Corps de l’article

Le Québec se distingue du reste du Canada par la place qu’y occupe l’union de fait. Le recensement de 2006 montre que dans l’ensemble du Canada, 68,6 % des familles de recensement sont formées autour d’un couple marié et seulement 15,5 % autour d’un couple de conjoints de fait, alors qu’au Québec, ces proportions sont respectivement de 54,5 % et 28,8 %. La spécificité du Québec apparaît de manière encore plus nette lorsqu’on le compare à l’Ontario plutôt qu’à l’ensemble du Canada : en Ontario, 73,9 % des familles de recensement sont formées autour d’un couple marié, tandis qu’à peine 10,3 % le sont autour d’un couple de conjoints de fait. Le contraste est encore plus frappant lorsqu’on examine la répartition des enfants âgés de 14 ans ou moins selon la structure de leur famille. Dans l’ensemble du Canada, 65,7 % de ces enfants vivent avec des parents mariés et 14,6 % avec des parents en union de fait ; en Ontario, ces proportions sont respectivement de 73,8 % et 7,9 %. Au Québec, 45,9 % des enfants de moins de 14 ans vivent avec des parents mariés et 33,8 % avec des parents en union de fait. En termes plus simples, près des trois quarts des enfants ontariens, mais moins de la moitié des enfants québécois, vivent avec des parents mariés alors que moins d’un enfant ontarien sur dix, mais un enfant québécois sur trois, vit avec des parents en union de fait (Milan, Vézina et Wells, 2007). Le recensement de 2006 confirme ce qui était connu depuis déjà plusieurs années (Le Bourdais et Lapierre-Adamcyk, 2004 ; Le Bourdais et Marcil-Gratton, 1996) : au Québec, il est courant que deux adultes vivent ensemble sans être mariés et il est également courant qu’ils choisissent ce cadre pour élever des enfants, alors que la chose est nettement moins répandue dans le reste du Canada.

Aux États-Unis, la recherche sur l’union de fait montre qu’elle demeure un mariage à l’essai qui se termine rapidement par la rupture ou le mariage proprement dit ou encore une forme de mariage au rabais sur laquelle se rabattent les personnes peu favorisées (voir p. ex. Oppenheimer, 2003 ; Oppenheimer, Kalmijn et Lim, 1997). Il semble en aller de même dans le reste du Canda encore aujourd’hui. Kerr, Moyser et Beaujot (2006) ont montré que les conjoints de fait sont nettement moins instruits et moins riches que les époux dans le reste du Canada, mais qu’au Québec, ils ne sont pas moins riches et, en moyenne, à peine moins instruits que les époux. Au Québec, l’union de fait n’attire pas spécialement les personnes défavorisées et, en plus d’être répandue, elle est devenue un cadre normal de la vie conjugale et de la vie familiale au même titre que le mariage.

Si, au Québec, l’union de fait est devenue une forme normale de la vie conjugale et surtout si elle n’y attire pas spécialement les personnes défavorisées, on peut se demander si l’association positive entre le mariage et la santé des conjoints que les auteurs s’entendent à constater dans les écrits scientifiques vaut également pour l’union de fait. C’est à cette question que nous tentons de répondre dans cet article.

Nous traitons le problème en comparant le Québec à l’Ontario de manière à faire apparaître non seulement les différences de santé entre les différentes modalités de la situation conjugale — et notamment la différence entre le mariage et l’union de fait —, mais également les différences qui peuvent exister entre les deux sociétés dans la relation entre la situation conjugale et la santé des conjoints. Si l’on admet que la relation entre la situation conjugale et la santé en Ontario est analogue à celle qui existe aux États-Unis, cette comparaison permettra de mieux faire apparaître la singularité du Québec si elle existe. Pour ce faire, nous utilisons les données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2005.

La situation conjugale et la santé

Dans les études sur la santé, la situation conjugale peut être utilisée comme variable de contrôle dans une étude qui ne porte pas spécialement sur la relation entre la situation conjugale et la santé ou, au contraire, être au coeur de l’étude. Le premier cas est le plus fréquent.

Le survol des études récentes de ce type montre qu’on assimile assez volontiers le mariage et l’union de fait. Van de Velde, Bracke et Levecque (2010) font cette assimilation dans leur étude sur la dépression portant sur vingt-trois pays d’Europe où ils concluent que le risque de dépression est plus faible chez les époux et les conjoints de fait. Muhammad et Gagnon (2010) font également cet amalgame dans leur étude sur l’effet de la condition de parent sur le stress, de même que Ljungvall et Gerdtham (2010) dans leur étude sur l’obésité. Roxburgh (2009) assimile les conjoints de fait aux époux dans son étude sur la dépression. L’assimilation est parfois faite simplement faute de mieux : l’échantillon de l’étude de Kouros et Cummings (2010) sur la dépression des conjoints ne comprend que 3,4 % de couples de conjoints de fait et les auteurs les assimilent aux couples mariés à cause de leur faible nombre.

