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Introduction

Depuis le début des années 1990, la question de l’adéquation des services et des programmes offerts aux adolescentes prises en charge par la justice suscite un intérêt grandissant, tant de la part des gestionnaires des milieux d’intervention, des organismes gouvernementaux que des chercheurs (Hubbard et Matthews, 2008 ; Zahn et al., 2009). En effet, en réponse à la présence accrue des adolescentes au sein du système de justice pour mineurs (Bélanger et Ouimet, 2010 ; Steffensmeier et al., 2005), d’importantes réflexions alimentent les écrits sur les meilleures pratiques à promouvoir pour les adolescentes en difficulté. Ces réflexions portent notamment sur le besoin d’ajuster ou non les programmes d’intervention en fonction du sexe de la clientèle desservie par le système de justice pour mineurs (Hubbard et Matthews, 2008). À ce titre, certaines études prônent l’élaboration de programmes d’intervention qui soient propres aux filles (Belknap et Holsinger, 1998 ; Bloom et al., 2002). Les programmes élaborés pour prévenir la délinquance des garçons sont alors jugés non pertinents pour les filles. D’autres études proposent des pistes plus nuancées, en reconnaissant à la fois les similarités et les différences entre les sexes en regard des facteurs de risque associés à la délinquance, des besoins de réadaptation et de la réceptivité au traitement. L’élaboration de programmes adaptés ou sensibles aux différences entre les sexes est alors prescrite (Bonta, 1995 ; Kempf-Leonard et Sample, 2000 ; Lanctôt, 2006 ; Hubbard et Matthews, 2008).

Malgré le nombre croissant d’études qui s’interrogent sur les meilleures pratiques à privilégier pour les adolescentes qui présentent des difficultés de comportement, très rares sont celles qui évaluent les effets des programmes d’intervention offerts à cette clientèle. Deux études récentes font état de la rareté des connaissances issues de la recherche évaluative. D’une part, Hipwell et Loeber (2006) ont recensé de façon systématique les études qui évaluent les effets de programmes d’intervention dispensés dans les services de la santé ou de la justice et qui portent spécifiquement sur le trouble de la conduite ou sur la délinquance. De toutes les études évaluatives recensées jusqu’en 2005, rares sont celles qui concernent exclusivement des adolescentes (n = 3) ou qui évaluent si les effets d’un programme donné varient selon le sexe des adolescents et des adolescentes (n = 5). D’autre part, un groupe de recherche a fait l’inventaire de tous les programmes offerts au sein du système de justice pour mineurs aux États-Unis (Zahn et al., 2009). À partir de cette recension, 62 programmes destinés exclusivement à des adolescentes prises en charge par la justice ont été repérés. Cependant, peu de ces programmes (n = 9) ont été soumis à un processus quelconque d’évaluation. Zahn et ses collègues (2009) ont aussi recensé les programmes qui sont offerts à la fois aux adolescents et aux adolescentes judiciarisés. Encore une fois, très peu d’études (n = 6) ont évalué si les effets de ces programmes varient selon le sexe de la clientèle.

En plus de la rareté des études évaluatives ayant été menées à ce jour auprès d’adolescentes desservies par les services sociaux ou de la justice en raison de leurs difficultés de comportement, les effets des programmes évalués sont difficiles à définir et à synthétiser (Hipwell et Loeber, 2006 ; Zahn et al., 2009). D’abord, les fondements théoriques des programmes, ainsi que leurs modalités, leurs approches thérapeutiques et leurs cibles d’intervention varient considérablement d’une étude à l’autre. Plus important encore, rares sont les devis de recherche qui incluent à la fois un groupe expérimental et un groupe contrôle. Il est alors impossible d’affirmer si les changements observés entre le début et la fin de l’intervention sont attribuables aux programmes d’intervention en soi. De plus, les études recensées portent souvent sur de très petits échantillons, ne précisent pas exactement la taille des effets observés, documentent très rarement le processus d’implantation des programmes, n’évaluent pas les effets du degré d’exposition aux programmes et ne sont pas en mesure d’établir si les effets des programmes se maintiennent à moyen et long terme. De toute évidence, l’évaluation de programmes destinés, de façon spécifique ou non, à des adolescentes qui présentent des difficultés de comportement est un domaine de recherche encore embryonnaire. Face à ce constat, et reconnaissant tout de même l’apport des études évaluatives ayant été menées jusqu’à présent, Hipwell et Loeber (2006 : 249) affirment : « Studies are however, beginning to investigate what works, when, and how for girls. This is an important first step. »

Pendant que les connaissances sur les meilleures pratiques à promouvoir pour réduire les difficultés de comportement des adolescentes se profilent peu à peu, les professionnels du système de justice juvénile font face à une réalité qui nécessite que des initiatives soient mises en place à un rythme beaucoup plus rapide. En effet, l’implantation de programmes efficaces destinés aux adolescentes prises en charge par la justice est désormais définie comme une priorité (Zahn et al., 2009). Cette importance portée à la clientèle féminine peut s’expliquer de diverses façons. D’une part, les besoins des adolescentes en matière d’intervention ont longtemps été relégués au second plan, ceci parce que les programmes et les services offerts par le système de justice se sont principalement élaborés en fonction des facteurs de risque et des besoins qui caractérisent les adolescents, et non pas en fonction de ceux des adolescentes (Hipwell et Loeber, 2006 ; Lanctôt, 2006 ; Zahn et al., 2009). D’autre part, la hausse des mises en accusation portées contre des adolescentes, surtout pour des délits de violence, les problématiques complexes qui caractérisent les adolescentes judiciarisées, dont la co-occurrence des troubles intériorisés et des troubles extériorisés, ainsi que le haut degré de difficulté que les intervenants associent à l’intervention auprès de cette clientèle justifient le besoin des intervenants et des gestionnaires de trouver des solutions efficaces pour répondre aux difficultés des adolescentes (Lanctôt, 2010).

