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Contexte historique et sociopolitique de la protection de l’enfance chez les Premières Nations

Les enfants autochtones sont largement surreprésentés dans les organismes de protection de l’enfance au Canada. En effet, ils représentent 7 % de la population infantile, mais 50 % des enfants pris en charge en Colombie-Britannique ; 8 % de la population infantile, mais 38 % des enfants pris en charge en Alberta ; 23 % de la population infantile, mais 67 % des enfants pris en charge en Saskatchewan ; et 20 % de tous les enfants, mais 78 % de ceux pris en charge au Manitoba (Foster 2007 ; Farris-Manning et Zandstra, 2003 ; Manitoba Aboriginal Justice Inquiry, 2001). Les enfants des Premières Nations constituent 64 % de la population infantile autochtone (Statistique Canada, 2006). Des données probantes indiquent que les enfants des Premières Nations sont plus largement surreprésentés dans les organismes de protection de l’enfance que les autres enfants autochtones. Blackstock, Prakash, Loxley et Wien (2005) ont analysé le taux de placement à l’extérieur du foyer familial des enfants ayant le statut de Premières Nations à partir de trois provinces-échantillons. Ils ont découvert qu’il était trois fois plus élevé que celui des Métis et plus de 15 fois plus élevé que celui des enfants non autochtones. La surreprésentation actuelle des enfants des Premières Nations perpétue un modèle de retrait d’enfants enraciné dans l’histoire coloniale.

Avant la colonisation, les familles et les communautés autochtones s’occupaient de leurs enfants selon leurs pratiques culturelles, leurs lois et leurs traditions. Les détails des systèmes de soins axés sur la culture variaient d’une communauté à l’autre et reflétaient la structure sociale et les traditions culturelles particulières qui définissaient la vie collective. Cependant, les communautés partageaient des caractéristiques de base : appartenance à une famille étendue ; structure communale et vision du monde dans laquelle les enfants étaient considérés comme un cadeau du créateur (Commission royale sur les peuples autochtones, 1996). Plusieurs affaires portées devant les tribunaux ont attesté les formes particulières des responsabilités traditionnelles en vigueur dans les communautés des Premières Nations (Zlotkin, 2009). De plus, bien que les politiques aient perturbé et supprimé les pratiques traditionnelles de soins, de nos jours, les systèmes traditionnels continuent à influencer le parentage et les pratiques de protection de l’enfance chez les Premières Nations.

L’arrivée des colons européens et l’extension subséquente des politiques coloniales aux communautés des Premières Nations ont perturbé les modèles traditionnels de soins. Les colons ont tenté de remplacer ces modèles par des pratiques étatiques qui ont entraîné le retrait de dizaines de milliers d’enfants des Premières Nations de leur communauté. Au début de la colonie canadienne, les pensionnats constituaient les principaux mécanismes de protection de ces enfants. Vers la fin des années 1800, la communauté religieuse s’est efforcée de créer de petites écoles, mais rapidement, l’Église a adopté un format industriel inspiré par les Américains (Milloy, 1999). En vertu de la Loi sur les Indiens, tous les enfants autochtones devaient fréquenter les pensionnats qui servaient aussi d’institutions fournissant des soins pris en charge par l’État à ceux qui étaient victimes de violence ou de négligence dans leur foyer. Plusieurs tactiques ont été employées pour obliger les enfants à fréquenter ces institutions, par exemple l’arrestation des enfants orphelins ou négligés, la coercition des parents et le retrait des enfants par la force (Fournier et Crey, 1997 ; Milloy, 1999). Dans les pensionnats, les enfants étaient soumis à la suppression de leur culture ainsi qu’à la surpopulation, aux maladies, à la négligence et à la violence (Bryce, 1922 ; Commission royale sur les peuples autochtones, 1996 ; Milloy, 1999).

