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Depuis quelques années déjà, plusieurs institutions de mémoire et de savoir au Canada portent une attention spéciale au patrimoine documentaire autochtone. Diffé­ren­tes initiatives sont développées, parfois en partenariat entre les institutions et dans la mesure du possible avec les communautés autochtones, afin d'assurer la préservation et la diffusion de ce patrimoine. Le but de cette chronique est de faire connaître certains de ces projets, initiatives ou acquisitions afin de mettre en valeur le patrimoine documentaire autochtone du Canada.

Les archives de la famille Picard

Soulignons d’abord une récente acquisition réalisée par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) qui est réellement digne de mention. Regroupés sous le titre « Fonds Famille Picard » (cote P882 et P883), les documents acquis en 2007 sont issus de ce qui était con­sidéré autrefois comme les archives de la communauté huronne (wendate) de Wendake. Le fonds témoigne de l'histoire de cette importante famille huronne, dont plusieurs membres ont été chefs, sur quatre générations, et donc de l’histoire de la Nation huronne-wendat sur plus de deux siècles.

Ce fonds disponible à BAnQ est complémentaire à un autre fonds provenant de la même famille qui, lui, est disponible au Centre ­d’archives du Conseil de la Nation huronne-wendat de Wendake, lequel est ouvert au public depuis 1996. Le « fonds Paul Picard » (P2) conservé à cet endroit est composé de 1,2 mètre de documents textuels, 17 photographies, 65 cartes et plans et quelques livres, et couvre la période 1795-1990 (surtout 1880-1950). Pour en savoir davantage sur l'histoire fascinante de ces documents, le lecteur est invité à consulter en ligne l'article qui y est entièrement consacré dans la Revue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (n˚ 2, 2010) : <http://www.banq.qc.ca/a_propos_banq/publications/revue_banq/numero2/index.html>.

La Commission royale sur les peuples autochtones

On a longuement parlé du fameux rapport en cinq volumes de la Commission royale sur les peuples autochtones, déposé en 1996 (disponible en ligne à cette adresse : <http://www.ainc-inac.gc.ca/ap/­rrc-fra.asp>). D’ailleurs, un excellent numéro thématique de Recherches amérindiennes au Québec faisait récemment le point sur les suites des recommandations de la Commission (vol. 37, n˚ 1, 2007). Or, on re­marque, avec un peu d’étonnement d'ailleurs, que les nombreux rapports et documents produits lors de cette enquête nationale majeure semblent avoir très peu été utilisés par les chercheurs en études autochtones. Est-ce parce que l'on juge, forcément à tort, que leur contenu est sans intérêt ? ou est-ce parce qu'on ignorait simplement leur existence et leur disponibilité ?

Au cours de la série d’audiences tenues de 1992 à 1993 à travers le Canada pour les soins de la Commission, les autochtones ont eu l’occasion de s'adresser directement à la Commission et d'exprimer ainsi leur vision de l'histoire et de ce que devrait être le futur. Les non-­autochtones avaient aussi eu l'occasion de s'exprimer sur leurs relations avec les autochtones. Il s'agit sans doute de la plus grande collection de transcriptions d’histoires orales jamais accumulée au Canada.

Ces documents contiennent la voix des autochtones eux-mêmes. On y perçoit autant leurs préoccupations et leurs besoins que leurs points de vue et opinions sur des sujets qui les concernent on ne peut plus directement. Les cinq volumes déposés par la Commission con­tiennent certainement plusieurs extraits de ces témoignages. Mais tous con­vien­dront qu’un seul paragraphe ne peut convenablement remplacer ou même résumer un témoignage qui tenait à l’origine sur sept ou huit pages.

On connaît, certes – quoiqu’on semble l'avoir oublié – le CD-ROM intitulé « Pour sept générations : legs documentaire de la Commission royale sur les peuples autochtones / For Seven Generations: An Infor­ma­tion Legacy of the Royal Commission on Aboriginal Peoples » (Ottawa : Libraxus, 1997) dont l’interface, plus que désuète, en rend la consultation problématique, sinon périlleuse. Ce qui est beaucoup moins connu toutefois, c’est le fait que les quelque 84 000 pages de compte rendu intégral des audiences publiques, des tables rondes et des entrevues réalisées auprès d’autochtones ou de spécialistes des questions autochtones à travers le Canada sont désormais disponibles en ligne, grâce à un don du Native Law Centre de ­l'Université de Saskatchewan aux University of Saskatchewan Archives. Ces milliers de pages sont maintenant accessibles à l'adresse suivante : <http://www.scaa.sk.ca/ourlegacy>.

Fait intéressant, le moteur de recherche du site permet de chercher par mots clés dans l'ensemble des documents. Ainsi, en cherchant d’abord « RCAP » (pour Royal Com­mission on Aboriginal Peoples), on peut ensuite limiter les résultats par région, auteur, sujet, noms de communautés ou nations concernées, ou par noms d'individus ayant présenté un rapport devant la Commission. Bien entendu, le site ne contient pas que ces transcriptions et demeure tout aussi pertinent pour d’autres types de recherches.

À cet égard, il peut être utile de mentionner l'existence d’un autre site de recherche de la même université, l’Indigenous Studies Portal Research Tool, disponible à cette adresse : <http://iportal.usask.ca>. Cette base de données regroupe une multitude de documents de différents formats (publiés, manuscrits, électroniques), disponibles à travers une panoplie de sources (articles, comptes rendus, thèses, journaux, etc.). Regroupant, à venir jusqu’à maintenant, plus de 24 000 pages en texte intégral, ce site s'avère très utile pour commencer ou compléter une recherche, ou pour balayer les différentes ressources sur un sujet en particulier.

