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Dans le champ de recherche des migrations, ce livre de Michèle Vatz Laaroussi se situe dans une approche nouvelle, transnationale, que l’auteure partage avec d’autres chercheurs tels que Catherine Wihtol de Wenden (directrice de recherche au CNRS [CERI] et auteure de l’Atlas des migrations dans le monde. Réfugiés ou migrants volontaires, 2005), qui tient compte du fait que les individus sont de plus en plus acteurs de leur mobilité et que le regard des sociétés d’accueil a évolué également en se livrant à la concurrence pour attirer les migrants. La spécificité et l’originalité du livre de Michèle Vatz Laaroussi – auteure de plusieurs études sur les familles immigrantes et réfugiées au Canada, les politiques de régionalisation de l’immigration et les politiques locales de la diversité – sont, avant tout, le choix de la problématique des mobilités secondaires, à savoir les déplacements qui surviennent après une première migration internationale, en vue de comprendre autrement les questions de migration et d’intégration. Son étude des mobilités secondaires des familles immigrantes et réfugiées au Canada et au Québec aboutit à une réflexion et à des propositions sur des pratiques et des politiques d’intervention interculturelle plus pertinentes. Des extraits d’entrevues menées avec des membres de ces familles exposent des histoires de mobilité, de réseaux et de résilience.

Le premier chapitre explore les divers types de mobilité et particulièrement les nouvelles voies, et aborde les liens entre la mobilité et le territoire. L’auteure y propose une typologie des ouvertures du territoire à l’étranger. Une étude comparative des politiques municipales relatives à la diversité dans certaines provinces et localités canadiennes, une analyse des degrés d’interculturalité et une typologie des figures de l’étranger que reflètent des représentations des populations québécoises complètent ce chapitre. Le deuxième chapitre analyse les réseaux immigrants, transnationaux, à la jonction des territoires et de l’histoire. Le rôle des femmes immigrantes et réfugiées y est traité. Le troisième chapitre se penche sur la mobilité des familles immigrantes en société d’accueil, analyse et identifie les stratégies familiales de mobilité au Québec à travers les parcours migratoires.

Si les trois premiers chapitres se focalisent surtout sur les acteurs sociaux de la migration, le quatrième vise à étudier l’intervention et l’action sociale, au sein de la société d’accueil, en vue de favoriser la bonne intégration des familles immigrantes et réfugiées. L’auteure y a recours au concept de « résilience » de B. Cyrulnik, qui renvoie à la capacité de l’individu de faire face aux circonstances adverses, et s’intéresse particulièrement aux processus qui permettent la résilience, à des faisceaux de résilience, des tuteurs et des vecteurs. Ces processus, de réparation et de reconstruction, visent à la remise en projet des familles. Étant donné que le manque de reconnaissance s’avère être l’un des plus importants catalyseurs des problèmes chez les familles immigrantes, Michèle Vatz Laaroussi propose des pratiques et des politiques axées sur la reconnaissance. Ainsi, la reconnaissance des forces du réseau comme porteur d’insertion sociale, la reconnaissance des valeurs et des capacités interculturelles développées dans la migration, et la reconnaissance de la trajectoire migratoire et de l’histoire, qui peut aboutir à une historicisation métissée des territoires. Une série d’orientations sont proposées dans le but de favoriser la résilience locale, en lien avec un territoire, ainsi que la résilience dans la mobilité. Dans la conclusion, Michèle Vatz Laaroussi suggère d’élargir la portée de la résilience en faisant profiter la société d’accueil de l’occasion de s’ouvrir au monde, d’enrichir son imaginaire et de faire partie d’un contexte international associé aux réseaux migrants. La mobilité cesserait ainsi d’être perçue comme un problème et deviendrait un droit, voire la force de nos sociétés.

Cet ouvrage apporte des éléments qui enrichissent le domaine de la recherche et de la formation concernant l’immigration et l’interculturel. Michèle Vatz Laaroussi fait partie des chercheurs qui tiennent compte de l’expérience individuelle et collective des acteurs migrants et qui mettent de l’avant l’importance de la famille, cellule de base de la socialisation (aspects qu’Andrée Courtemanche et Martin Pâquet saluaient comme tendances novatrices de l’étude des migrations, dans le cadre de la recherche historique, dans leur livre Prendre la route. L’expérience migratoire en Europe et en Amérique du Nord du XIVe au XXe siècle, 2001). Dans ce livre, elle approfondit les dimensions théorique et méthodologique et développe des propositions d’intervention, dans le domaine social et politique, qui peuvent être très utiles aux praticiens de plusieurs univers dont ceux de la santé et de l’éducation ainsi qu’aux décideurs et gestionnaires.