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En introduction à son essai Vive la recherche libre !, Andrée Lajoie, professeure émérite à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, remercie vivement ses assistants de recherche qui ont « effectué la recherche documentaire », « établi tous les calculs » présentés dans la première partie, « réalisé les entrevues avec les chercheurs et les administrateurs de la recherche » et « assuré l’analyse préliminaire de ces entrevues, dont une grande partie a été intégrée au texte de la seconde partie de cet ouvrage ». Elle avoue alors, candidement, qu’« il est bien évident que mon incompétence en toutes ces matières ne m’aurait pas permis [autrement] de compléter cette recherche ni d’écrire cet ouvrage » (p. 9-10). Certes, on pourrait croire que la formule n’est que rhétorique, mais force est de constater, après lecture attentive de l’ouvrage, que l’auteure dit vrai tant il comporte des lacunes et des biais qui auraient été immédiatement détectés par des évaluateurs externes si l’ouvrage avait dû passer l’étape, toujours difficile dans le monde académique, de l’évaluation anonyme par les pairs... Le thème abordé étant important, cet ouvrage offre l’occasion de tenter de dépasser les réactions épidermiques et les a priori qui tiennent le plus souvent lieu « d’analyse » du système de la recherche pour en éclairer certains aspects à la lumière de faits facilement vérifiables. On peut en effet déplorer le fait que bien des commentateurs ont souvent de la difficulté à appliquer à un objet trop proche d’eux les méthodes d’objectivation et de distanciation qu’ils enseignent et utilisent pourtant quand il s’agit d’objets qui leur sont extérieurs et ne les touchent pas directement[1].

Après une présentation de l’ouvrage et de ses méthodes, j’expliquerai pourquoi il ne répond pas à l’objectif qu’il s’était fixé, à savoir analyser « l’impact des modes de subvention de la recherche en sciences humaines et sociales sur son orientation » (p. 8) et montrerai que les biais de l’auteure sont l’effet d’une conception purement individualiste de l’activité de recherche.

L’ouvrage se divise en deux parties. La première propose une « Analyse descriptive et quantitative des programmes de subventions » (p.13-69) et la seconde, plus longue, présente le « Point de vue du milieu de la recherche » (p. 73-196). Lapsus ou coquille, on ne sait trop, la première partie présente en fait non pas un seul et unique point de vue, mais le spectre habituel des points de vue qui circulent dans le monde académique, bien que celui de l’auteure soit bien sûr privilégié… Comme on le verra, ce point de vue est assez simple : toute recherche universitaire devrait être « libre », ce qui, pour l’auteure, signifie une recherche « entreprise par le chercheur selon son choix de sujet et sans contrainte quant aux modalités de réalisation de son projet » (p. 16). En somme, c’est une recherche individuelle, choisie de façon individuelle et effectuée de façon individuelle. Tout le reste—c’est-à-dire la recherche en équipe ou sur des thèmes et des disciplines ciblées, de même que les recherches concertées—est défini et classé comme « non libre ».

Avant de présenter au chapitre 2 les résultats de l’étude quantitative des fonds alloués à la recherche libre au Québec tant par les organismes fédéraux que québécois, l’auteure rappelle brièvement, au chapitre 1, l’histoire de ces organismes et de leurs divers programmes. Elle affirme par exemple qu’« on a tendance à penser que le financement de la recherche en sciences sociales et humaines au Canada a commencé avec la création du Conseil des Arts du Canada en 1957 ». Or, ajoute-t-elle, « ce n’est pas exact » car c’est plutôt « un groupe de chercheurs canadiens de renom qui, au début des années 1940, dans le but de favoriser l’érudition et la collaboration, ont fondé ce qui semble être deux organismes non gouvernementaux à but non lucratif, le Conseil canadien de la recherche en sciences sociales et le Conseil canadien de recherches sur les humanités, plus tard fusionnés sous le titre de Fédération canadienne des sciences humaines » (p. 15). Si l’auteure écrit « il semble », c’est qu’en fait son ouvrage ne contient absolument aucune référence aux nombreuses études qui portent sur le système de la recherche au Canada et au Québec, de telle sorte que le lecteur « incompétent en toutes ces matières » pourrait croire que l’ouvrage défriche un terrain vierge. Or, « ce n’est pas exact » car le sociologue Donald Fisher a consacré un ouvrage complet retraçant l’histoire de ces deux organismes créés respectivement en 1940 et 1943 (Fisher, 1991). Il « semble » que les assistants de recherche aient oublié de faire cette recherche de la littérature secondaire qui, à en croire les manuels de méthodologie, constitue pourtant le premier pas de tout projet de recherche « libre », qu’il soit subventionné ou non… Quoi qu’il en soit, l’intérêt de ce chapitre est de fournir les dates de création des différents programmes de subvention des organismes subventionnaires canadiens et québécois depuis leur création jusqu’en 2006. On y trouve aussi la justification des classements qui serviront, au chapitre suivant, à suivre l’évolution de la proportion des budgets consacrés aux recherches « libres » et « non libres ». Trois catégories de programmes de subvention de la recherche sont retenues (les programmes de bourses, qui s’adressent en fait aux étudiants, ne sont pas analysés) : libre, concertée, ciblée/orientée, ces deux dernières pouvant aussi être réunies dans un programme ciblé et concerté. Le critère essentiel est simple : seuls les programmes de subventions individuelles et non ciblés ou orientés sont classés comme étant de la « recherche libre ».