La recherche nordique

Les chercheurs en études nordiques seront heureux d’apprendre le récent versement au fonds du professeur géographe Louis-Edmond Hamelin, fondateur et premier directeur du Centre d’études nordiques, fonds conservé à la Division des archives de l’Université Laval sous la cote P311. Complémentaire aux fonds d’archives de Jacques Rousseau, de Marc-Adélard Tremblay ainsi que du cinéaste Pierre Perrault, ce fonds documente l'ensemble de la carrière de Hamelin, en plus de documenter l’histoire de l’exploration scientifique dans le Nord par l’Université Laval. Il contient aussi de très belles, et surtout très nombreuses, photographies du Grand Nord et des communautés autochtones et inuites.

Le fonds Michel Noël

Ethnologue et écrivain d'origine algonquine, Michel Noël est considéré comme l'un des plus importants écrivains amérindiens francophones du Canada de sa génération. Son fonds d’archives a récemment été acquis par Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Couvrant tous les aspects de sa carrière jusqu'en 2009, le fonds comprend des états manuscrits de tous ses ouvrages et articles, une bonne correspondance littéraire, tous ses manuscrits et autres docu­ments relatifs à son oeuvre de romancier dans le domaine de la litté­rature jeunesse de 1981 à 2009, ses dossiers de recherche et ses manu­scrits constitués pour son t­ra­vail d'ethnologue et utilisés pour la publication d'ouvrages de réfé­rence, des carnets de notes (dont certains rédigés pendant ses voyages dans les communautés inuites du nord du Québec).

Le fonds comprend aussi ses journaux personnels, des documents témoignant de ses activités littéraires, de ses tournées dans les communautés autochtones et dans des écoles au Canada et à l'étranger, des contrats et autres documents légaux ainsi que des souvenirs personnels et professionnels. Un aspect particulier du contenu du fonds sort de l'ordinaire : une collection unique de plus de 150 affiches documentant l'évolution de l'espace culturel autochtone et inuit au Québec entre 1970 et 2009.

Le fonds Charles Angus Cooke Thawennensere

Originaire de Kanesatake mais ayant grandi dans la communauté de Gibson (Wahta) dans la région de Muskoka en Ontario, le Mohawk Charles Cooke fut l’un des premiers autochtones – et l’un des seuls au xixe siècle – à être engagé par le ministère des Affaires indiennes. Dès 1893, il s'occupa du classement des documents (bibliothèque ministérielle et archives) et servit aussi ­d'interprète et de traducteur. À partir de 1904, Cooke fit des efforts substantiels pour mettre sur pied une véritable « Indian National Library », laquelle aurait compris les documents du ministère de même que des documents issus des communautés autochtones. Son projet fut par contre étouffé par le surintendant Duncan Campbell Scott. Cooke travailla aussi sur un projet de dictionnaire comparatif de langues amérindiennes, il fit paraître en 1900 le premier journal autochtone à être publié au Canada, Onkweonwe (rédigé en langue mohawk) et il réalisa une monumentale compilation de plus de 6200 noms iroquoiens, avec leur signification, prononciation et origine.

D’une envergure beaucoup moindre que celui de Michel Noel, le fonds Charles Cooke (aussi disponible à BAC) comprend tout de même quelques documents intéressants, dont cette liste généalogique de noms mohawks, avec dates de naissances et décès ainsi que les liens parentaux, de même que des documents entourant le procès qui a eu lieu à la suite de l'incendie criminel de l’église catholique d’Oka, en 1877, au cours duquel plusieurs mohawks furent inculpés. Le fonds contient aussi une pétition adressée au gouverneur Metcalfe en 1845, signée par 32 chefs ojibwas avec leur marque totémique (symbole clanique).

Autres fonds autochtones à Bibliothèque et Archives Canada

D’autres fonds d'archives con­tiennent la « voix autochtone » à BAC. Ainsi, on ne saurait passer sous silence le fonds de l’influent activiste métis Howard Adams (1921-2001), auteur de deux importants ouvrages : Prison of Grass: Canada from the Native Point of View (1975) et A Tortured People: the Politics of Colonization (1995). Signalons aussi la récente numérisation d’un document exceptionnel provenant du chef Michael Dokis, de la Première nation de Dokis, en Ontario, l’un des signataires du traité Robinson-Huron en 1850. Il s’agit d’un livre de comptes absolument unique qui comprend un système de pictogrammes établi par Dokis lui-même afin d'assurer la comptabilité des divers postes de traite qu’il tenait au cours des années 1860-1880 dans la région du nord-est de l'Ontario. Les documents afférents – notes, textes en ojibwa, correspondance, etc. – ont aussi été numérisés pour le bénéfice des chercheurs.

Est aussi digne de mention le fonds de l’Inuit Art Foundation qui contient entre autres de nombreuses listes de noms d'individus associés aux disc numbers, ces fameux numéros que la Gendarmerie royale du Canada attribuait à chaque habitant des villages nordiques, lesquels sont maintenant parfois utilisés pour retracer certaines personnes. Men­tion­nons également le fonds Marg and Roy Hall qui renferme notamment plus de 250 photographies couleur de Old Crow (Yukon), un village Vuntut Gwichin au début des années 1960. Enfin, plus récemment, BAC faisait l’acquisition de 26 reproductions de très rares rouleaux de cire comprenant des ­chansons et histoires autochtones enregistrées par un anthropologue norvégien, Christian Leden, entre 1911 et 1916, dans le Nord canadien (voir le titre « Leden Canada » dans le catalogue AMICUS).

[26 octobre 2010]