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Voici un ouvrage qui discute du paysage avec érudition tout en nous épargnant la forme du traité. L’auteur se déprend d’une lecture dogmatique et nous invite à parcourir un domaine toujours en émergence, opération pour le moins salutaire. Cinq textes, dont quatre déjà publiés et remaniés pour l’occasion, sont rassemblés. En tout, s’offrent au lecteur cinq « exercices de paysage » de natures très différentes.

En synthétisant les approches contemporaines du paysage, le premier fournit une entrée en matière tout à fait pédagogique et utilement référencée. L’auteur débute par le paysage comme représentation culturelle pour aboutir à la pratique du projet de paysage, après avoir insisté sur le paysage habité, sa dimension de milieu, puis son expérience phénoménologique. Cette gradation judicieuse laisse percevoir la critique d’un certain intellectualisme paysager et donne toute sa place au corps affecté.

Le deuxième exercice, de nature historique, retrace l’émergence du point de vue aérien comme nouveau dispositif visuel sur le paysage. L’avènement de l’aérostation puis de l’aviation fait naître un regard oblique, à la fois élevé et concret. Cette étude insiste avec à propos sur l’idée que le paysage n’est pas un, perçu selon des positions variées, mais que la façon même de le saisir génère de nouvelles réalités paysagères.

Au coeur du livre, une étude, également historique, revient sur la pensée de John Brinckerhoff Jackson dont l’auteur, accompagné de Gilles-A. Tiberghien, a préfacé en 2003 la traduction d’un des ouvrages majeurs, À la découverte du paysage vernaculaire. La distinction établie par Jackson entre deux modes d’influence des valeurs culturelles sur la formation des paysages – le politique et le vernaculaire – ménage un point de passage significatif, comme le souligne l’argumentation, entre le corps social et le corps existentiel.

S’ensuit un essai épistémologique sur la démarche de projet. Celle-ci, souligne l’auteur, implique une dimension inventive de nature abductive consistant à conduire l’action en fonction de règles admises à titre provisoire. Si cette approche a déjà été empruntée (Blanco, 1989), la façon dont il la déploie en tirant parti de la pensée kantienne et postkantienne aboutit à une réelle contribution.

Le dernier exercice est une exploration stimulante de l’hodologie, science des chemins et du cheminement, dans le champ du paysage et des représentations de l’espace. L’auteur mobilise particulièrement les pensées de Jean-Paul Sartre et de Guy Debord pour dire l’investissement du corps dans un espace affectif qui n’est pas seulement intériorisé, mais relationnel et propice à l’expérimentation. Cette lecture mériterait d’être positionnée vis-à-vis de référentiels qui lui sont proches (Lévy et Gillet , 2007).

Cet ouvrage aux entrées multiples livre une réflexion de haute tenue. Malgré tout, la question politique reste peu abordée alors même que ces « exercices de paysage » initient à des formes de sensibilité et d’expérience impliquant de nouvelles façons de goûter le monde.