Peut-on faire dire n’importe quoi aux chiffres ?

Une fois les divers programmes classés sous ces rubriques, les tableaux montrent qu’au niveau fédéral—c’est-à-dire au Conseil des recherches en sciences humaines (CRSH)—la proportion des subventions à la recherche « libre » est passée de 100 % en 1957 à 46 % en 2006, soit moins de la moitié du total des fonds disponibles (p. 50). Au niveau provincial les choses sont plus dramatiques car, selon les classements de l’auteure, la proportion des subventions allouées à la recherche « libre » a toujours été équivalente à zéro, sauf, « tardivement et brièvement entre 1988 et 2001 où elles n’occupent que 15% du budget total des subventions à la recherche » grâce au programme « Établissement de nouveaux chercheurs » (p. 53). Globalement, pour l’ensemble des deux paliers de subventions accessibles aux chercheurs québécois, la proportion de recherche libre serait donc passée de 100 % en 1957 à 40 % en 1996 et à 30 % en 2006 (p. 66).

Comment expliquer ces chiffres qui sembleront contre-intuitifs à plusieurs chercheurs qui suivent de près l’évolution du système de la recherche ? Car s’il est absolument évident que la proportion de la recherche ciblée et concertée a augmenté partout dans le monde depuis le milieu des années 1970, il peut sembler curieux qu’elle englobe tout – absolument tout – au Québec. La réponse tient, bien sûr, à la façon dont l’auteure classe les programmes dans les différentes catégories. De façon totalement idiosyncratique, elle considère que depuis que les comités disciplinaires du Fonds québécois de recherches sur la culture (FQRSC) ont été remplacés par des comités définis par grands thèmes (aménagement et appropriation de l’espace urbain ; économie, emploi et marchés ; cultures, religions et civilisations ; milieux de vie, etc.), eh bien !, toute recherche est devenue ciblée de facto ! Le programme a beau indiquer clairement que les jeunes professeurs-chercheurs universitaires peuvent demander une subvention individuelle sur le sujet de leur choix, cela ne suffit pas à convaincre l’auteure qui persiste et signe… Au fait, comme la seconde partie de l’ouvrage se fonde sur quarante entretiens avec des chercheurs, on aurait pu croire que le guide d’entrevue (Annexe 6) comporterait une question sur ce sujet tant il est évident que l’opinion des acteurs a ici son importance, mais ce ne fut pas le cas. Bref, peu importe que les chercheurs se sentent « libres » ou pas, le programme dédié aux nouveaux chercheurs ne constitue pas de la « recherche libre ». Une fois le choix de différenciation fixé, le reste suit et il n’y a plus de recherche libre au Québec : CQFD ! On pourrait se demander pour quelle raison un chercheur serait moins « libre » avec 13 comités sectoriels qu’avec 30 comités à peu près disciplinaires, étant donné qu’il s’agit simplement de deux façons de regrouper des comités composés de pairs. L’auteure ne s’embarrasse pas de la question ni d’y répondre. On peut bien sûr préférer l’ancien système fondé sur des disciplines au nouveau système qui classe plutôt les demandes selon de larges thématiques censées couvrir tout l’éventail de la recherche, mais de là à conclure que cette simple modification de nomenclature a entraîné une perte de liberté de la part du chercheur, il y a un pas à ne pas franchir aveuglement sans réflexion préalable.

