecture dynamique du phénomène, étant donné qu’elle fait appel autant aux résultats des activités quotidiennes qu’aux processus qui les supportent. C’est donc par l’intermédiaire du projet que les coopératives de santé seront en mesure d’établir des liens renouvelables avec les établissements du système public de la santé.

C’est justement ce que le présent article a voulu mettre en lumière en considérant les articulations possibles entre les cadres structurels et les activités des groupes d’acteurs d’une coopérative et ceux d’un CSSS, tout en tenant compte des capacités de ces derniers à établir des objectifs opérationnels et à définir des moyens d’action qui y sont adaptés. Cette dynamique sous-tend les conditions de réalisation du projet en faisant ressortir la contribution nécessaire au projet pour favoriser l’adéquation des moyens et ainsi établir les engagements requis pour favoriser l’intégration voulue.