La phase suivante de l’histoire de la protection de l’enfance autochtone, période appelée « rafle des années 1960 », se situe dans le prolongement de l’opposition croissante aux pensionnats et de la révision majeure de la Loi sur les Indiens. L’article 88, adopté en 1951, décrétait que les lois provinciales s’appliquaient à tous « les Indiens de la province » (Loi sur les Indiens, 1985). La protection de l’enfance était de compétence provinciale et territoriale et, par conséquent, il incombait à chaque province et territoire de fournir des services aux enfants et aux familles des Premières Nations qui vivaient sur leur territoire. Les rapports établis pendant cette période indiquent que les enfants des Premières Nations ont été retirés de leur communauté en grand nombre, parfois sans autre raison que la pauvreté ou les différences culturelles en matière de parentage (Armitage, 1995). Le pourcentage d’enfants des Premières Nations pris en charge par les organismes de protection de l’enfance était près de zéro en 1950, or en 1980, les enfants des Premières Nations ayant le statut d’Indien, qui composaient 2 % de la population infantile du Canada, représentaient plus de 12 % des enfants pris en charge. Cette surreprésentation a été bien supérieure dans certaines provinces. Plusieurs des enfants arrêtés ont été retirés de leur foyer et de leur communauté pour toujours et plus de 11 000 enfants autochtones, jusqu’à un tiers de la population infantile dans certaines communautés des Premières Nations, ont été adoptés entre 1960 et 1990 (Commission royale sur les peuples autochtones, 1996).

Les préoccupations croissantes concernant l’ampleur des retraits et le traitement des enfants des Premières Nations par les autorités provinciales chargées de la protection de l’enfance ainsi que l’activisme accru des Premières Nations ont jeté les bases du changement majeur suivant en matière de protection de l’enfance autochtone : l’émergence des agences de services à l’enfance et à la famille chez les Premières Nations. Le transfert généralisé des responsabilités de protection de l’enfance aux communautés des Premières Nations a commencé dans les années 1980. Le nombre d’organismes des Premières Nations est passé de quatre en 1981 à 30 en 1986 (Armitage, 1995). La plupart des agences qui sont apparues pendant cette période et dans les années suivantes fonctionnent selon un « modèle de services délégués » par lequel les provinces leur concèdent l’autorité de fournir des services de protection de l’enfance conformément aux lois et aux normes provinciales (Blackstock, 2003). En 1991, après un moratoire de cinq ans sur la reconnaissance des nouvelles agences des Premières Nations, Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC) a établi une formule unique, connue sous le nom de directive 20-1, pour financer les agences de services à la famille et à l’enfance des Premières Nations (INAC, 2007). Plusieurs études subséquentes (Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, 2005 ; INAC, 2007 ; MacDonald et Ladd, 2000) ont révélé des vices de forme graves dans la directive 20-1 et dans les ententes existantes à propos de la fourniture de services aux enfants des Premières Nations. Les préoccupations clés portent notamment sur le sous-financement des services administratifs et des allocations d’entretien des enfants des Premières Nations, le défaut de financer les services préventifs ou de soutien destinés aux familles d’enfants non pris en charge ainsi que les graves conflits de compétence qui compromettent la qualité et l’efficacité des services offerts à ces enfants.

Malgré les limites bien documentées que la directive 20-1 et le modèle délégué imposent aux agences de protection de l’enfance des Premières Nations, le nombre et la portée de ces agences ont continué à augmenter. En 2008, le gouvernement a chargé 86 de ces agences de mener des enquêtes en matière de protection de l’enfance (Felstiner, 2008). Plusieurs d’entre elles offraient des services aux familles dans les réserves et hors réserves. De plus, plusieurs ont adopté des programmes et des pratiques qui favorisent des approches préventives, communautaires et adaptées à la réalité culturelle de la clientèle. Elles ont ainsi établi une base permettant de s’éloigner du modèle passé basé sur des stratégies de retrait d’enfants (Blackstock, 2003 ; McKenzie et Flette, 2003). En plus, la recherche suggère que les services de santé et d’education contrôlés par les Autochtones peuvent constituer un élément de « continuité culturelle » qui est lié à un taux de suicide moins élevé (Chandler et Lalonde, 1998). Ainsi, il est possible qu’en plus des impacts directs sur les familles et sur le système de protection de l’enfance, les services de protection de l’enfance contrôlés par les Autochtones procurent aussi des bénéfices indirects à ces communautés. Les agences de services à l’enfant et à la famille des Premières Nations sont porteuses de grandes promesses en ce qui concerne l’amélioration des conditions des enfants.