Si la définition de la recherche « libre » paraîtra à plusieurs plutôt restrictive, il en va de même de la recherche « ciblée et concertée ». En effet, de façon plutôt déconcertante, l’auteure classe dans cette rubrique composite les chaires de recherche du Canada[2] sur la base du raisonnement suivant : ces chaires sont « donc ciblées pour le chercheur qui en fait la demande, peu importe que les priorités ne soient pas fixées directement par l’organisme subventionnaire qui cautionne cependant celles de l’université concernée, et concertées, puisqu’on lui impose d’y attirer des experts internationaux » (p. 28). L’auteure concentre ici un grand nombre de ce qu’il faut bien appeler des erreurs. Tout d’abord, notons que l’on semble ici jouer sur les mots. Les programmes ciblés ont été définis par l’auteure comme étant ceux qui fixaient à l’avance les disciplines ou les types de projets qui pouvaient être soumis, par exemple le programme « Initiatives sur la nouvelle économie » du CRSH. Or, les choix des thèmes des chaires octroyées aux universités sont totalement ouverts. Bien sûr, au moment de trouver un ou une titulaire, il faut bien la définir ! Mais en quoi cela est-il différent de l’ouverture d’un poste de professeur régulier ? En effet, on n’embauche jamais un « professeur d’université » mais bien un « professeur de sociologie » ou d’histoire – et même, en fait, un professeur de sociologie du travail ou d’histoire médiévale. Et le processus est tout à fait similaire pour les chaires et les postes de professeurs réguliers : les départements et les professeurs font tout ce qu’ils peuvent pour définir le poste en fonction de leurs intérêts ! Certains gagnent et d’autres perdent. Mais cet aspect compétitif des chercheurs, des disciplines et des départements est absent de l’horizon d’analyse de l’auteure alors que, on y reviendra plus loin, il est en fait central à tout le système de la recherche.

Ainsi, à suivre le raisonnement d’Andrée Lajoie, tous les postes de professeurs d’université seraient en fait ciblés ! Or, il suffit de consulter la liste des « thèmes » couverts par les Chaires de recherche du Canada pour y trouver, du moins dans les humanités mais aussi dans les sciences de la nature, le type même de la recherche libre et individuelle dans des domaines plutôt éloignés de la « demande sociale ». Et même les thèmes du jour comme les « nanotechnologies » ou le plus curieux « business ethics » ne sont pas « ciblés » a priori, mais bien choisis par les départements eux-mêmes qui décident de développer de tels axes de recherche perçus – à tort ou à raison, seul le temps le dira – comme « porteurs », selon l’expression à la mode en certains milieux. Il s’agit donc en fait de choix effectués le plus souvent par des professeurs réunis en assemblées départementales, tant il est difficile même à des doyens autoritaires de pouvoir imposer un nouveau professeur contre la volonté des départements. Et ce n’est pas en pointant une exception aberrante que l’on infirmera cette règle. Quant à l’argument que le programme est « concerté » sous prétexte que l’on devrait y « attirer des experts internationaux », il est absurde car ce n’est pas une obligation et en fait seulement une minorité des titulaires (31 %) provient de l’étranger[3]. Ici encore il faut faire la part de la rhétorique et de la réalité car le programme n’est pas réservé aux étrangers même si la rhétorique met de l’avant la volonté « d’attirer des experts internationaux ». Et comme on peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut, il y aura toujours quelqu’un – avocat ou expert en communications – pour affirmer qu’après tout, « près d’un tiers » d’étrangers est un « grand succès » dans le contexte d’une « intense compétition internationale » !

Toujours à propos du programme des Chaires de recherche du Canada, l’auteure se contente d’affirmer « qu’il outrepasse les compétences législatives » de l’État fédéral, « la recherche en elle-même fait partie de l’éducation qui relève expressément des provinces », le pouvoir fédéral de dépenser n’existant que dans la mesure « où il s’appuie sur une compétence implicite » (p. 29). Comme elle le note avec justesse, la validité des interventions fédérales « n’a pas été attaquée devant les tribunaux » (p. 29). Cependant, elle aurait pu ajouter qu’en fait la « recherche » existe aussi en dehors du contexte du domaine de l’éducation, que les laboratoires fédéraux de recherche du CNRC par exemple ont été mis en place dès 1929 et que, rapidement, de la recherche plutôt fondamentale s’y est faite, de telle sorte que la relation « recherche » et « enseignement » n’est pas aussi simple et automatique qu’on pourrait le croire. Enfin, ce n’est pas un hasard que l’intitulé du programme soit bien « Chaires de recherche », de façon à bien séparer, en principe à tout le moins, l’enseignement (clairement provincial) de la recherche (un domaine partagé depuis au moins 1917, année de la création du CNR, ancêtre du CRSNG).