Devant l’absence de données probantes sur les programmes d’intervention destinés aux adolescentes qui présentent des difficultés de comportement, les milieux d’intervention tendent à s’appuyer sur des pratiques dont les effets probants ont été rapportés, mais pour la clientèle masculine. À cet effet, plusieurs méta-analyses rapportent que les programmes de type cognitif-comportemental se classent parmi les plus efficaces pour traiter les problèmes sérieux de comportement et de délinquance (Lipsey, 1990 ; Latimer et al., 2003 ; Sukhodolsky et al., 2004 ; Landerberger et Lipsey, 2005 ; Lòsel et Beelmann, 2006). Or, dans la foulée des questionnements rapportés plus haut quant à la nécessité d’élaborer ou non des programmes qui soient spécifiques aux filles, l’application de programmes de nature cognitive-comportementale à des adolescentes en difficulté est fortement controversée :

The application of cognitive-behavioral approaches to female offenders is one of the most contentious areas in programming for female offenders.

Hubbard et Matthews, 2008 : 238

Certains chercheurs émettent des critiques d’ordre épistémologique en argumentant que les filles et les garçons ont des besoins fondamentalement différents en matière d’intervention. En ce sens, les programmes de nature cognitive-comportementale se centreraient trop sur la régulation de la colère afin de diminuer la propension à la violence, au détriment d’une intervention visant à atténuer des problèmes plus spécifiques aux filles, comme les troubles intériorisés et les difficultés relationnelles (Cummings et Leschield, 2002), ainsi que les conditions d’oppression auxquelles elles sont exposées (Kendall et Pollack, 2003). D’autres critiques mettent plutôt en cause le manque d’évidences empiriques (Cameron et Telfer, 2004 ; McCart et al., 2006). Bien que plusieurs méta-analyses qualifient les programmes de type cognitif-comportemental de prometteurs (Lipsey, 1990 ; Latimer et al., 2003 ; Sukhodolsky et al., 2004 ; Landerberger et Lipsey, 2005 ; Lòsel et Beelmann, 2006), les études retenues dans l’ensemble de ces méta-analyses reposent majoritairement, voire entièrement, sur des échantillons masculins. Par exemple, une méta-analyse récente porte sur les programmes de type cognitif-comportemental visant spécifiquement les jeunes qui présentent des conduites antisociales (McCart et al., 2006). Parmi les 40 études évaluatives recensées, aucune ne porte sur un échantillon composé majoritairement de filles. Quant aux études menées auprès d’échantillons mixtes (n = 16), rares sont celles qui rapportent les effets des programmes de façon distincte pour chaque sexe.

Dans une démarche de recherche plus exploratoire, deux études suggèrent que les programmes de type cognitif-comportemental qui visent l’acquisition d’habiletés sociales semblent répondre aux besoins des adolescentes prises en charge par la justice (Holsinger et al., 1999 ; Lanctôt, 2006). L’étude de Lanctôt (2006) a été menée auprès de 132 adolescentes hébergées en centre jeunesse. Les adolescentes devaient rapporter jusqu’à quel point il serait important pour elles de participer à diverses activités de réadaptation. Parmi la trentaine d’activités suggérées, celles qui cadraient avec une approche cognitive-comportementale étaient jugées parmi les plus importantes. Les besoins de ces adolescentes en matière de réadaptation ont aussi été évalués en fonction des perceptions de leurs intervenants. Ces résultats attestent à leur tour de la valeur d’une approche cognitive-comportementale. Plus précisément, environ 60 % des adolescentes ont reconnu l’importance d’apprendre à mieux interagir avec autrui, à mieux gérer leur stress, à mieux régulariser leur colère et à résoudre des problèmes d’une façon prosociale. Une écrasante majorité d’intervenants (plus de 80 %) notait aussi l’importance de ces ateliers d’apprentissage pour les adolescentes auprès de qui ils travaillaient. L’étude de Holsinger et al. (1999), menée aux États-Unis avec un échantillon comparable d’adolescentes, arrive à des conclusions semblables. En somme, selon ces études, l’importance et la pertinence d’un programme de nature cognitive-comportementale auprès des adolescentes qui présentent des difficultés de comportement ne semblent faire aucun doute, tant dans l’esprit des adolescentes que des intervenants qui s’occupent d’elles. Il est donc nécessaire de réaliser une étude évaluative au moyen d’un devis de recherche rigoureux afin de vérifier les effets véritables de ce type de programme d’intervention. Plus précisément, les objectifs du présent article sont :

  1. d’évaluer les effets à court terme d’un programme cognitif-comportemental sur les difficultés de comportement d’un échantillon d’adolescentes en difficulté ;

  2. de vérifier si les effets du programme varient selon le degré auquel les adolescentes y participent ;

  3. de mesurer la taille des effets observés.