La pratique, cependant, n’est pas universelle. Plusieurs études traitant de la vie conjugale excluent les conjoints de fait. Springer (2010a) s’intéresse à l’effet négatif de l’emploi de l’épouse sur la santé de l’époux, sujet étudié au moins depuis la publication de l’article de Suarez et Barrett-Connor (1984). L’auteur conclut que cet effet est vraisemblablement un artefact, mais n’étudie que les couples mariés. Dans l’article où il conclut que le fait d’avoir un revenu inférieur à celui de l’épouse a vraiment un effet négatif sur la santé de l’époux (2010b), il se restreint encore aux couples mariés. Wyder, Ward et De Leo (2009) limitent aux époux leur étude sur l’effet de la séparation sur le risque de se suicider. Windsor, Ryan et Smith (2009) restreignent également aux couples mariés leur étude sur le bien-être. Walker et Luszcz (2009) semblent limiter leur recension des travaux sur la santé et la dynamique des couples âgés aux seules études portant sur des couples mariés. L’étude de Scott et al. (2009) sur la santé mentale se borne à l’effet du premier mariage et assimile les conjoints de fait aux célibataires. Miller et Worthington (2010) limitent aux couples mariés leur étude du rôle du pardon dans la santé mentale des conjoints. D’autres études assimilent les conjoints de fait aux célibataires. C’est le cas de Giordano et Lindstrom (2010) dans leur étude sur l’auto-évaluation de la santé. Kues (2010) ne distingue pas les conjoints de fait des célibataires dans son étude sur le poids.

Van de Velde étudie l’Europe entière. Muhammad et Gagnon étudient le Canada. Springer, Miller et Worthington, Kouros et Cummings travaillent aux États-Unis. Windsor, Ryan et Smith utilisent un échantillon américain. Giordano et Lindstrom étudient la Grande-Bretagne. Wyder, Ward et De Leo étudient un état australien. Kues est rattaché à une université allemande et étudie la population suisse. Le traitement que les chercheurs font de l’union de fait semble lié à la prévalence de celle-ci dans la population qu’ils étudient ou à l’information disponible, les deux étant parfois reliées.

La plupart des études sur la santé qui traitent de la situation conjugale sont réalisées à partir de données d’enquête. L’étude de Wilkins, Tjepkema, Mustard et Choinière (2008) sur la mortalité au Canada se distingue par sa méthode : elle a été réalisée en combinant les données du recensement et celles de l’état civil. Les auteurs ont estimé des taux de mortalité normalisés selon l’âge en fonction de la situation conjugale en distinguant l’union de fait du mariage : ce taux est 35 % plus élevé chez les conjointes de fait que chez les épouses et 19 % plus élevé chez les conjoints de fait que chez les époux. Ces taux sont estimés pour l’ensemble de la population canadienne et sans contrôle statistique. Dans le reste du Canada, la condition socio-économique des conjoints de fait est inférieure à celle des époux ; l’étude de Wilkins et al. montre par ailleurs que la mortalité varie en raison inverse de la condition socio-économique. La différence qu’on constate entre la mortalité des époux et celle des conjoints de fait pourrait donc être due, en tout ou en partie, à la différence entre la condition socio-économique des époux et des conjoints de fait dans le reste du Canada.

La plus grande partie des recherches qui portent spécialement sur la relation entre la situation conjugale et la santé sont menées aux États-Unis ou s’en s’inspirent. Les auteurs cherchent généralement à établir si, oui ou non, la vie de couple a un effet positif sur la santé ; ces travaux sont parfois exploités par un courant d’opinion qui favorise le mariage plutôt que l’union de fait (cf. Waite et Gallagher, 2000 ; Waite et Lehrer, 2003). Dans ces travaux, les chercheurs tentent donc d’établir en premier lieu une association entre la situation conjugale et la santé. Ils s’intéressent particulièrement aux habitudes de vie, au bien-être et à la santé mentale. Les recherches se concentrent sur l’association entre le mariage et la santé et traitent peu de l’union de fait ; les conjoints de fait y sont plus volontiers assimilés aux célibataires ou aux époux séparés ou divorcés qu’aux époux eux-mêmes. Une partie de ces études s’intéresse à la nature de la relation entre le mariage et la santé : plutôt que de simplement chercher à établir l’association entre le mariage et la santé, on cherche à établir lequel des deux détermine l’autre.

L’étude de la relation entre la situation conjugale et la santé se fait fréquemment à partir de données d’enquête et au moyen d’indicateurs qui permettent d’évaluer l’état de santé des individus. La recension qui suit donne un aperçu des travaux qui se font dans ce domaine et nous sert à guider le choix que nous devons faire parmi les nombreux indicateurs que contient l’ESCC.

La situation conjugale et les habitudes de vie

Les liens entre la situation conjugale et la santé s’étudient fréquemment en examinant des comportements ou des habitudes qui ont des répercussions sur la santé. Les études de ce genre s’intéressent notamment à l’embonpoint ou à l’obésité, de même qu’à la consommation d’alcool ou de tabac.