On pourrait aussi montrer que le budget de la Fondation canadienne pour l’innovation est « concerté » mais pas « ciblé », qu’il est ouvert aux individus et, de ce fait, « libre » et qu’il subventionne plusieurs projets fondamentaux qui ne répondent pas directement aux « besoins sociaux ». Le principe du caractère arbitraire de certains classements étant établi, revenons plutôt aux résultats globaux. Le lecteur profane en ces matières pourra en effet trouver originale cette étude quantitative, surtout s’il ignore, étant donné encore une fois l’absence de littérature secondaire dans l’ouvrage, qu’il existe en fait déjà un article, publié par Benoît Godin, Michel Trépanier et Mathieu Albert en 2000 dans la revue Sociologie et sociétés, qui fait exactement ce genre de classement (Godin, Trépanier et Albert, 2000)[4]. En effet, après avoir analysé de façon systématique les discours contenus dans les programmes d’organismes subventionnaires de plusieurs pays, dont le Canada, les auteurs, qui ont bien compris que la rhétorique des documents officiels est souvent différente de la réalité des programmes mis en oeuvre, analysent également l’évolution des budgets des organismes canadiens (CRSH, CRSNG et IRSC) et québécois (CQRS, FRSQ, FCAR) dans toutes les disciplines. Les trois auteurs (certains diraient « l’équipe ») définissent la recherche libre comme un programme qui « n’impose aucune contrainte – autre qu’interne au champ scientifique – au chercheur relativement aux modalités d’obtention de la subvention » (p. 29). À remarquer que cette définition est équivalente à celle utilisée par Andrée Lajoie dans son ouvrage, à un détail près : les trois auteurs n’excluent pas le travail en équipe pour autant qu’aucune contrainte ne soit imposée aux chercheurs dans la conception de leurs projets. Cela signifie par exemple que le programme « soutien aux équipes » du FCAR (devenu en 2001 le FQRSC) et le programme des Chaires de recherche du Canada est pour eux de la recherche « libre ». Par contre, ils classent tout programme ciblé, qu’il soit individuel ou non, comme étant « orienté ». Cette petite différence de définition produit en fait de grandes différences de résultats. Selon eux : « Le budget consacré à la recherche libre en 82-83 représentait 77 % de l’enveloppe budgétaire [fédérale et provinciale] alors qu’il en représente 73 % en 96-97 » (p. 29). Les auteurs notent également le fait bien connu que « le financement de la recherche est davantage orienté au niveau québécois qu’au niveau fédéral. Par exemple, en 1997 95 % du financement du FRSQ et 100 % de celui du CQRS sont dédiés à la recherche orientée » (p. 30). Les auteurs analysent aussi les programmes en fonction de leur caractère individuel ou collectif et concluent que « la valeur des fonds consacrés à la recherche individuelle se situe à environ 75 % » (p. 32). Pour plus de détails, le lecteur intéressé pourra consulter le texte original (accessible gratuitement sur le site Érudit.org). Notons au passage que selon cette analyse, le voeu de l’auteure d’affecter « au moins la moitié des subventions totales à la recherche libre » (p. 200) serait en fait déjà réalisé et même surpassé !

On l’aura compris, une bonne partie de la différence entre ces résultats tient au fait que pour l’auteure de Vive la recherche libre !, la seule recherche vraiment libre est en fait individuelle, alors que pour l’équipe Godin-Trépanier-Albert, la recherche libre est simplement celle qui est décidée sans contrainte par les chercheurs. Former une équipe peut bien sûr être un geste libre de la part des chercheurs qui désirent travailler ensemble. S’il est vrai que l’on peut faire dire n’importe quoi aux statistiques, il n’en demeure pas moins que certaines définitions sont plus crédibles que d’autres et plus conformes aux pratiques réelles de la recherche. Il est éclairant qu’un administrateur interviewé ait fait observer qu’« au CRSH, le nombre de subventions ordinaires de recherche qui se font en équipe a quadruplé en dix ans. Et il n’y a pas eu d’incitatif » (p. 99). Cela suggère donc que ces équipes se sont librement constituées. Pourquoi alors décréter le programme « équipe » comme « non libre » ? On y reviendra plus loin après avoir discuté du traitement réservé aux entrevues.