Le programme d’intervention évalué et l’intégrité de son implantation

Le programme cognitif-comportemental évalué dans le cadre de la présente étude est celui qui a été défini par Le Blanc, Dionne, Proulx, Grégoire et Trudeau-LeBlanc (1998). Ce programme s’adresse aux jeunes en difficulté, sans spécificité en regard du sexe. Il est implanté, entre autres, dans neuf unités d’hébergement pour adolescentes du Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire (CJM-IU). L’objectif du programme est de réduire la fréquence des cognitions et des comportements antisociaux, ceci en favorisant l’augmentation de la fréquence des cognitions et des comportements prosociaux. Le programme mise sur une restructuration cognitive des individus et sur l’apprentissage de comportements prosociaux alternatifs. À travers diverses activités du programme, les individus sont amenés à identifier leurs distorsions cognitives, à les remettre en question et à adopter des conduites prosociales alternatives qui seront renforcées par les intervenants. Le programme place aussi les individus dans un contexte d’apprentissage dans le but d’améliorer leurs habiletés sociales et personnelles.

Dans les unités d’hébergement pour adolescentes du CJM-IU, ce programme s’opérationnalise à travers des activités individuelles et de groupe, telles qu’elles sont définies par Le Blanc et al. (1998). D’une part, le volet individuel comporte trois outils cliniques : une analyse synthèse évaluative (analyse fonctionnelle et analyse des excès-déficits), des auto-observations, et un contrat comportemental. D’abord, l’éducateur analyse les composantes problématiques de l’adolescente et propose des solutions de rechange prosociales à adopter. Cette évaluation permet d’identifier les conditions qui précèdent la manifestation d’une conduite problématique et les conséquences qui en découlent (les renforcements vs les punitions). Ensuite, des auto-observations sont effectuées au moins quatre fois par semaine par l’adolescente. Pour chaque auto-observation, l’adolescente rapporte une situation problématique ou positive qui s’est produite ainsi que les pensées, les émotions, les sensations, les comportements et les conséquences qui se rattachent à cette situation. Ce matériel est utilisé lors de rencontres individuelles avec l’éducateur. L’éducateur élabore enfin un contrat comportemental avec l’adolescente. Ce contrat, qui doit être renouvelé périodiquement, spécifie des moments de vie précis au cours desquels l’adolescente doit remplacer un comportement problématique donné par un comportement prosocial spécifique. Misant sur le renforcement des conduites et des attitudes prosociales, les conséquences liées au respect (renforcements) ou à la transgression (punitions) du contrat sont précisées. Quant au volet collectif, il consiste en quatre ateliers d’apprentissage : l’acquisition d’habiletés de communication, la régulation de la colère, la gestion du stress et la résolution de problèmes. Des séances hebdomadaires, qui s’étalent sur une période de 15 semaines, sont prévues pour chaque atelier. Chaque adolescente doit participer à au moins deux séances par semaine, de sorte qu’à la fin de son placement, elle ait complété les quatre ateliers. En conformité avec le principe de l’imitation, les éléments d’apprentissage sont présentés sous forme de modelage au cours de chaque séance. Des exemples significatifs, tirés du vécu des adolescentes, sont soulevés et un jeu de rôle est ensuite effectué pour mettre en application l’habileté enseignée.

L’intégrité de la démarche d’implantation du programme, tel qu’il est appliqué à la clientèle féminine du CJM-IU, a fait l’objet d’une évaluation systématique et continue depuis 1998 (pour une description complète, voir Lanctôt et Chouinard, 2006). Bien que la qualité de l’implantation du programme cognitif-comportemental soit encore imparfaite à certains égards, cette évaluation atteste que les activités du programme sont dispensées à une fréquence et à un rythme satisfaisants, avec un souci d’intégrité et avec l’engagement soutenu de la majorité des équipes d’éducateurs et des gestionnaires. Un tel bilan est primordial considérant que l’intégrité du programme est considérée comme un élément fondamental pour assurer à la fois le succès d’un programme et celui de son évaluation (Latimer et al., 2003 ; Landerberger et Lipsey, 2005 ; Lösel et Beelmann, 2006). Cela dit, il est possible d’affirmer que le programme d’intervention à l’étude a atteint la maturité nécessaire pour que ses effets sur la clientèle puissent être évalués.

Méthodologie

Le devis de recherche

L’étude évaluative a été menée au moyen d’un devis quasi-expérimental. Un groupe contrôle et un groupe expérimental ont été comparés, afin d’isoler les effets spécifiques du programme cognitif-comportemental. Le groupe expérimental était formé d’adolescentes qui séjournaient dans des unités d’hébergement du CJM-IU, là où le programme était implanté. Le groupe contrôle était composé d’adolescentes hébergées dans un autre centre jeunesse. Ces dernières étaient encadrées au même titre que les adolescentes du groupe expérimental par une équipe d’éducateurs, sans toutefois être exposées à un programme d’intervention de nature cognitive-comportementale. Les adolescentes des deux groupes ont rempli des questionnaires à leur arrivée à l’unité d’hébergement (pré-test), de même que 3 mois (post-test), 6 mois (suivi 1), 12 mois (suivi 2) et 18 mois après (suivi 3). Dans le cadre du présent article, les effets du programme sont évalués uniquement à court terme, soit trois mois après le début du placement.