L’évolution récente de la situation entraîne un grand potentiel de changement en ce qui a trait à la structure de la protection de l’enfance chez les Premières Nations. Le AINC a reconnu l’impact négatif de la directive 20-01 et a conclu que le mode de financement « a probablement été l’un des facteurs ayant mené aux augmentations du nombre d’enfants pris en charge et des dépenses du programme, car il a eu pour effet d’inciter les organismes à choisir des solutions axées sur la prise en charge – le placement en famille d’accueil, les foyers pour enfants et les soins en établissement – étant donné que seuls les coûts de ces organismes sont intégralement remboursés » (AINC, 2007, p. ii). Le AINC s’efforce de remplacer la directive 20-1 et est en train d’introduire de nouveaux accords de financement qui sont plus souples et plus proches des exigences provinciales dans tout le pays. L’effet total du nouveau modèle de financement reste à voir, mais ce changement pourrait fournir des ressources supplémentaires pour aider les familles à garder leurs enfants à la maison. De plus, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations ont formulé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) alléguant que le sous-financement chronique qui leur est alloué pour la protection de l’enfance équivaut à un traitement discriminatoire envers les enfants de ces peuples. Bien que les tribunaux n’aient pas encore entendu la plainte, celle-ci pourrait entraîner une augmentation importante des ressources des agences de services à l’enfant et à la famille des Premières Nations.

Collaborations entre l’université et la communauté pour la recherche sur la protection de l’enfance chez les Premières Nations

La recherche sur la protection de l’enfance chez les Premières Nations pourrait grandement améliorer le soutien et les services offerts aux enfants et à leurs familles qui entrent en contact avec le système de protection de l’enfance. Elle favoriserait la modification du système de financement des agences de protection et réduirait les conséquences négatives involontaires du changement relatif aux politiques. La recherche permettrait de déterminer les besoins particuliers auxquels il faut répondre pour améliorer les services destinés aux enfants des Premières Nations et de présenter les modèles fructueux déjà utilisés par les agences qui offrent ces services. Elle pourrait aussi mettre en lumière les pratiques et les politiques actuelles qui contribuent à la surreprésentation des Premières Nations et soutenir la création de programmes ou de politiques portant sur les facteurs structurels en cause. Enfin, la recherche soutiendrait aussi la conception de méthodes d’évaluation appropriées des nouvelles approches en protection de l’enfance chez les communautés des Premières Nations.

Le développement de recherches qui peuvent étayer les pratiques basées sur des données probantes en matière de protection de l’enfance chez les Premières Nations dépend de l’existence de solides relations de collaboration entre les chercheurs universitaires et les organismes de protection de l’enfance de ces peuples. La capacité de recherche des agences de services sociaux est généralement limitée (Trocmé et Chamberland, 2003) et le sous-financement important des organismes de protection de l’enfance des Premières Nations signifie que leurs capacités de recherche sont encore plus limitées que celles des agences fournissant des services aux non-Autochtones (Vérificatrice générale du Canada, 2008). Ces limites posent des défis particuliers compte tenu de la sophistication technologique requise pour effectuer des recherches de grande qualité sur la protection de l’enfance chez les Premières Nations. La cooccurrence des facteurs de risque structurels, l’imbrication des enfants dans de multiples unités sociales et la nature dynamique des placements d’enfants en protection de l’enfance et de la structure familiale nécessitent l’utilisation d’outils méthodologiques de pointe. En conséquence, le nombre croissant d’efforts en matière de recherche sur la protection de l’enfance au sein de la communauté des Premières Nations pourrait grandement bénéficier des ressources, de l’expérience et du soutien technique des universités.