L’entrevue anonyme comme source de dénonciations et de médisances

Les chapitres 3, 4 et 5 présentent les points de vue de 40 chercheurs et 10 administrateurs qui s’expriment sur leurs perceptions des transformations de la recherche. Curieusement, il ne leur est jamais demandé leur propre définition de la recherche libre ou comment ils classeraient les différents programmes, ce qui aurait été très éclairant au regard des résultats de la première partie. Mieux, la question de la possible discrimination sexuelle à l’université n’a été posée qu’aux femmes, comme si les hommes ne pouvaient pas avoir une opinion intéressante (et digne d’être analysée sociologiquement) sur cette question (p. 189). Quoi qu’il en soit, le contenu des entrevues est analysé en trois chapitres consacrés aux perceptions de l’état de la recherche (chapitre 3), aux contraintes découlant des modalités de subvention (chapitre 4) et aux influences des facteurs socioculturels que sont les générations (jeunes ou non), la discipline, l’université, la langue et le sexe (chapitre 5). Bien qu’elle prétende « analyser » les entretiens avec les chercheurs et les administrateurs, cette partie se contente en fait de citer des extraits des diverses opinions exprimées sans jamais fournir de véritable analyse. Cela donne une suite de points de vue reliés par les expressions « Pour certains chercheurs… » (p. 85) ; « D’autres perçoivent également… » (p. 86) ; « D’autres perçoivent au contraire… » (p. 87) ; « selon un autre administrateur… » ; « d’autres administrateurs, moins nombreux … » (p. 132) et ainsi de suite. Les points de vue sont alignés les uns après les autres et semblent tous équivalents. On tombe alors facilement dans les impressions non vérifiées comme cette « impression partagée par quelques interviewés » que le CRSH « diminue graduellement les montants réservés aux chercheurs individuels » (p. 103) sans que l’on ajoute si cela est vrai ou non, alors que les chiffres existent dans les rapports annuels. Les résumés donnent des truismes du genre « les chercheurs se partagent quant à la situation générale de la recherche entre ceux qui la considèrent comme favorable et ceux qui la qualifient de dramatique » (p. 85). Pis encore, les entrevues deviennent des prétextes à l’expression de jalousies ou rivalités, sport bien connu des universitaires de tous les pays et pas seulement de ceux peuplant le petit monde des romans de David Lodge. Ainsi, ceux qui n’aiment pas les équipes affirment le danger « d’équipes de recherches artificielles » (p. 106), cliché bien connu du monde académique (et qui a son envers dans le mépris de certains pour le travail solitaire) tout comme l’incontournable : « ce n’est pas en comité qu’on fait des découvertes » (p. 107) ! Aussi, « d’aucuns constatent », comme le dit l’auteure, « la disparition d’authentiques échanges entre les chercheurs », le peu de temps disponible « pour le véritable travail de recherche », ou encore « pour la création de liens organiques entre eux » (p. 107). On aura bien sûr décelé la présence des qualificatifs typiques du romantisme qui déplore que « l’authentique », « le véritable » et « l’organique » ne soient plus de ce monde, sauf bien sûr dans « mon projet » ou même dans « mon équipe ». Pour faire bonne mesure, l’opinion contraire existe aussi, un optimiste affirmant que « les choses, à mon avis, prennent un virage qui est prometteur et stimulant. Il y a plus d’interactions que jamais qui se mettent en marche » (p. 86). Les ragots ne sont pas oubliés : « J’ai connu des équipes qui étaient confectionnées de manière tout à fait artificielle » (p. 106), etc. Quant aux programmes de recherche « thématiques », ils ne peuvent bien sûr « qu’attiser l’opportunisme de certains chercheurs et, par conséquent, créer de faux spécialistes ou des spécialistes improvisés » (p. 123). Cela s’est vu en effet, même sans l’incitation de programmes thématiques… Mais plus loin on apprend que l’inverse existe aussi, car « la survalorisation de ce type de recherche [thématique] risque de confiner des chercheurs à certains domaines » (p 124).