La procédure

De janvier 2008 à octobre 2009, chaque adolescente admise dans l’une des unités d’hébergement ciblées par la présente étude était invitée à participer à la recherche. C’est la coordonnatrice de recherche qui contactait chacune des adolescentes quelques jours après leur arrivée au centre jeunesse pour lui expliquer la nature du projet de recherche et les modalités de participation. La participation à la recherche était volontaire et le consentement d’un parent était requis pour les adolescentes de 14 ans et moins. Une fois qu’elle avait consenti à participer à la recherche, l’adolescente était rencontrée individuellement et dans un contexte privé par une intervieweuse qui lui soumettait le questionnaire à remplir. L’équipe d’intervieweuses était constituée d’étudiantes universitaires formées aux questions d’éthique et aux techniques d’entrevue. Le questionnaire, d’une durée d’environ 90 minutes, comportait diverses sections que l’adolescente remplissait seule, ou avec l’assistance de l’intervieweuse. Pour certaines sections du questionnaire, dont celles qui concernaient les comportements de violence et de délinquance, l’adolescente remplissait elle-même le questionnaire sans que l’intervieweuse prenne connaissance de ses réponses. Une fois le questionnaire rempli, l’intervieweuse raccompagnait l’adolescente dans son unité d’hébergement. Trois mois plus tard, chaque adolescente était recontactée par la coordonnatrice de recherche afin de remplir de nouveau un questionnaire. La même démarche que celle qui avait été employée pour le pré-test était alors répétée.

La stratégie d’échantillonnage

Pour être admissibles à l’étude, les adolescentes devaient être soumises à un placement dans l’une des unités d’hébergement ciblées pour une période d’au moins trois mois. Puisque l’objectif de la recherche était d’évaluer les effets d’un programme d’intervention, une exposition significative à ce programme était donc nécessaire. Or, lors de l’admission des adolescentes dans les unités d’hébergement, la durée de leur placement n’était pas toujours déterminée (certaines adolescentes pouvaient s’y retrouver pour pallier une situation d’urgence ou être réorientées vers d’autres ressources après une période d’évaluation). De façon à obtenir un échantillon de taille suffisante, toutes les adolescentes admises dans les unités d’hébergement et pouvant possiblement être rencontrées dans les jours suivants ont été invitées à participer au pré-test. Selon ce critère, le nombre d’adolescentes ciblées pour constituer les groupes expérimental et contrôle se chiffrait respectivement à 189 et à 184. Le taux de participation s’est élevé à 83 % (n = 157) dans le premier groupe et à 88 % (n = 162) dans le second, ce qui signifie que l’échantillon de départ était représentatif des adolescentes hébergées dans les deux centres jeunesse. La non-participation était liée à des refus (n = 33), à des difficultés logistiques comme des conflits d’horaire (n = 16) ou à la trop grande vulnérabilité de la santé mentale des adolescentes (n = 5). Parmi les adolescentes ayant fait le pré-test, seules celles qui étaient toujours dans les unités d’hébergement lors du post-test, soit trois mois plus tard, ont été retenues aux fins d’évaluation. Au total, 101 adolescentes avaient déjà quitté le centre jeunesse ou avaient fugué et 218 étaient toujours hébergées dans les unités de réadaptation. Des analyses ont été conduites afin de s’assurer que cette attrition n’altère pas la représentativité de notre échantillon. Outre le fait que les adolescentes qui avaient quitté le centre jeunesse étaient plus âgées que celles qui y résidaient toujours (15,75 ans vs 15,18 ans au pré-test), les adolescentes ne se distinguaient pas sur le plan de l’ampleur des difficultés de comportement rapportées au pré-test. Le nombre d’adolescentes pouvant constituer le groupe expérimental et le groupe contrôle se chiffrait ainsi à 126 et à 92 respectivement. De ce nombre, plus de 80 % des adolescentes ont accepté de poursuivre leur participation à la recherche. En fin de compte, le groupe expérimental a été composé de 107 adolescentes et le groupe contrôle de 77 adolescentes. Il est important de noter que, même si les adolescentes étaient toutes hébergées en centre jeunesse entre le pré-test et le post-test, elles passaient néanmoins des périodes de temps à l’extérieur des unités d’hébergement, ceci en vue de faciliter leur réinsertion sociale. Les adolescentes pouvaient, par exemple, séjourner chez leurs parents pendant les fins de semaine ou entreprendre des démarches pour se trouver un emploi.

Enfin, bien que la répartition des adolescentes dans les groupes n’ait pas été aléatoire, les groupes ont été jugés équivalents. Des tests de différences de moyenne effectués sur l’ensemble des données du pré-test indiquent que les adolescentes des deux groupes étaient comparables sur les dimensions émotives (ex. : symptômes intériorisés, colère ressentie), cognitives (ex. : rumination, stratégies d’adaptation), relationnelles (ex. : styles interpersonnels, relations avec les parents) et comportementales (ex. : propension aux vols et à la violence) (Ayotte et al., 2009). Cependant, l’âge moyen des adolescentes du groupe contrôle était plus élevé que celui des adolescentes du groupe expérimental (15,7 ans vs 14,7 ans ; p < 0,001). Quelques différences, qui seront précisées plus loin, apparaissaient aussi pour ce qui est de la consommation de drogues et des activités sexuelles à risque.

Les mesures

Les adolescentes ont rempli un questionnaire portant sur différents thèmes. Dans le cadre du présent article, les résultats qui sont exposés ne se rapportent qu’à un thème spécifique, soit les difficultés de comportement suivantes :

La rébellion scolaire. Cette échelle est composée de dix items qui renvoient à des comportements inadaptés en classe, dont le fait de s’en prendre à l’enseignant (être impolie, pousser, menacer), de ne pas respecter les consignes (ne pas faire les travaux demandés, tricher, arriver en retard, déranger la classe, manquer un cours) et d’être l’objet de sanctions formelles (être expulsée de la classe ou de l’école). Six de ces items proviennent du manuel sur l’adaptation sociale et personnelle des adolescents québécois, le MASPAQ (Le Blanc, 1996) et quatre autres ont été ajoutés. L’alpha de Cronbach est de 0,83 dans le présent échantillon. Cette dimension est évaluée uniquement pour les adolescentes qui fréquentaient l’école au cours des trois mois avant l’étude.