De la même façon, les chercheurs universitaires ne peuvent pas effectuer de recherches valables concernant la protection de l’enfance chez les Premières Nations sans la collaboration des organismes concernés. Comme l’a écrit Brown (2005, p. 80) :

L’absence générale de normes culturelles conformes à l’éthique (Haig-Brown et Archibald, 1996), le manque de respect envers les croyances culturelles des communautés (Norton et Manson, 1996), l’incapacité de mener des recherches qui tiennent compte des perspectives et des besoins des communautés (Korsmo et Graham, 2002) ainsi que le détournement des connaissances indigènes (Canada 1999) ont créé une atmosphère de méfiance à l’égard des chercheurs chez de nombreux membres de la communauté autochtone.

Cela complique l’accès des chercheurs à ces communautés et surtout aux données délicates sur les enfants et les familles. De plus, il existe une grande diversité d’expériences en matière de protection de l’enfance, de modèles de pratique et de milieux socioculturels dans les communautés des Premières Nations. Enfin, la documentation existante permettant d’orienter le choix des procédures d’échantillonnage, la création d’instruments de recherche ou l’interprétation des résultats dans un milieu particulier est rare. Par ailleurs, lorsque les organisations des Premières Nations chargées de la protection de l’enfance agissent à titre de partenaires égaux dans les projets de recherche, elles peuvent aider à produire et à diffuser des recherches qui portent particulièrement sur les besoins et les intérêts de la communauté, faire le lien avec ses membres, faciliter la conception d’instruments de recherche qui rendent bien compte des expériences des enfants et des familles des Premières Nations et qui garantissent que les processus de recherche produisent des données fiables et des résultats valables. De la même façon, les connaissances basées dans la communauté sont essentielles à la conception, à l’analyse et à la diffusion des étapes des projets de recherche concernant la protection de l’enfance des Premières Nations.

Étant donné l’importance et la complexité de la recherche portant sur ces communautés, plusieurs groupes ont émis des lignes directrices qui peuvent aider à structurer les collaborations entre la communauté et les universités qui souhaitent que la recherche débouche sur un outil permettant d’améliorer la vie des enfants et des familles des Premières Nations. Les principes sont les suivants : la propriété, le contrôle et la possession du savoir et des produits obtenus grâce à la recherche et l’accès à ces ressources (PCAP, Centre des Premières Nations, 2007). Ces principes offrent un cadre important permettant de comprendre, d’évaluer et de planifier la recherche collaborative. Le principe de possession décrit la relation collective entre les membres d’une Première nation et leurs connaissances, leurs données et leurs informations culturelles sous toutes leurs formes. Le principe du contrôle reflète l’objectif des communautés des Premières Nations de superviser tous les aspects de la gestion de l’information y compris les ressources, l’élaboration et la mise en place de politiques, les processus de révision, la formulation de cadres conceptuels, la gestion des données, etc. Le principe d’accès signifie le droit des personnes des Premières Nations d’accéder à leurs données personnelles et à celles de leur nation, peu importe où elles sont conservées, ainsi que le droit des communautés et des organisations des Premières Nations de gérer et de prendre des décisions concernant l’accès à leur information collective. Le fait de posséder physiquement les données facilite la revendication et la protection de la propriété des données et du contrôle de leur gestion (CPA, 2007). L’adhésion aux principes de PCAP doit tenir compte du contexte des projets de recherche individuels. La création de structures et de processus qui contribuent le plus au respect de ces principes permet d’établir une base de collaboration solide entre les universités et la communauté des Premières Nations.