Plusieurs études montrent que le poids est associé à la situation conjugale. Le manque d’activité physique et les mauvaises habitudes alimentaires joueraient le rôle d’intermédiaire entre la situation conjugale et le poids. De plus, en règle générale, passer d’une situation conjugale à une autre fait varier le poids. D’après Sobal, Rauschenbach et Frongillo (2003), se marier ferait prendre du poids alors que rompre en ferait perdre ; de plus, la perte de poids qui suit la rupture serait moins importante chez la femme que chez l’homme, l’épouse étant habituellement responsable de l’alimentation dans le couple. Le manque d’activité physique des époux est la cause principale de leur surpoids : d’après Averett, Sikora et Argys (2008), les célibataires sont moins sédentaires et physiquement plus actifs que les époux et les conjoints de fait. Les hommes ont une activité physique plus importante que les femmes et cet écart est plus prononcé chez les célibataires.

Le lien entre la situation conjugale et la consommation de tabac ne semble pas établi de manière claire. D’après Duncan, Wilkerson et England (2006), se marier ne modifie pas nettement la consommation de tabac, alors que le divorce l’accroît considérablement aussi bien chez les femmes que chez les hommes. D’après Sobal, Rauschenbach et Frongillo (2003), plusieurs études montrent que se marier ne diminue pas la consommation de tabac, mais la fait au contraire augmenter chez les femmes ; les conjointes de fait sont proportionnellement plus nombreuses à fumer régulièrement que les épouses. Pour Homish et Leonard (2005), le comportement du conjoint a un effet déterminant sur la consommation de tabac : le conjoint d’un fumeur peut être incité à se remettre à fumer ; à l’inverse, le conjoint qui ne fume pas peut inciter l’autre à cesser de fumer. Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de se remettre à fumer si leur conjoint fume.

Le mariage diminue la consommation d’alcool chez les hommes ; l’union de fait aussi, mais dans une moindre mesure (Duncan, Wilkerson et England, 2006). Chez les femmes, le mariage et l’union de fait tendent tous deux à diminuer la consommation d’alcool (Horwitz et White, 1998). Les femmes mariées consomment moins d’alcool que les femmes qui vivent seules ou qui n’ont jamais été mariées (Wood, Goesling et Avellar, 2007). On observe une association similaire chez les hommes : la consommation des hommes mariés ou qui vivent en union de fait est plus faible que celle des hommes qui vivent seuls ou qui n’ont jamais été mariés. Des études ont montré la baisse rapide de la consommation d’alcool chez les nouveaux époux. Cette diminution est plus importante chez les hommes que chez les femmes et elle ne s’observe que durant les premières années du mariage (Wu et al., 2003). À l’inverse, le divorce augmente la consommation moyenne d’alcool chez les femmes comme chez les hommes.

La situation conjugale, la santé mentale et le bien-être

Les études sur la situation conjugale et la santé mentale accordent une place importante à la notion de bien-être. Au sens courant, ce mot désigne la sensation agréable que procure la satisfaction des besoins physiques, l’absence de tensions psychologiques ou encore la situation matérielle qui permet de satisfaire les besoins de l’existence. En santé mentale, il désigne plus spécialement le sentiment ou la sensation d’épanouissement, de confort ou de satisfaction générale, en parlant autant du corps que de l’esprit (Bradburn, 1969 ; Diener, 2009 ; Huppert, Keverne et Baylis, 2005). Dans ce cadre, nous nous intéressons notamment au bien-être social et au bien-être psychologique (Riff, 1995).

Le bien-être social (« social well-being ») peut être défini comme l’évaluation, par l’individu, de ses relations sociales, de la manière dont autrui réagit à son endroit ainsi que de ses relations aux institutions et à la communauté (Shapiro et Keyes, 2008). D’une façon générale, le bien-être social peut se mesurer par deux indicateurs : l’adaptation sociale (« social adjustement ») et le support social (« social support ») (Waite et Lehrer, 2003). D’après Shapiro et Keyes (2008), les époux, hommes et femmes, s’intègrent plus facilement à la société que les conjoints de fait, les divorcés et les célibataires. Plus précisément, leurs résultats montrent que la différence la plus importante est celle qui oppose le premier mariage à l’union de fait : le bien-être social est nettement plus élevé dans le premier cas que dans le second.

Le bien-être psychologique (« psychological well-being ») dépend de plusieurs facteurs comme la situation socio-économique ou encore la qualité de la relation conjugale. On évalue la situation socio-économique et son influence sur cet aspect du bien-être au moyen d’indicateurs comme le revenu et le niveau d’instruction. Jouir d’un revenu élevé réduit les problèmes économiques auxquels on fait face et favorise ainsi le bien-être psychologique. Brown (2000) reprend les conclusions de nombreuses études menées aux États-Unis à partir des années 1980 qui montrent que le revenu des conjoints de fait est, en moyenne, inférieur à celui des époux ; en conséquence, le niveau du bien-être psychologique des conjoints de fait devrait être également inférieur à celui des époux. La qualité de la relation conjugale affecte également le bien-être psychologique (Brown, 2000). Toujours selon Brown (2000), la qualité de la relation d’une union de fait est généralement inférieure à celle d’un mariage dans la mesure où l’union de fait est un état moins stable que le mariage. Cette instabilité serait la principale cause de l’écart de bien-être psychologique entre les époux et les conjoints de fait. La corrélation entre la qualité de la relation et le bien-être psychologique serait encore plus marquée chez les femmes que chez les hommes.