La violence. Trois formes de violence sont évaluées par le questionnaire, soit la violence physique (frapper, gifler, griffer, pincer), verbale (insulter, menacer, crier) et indirecte (provoquer le rejet, médire, répandre des rumeurs). Une adaptation francophone du Direct and Indirect Aggression Scales (DIAS) de Bjorkqvist, Lagerspetz et Osterman (1992) est utilisée. Cette adaptation a été validée auprès d’un échantillon de garçons et de filles pris en charge par les centres jeunesse (Pauzé et al., 2004). Dans le présent échantillon, l’alpha de Cronbach est respectivement de 0,91, 0,88 et 0,92 pour les trois formes de violence.

La fréquentation de membres de gangs de rue. Un item mesure la fréquence à laquelle les adolescentes fréquentent des membres de gangs de rue.

La consommation de drogues et d’alcool. Le questionnaire DEP-ADO version 3.1 mesure la fréquence de consommation de huit types de substances dont l’alcool, le cannabis, la cocaïne, la colle/solvant, les hallucinogènes, l’héroïne, les amphétamines et les médicaments non prescrits (Germain et al., 2005). Ce questionnaire a été validé auprès d’un échantillon clinique d’adolescents (Germain et al., 2005). Dans le présent échantillon, l’alpha de Cronbach est de 0,79.

Les vols. Six items du questionnaire se rapportent aux vols, que ce soit les vols à l’étalage, les vols de moins de 10 $, les vols entre 10 $ et 100 $, les vols de plus de 100 $, le recel ou les introductions par effraction. Ces items sont issus du manuel sur l’adaptation sociale et personnelle des adolescents québécois, le MASPAQ, et ont été validés auprès d’un échantillon d’adolescents et d’adolescentes judiciarisés (Le Blanc, 1996). L’alpha de Cronbach est de 0,89 pour le présent échantillon.

Danse nue et prostitution. Ces comportements sont évalués au moyen de six items, dont quatre abordent la sollicitation à des fins de prostitution (se faire offrir des cadeaux, de l’argent, de la drogue, ou des promesses en échange de faveurs sexuelles) et deux la danse nue (danser nue dans des fêtes privées ou dans des bars). L’alpha de Cronbach est de 0,82 pour le présent échantillon.

Tous les comportements ont été évalués de façon autorévélée. Considérant le devis de recherche, la période de référence ciblait les trois derniers mois, tant pour le questionnaire du pré-test que celui du post-test. Pour toutes les échelles, à l’exception de la consommation de drogues/alcool, les comportements ont été évalués sur une échelle Likert en cinq points où 0 = jamais, 1 = rarement, 2 = parfois, 3 = assez souvent et 4 = très souvent. La consommation de drogues et d’alcool était évaluée sur une échelle Likert en six points, allant de « jamais » à « tous les jours ». Le nombre de valeurs manquantes sur ces échelles était très faible, il s’élève tout au plus à trois par groupe.

L’évaluation du degré de participation au programme

Le degré de participation au programme cognitif-comportemental a été évalué systématiquement pour toutes les adolescentes du groupe expérimental. Pour chaque adolescente, un éducateur attitré devait remplir une grille qui précisait : 1) si une analyse des excès-déficits avait été complétée ; 2) si un contrat comportemental était actif ; 3) le degré d’application de ce contrat ; 4) le nombre d’auto-observations faites par semaine ; 5) si une rétroaction avait été faite sur les auto-observations ; et 6) la nature et le nombre d’activités de groupe auxquelles l’adolescente avait participé. Cette grille, qui était remise mensuellement à la coordonnatrice de recherche, permettait ainsi de quantifier de façon précise et individualisée le degré de participation au programme, ceci pour toutes les semaines entre le pré-test et le post-test.

Les résultats révèlent que le degré de participation au programme n’est pas optimal, bien qu’il soit satisfaisant aux fins de l’évaluation. Un tel résultat était attendu puisque le programme s’échelonne sur toute la durée du placement (en général plus de six mois), alors que la présente évaluation ne ciblait que les trois premiers mois. Plus précisément, l’analyse des excès-déficits a été remplie pour 84 % des adolescentes, 58 % des adolescentes avaient un contrat comportemental et la presque totalité de ces adolescentes le mettaient en pratique à la fréquence prévue, et 70 % des adolescentes faisaient des auto-observations au moins quatre jours par semaine. Quant aux activités de groupe, 70 % des adolescentes en avaient entamé au moins deux différentes. L’activité de communication est celle qui a été amorcée par le plus grand nombre d’adolescentes (66 %), suivie de la résolution de problèmes (49 %), de la régulation de la colère (44 %) et de la gestion du stress (37 %).

Afin d’évaluer si les effets du programme cognitif-comportemental varient selon le degré auquel les adolescentes y participaient, le groupe expérimental a été divisé en deux sous-groupes. Le premier groupe était composé de 82 adolescentes qui ont été exposées au programme, mais qui y ont peu participé. Le second groupe était formé de 25 adolescentes qui ont participé de façon nettement plus optimale au programme : elles ont complété l’analyse des excès-déficits avec l’éducateur, elles ont rempli des grilles d’auto-observations au moins un jour sur deux, elles ont eu au moins un contrat comportemental qu’elles appliquaient dans la plupart des situations prévues, elles avaient entamé au moins deux activités de groupe différentes et avaient participé à au moins six séances de ces activités depuis le début de leur placement.