L’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants : recherche à l’échelle nationale sur les services de protection de l’enfance des Premières Nations au Canada

L’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants (ÉIC) témoigne de l’effort national visant à recueillir des données sur les enfants dont le cas est signalé aux autorités de protection de l’enfance à cause de violence ou de négligence présumée ou soupçonnée. L’objectif principal de l’ÉIC est de fournir une estimation fiable du nombre de cas déclarés de négligence et de violence envers les enfants. Le deuxième objectif est de comparer les résultats au fil du temps ; en conséquence, la collecte de données s’effectue selon un cycle quinquennal. Avant le premier cycle de l’ÉIC, il n’y avait pas de données nationales fiables sur le nombre de cas déclarés de maltraitance envers les enfants au Canada.

Depuis le premier cycle en 1998, l’équipe de recherche de l’ÉIC a adopté une approche progressive du renforcement des capacités en créant une composante Premières Nations en partenariat avec la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SSEFPN), le groupe national qui soutient les agences des Premières Nations, afin d’analyser les données sur les enquêtes concernant les enfants de ces peuples. La composante Premières Nations de l’ÉIC, qui est la seule étude nationale sur les enquêtes chez ces peuples, permet de recueillir des données provenant de deux sources : un échantillon représentatif sur le plan national d’agences de protection de l’enfance provinciales et territoriales et un échantillon d’agences des Premières Nations. Pour le cycle de 1998, l’ÉIC comprend trois agences des Premières Nations et les chercheurs de l’ÉIC ont collaboré avec la SSEFPN à l’analyse des données sur les Premières Nations et à la diffusion des résultats. En 2003, avec la participation continue de la SSEFPN, la composante Premières Nations a été étendue afin d’inclure huit agences des Premières Nations. Le cycle de 2008 comprend 21 de ces agences et constituera la première étude permettant de comparer les enquêtes effectuées par les Premières Nations et celles des agences non autochtones.

L’ÉIC-2003 a révélé environ 100 327 cas de maltraitance corroborée envers les enfants au Canada ; 12 111 (8,3 %) enquêtes de l’ÉIC-2003 impliquaient des enfants des Premières Nations. La négligence était la principale forme de maltraitance dans 56 % des enquêtes corroborées chez les Premières Nations comparée à 22 % pour la population non autochtone. L’ÉIC-2003 a démontré que ces cas de négligence et la surreprésentation des enfants des Premières Nations étaient clairement liés à des conditions structurelles et aux facteurs de risque inhérents aux donneurs de soins. Les enfants des Premières Nations sont plus susceptibles d’être signalés aux autorités de protection de l’enfance que les enfants non autochtones manifestant les mêmes caractéristiques de maltraitance. À cause des facteurs de risques structurels des multiples donneurs de soins liés à leur cas, ils sont aussi plus susceptibles de faire l’objet d’une enquête corroborée pour maltraitance ; d’être placés à l’extérieur de leur foyer familial ; en outre, leur dossier est plus susceptible de demeurer ouvert parce qu’ils bénéficient de services continus. En conséquence, les enfants des Premières Nations, qui représentent 5 % de la population infantile canadienne, constituent plus du quart des enfants placés à l’extérieur de leur foyer au Canada (Trocmé et al., 2006). La SSEFPN a joué un rôle fondamental en utilisant ces résultats pour défendre les droits des enfants des Premières Nations. De plus, ces résultats ont servi à étayer l’ébauche des commentaires généraux sur les droits des enfants autochtones rédigés par le Comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant, à élaborer une proposition de mode de financement national des agences de protection de l’enfance des Premières Nations et à restructurer des services communautaires de protection de l’enfance.