Le bien-être psychologique peut également être affecté par la dépression, qui varie selon la situation conjugale. Ainsi, les conjoints de fait montrent des niveaux de dépression plus élevés que les époux. L’avantage du mariage est de diminuer la souffrance psychologique et de façon indirecte, les comportements à risque comme le suicide (Cutright, Stack et Fernquist, 2007).

La relation entre la situation conjugale et la santé

Les chercheurs admettent généralement que les époux sont globalement en meilleure santé que les personnes seules, mais ne sont pas unanimes sur la nature de la relation entre le mariage et la santé. Pour Waite (2000), par exemple, le mariage a un effet salutaire qui lui est propre : on est en meilleure santé parce qu’on est marié et on devient en meilleure santé lorsqu’on se marie. Cette idée n’est pas admise par tous. Certains chercheurs croient plutôt qu’on se marie parce qu’on est en bonne santé et d’autres qu’on se refait une santé pour pouvoir se marier.

Les chercheurs qui soutiennent que le mariage a un effet salutaire propre l’expliquent en supposant que le mariage donne accès à des ressources et à des relations qui favorisent le bien-être physique (« physical well-being ») — mesuré par l’auto-évaluation de la santé ou la présence d’incapacités — et le bien-être psychologique et protègent ainsi la santé. Les époux bénéficient souvent du revenu de leur conjoint en plus du leur. L’effet salutaire du mariage serait plus important pour les hommes que pour les femmes : l’époux peut compter sur sa conjointe notamment pour surveiller sa santé et décourager les comportements à risque, et il peut également profiter du réseau social de celle-ci, étant entendu que les réseaux sociaux des femmes sont habituellement plus étendus que ceux des hommes (Wu et Hart, 2002).

Lillard et Panis (1996) supposent plutôt que la relation entre le mariage et la santé est une affaire de sélection : on trouvera facilement à se marier si l’on est en bonne santé, mais on ne trouvera pas aussi facilement si l’on est en mauvaise santé. L’état de santé est donc un déterminant du mariage plutôt qu’un de ses effets. Le processus de sélection serait différent selon le sexe : les hommes dont la santé mentale et physique est faible auraient moins de chance de former une union que les femmes dont la santé est faible (Wu et al., 2003).

Duncan, Wilkerson et England (2006) proposent une interprétation active plutôt que passive du processus de sélection : on se refait une santé — par exemple en réduisant sa consommation d’alcool, en cessant de fumer ou en cessant de consommer des stupéfiants — lorsqu’on a pris la décision de se marier. L’état de santé demeure un déterminant du mariage dans la mesure où on ne trouve à se marier qu’en ayant une bonne santé, mais l’état de santé est le résultat de la volonté de se marier plutôt qu’une condition qu’on ne maîtrise pas. Le mariage en tant qu’objectif devient alors la cause de l’état de santé, même si les deux sont reliés par un processus qui s’apparente à une sélection sur la base de l’état de santé.

Hypothèses, données et méthode

Nous ne cherchons pas à élucider la relation entre la situation conjugale et la santé. Nous ne cherchons pas non plus à établir si, oui ou non, le mariage et l’union de fait, leur formation ou leur rupture, ont des effets identiques sur la santé dans l’ensemble de la population canadienne, comme l’ont fait Wu et Hart (2002). Nous cherchons plutôt à voir si l’équivalence entre le mariage et l’union de fait comme formes de vie conjugale et familiale que l’on constate au Québec, mais pas dans le reste du Canada, se retrouve dans un aspect de la vie conjugale qui n’est pas directement relié à la vie familiale et à sa dimension économique. En d’autres termes, nous cherchons à voir si l’équivalence québécoise entre l’union de fait et le mariage s’étend hors du strict domaine de l’organisation de la reproduction. Plutôt que de comparer le Québec à l’ensemble du Canada ou au reste du Canada, nous le comparons à l’Ontario, qui est la province la plus comparable au Québec par la taille de la population, la géographie, l’histoire et l’économie. Notre hypothèse générale est simple : au Québec, l’état de santé des conjoints de fait et des époux est semblable alors qu’en Ontario, les époux jouissent d’une meilleure santé que les conjoints de fait.

Nous utilisons les données du fichier de microdonnées à grande diffusion (FMGD) du cycle 3.1 de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2005 (Statistique Canada, 2006). L’ESCC est une enquête transversale qui recueille des renseignements sur l’état de santé, l’utilisation des services de santé et les déterminants de la santé de la population canadienne. Elle vise la population de douze ans et plus qui vit à domicile dans les dix provinces et les trois territoires du Canada à l’exception des personnes qui résident sur les réserves indiennes et les terres de la Couronne, celles qui résident dans des institutions comme les prisons et les hôpitaux, les membres à temps plein des forces armées et les personnes qui vivent dans certaines régions éloignées. Un peu moins de la moitié de l’échantillon de ménages du cycle 3.1 de l’ESCC a été sélectionné à partir de la base de sondage aréolaire de l’Enquête sur la population active et un peu plus de la moitié à partir de listes de numéros de téléphone.