Résultats

Le tableau 1 rapporte la fréquence des difficultés de comportement des adolescentes du groupe contrôle et du groupe expérimental au pré-test et au post-test. Les données du pré-test précisent le degré d’équivalence des groupes. Bien que la plupart des difficultés de comportement ne distinguent pas les groupes au pré-test, la consommation de drogues/alcool de même que les activités liées à la danse nue et à la prostitution sont moins fréquentes chez les adolescentes du groupe expérimental. Les données du post-test fournissent une première indication des différences entre les groupes trois mois après le début de l’intervention. Ces résultats révèlent que les adolescentes du groupe expérimental rapportent moins de rébellion scolaire, moins de conduites violentes (peu importe leur forme) et moins de consommation de drogues/alcool que les adolescentes du groupe contrôle.

Tableau 1

Moyennes et écarts-types des difficultés de comportement au pré-test et au post-test par groupes

Moyennes et écarts-types des difficultés de comportement au pré-test et au post-test par groupes

a Différences entre les groupes au pré-test p < 0,05

b Différences entre les groupes au post-test p < 0,05

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De façon à évaluer les effets du programme cognitif-comportemental avec plus de justesse, des analyses de covariance (ANCOVA) ont été effectuées. Pour chacun des comportements évalués au post-test, le tableau 2 indique jusqu’à quel point l’exposition au programme cognitif-comportemental (groupe contrôle = 1 et groupe expérimental = 0) prédit l’ampleur des difficultés de comportement au post-test, ceci en prenant en compte l’ampleur de ces comportements au pré-test[2]. La taille des effets observés est précisée au moyen du coefficient éta-carré partiel (ηp²). Selon les normes de Cohen (1988), les effets peuvent être qualifiés de faibles (ηp² entre 0,01 et 0,05), modérés (ηp² entre 0,06 et 0,12) ou importants (ηp² > 0,13).

Tableau 2

Analyses de covariance sur la fréquence des difficultés de comportement rapportées au post-test selon la fréquence de ces difficultés au pré-test et l’exposition ou non au programme

Analyses de covariance sur la fréquence des difficultés de comportement rapportées au post-test selon la fréquence de ces difficultés au pré-test et l’exposition ou non au programme

** p < 0,01; *** p < 0,001

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Les résultats révèlent que l’ampleur des difficultés de comportement au post-test est fortement prédite par l’ampleur de ces mêmes difficultés lors du pré-test. Pour tous les comportements, ces relations sont positives et significatives et la taille de leurs effets (ηp²) est relativement importante (sauf pour la rébellion scolaire qui affiche un effet plus modéré) (Cohen, 1988). Au-delà du fort potentiel prédictif des comportements antérieurs, le fait pour une adolescente d’avoir été exposée à un programme de type cognitif-comportemental a un effet significatif sur cinq des huit comportements évalués au post-test. Dans tous les cas, ces effets sont négatifs, ce qui signifie que les adolescentes du groupe expérimental rapportent s’impliquer moins souvent que les adolescentes du groupe contrôle dans ces comportements. Plus précisément, les adolescentes du groupe expérimental rapportent moins de rébellion scolaire (b = -0,23, p < 0,01), moins de violence verbale (b = -0,36, p < 0,01) et indirecte (b = -0,23, p < 0,01) et moins de consommation de drogues/alcool (b = -0,33, p < 0,001). Ces adolescentes fréquentent aussi moins souvent des membres de gangs (b = -0,46, p < 0,01) comparativement aux adolescentes du groupe contrôle. La force de ces relations est modeste (les ηp² sont de l’ordre de 0,04), sauf pour la consommation de drogues/alcool qui affiche un effet plus prononcé (ηp² = 0,10). L’exposition au programme cognitif-comportemental n’a toutefois pas d’effet significatif sur la fréquence de la violence physique, des vols, et des activités de danse nue et de prostitution.

Puisque le programme cognitif-comportemental n’a pas été appliqué de façon uniforme et optimale à l’ensemble des adolescentes du groupe expérimental, il importe d’évaluer si les effets du programme varient selon le degré auquel les adolescentes y ont participé. Plutôt que de comparer globalement les adolescentes du groupe contrôle et celles du groupe expérimental, ce dernier groupe a été scindé en deux sous-groupes selon que le degré de participation au programme aura été faible (n = 82) ou plus élevé (n = 25). Une autre série d’ANCOVAS a donc été réalisée. Dans un premier temps, l’analyse précise si les adolescentes qui ont été exposées au programme cognitif-comportemental, mais qui y ont peu participé, rapportent moins de difficultés de comportement au post-test que les adolescentes du groupe contrôle. Dans un deuxième temps, l’analyse indique si les adolescentes qui ont participé de façon plus soutenue au programme cognitif-comportemental affichent moins de difficultés de comportement au post-test comparativement aux adolescentes du groupe contrôle. Encore une fois, ces analyses contrôlent pour l’ampleur des difficultés de comportement qui étaient rapportées au pré-test.. Sur ce dernier point, les résultats sont similaires à ceux décrits au tableau 2[3].