Au cours des deux dernières années, la collaboration entre la communauté et les universités, qui oriente la composante Premières Nations de l’ÉIC, s’est considérablement accrue et a été officialisée. Pour se préparer à l’ÉIC-2008, la SSEFPN a pris les devants et a formé un comité consultatif pour l’ÉIC qui comprend des représentants de chaque organisation-cadre chapeautant les agences provinciales de services à l’enfant et à la famille des Premières Nations, de l’Assemblée des Premières Nations (qui représente les Premières Nations à l’échelle nationale) et de la SSEFPN. Le comité consultatif, outre d’avoir contribué au cadre d’échantillonnage de l’étude, a aidé à assurer le respect des lignes directrices en matière d’éthique de la recherche et facilité le recrutement des agences. L’échantillon de l’étude comprend 21 des 86 agences des Premières Nations qui effectuent des enquêtes sur la maltraitance des enfants au Canada. Le recrutement et la rétention de ce grand nombre d’agences auraient été impossibles sans la connaissance et les liens des membres du comité consultatif avec les agences des Premières Nations. Les membres du comité consultatif supervisent actuellement les analyses primaires des données de l’ÉIC-2008 sur les Premières Nations ; ils contribueront aussi à établir les paramètres des analyses secondaires et faciliteront la diffusion de la recherche.

Compromis relatifs aux principes PCAP

Les relations de collaboration entre les chercheurs de l’ÉIC et les membres du comité consultatif des Premières Nations qui déterminent la composante Premières Nations de l’ÉIC-2008 sont façonnées par trois préoccupations : la protection de l’anonymat des familles, des agences et des employés au sujet desquels et auprès desquels les données sont recueillies, le respect des forces et des limites du devis de l’ÉIC et l’adhésion aux principes de PCAP. La collaboration est basée sur une entente en vertu de laquelle l’équipe de recherche ne recueillera pas et n’analysera pas de données particulières aux Premières Nations sans l’approbation et les conseils du comité consultatif. De plus, cette entente stipule que les propositions d’analyses secondaires qui établissent une distinction entre les agences des Premières Nations et les agences non autochtones doivent recevoir l’approbation du comité consultatif. Ces activités s’effectuent conformément à un processus itératif continu par lequel l’équipe de recherche évalue et présente les prochaines étapes éventuelles du projet de recherche, les membres du comité offrent des conseils et formulent des commentaires, l’équipe de recherche effectue les tâches prioritaires approuvées par le comité, puis fait rapport des résultats et précise les prochaines étapes éventuelles. L’équipe de recherche assume la principale responsabilité consistant à assurer que les processus et les analyses de l’étude respectent les forces et les limites du devis de recherche et protègent l’anonymat des familles, des employés et des agences faisant partie de l’échantillon. Le comité consultatif des Premières Nations en matière d’ÉIC, qui arbitre la propriété et le contrôle du projet, a pour mandat de s’assurer que l’ÉIC respecte le plus possible les principes PCAP étant donné qu’il s’agit d’une étude cyclique qui recueille des données sur les enquêtes concernant les Premières Nations, les autres Autochtones et la population générale.

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L’intégration de la composante Premières Nations de l’ÉIC dans une étude nationale plus large impose une limite à la propriété et au contrôle des Premières Nations. Les agences de protection de l’enfance des Premières Nations et le comité consultatif acceptent cette limite parce qu’ils ont pris l’engagement commun de produire de la recherche de grande qualité. Pour que les résultats de l’ÉIC soutiennent le développement et la mise en oeuvre de politiques et de pratiques qui servent mieux les enfants des Premières Nations, le niveau de rigueur scientifique doit inspirer confiance aux décideurs politiques et aux législateurs, c’est pourquoi la valeur de cette rigueur justifie l’imposition de certaines restrictions à la propriété et au contrôle des Premières Nations sur le projet. Par exemple, les chercheurs de l’ÉIC-2008 ont eu recours à un instrument en majeure partie basé sur le formulaire de 2003. Le formulaire a été créé après un processus intensif de révision basé sur les commentaires des universitaires et des intervenants en protection de l’enfance ; les chercheurs de l’ÉIC ont conçu un instrument que les employés pouvaient facilement comprendre et utiliser et dont la fiabilité a été démontrée (Knoke, Trocmé, MacLaurin et Fallon, 2009). L’adaptation de ce formulaire a été un élément fondamental permettant d’obtenir un taux de réponse élevé (le taux de réponse de l’étude de 2003 était de 99 %). Cependant, l’étude limitait la propriété de la composante Premières Nations de l’ÉIC-2008 du comité consultatif. Ainsi, il y a eu un compromis clair entre le contrôle du comité sur le type de données recueillies auprès des agences des Premières Nations et l’objectif de produire des comparaisons valables et fiables entre les enquêtes menées auprès de ces peuples et des non-Autochtones, enquêtes qui peuvent significativement éclairer l’élaboration de pratiques et de politiques basées sur des données probantes destinées à la protection de l’enfance chez les Premières Nations.