Le FMGD de l’ESCC contient de nombreuses mesures reliées à la santé dont la plupart sont liées à des problèmes de santé particuliers et peu fréquents. Nous avons choisi nos variables dépendantes à partir de la recension des écrits et pour leur caractère global : nous ne nous intéressons pas à des problèmes de santé particuliers, mais plutôt à l’état de santé général des individus. Nous avons effectué notre choix parmi les mesures qui ont été utilisées la fois au Québec et en Ontario : l’ESCC est réalisée avec la collaboration des provinces, qui n’ont pas toutes accepté de financer la collecte de toutes les informations proposées par les responsables de l’enquête. La documentation de l’ESCC décrit très sommairement la plupart des mesures recueillies par l’enquête, mais ne fournit parfois que l’énoncé de la question correspondante et la liste de ses modalités ; ce laconisme rend parfois le choix difficile. Par ailleurs, on y utilise une taxinomie des mesures de la santé un peu différente de celle qui est en usage dans les milieux de la santé publique au Québec (cf. Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2004), ce qui peut créer de la confusion.

Nous avons retenu six indicateurs de la santé dont deux sont des mesures de la perception de la santé, deux sont des mesures des habitudes de vie qui influencent l’état de santé, une autre est une conséquence de l’état de santé et la dernière est une mesure du bien-être.

  • L’auto-évaluation de la santé est un indicateur de la perception de la santé ; il était nommé « Indice de la description de l’état de santé » dans les cycles précédents de l’ESCC. D’après la documentation de l’ESCC, il décrit l’état de santé de l’enquêté d’après son propre jugement.

  • L’auto-évaluation de la santé mentale est également un indicateur de la perception de la santé. Il décrit l’état de santé mentale de l’enquêté d’après son propre jugement.

  • Le classement selon l’indice de masse corporelle est un indicateur des habitudes de vie. Il est établi d’après le poids et la taille déclarés par l’enquêté. Il regroupe les enquêtés, sauf les femmes enceintes, en quatre classes : poids insuffisant, poids normal, embonpoint ou obésité. Ces classes ont été tirées du système de classification du poids corporel recommandé par Santé Canada et l’Organisation mondiale de la santé. Selon Santé Canada, il peut être utilisé pour évaluer le risque sanitaire associé au poids : le poids normal est associé au risque le plus faible, le poids insuffisant et l’embonpoint sont associés au risque modéré, et l’obésité, au risque élevé.

  • La participation à des activités physiques de loisir est un indicateur des habitudes de vie. Il indique si, oui ou non, l’enquêté a participé à de telles activités au cours des trois mois qui ont précédé l’enquête.

  • Le nombre des consultations auprès d’un médecin généraliste au cours des douze mois qui ont précédé l’enquête, y compris les consultations par téléphone.

  • La satisfaction de la vie en général est une mesure du bien-être ; elle s’obtient en ne posant qu’une seule question : « Dans quelle mesure êtes-vous satisfait de votre vie en général ? »

Malgré l’intérêt qu’il présente, nous n’avons pas pu utiliser l’indice de l’état de santé, mieux connu sous son nom anglais de « Health Utility Index ». Il s’agit d’un indice général qui résume les aspects quantitatifs et qualitatifs de la santé mis au point par le Centre for Health Economics and Policy Analysis de l’Université McMaster et qui évalue la santé fonctionnelle globale d’une personne à partir de questions sur la vision, l’ouïe, l’élocution, la mobilité, la dextérité, les fonctions intellectuelles, les émotions, la douleur et les malaises (Torrance et al., 1992). Les questions qui permettent de construire cet indice n’ont malheureusement été posées ni au Québec, ni en Ontario.

La valeur des indicateurs est inconnue lorsque le répondant a refusé de répondre, n’a pas donné de réponse ou a répondu ne pas savoir comment répondre. La valeur de l’auto-évaluation de la santé mentale est également inconnue lorsque l’entrevue a été réalisée par procuration, c’est-à-dire lorsqu’on a interrogé un répondant plutôt que l’enquêté lui-même. On trouvera les distributions de ces mesures au tableau 1. Le nombre des consultations auprès d’un généraliste varie de 0 à plus de 30 et a une distribution dissymétrique ; nous regroupons ces valeurs en sept classes.

Tableau 1

Distributions des indicateurs de la santé

Distributions des indicateurs de la santé

Population du Québec et de l’Ontario âgée de 20 à 54 ans.

Les proportions ne sont pas pondérées.

Source : Données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2005

-> Voir la liste des tableaux

Nous limitons l’analyse aux enquêtés âgés de 20 à 54 ans afin de nous concentrer sur la fraction de la population la plus susceptible de vivre en couple, de vivre en union de fait lorsqu’elle vit en couple et dont l’état de santé ne dépend pas principalement du vieillissement biologique.