Tableau 3

Analyses de covariance sur la fréquence des difficultés de comportement rapportées au post-test selon la fréquence de ces difficultés au pré-test et le degré de participation au programme

Analyses de covariance sur la fréquence des difficultés de comportement rapportées au post-test selon la fréquence de ces difficultés au pré-test et le degré de participation au programme

* p < 0,5; ** p < 0,01 *** p < 0,001

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Le degré de participation au programme est associé à l’ampleur de certaines difficultés de comportement rapportées au post-test[4]. Notamment, les adolescentes qui participent le plus au programme manifestent moins de conduites violentes trois mois après le début de leur placement, comparativement aux adolescentes du groupe contrôle. Bien que modestes (les ηp² varient entre 0,03 et 0,07), ces effets s’observent pour la violence physique (b = -0,29 ; p < 0,01), verbale (b = -0,72 ; p < 0,001) et indirecte (b = -0,35 ; p < 0,01). Ces résultats prennent encore plus d’importance si l’on considère que les adolescentes qui participent peu au programme ne se distinguent pas autant des adolescentes du groupe contrôle quant à leur implication dans des activités violentes. En effet, parmi les indices de violence, seule la violence indirecte distingue ces deux derniers groupes au post-test (b = -0,20 ; p < 0,05) et l’effet est relativement faible (ηp² = 0,03). Néanmoins, peu importe leur degré de participation au programme, les adolescentes du groupe expérimental sont moins portées à fréquenter des membres de gangs (participation faible b = -0,45 ; p < 0,05 ; participation élevée b = -0,52 ; p < 0,05) et à consommer de la drogue et de l’alcool au post-test, toujours en comparaison des adolescentes du groupe contrôle (participation faible b = -0,31 ; p < 0,001 ; participation élevée b = -0,39 ; p < 0,001). La taille des effets est semblable peu importe le degré de participation au programme et elle est plus importante pour la consommation de drogues/alcool (participation faible ηp² = 0,08 ; participation élevée ηp² = 0,06) que pour la fréquentation de membres de gangs (participation faible ηp² = 0,03 ; participation élevée ηp² = 0,02). Par ailleurs, les conduites de rébellion scolaire sont moins fréquentes chez les adolescentes qui ont été exposées au programme cognitif-comportemental, mais qui y ont peu participé (b = -0,25 ; p < 0,01, ηp² = 0,04). Enfin, et comme il est précisé dans le tableau 2, aucun effet significatif ne s’observe pour les vols ainsi que pour les activités de danse nue et de prostitution.

Afin de mieux qualifier les effets du programme cognitif-comportemental, la taille des effets observés en lien avec les diverses difficultés de comportement est illustrée à la figure 1. Pour ce faire, les coefficients ηp² rapportés aux tableaux 2 et 3 ont été convertis en coefficients d de Cohen (1988) au moyen de la formule suivante :

Cette conversion permet d’illustrer la taille des effets observés selon des repères standardisés largement utilisés dans le domaine de l’évaluation de programmes. De plus, des seuils cliniques sont associés à ces coefficients, ce qui permet de mieux saisir la portée des résultats dans un contexte d’intervention (Wolf, 1986). Plus précisément, il est postulé que des coefficients de 0,25 à 0,49 indiquent une amorce de changement chez les individus et que des coefficients de 0,50 et plus reflètent un changement cliniquement significatif. Les résultats montrent les effets notables du programme cognitif-comportemental sur la plupart des difficultés de comportement évaluées. De façon globale, une amorce de changement s’observe chez les adolescentes du groupe expérimental en regard de la rébellion scolaire, de la violence verbale et indirecte, ainsi qu’en regard de la fréquentation de membres de gangs. Des changements encore plus significatifs sur le plan clinique sont rapportés pour la consommation de drogues et d’alcool.

La taille de certains effets varie toutefois de façon considérable lorsque le degré de participation au programme est pris en compte. Notamment, les adolescentes qui ont le plus participé au programme rapportent, d’un point de vue clinique, s’impliquer beaucoup moins que les autres adolescentes dans des activités violentes au post-test. Ce changement clinique s’observe pour la violence physique, verbale et indirecte. Le degré de participation au programme a un effet particulièrement marqué sur la violence physique : alors que les effets du programme sur ce type de violence sont à peu près nuls pour les adolescentes qui ont peu participé au programme, ils franchissent le seuil clinique pour les adolescentes qui y ont participé davantage. Un effet différentiel s’observe aussi pour la rébellion scolaire, mais le résultat est plus ambigu en ce sens que les effets les plus bénéfiques apparaissent non pas chez les adolescentes qui ont le plus participé au programme, mais chez celles qui y ont peu participé. Notons enfin que la taille des effets observés est très faible pour les vols et quasi nulle pour les activités de danse nue et de prostitution.

Figure 1

Standardisation de la taille des effets de l’exposition au programme et de son degré de participation selon les difficultés de comportement

Standardisation de la taille des effets de l’exposition au programme et de son degré de participation selon les difficultés de comportement

