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La transmission des PME est un thème particulièrement sensible. Chercheurs, consultants, pouvoirs publics, tous s’y intéressent, ou presque, afin de répondre à une demande sociale qui ne cesse de croître, et ce, invariablement selon les pays. Or, trop souvent encore, les chefs d’entreprise attendent le dernier moment pour lâcher les rênes de leur entreprise… Résultat : en France, la transmission représente le deuxième cas de mortalité des PME, après la baisse du chiffre d’affaires. De notre point de vue, les enjeux ne se limitent pas au seul discours indiquant que l’économie va perdre des emplois si la pérennité des entreprises n’est pas assurée, loin de là.

Notion floue au contenu variable, la transmission des PME n’en est pas moins une réalité incontournable de la vie des affaires. Cette opération soulève de nombreuses interrogations et est au coeur de préoccupations humaines fondamentales. C’est pourquoi Louise Cadieux et François Brouard s’emploient, dans ce livre, avec méthode et clarté, à saisir la complexité et l’hétérogénéité de ce phénomène.

« Cet ouvrage est parmi les premiers à intégrer les différentes perspectives de transmission » (p. 230), que ce soit au chapitre :

  • des formes. En contexte de transmission, un dirigeant en partance est soumis à une hiérarchisation des choix successoraux : il peut envisager de transmettre son entreprise soit à un membre de sa famille, soit à ses salariés, soit à une tierce personne. Ce livre apporte des éclaircissements sur ces trois types de transmission respectifs : familiale, interne et externe. À notre connaissance, aucun auteur n’a relevé aussi méthodiquement et rigoureusement les différentes formes de transmission possibles dans un seul et même ouvrage.

  • des types de transferts. La transmission/reprise d’entreprise revêt deux dimensions inextricablement liées, donc difficilement dissociables : une dimension patrimoniale, qui correspond au transfert de la propriété, et une dimension managériale, qui correspond au transfert de la direction. Cette dernière dimension, un peu moins technique mais plus compliquée, fait l’objet, dans cet ouvrage, d’un approfondissement des plus attendus. Les auteurs reconnaissent toutefois l’insuffisance de recherches empiriques concernant le transfert de propriété.

  • ou des catégories d’individus touchés par le projet de transmission. Prédécesseur/cédant et successeur/repreneur sont au coeur du processus de transmission. Ils focalisent l’un et l’autre toute l’attention, écartant les autres parties prenantes engagées dans le processus. Aussi, les auteurs ont-ils su faire émerger ces acteurs encore trop souvent négligés et passés d’ordinaire sous silence, qu’il s’agisse de membres de la famille, d’employés, de clients ou de fournisseurs.

Ce positionnement original illustre bien le chemin parcouru dans le domaine de la recherche académique. Basé sur des résultats de recherches scientifiques et professionnelles, il garantit au lecteur un ouvrage de référence.

L’introduction plonge le lecteur dans la problématique même de la transmission. À ce propos, une définition de la transmission est donnée, les deux transferts (de propriété et de direction) sont explicités et les principales motivations et difficultés liées à cette démarche sont clairement énoncées. Le premier chapitre fait état des trois formes de transmission : la transmission familiale, la transmission interne et la transmission externe. Chacune de ces formes de transmission présente un processus distinct, avec les avantages et les inconvénients qui lui sont propres.

Le chapitre 2 porte sur le transfert de la direction. « Ce sont les aspects particuliers de la préparation de chacune des catégories d’acteurs susceptibles de participer à la démarche de la transmission qui sont traités » (p. 14). Le chapitre 3 pousse plus loin la réflexion en mettant en exergue un aspect non négligeable : la gestion des relations intergénérationnelles.

Dans la poursuite de la compréhension de la problématique de la transmission, le chapitre 4 traite du transfert de la propriété et de ses différentes formes. Le chapitre 5 s’attarde sur la question du prix et de la valeur. Il présente le processus d’évaluation des PME et le processus de négociation. « Quant au chapitre 6, il aborde le financement de la transmission en distinguant les types et les sources de financement, cela tout en présentant des exemples types de montages financiers » (p. 14).

Enfin, le chapitre 7 ouvre sur une piste jusqu’alors peu exploitée : il s’agit de l’accompagnement dans la démarche de transmission. L’accompagnement est l’une des clés pour réussir la transmission d’une entreprise. En principe, chacun des acteurs – cédant et repreneur - est assisté de ses propres conseils. Parmi ceux-ci, il existe des experts en transfert de la propriété (comme les experts-comptables, fiscalistes, etc.) et des experts en transfert de la direction (de type coach, psychologues de famille, etc.). Ces acteurs suivent des logiques et ont des points de vue dont il faut tenir compte.

En guise de conclusion, les auteurs offrent au lecteur une vision globale de la transmission des PME à l’aide d’un modèle synthèse. Selon eux, « cette présentation schématique devrait contribuer à mieux rappeler les préoccupations des autres acteurs et parties prenantes et ainsi mieux guider ses propres actions et décisions ». Pour nous, nous ne pouvons que dire : « enfin, un modèle intégratif et transversal du phénomène ! ». À sa lecture, on conçoit l’intérêt et la pertinence de cet ouvrage pour quiconque veut avoir une meilleure perception de ce qu’est la transmission de PME.

Nous regretterons peut-être l’absence d’un chapitre consacré à la prise en mains de l’entreprise par le successeur/repreneur. Cette étape post-acquisition est particulièrement paradoxale par l’enchevêtrement de situations, d’états contradictoires. Là encore, les choses ne sont pas toujours aussi simples qu’il y paraît, bien au contraire. D’où la nécessité de sensibiliser les candidats repreneurs aux risques d’un contrecoup psychologique, de blocages sociaux ou, pis encore, au dégât humain irréversible que peut provoquer une greffe non réussie.

Toutefois, les auteurs ont pris le soin d’adapter l’ouvrage à tout type de lecteur. Nous ne pouvons que les complimenter sur ce travail de synthèse, nourri de nombreux exemples, notamment d’extraits de témoignages et d’outils synthétiques d’aide à la réflexion. Autrement dit, il est particulièrement riche d’enseignements pour le lecteur.

Cet ouvrage s’adresse, en priorité, à qui souhaite s’engager de près ou de loin dans une démarche de transmission/reprise. « Dans l’ensemble, ce livre devrait aider le prédécesseur/successeur, le successeur/repreneur, les membres de la famille ou toute autre partie prenante dans la compréhension des changements qui les attendent, que la transmission envisagée soit familiale ou pas » (p. 13). Les auteurs espèrent que « cet exercice de sensibilisation à la problématique de la transmission des PME permettra à chacune des parties prenantes de prendre des décisions plus éclairées et de poser des gestes plus assurés, favorisant ainsi la réussite du projet de continuité de l’entreprise » (p. 13).

Nous recommandons également la lecture de ce livre aux étudiants des universités (masters spécialisés en transmission et PME) et des écoles de commerce ainsi qu’aux enseignants-chercheurs afin d’enrichir leurs connaissances et savoirs dans le domaine. Et en terminant, nous souhaitons que cet ouvrage mobilise davantage de chercheurs autour de cette thématique et plaidons en faveur de la pluridisciplinarité (gestion, économie, droit, psychologie, sociologie, etc.) afin de provoquer une fertilisation croisée des réflexions et expériences sur la problématique de la transmission de PME.