Nous estimons l’effet de la situation conjugale net de l’âge, du sexe, de la langue, de l’éducation et du revenu du ménage ; on trouvera les distributions de ces variables au tableau 2. Nous estimons les équations à partir du sous-échantillon formé, dans chaque province, des personnes qui ont donné une réponse valide à la variable dépendante ; la taille des échantillons varie donc légèrement d’une variable dépendante à l’autre. Nous ajustons les réponses données aux variables indépendantes de manière à ne pas éliminer les enquêtés pour lesquels on ne dispose pas d’une valeur valide pour toutes les variables indépendantes. Lorsque le nombre des informations manquantes est relativement élevé, nous en faisons une modalité que nous intégrons à l’équation ; lorsque le nombre des informations manquantes est faible, nous les intégrons à une modalité, ce qui est une forme d’imputation.

Tableau 2

Distributions des variables indépendantes

Distributions des variables indépendantes

Population du Québec et de l’Ontario âgée de 20 à 54 ans.

Les proportions ne sont pas pondérées.

Source : Données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2005

-> Voir la liste des tableaux

Nos variables dépendantes sont ordinales au sens de Stevens (1946). Nous estimons les effets des variables indépendantes sur ces variables au moyen de la régression logistique ordinale. Comme pour la régression logistique, ce modèle est construit en profitant du fait que la fonction de densité de la loi logistique centrée réduite est donnée par le logarithme du rapport entre sa fonction de répartition et son complément. On se sert de cette propriété pour établir une relation algébrique simple entre la composante déterministe du modèle et la fonction de répartition de la loi logistique, qui varie par définition de 0 à 1, et qu’on interprète comme une probabilité. Ce modèle peut s’exprimer par la série d’équations suivantes

On peut réécrire cette équation sous une forme plus familière,

dans laquelle lj (xi) représente le logit associé à la probabilité cumulée Cij, qui permet de voir que κj représente l’ordonnée à l’origine de l’équation qui détermine le logarithme du rapport de la probabilité qu’Y prenne la valeur j à la probabilité qu’il ne prenne pas cette valeur. L’effet de chaque variable indépendante est identique dans toutes les équations, qui ne se distinguent que par la valeur de leur ordonnée à l’origine ; cette propriété fait de la régression logistique ordinale un modèle à cotes proportionnelles ou, en termes plus simples, un modèle à rapports de probabilité proportionnels (Powers et Xie, 2008).

Certaines de nos variables dépendantes sont binaires ; il serait possible d’estimer les effets des variables indépendantes sur ces variables au moyen de la régression logistique, mais comme les résultats que produit la régression logistique ordinale se confondent avec ceux de la régression logistique lorsque la variable dépendante est binaire, nous présentons les résultats obtenus au moyen de la première par simple souci d’uniformité. Dans tous les cas, nous présentons les coefficients sous forme de rapport de cotes ; nos tableaux contiennent donc les eκ et les eβ plutôt que les κ et les β.

Ce modèle a évidemment des limites, dont la plus importante est le postulat que les relations entre les variables dépendantes et les variables indépendantes sont proportionnelles. On verra plus loin que les ordonnées à l’origine de certaines de nos sous-équations sont très élevées, ce qui pourrait donner à penser que le modèle n’est peut-être pas parfaitement bien choisi. On pourrait faire l’économie de ce postulat en estimant les effets des variables indépendantes au moyen de la régression logistique multinomiale. Ceci nous forcerait cependant à présenter les résultats de quarante-six équations différentes sans que rien ne garantisse que les ordonnées à l’origine des équations équivalentes estimées au moyen de régression logistique multinomiale soient plus élégantes. Procéder de cette manière entraînerait une perte de parcimonie que la question que nous étudions ne nous paraît pas justifier.

Les estimations des coefficients sont pondérées. Statistique Canada n’a pas publié d’estimations de l’effet de plan moyen de l’ESCC. Le fichier de microdonnées à grande diffusion ne contient ni les variables qui décrivent le plan de sondage, ni poids de rééchantillonnage. On ne dispose donc d’aucun moyen pour tenir compte de l’effet de plan dans le calcul des erreurs-types. Les intervalles de confiance associés aux estimations des coefficients sont donc vraisemblablement trop étroits et les tests associés aux coefficients, trop optimistes.

Résultats

Le tableau 3 présente les résultats de l’estimation des effets de la situation conjugale, nets des effets des autres variables indépendantes, sur les différents indicateurs de la santé que nous avons retenus. Pour économiser l’espace, nous ne présentons pas les effets bruts et les résultats intermédiaires, mais nous les commentons lorsque cela paraît pertinent. Nous avons conservé ou reproduit l’ordre des modalités utilisé dans l’ESCC : les valeurs les plus petites correspondent au meilleur état de santé ou au risque le plus faible.

Tableau 3

L’effet net de la situation conjugale sur la santé au Québec et en Ontario

L’effet net de la situation conjugale sur la santé au Québec et en Ontario

Population du Québec et de l’Ontario âgée de 20 à 54 ans.

Régression logistique ordinale. Les estimations sont pondérées. Les coefficients sont exprimés sous forme de rapports de cotes. Les modalités de référence des variables qualitatives apparaissent entre crochets. * p<0,05 ; ** p<0,01 ; *** p<0,001.

