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Heureuse initiative que cette publication d’une anthologie sur la Conquête. Dans une substantielle introduction, l’auteur, historien et professeur au Collège militaire royal de Saint-Jean, en montre très clairement la pertinence. Son point de départ : la contestation de plus en plus marquée depuis un quart de siècle, en termes explicites, mais souvent aussi sous des formes insidieuses, de l’importance de la Conquête dans l’histoire du Québec. Deux courants, selon lui, « histoire sociale et rectitude politique, ont fait le lit d’un certain déni » (p. 11) à cet égard et des « euphémismes répandus » en sont l’expression : on parle de « Cession » plutôt que de « Conquête » et – bon nombre de lecteurs l’apprendront avec stupéfaction – « quant à lui le nouveau programme d’histoire du Québec au secondaire (Histoire et éducation à la citoyenneté) préfère employer l’expression ‘Changement d’empire’. Ces termes édulcorés visent à occulter une réalité : l’état de peuple conquis » (p. 12).

Si le fait évoqué du déni est un phénomène plutôt récent, la diversité des interprétations de la Conquête se manifeste, elle, de façon constante depuis les lendemains mêmes des événements de 1759. Le choix des textes vise à bien refléter cette diversité, présente à l’échelle internationale (vues contrastées de Voltaire, de Chateaubriand, de Tocqueville, de Durham, de Parkman, par exemple) aussi bien qu’au Québec et au Canada, où les interprétations se rattachent à deux grandes familles, la loyaliste et la nationaliste, auxquelles s’est récemment ajoutée la perspective de l’histoire sociale. Respectivement emblématiques des sensibilités loyaliste et nationaliste, les deux écoles historiques de Québec et de Montréal sont bien représentées par les textes des professeurs Marcel Trudel, Jean Hamelin et Fernand Ouellet, dans le premier cas, et des professeurs Guy Frégault, Maurice Séguin et Michel Brunet, dans le second. Sont aussi retenus des textes de leurs prédécesseurs immédiats, Thomas Chapais et l’abbé Arthur Maheux à Québec et le chanoine Lionel Groulx à Montréal, ou, plus lointains, Mgr J.-Octave Plessis pour le loyalisme et François-Xavier Garneau pour le nationalisme.

L’anthologie comprend cinquante-cinq textes d’autant d’auteurs différents (on trouve sans surprise deux extraits de La Guerre de la Conquête de Guy Frégault et un texte porte la signature de deux auteurs) regroupés sous trois thèmes : « Les événements », « Les représentations de la Conquête », « Les conséquences de la Conquête ». Chaque texte fait l’objet d’une introduction justifiant sa sélection et présentant son auteur (aux fins d’une éventuelle nouvelle édition, je note qu’il n’est pas exact d’écrire que Fernand Dumont « n’avait pas pu accéder au cours classique » [p. 349] ; il a complété le cours classique au Séminaire de Québec).

À la lumière de son recensement d’un éventail étendu d’interprétations de la Conquête, Charles-Philippe Courtois expose sa propre conviction sans équivoque au terme de son introduction : « En somme, la Conquête demeure un point tournant de l’histoire québécoise et occidentale. Cet événement est déterminant pour comprendre le Québec d’aujourd’hui, son poids démographique, sa culture et ses institutions influencées par le monde anglo-saxon, certains traits encore prégnants de la mentalité québécoise et les limites du pouvoir d’autodétermination des Québécois » (p. 49-50). C’est incontestablement plus qu’un « changement de régime ». L’auteur a eu la bonne idée de clore l’ouvrage sur une double chronologie, celle de la Guerre de la Conquête et celle de la Guerre de Sept Ans ; en l’absence d’indication en ce sens sous le titre « Chronologie », le lecteur peut ne pas constater d’emblée qu’il s’agit d’une présentation en parallèle de la première guerre sur la page de droite et de la seconde sur la page de gauche.