Bien que les citations tirées des entrevues (réalisées sans que l’on ne connaisse la méthode de sélection des intervenants) laissent surtout transparaître l’opinion de l’auteure, il reste que, dans cette cacophonie d’opinions individuelles, des points de vue différents sont exprimés. Les académiques étant fort diserts, on peut en effet toujours trouver les citations qui viennent confirmer nos préjugés, car tout et son contraire s’y retrouvent. Ainsi, dans la logique typique de la dénonciation que favorise l’anonymat, une personne affirme : « il s’agit donc de remplir son CV en multipliant les articles, alors qu’on sait bien qu’un article qui est signé par quatre ou cinq personnes a été écrit par un seul. Je trouve ça un peu pervers et inquiétant » (p. 91). On ignore si l’affirmation contraire se retrouve aussi dans le corpus d’entretiens, mais il est évident qu’une personne aurait pu tout aussi bien affirmer, toujours sous le couvert de l’anonymat, que « l’on sait bien qu’un article, ou même un livre, signé par une seule personne est souvent en partie le travail de recherche, et même d’écriture, d’assistants de recherche dont les noms n’apparaissent pas comme coauteurs ». En fait, l’idée qu’un article soit nécessairement écrit par une seule personne fait partie de l’imaginaire de l’écrivain isolé dont le génie individuel est seule source d’innovation réelle. Mais la science d’aujourd’hui est en fait devenue essentiellement collective y compris en sciences sociales et ce, même s’il est encore vrai qu’elle est surtout individuelle dans les humanités (par exemple en philosophie et en littérature). Ici encore quelques chiffres remplacent facilement des opinions : en 2003 par exemple, 56 % des articles en sociologie publiés par des chercheurs canadiens étaient signés à plus d’un auteur comparativement à 30 % en 1981. En sciences humaines, par contre, la proportion reste stable et se maintient autour de 10 %.

Confondant souvent opinion et réalité et prenant comme des faits certaines opinions exprimées, l’auteure parle ainsi de « relative timidité des chercheurs québécois en sciences sociales et humaines sur la scène internationale » (p. 79). Aucun fait ne vient appuyer cette affirmation alors qu’un indicateur objectif simple montre qu’elle est fausse. Il n’y a aucune différence entre le Québec et l’Ontario en ce qui concerne la tendance à l’internationalisation de la recherche en sciences sociales : la proportion des articles écrits en collaboration internationale y suit exactement la même courbe, passant d’environ 10 % en 1980 à 35 % en 2008[5]. Cela démontre bien que si les entrevues sont utiles pour étudier et expliquer les perceptions et les représentations, elles ne peuvent remplacer la prise en compte des données factuelles mesurables qui ne se confondent pas avec l’opinion subjective de personnes qui improvisent souvent leurs réponses sans vraiment consulter les données disponibles.

Notons enfin qu’il ne s’agit pas ici de nier l’existence des cas rapportés, de façon toujours stylisée, mais de se demander si toutes ces citations mille fois entendues dans les corridors constituent un « exposé analytique des points de vue » (p. 96) comme l’affirme l’auteure. Une telle analyse aurait exigé la prise en compte systématique des caractéristiques des personnes qui ont exprimé leurs « opinions » et pas seulement la mention ici et là de leur discipline d’appartenance (droit, histoire, sociologie, philosophie, science politique) et le choix arbitraire d’extraits. Le tout est en fait plus impressionniste qu’analytique et ce compendium d’opinions académiques diverses et souvent contradictoires n’apprendra rien de nouveau aux chercheurs et administrateurs qui suivent de près les transformations du système de la recherche au Canada et au Québec.

Contrainte collective et liberté individuelle

Fondamentalement, les nombreux problèmes identifiés jusqu’ici proviennent d’une confusion des niveaux d’analyse : d’un côté la notion de « recherche libre » renvoie à des individus qui prennent des décisions pour eux-mêmes, alors que les programmes des organismes subventionnaires doivent s’appliquer à l’ensemble d’une communauté qui est composée, comme toujours, d’agents aux intérêts différents et souvent divergents. Ce rôle actif des chercheurs dans la création de programmes est pourtant mentionné dans les entrevues, mais lorsqu’ils ne font pas l’affaire de l’auteure, ils sont tout simplement minorés, sinon ignorés. Ainsi, lorsqu’un administrateur fait observer que la création d’un programme de recherche concertée par le Conseil des Arts du Canada en 1975 répondait « aux voeux de certains chercheurs », l’auteure écrit que cela « semble » être le cas et que le Conseil « aurait répondu à une demande du milieu universitaire », comme si cela n’était qu’une hypothèse et non une évidence (p. 18-19). En fait, ce qui manque cruellement dans cet ouvrage est la présence non seulement des chercheurs qui ont souvent été consultés avant la création de nouveaux programmes, mais également des membres des conseils d’administration des organismes qui sont dans la très grande majorité des cas de chercheurs actifs et reconnus dans le monde académique, les membres non-professeurs étant très minoritaires[6].