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Discussion

Depuis quelques années, l’adéquation des services et des programmes destinés aux adolescentes prises en charge par la justice suscite beaucoup de questionnements (Hubbard et Matthews, 2008). Notamment, la nécessité d’élaborer des programmes qui leur soient spécifiques ou non fait l’objet de discussions (Belknap et Holsinger, 1998 ; Kempf-Leonard et Sample, 2000 ; Bloom et al., 2002 ; Lanctôt, 2006). Une réponse à ce propos nécessite la conduite de recherches évaluatives qui permettent de définir les pratiques probantes pour cette clientèle bien précise (Lanctôt, 2010). Or, la littérature fait état d’une quasi-absence de recherches évaluatives menées auprès d’échantillons d’adolescentes qui présentent des difficultés de comportement (Hipwell et Loeber, 2006 ; Zahn et al., 2009). Dans ce contexte, certains se montrent réticents à appliquer des programmes de type cognitif-comportemental à des adolescentes en difficulté, même si ces programmes sont qualifiés de probants pour les délinquants masculins. La présente étude s’est attardée à évaluer les effets à court terme d’un programme d’intervention de type cognitif-comportemental sur les difficultés de comportement d’adolescentes hébergées en centre jeunesse. L’évaluation visait aussi à vérifier si les effets du programme variaient selon le degré auquel les adolescentes y participaient et à mesurer la taille des effets observés. L’étude a été menée au moyen d’un devis de recherche quasi-expérimental qui permettait de comparer 107 adolescentes du groupe expérimental à 77 adolescentes du groupe contrôle. Bien que les deux groupes n’aient pas été parfaitement équivalents sur les dimensions évaluées, les analyses statistiques ont contrôlé pour l’ampleur des difficultés de comportement rapportées au pré-test. L’évaluation a été faite à partir de données auto-révélées.

Les résultats suggèrent un positionnement en faveur de l’application d’un programme de type cognitif-comportemental à des adolescentes hébergées en centre jeunesse. Plus précisément, les adolescentes qui ont été exposées au programme cognitif-comportemental rapportent, trois mois après le début du programme, moins de difficultés de comportement que les adolescentes du groupe contrôle. En se rapportant aux repères cliniques qui mesurent l’importance des effets observés, il est possible d’affirmer que ces adolescentes ont amorcé un changement dans leur réseau social en côtoyant moins de membres de gangs. Ces adolescentes ont aussi modifié de façon considérable leurs habitudes de consommation de drogues et d’alcool, l’écart observé franchit un seuil clinique significatif. Les résultats démontrent en plus que certains effets sont particulièrement bénéfiques pour les adolescentes qui ont participé de façon plus soutenue au programme. En comparaison des adolescentes du groupe contrôle et des adolescentes qui ont peu participé au programme, les adolescentes qui ont le plus participé au programme rapportent s’impliquer nettement moins dans des activités violentes, qu’elles soient physiques, verbales ou indirectes. L’effet est saisissant, notamment pour la violence verbale. Pour les adolescentes qui ont moins participé au programme, une amorce de changement s’observe tout de même en regard de leur propension à recourir à la violence verbale ou indirecte.

Certaines conduites ne se sont toutefois pas modifiées au cours des trois premiers mois d’exposition au programme cognitif-comportemental. Tel est le cas des vols et des comportements liés à la danse nue et à la prostitution. Cette absence d’effets significatifs s’explique peut-être par le fait que ces conduites étaient peu fréquentes chez les adolescentes dès le pré-test, laissant donc peu de place au changement. Il est possible aussi que le programme cognitif-comportemental ne cible pas assez certaines particularités des adolescentes, comme leurs activités sexuelles à risque. Par contre, puisque les adolescentes qui ont été exposées au programme commencent à moins fréquenter des membres de gangs, l’abandon des activités de danse nue et de prostitution se fera peut-être à moyen terme. C’est une hypothèse qui pourra être vérifiée au cours de la prochaine évaluation, qui correspondra alors à une période de six mois après le début du placement. Il est aussi possible que les activités sexuelles à risque soient plus difficiles à évaluer au moyen de questionnaires auto-révélés, les adolescentes pouvant être hésitantes à dévoiler leur implication dans de telles activités.

Plusieurs autres pistes d’analyse devront être approfondies. Il faudra vérifier si les effets à court terme du programme s’étendent aussi à d’autres dimensions, comme les cognitions et les émotions qui se rattachent à la colère, mais aussi à la détresse émotive. Il faudra aussi vérifier si ces effets se généralisent à d’autres contextes de vie (comme les relations avec les parents et avec les enseignants) et s’ils se maintiennent à moyen et à long terme. En ce sens, l’étude évaluative se poursuivra jusqu’à 18 mois après le début de l’intervention. Enfin, la présence d’effets de médiation ou de modération devra être évaluée. D’une part, les liens qui s’établissent entre les pensées, les émotions et les comportements devront être précisés. D’autre part, l’effet modérateur de certains facteurs (comme les antécédents d’agression sexuelle, les problèmes de toxicomanie ou de santé mentale et même la qualité de l’alliance thérapeutique) devra être évalué, comme le suggèrent Hipwell et Loeber (2006) ainsi que Hubbart et Matthews (2008).

Enfin, malgré que l’analyse que nous avons faite des résultats de cette recherche dans le cadre de cet article soit encore à un stade préliminaire, notre étude possède des forces qui doivent être mentionnées. Cette étude est en effet l’une des rares dans le domaine de la délinquance féminine à évaluer un programme d’intervention au moyen d’un devis quasi-expérimental, à recourir à un échantillon relativement grand, à évaluer l’influence du degré de participation au programme et à rapporter la taille des effets observés. Pour toutes ces raisons, les résultats présentés peuvent contribuer à définir les meilleures pratiques à privilégier pour les adolescentes qui présentent des difficultés de comportement. Bien que nos résultats devront être répliqués, notre étude suggère néanmoins que l’application d’un programme cognitif-comportemental, surtout lorsque appliqué de façon plus soutenue, réduit de façon significative bon nombre de difficultés de comportement chez les adolescentes prises en charge par la justice. En ce sens, alors que certains prônent l’élaboration de programmes qui soient spécifiques de la clientèle féminine du système de justice pour mineurs, nos résultats appuient d’abord et avant tout le déploiement de programmes basés sur des données probantes.