Source : Données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2005

-> Voir la liste des tableaux

L’auto-évaluation de la santé (colonnes 1 du tableau 3). Au Québec comme en Ontario, l’état de santé se détériore avec l’âge et les femmes se déclarent en meilleure santé que les hommes. Les personnes qui déclarent le niveau d’études le plus faible et celles qui déclarent le revenu le plus faible déclarent également l’état de santé le moins bon ; on retrouvera des effets analogues dans la plupart des équations. En Ontario, les conjoints de fait, les veufs, les divorcés et les époux séparés de même que les célibataires déclarent un état de santé moins bon que les époux ; l’écart entre les conjoints de fait et les époux est encore plus marqué lorsqu’on ne contrôle pas les effets du niveau d’études et du revenu. Au Québec, seuls les célibataires déclarent un état de santé moins bon que les époux. Au Québec, les conjoints de fait ne se distinguent pas des époux.

L’auto-évaluation de la santé mentale (colonnes 2 du tableau 3). Les résultats sont similaires à ceux qu’on observe pour l’auto-évaluation de la santé. En Ontario, les conjoints de fait, les veufs, les divorcés et les époux séparés ainsi que les célibataires déclarent un état de santé mentale moins bon que les époux ; comme c’est le cas pour l’auto-évaluation de la santé, l’écart entre les conjoints de fait et les époux est plus marqué lorsqu’on ne contrôle pas les effets du niveau d’études et du revenu. Au Québec, les célibataires de même que les veufs, les divorcés et les époux séparés déclarent un état de santé mentale moins bon que les époux. Au Québec, les conjoints de fait ne se distinguent pas des époux.

Le classement selon l’indice de masse corporelle (colonnes 3 du tableau 3). Au Québec et en Ontario, les femmes se classent nettement mieux que les hommes et le classement se détériore avec l’âge ; les personnes qui déclarent le plus faible niveau d’études et le plus faible revenu se classent également nettement moins bien. En Ontario, les célibataires sont les seuls à se distinguer des époux : ils se classent mieux. Au Québec, les conjoints de fait et les célibataires se classent mieux que les époux.

La participation à des activités physiques de loisir (colonnes 4 du tableau 3). Au Québec et en Ontario, la participation à ces activités diminue avec l’âge et on ne note pas de différence entre les hommes et les femmes. En Ontario, les conjoints de fait sont moins actifs que les époux et l’écart est encore plus marqué lorsqu’on ne contrôle pas les effets de l’éducation et du revenu. Au Québec, les célibataires sont moins actifs que les autres lorsqu’on ne contrôle pas les effets du l’éducation et du revenu, mais la différence disparaît lorsqu’on le fait ; on ne voit pas de différence entre les conjoints de fait et les époux. Au Québec, les conjoints de fait et les célibataires se classent mieux que les époux.

Le nombre des consultations auprès d’un généraliste (colonnes 5 du tableau 3). Au Québec et en Ontario, les femmes consultent le généraliste plus fréquemment que les hommes. On ne constate aucune différence entre les modalités de la situation conjugale ni au Québec, ni en Ontario.

La satisfaction de la vie en général (colonnes 6 du tableau 3). Au Québec et en Ontario, les femmes sont plus satisfaites de leur vie que les hommes et la satisfaction décroît avec l’âge. En Ontario, les époux sont les plus satisfaits de leur vie, suivis des conjoints de fait, puis de toutes les personnes qui vivent seules. On retrouve le même résultat au Québec, mais l’écart entre les conjoints de fait et les époux est moins prononcé, de même que l’écart entre les époux et les personnes qui vivent seules.

Conclusion

Notre objectif est de vérifier si l’équivalence entre l’union de fait et le mariage comme formes de vie conjugale et familiale que l’on constate au Québec, mais pas dans le reste du Canada, s’étend hors du strict domaine de l’organisation de la reproduction. Notre hypothèse générale est qu’au Québec, l’état de santé des conjoints de fait et des époux est semblable alors qu’en Ontario, les époux jouissent d’une meilleure santé que les conjoints de fait. Cinq des six mesures de la santé que nous avons utilisées sont reliées à la situation conjugale de manière utile à notre propos : le nombre des consultations auprès d’un généraliste, en principe associé à l’état de santé général, ne semble pas corrélé à ce qui nous intéresse.

Nos résultats montrent qu’au Québec, les conjoints de fait et les époux ne se distinguent pas dans l’évaluation qu’ils font de leur santé et de leur santé mentale. Les conjoints de fait sont aussi actifs et moins sujets à l’embonpoint ou à l’obésité que les époux, mais ils sont moins satisfaits de leur vie. En Ontario, les conjoints de fait se déclarent en moins bonne santé et en moins bonne santé mentale que les époux, ils sont moins actifs que les époux et ne sont ni plus ni moins sujets à l’embonpoint ou à l’obésité ; comme au Québec, les conjoints de fait sont moins satisfaits de leur vie que les époux, mais l’écart entre les deux groupes est plus prononcé.

En résumé, en Ontario, les conjoints de fait sont en moins bonne santé que les époux, sauf pour leur poids qui ne se distingue pas. Ces résultats sont, dans l’ensemble, semblables à ce qu’on retrouve dans les études réalisées aux États-Unis et conformes à ce que nous devions y trouver d’après notre hypothèse générale.