En lieu et place d’une analyse de la complexité des relations entre les chercheurs, les organismes subventionnaires et leurs ministères de tutelle, on a droit à une vision dichotomique qui oppose simplement d’un côté les chercheurs et de l’autre le « politique » qui « impose » ses choix aux organismes subventionnaires et donc aux chercheurs. En fait, les choses sont, on s’en doute, plus complexes. Au niveau fédéral, par exemple, il faut distinguer, d’une part, les programmes qui sont bel et bien dictés par le ministère de tutelle, sans l’accord ou même l’avis des organismes subventionnaires (CRSH, CRSNG et IRSC), par exemple les Bourses Vanier, le programme des Chaires de recherche, la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) ou l’Initiative sur la nouvelle économie (INE) au CRSH et, d’autre part, les programmes mis en place par les organismes eux-mêmes sur la base des analyses internes et des consultations des chercheurs – par exemple les domaines stratégiques de recherche depuis le début des années 1980 (présentés au Tableau 1, p. 24 de l’ouvrage), les initiatives conjointes ou encore les Alliances de recherche universités-communautés (ARUC). Il est en effet évident que la politique scientifique du gouvernement du Canada depuis le milieu des années 1990 se fait de plus en plus en contournant les organismes subventionnaires et en créant directement des organismes aux programmes ciblés, par exemple la FCI et Génome Canada, ou en annonçant directement des nouveaux programmes qui sont ensuite administrés par les Fonds subventionnaires qui ne les ont pas définis (Gingras, 2004). Ajoutons toutefois qu’il ne faudrait pas imputer complètement aux politiciens des initiatives qui en fait proviennent du lobby des grandes universités canadiennes, comme ce fut le cas pour les Chaires de recherche et la FCI. Quant à Génome Canada, c’est là aussi davantage une idée que des chercheurs ont réussi à vendre à des politiciens en quête de programmes présentés comme étant à « l’avant-garde du progrès ».

Alors que la recherche scientifique a longtemps été marginale dans l’agenda des politiciens, il est certain que la rhétorique de la « société du savoir » et encore davantage de « l’économie du savoir » a contribué à faire de la recherche, le plus souvent entendue comme « innovation », un domaine d’intervention donnant de la visibilité aux gouvernements en place, d’où leur présence de plus en plus active dans ce secteur même si c’est souvent pour semer la confusion dans la logique interne des différents programmes des organismes subventionnaires (Gingras, 2009). Face à un tel environnement, on peut comprendre que les membres des conseils d’administration fassent des choix stratégiques visant à maximiser leurs budgets.

Prenons le cas des relations du FQRSC avec le CRSH. L’auteure se limite à affirmer timidement que « la complémentarité semble en effet être un souci constant pour le FQRSC » (p. 82). Mais ce n’est pas une simple apparence ou une opinion des personnes interviewées, mais bien une politique explicite depuis des décennies ! La question n’est pas de savoir si l’on est d’accord ou non avec cette politique, mais de la comprendre pour ce qu’elle est : une stratégie qui permet (ou non) aux présidents des Fonds québécois de répondre à leur ministre de tutelle – qui leur demande si leur organisme ne fait pas double emploi avec les programmes fédéraux – qu’ils sont en fait complémentaires et ont même un « effet de levier ». Après tout, les chercheurs de l’Ontario se tournent davantage vers le fédéral que vers leur province pour leurs subventions de recherche, car ils ne bénéficient pas de l’étendue des programmes offerts par le FQRSC ou le FRSQ. En répondant que les programmes sont complémentaires – et en s’assurant autant que possible qu’ils le soient vraiment – les présidents des Fonds québécois croient augmenter leurs chances de survie, ce qui n’est pas bête, avouons-le, dans le contexte des luttes permanentes pour l’obtention de nouveaux budgets en période de déficits budgétaires récurrents. De même, au niveau fédéral, la mise de l’avant de programmes semblant répondre plus directement aux « besoins sociaux » – construction sociale des politiciens et autres porte-parole autoproclamés de la « société » – vise à obtenir des fonds supplémentaires. Car il est évident que ce n’est pas par la promotion de la recherche « libre » et « individuelle » que les ministres seront convaincus de l’importance d’y investir des fonds publics. Si l’auteure évoque à juste titre ce qu’elle nomme la « thèse du surplus » qui « s’obtiendrait plus facilement du gouvernement pour de la recherche ‘stratégique‘ que pour de la recherche de ‘base‘ » (p. 118), elle n’en tire pas toutes les conséquences. En effet, le diable – tout comme le bon Dieu d’ailleurs – se loge dans les détails. Il est évident que les programmes offerts doivent couvrir autant que possible toute la « palette » des demandes éventuelles. Après tout, si les demandes qui aboutissent aux programmes équipes, réseaux, ARUC et autres sont si nombreuses, c’est sûrement que parmi les nombreux « opportunistes », « arrivistes » et autres « cyniques », il y a tout de même quelques chercheurs pour qui cela répond au type de recherche qu’ils font. S’il n’y avait aucune demande réelle, les programmes seraient fermés ou redéfinis comme le sont d’ailleurs régulièrement les programmes stratégiques du CRSH, le tableau 1 (p. 24 de l’ouvrage) indiquant qu’ils durent rarement plus d’une dizaine d’années.