De la même façon, la volonté commune de protéger la confidentialité de l’information et l’anonymat des agences et des familles à propos desquelles les données sont recueillies atténue le contrôle des Premières Nations sur les produits de l’ÉIC, la possession de ces produits et l’accès dont elles peuvent disposer. Le degré de cumul des données présentées dans les rapports et les articles sur l’ÉIC exclut l’identification des agences, des employés, des familles ou des enfants. De plus, le cadre de l’échantillon ne permet pas de procéder à une analyse significative et détaillée des données concernant des agences particulières. Enfin, pour assurer la confidentialité de l’information partagée par les employés, les agences reçoivent des rapports de données cumulatives plutôt que des fichiers contenant des données désagrégées. Ces étapes visant à protéger la confidentialité et l’anonymat limitent directement la possession des agences et des nations relative aux données de l’ÉIC et à leur analyse ainsi que l’accès dont elles disposent. Cependant, combinées aux autres dispositions importantes visant à respecter l’anonymat et la confidentialité (l’ÉIC ne génère aucun contact direct avec les enfants ni avec les familles, ne reçoit pas d’information permettant d’identifier les personnes de la part des agences participantes et les employés des agences ont pour instruction de remplir des feuilles de collecte de données en se basant sur l’information qui devrait déjà figurer au dossier des familles), ces mesures jouent un rôle clé parce qu’elles permettent d’assurer que les agences et les employés sont disposés à participer à l’étude. Ainsi, les limites à l’accès, au contrôle et à la possession des produits de l’ÉIC jouent un rôle fondamental parce qu’elles garantissent un taux de réponse élevé, la validité des résultats et, finalement, la valeur des résultats de l’ÉIC chez les Premières Nations et contribuent à la défense de leurs droits.

Une approche axée sur le renforcement des capacités

Le succès de la composante Premières Nations de l’ÉIC à ce jour se base sur une approche progressive du renforcement des capacités en matière de recherche sur la protection de l’enfance chez les Premières Nations. Cette approche est évidente dans l’évolution de la composante d’un cycle à l’autre. Dans le premier cycle, le partenariat informel avec la SSEFPN comprenait un projet pilote de petite envergure consistant à étudier les agences des Premières Nations. Le partenariat entre l’équipe de recherche et une organisation des Premières Nations digne de confiance et bien en vue a permis de construire un savoir de base commun afin de soutenir l’expansion dans les cycles subséquents. Une approche mesurée du développement de la recherche dans les cycles subséquents a permis de maintenir la qualité technique de la recherche et, en conséquence, de réussir à diffuser les résultats. L’équilibre entre le maintien de l’intégrité de la recherche et l’élargissement de la composante Premières Nations a profondément inspiré les membres du comité consultatif et a entraîné la confiance des agences envers le projet ; il est prévu de continuer à viser une étude à grande échelle sur l’incidence des Premières Nations permettant aux représentants de ces peuples d’augmenter le niveau de propriété des résultats et des données et d’exercer un plus grand contrôle.