Les résultats sont plus complexes au Québec. Les conjoints de fait et les époux ne se distinguent pas dans l’évaluation qu’ils font de leur santé et de leur santé mentale. Ces résultats sont conformes à notre hypothèse et corroborent l’idée que l’équivalence qui se constate au Québec entre le mariage et l’union de fait s’étend à un autre domaine que l’organisation de la reproduction. Notre approche ne permet pas de connaître le mécanisme qui relie l’état de santé à la situation conjugale, mais, devant la similitude, le plus simple est de supposer que le mécanisme qui vaut pour la relation entre le mariage et l’état de santé, quel qu’il soit, vaut également pour l’union de fait. On constate néanmoins que les conjoints de fait sont moins satisfaits de leur vie en général que ne le sont les époux ; ce résultat est contraire à ce que nous supposions, mais il n’est pas inattendu puisqu’il est au nombre des différences constatées ailleurs. On explique habituellement cette différence en supposant que la conscience du risque de rupture relativement élevé de rupture de l’union de fait ou encore que « la dynamique de l’égalité » et ses négociations permanentes, en principe plus prononcée dans l’union de fait que dans le mariage, sont des sources d’insatisfaction.

Nous supposions qu’il n’existe pas, au Québec, de différence appréciable de santé entre les époux et les conjoints de fait. Nous ne supposions pas que l’état de santé des conjoints de fait puisse être meilleur que celui des époux. Nous constatons pourtant, de manière tout à fait inattendue, qu’au Québec, les conjoints de fait sont moins sujets à l’embonpoint ou à l’obésité que les époux. Encore une fois, ni les données ni notre approche ne permettent de faire apparaître le mécanisme qui génère ces différences. Nous pouvons toutefois en suggérer deux. L’ESCC ne recueille pas d’information sur la durée de l’union en cours au moment de l’enquête. On sait par ailleurs que le risque de rupture des unions de fait, notamment au Québec, est plus élevé que celui des mariages, et que l’écart est particulièrement grand au cours des premières années de l’union (Laplante et Hébert, 2009). On peut ainsi supposer que les enquêtés qui vivent en union de fait ont été interrogés, en moyenne, plus près du début de leur union que ne l’ont été les époux. Dans la mesure où au moins certains des bienfaits du mariage semblent se concentrer au début de la vie de couple et dans la mesure où ce mécanisme vaut également pour l’union de fait, on peut imaginer que l’avantage des conjoints de fait s’explique par la relative nouveauté de leur situation au moment où ils ont été interrogés. On peut également supposer que dans la mesure où les unions de fait présentent un risque plus élevé de rupture, les conjoints de fait cherchent à demeurer séduisants, notamment en contrôlant leur poids, à la fois pour perpétuer leur union et pour se préparer à devoir séduire un nouveau conjoint en cas de rupture. Les données de l’ESCC ne permettent évidemment pas de mettre ces hypothèses à l’épreuve.

L’union de fait et le mariage ont des effets similaires sur certains aspects de la santé, comme l’autoévaluation de la santé et l’autoévaluation de la santé mentale. L’union de fait a à la fois des effets positifs et des effets négatifs qui pourraient tous être causés par sa dynamique particulière. Vu la complexité des différences entre le mariage et l’union de fait au Québec, il est raisonnable de supposer qu’un autre choix de mesures pourrait donner un éclairage différent.

À notre connaissance, notre étude est la première qui porte sur les liens entre les modalités de la situation conjugale et la santé au Québec. Nos résultats montrent que la relation entre l’union de fait et la santé y est différente de ce qu’elle est en Ontario et aux États-Unis. La relative complexité de cette différence justifie probablement qu’on en poursuive l’étude. Nos résultats sont cependant suffisants pour mettre en garde les chercheurs qui réaliseraient des études pancanadiennes sur la relation entre la situation conjugale et la santé. Nos résultats montrent qu’au Québec, la différence entre le mariage et l’union de fait n’est pas la même qu’en Ontario et peut même s’inverser selon l’indicateur de la santé. Dans la mesure où l’Ontario est semblable au reste du Canada, étudier les différences entre le mariage et l’union de fait au Canada sans exclure le Québec ou sans vérifier systématiquement l’existence d’une relation conditionnelle produirait vraisemblablement des estimations erronées. Par exemple, Wilkins et al. (2008) auraient pu obtenir des résultats différents simplement en calculant leurs taux par province ou tout au moins en distinguant le Québec du reste du Canada. Contrôler la différence entre le Québec et le reste du Canada au moyen d’une simple variable binaire dans un modèle statistique ne résoudrait pas le problème, puisque ce n’est pas simplement l’intensité de la relation qui peut être différente au Québec, mais bien son signe.

Notre étude a des limites. La plus évidente est que l’on ne sait pas depuis combien de temps les enquêtés vivaient avec leur conjoint au moment de l’enquête. On ne connaît pas non plus la composition du ménage alors que le simple fait de vivre avec autrui, même en dehors d’une relation conjugale, peut avoir un effet sur la santé. On peut également supposer que d’autres facteurs dont nous n’avons pas tenu compte, par exemple le fait d’être immigré ou l’origine ethnique, pourraient agir sur la santé d’une manière qui puisse se confondre avec l’effet de la relation conjugale.