En plus du renforcement des capacités qui découle de la collaboration entre l’équipe de recherche et le comité consultatif, plusieurs autres formes de renforcement complémentaire sont liées à la composante Premières Nations de l’étude et dépassent la simple collecte et analyse des données ; en voici des exemples :

  • Le recrutement et la formation des chercheurs autochtones. Des chercheurs d’ascendance des Premières Nations ou autochtone ont facilité la collecte de données dans deux tiers des agences des Premières Nations incluses dans l’échantillon de l’ÉIC-2008. Ces chercheurs ont reçu une formation pratique intensive en recherche quantitative à l’échelon national.

  • Les ateliers sur les méthodes quantitatives en recherche sur la protection de l’enfance chez les Autochtones. Les membres de l’équipe de recherche ont commandité deux ateliers gratuits de quatre jours afin d’offrir une formation pratique sur les méthodes de recherche. Ces ateliers organisés en 2008 et 2009 ont attiré 36 participants y compris des administrateurs des agences de services à l’enfant et à la famille et du personnel de la recherche, des étudiants et des membres du corps enseignant. Il est prévu de commanditer ces ateliers tous les ans et de concevoir un programme de suivi afin de fournir un soutien continu aux participants qui entreprennent leur propre projet de recherche.

  • Le développement de documentation supplémentaire et d’outils de recherche. La littérature existante sur la protection des enfants des Premières Nations n’est pas très développée. Les données sont souvent mal référencées ; en outre, les pratiques de base et les informations sur les programmes peuvent être difficiles à localiser. La construction d’une base bibliographique plus solide va faciliter l’accès aux recherches sur la protection des enfants des Premières Nations. Pour cette raison, la composante Premières Nations de l’ÉIC emploie une approche systématique pour la compilation et la publication d’informations fondamentales et contextuelles. Les projets en cours incluent le développement de fiches d’informations qui vont décrire les structures de protection des enfants des Premières Nations à travers chaque province, des cartes montrant le rayon d’action des agences de services pour les enfants et les familles des Premières Nations, ce qui va permettre le regroupement de données de recensement au niveau de l’agence et la documentation de variations à travers différentes agences.

  • Le soutien aux initiatives visant le renforcement des capacités internes en matière de recherche entreprise par les agences des Premières Nations. Le Centre for Research on Children and Families de l’Université McGill qui héberge une partie de l’équipe de recherche de l’ÉIC a alloué des fonds au soutien des agences des Premières Nations intéressées à accroître leur capacité interne à collecter et à analyser des données. Les chercheurs rattachés au centre travaillent actuellement sur un certain nombre de projets en collaboration avec les agences et les organisations de protection de l’enfance des Premières Nations.

Le renforcement des capacités engendré par ces activités est bidirectionnel. Les efforts visent à augmenter les capacités des Premières Nations à mener leurs propres recherches et à utiliser la recherche existante. Ces efforts permettent aussi d’élargir le bassin de personnes qui peuvent être désireuses de défendre les besoins des Premières Nations, de participer à la recherche ou de devenir membres de l’équipe de recherche pour les ÉIC futures. Cependant, ces efforts sont aussi utiles pour le rôle qu’elles jouent en matière de renforcement des capacités de l’équipe de recherche. La participation des chercheurs des Premières Nations, du comité consultatif, des étudiants et des agences aide à façonner les approches et les programmes en matière de recherche et d’enseignement. Elle permet aux membres de l’équipe de recherche de mieux comprendre les points de vue des Premières Nations, leur contexte et les expériences vécues. Par conséquent, les efforts bidirectionnels de renforcement des capacités liés à la composante Premières Nations de l’ÉIC visent l’objectif à long terme d’estomper les frontières entre la communauté et les universités en matière de protection de l’enfance chez les Autochtones et à faciliter la coproduction de connaissances qui reflètent les forces des deux groupes.