En plus de répondre aux demandes de certains chercheurs, les programmes thématiques ou ciblés ont un effet indirect qui peut paraître surprenant et contre-intuitif : il augmente en fait l’accès au programme de recherche individuelle ! Voici le secret ou, pour les cyniques, le truc : appliquer le principe des vases communicants. Les chercheurs qui travaillaient disons sur l’émergence de la « nouvelle économie » devaient faire compétition avec leurs collègues de la même discipline (mais qui privilégiaient d’autres objets) et soumettre leurs demandes au programme ordinaire de subventions individuelles dont le taux de réussite oscille autour de 35 %. Une fois le programme « ciblé » de l’INE créé, non seulement ces personnes augmentaient probablement leurs chances de succès dans le nouveau programme, plus homogène, mais, ce faisant, elles libéraient pour ainsi dire des places dans le programme de subventions ordinaires lequel pouvait alors attribuer des subventions à des personnes qui n’en auraient probablement pas reçu. Bien sûr, cela suppose qu’il y a toujours des personnes qui travaillent déjà sur le nouveau sujet « à la mode » ce qui est, en fait, toujours le cas ; on peut même croire que ces chercheurs sont souvent ceux qui font la promotion du « nouveau » domaine. Il est en effet difficile de croire que le ministre de l’Industrie aurait ciblé de l’argent pour un programme de bourses « réservé aux domaines des affaires » sans un lobby actif d’universitaires (en sciences de la gestion par exemple) qui avaient ces domaines de recherche à coeur. On peut penser aussi au programme de Subventions de recherche-création en arts et lettres du CRSH, récemment mis en place, qui répond aux demandes des professeurs de départements de danse et de théâtre (entre autres) dont les travaux n’étaient pas couverts par les programmes habituels plutôt axés sur la « recherche » que sur la « création ».

C’est, en gros, ce mécanisme qui permet de résoudre la contradiction apparente entre contrainte collective et liberté individuelle. Et l’affirmation de l’auteure selon laquelle le ciblage entraîne « des limites à la liberté d’enseignement et de recherche et à la créativité des chercheurs, sans parler des pertes qu’il entraîne pour la société » (p. 198) n’est que cela : une affirmation, nullement argumentée et encore moins démontrée. Car pour démonter quelque effet que ce soit des différents programmes sur la recherche et les chercheurs, l’auteure aurait dû les étudier en détail comme l’ont fait, par exemple, Robert Dalpé et son collaborateur en montrant que l’on pouvait identifier différents groupes parmi les chercheurs qui avaient bénéficié du programme stratégique du CRSNG sur l’énergie solaire au cours de la décennie 1980 (Dalpé et Gingras, 1990) ; ou, encore, comme Lionel Vécrin qui, dans son mémoire de maîtrise sur le programme des actions concertées du FCAR, met en évidence l’effet des évaluateurs non académiques sur le choix des projets subventionnés (VÉcrin, 2003) ; ou, enfin, Mathieu Albert qui, dans sa thèse de doctorat, analyse les transformations des pratiques de recherche en économie et en sociologie au Québec dans un contexte marqué par des tensions entre, d’un côté, « la demande sociale de connaissances » et, de l’autre, la logique traditionnelle de la production scientifique » (Albert, 1999 ; voir aussi Albert et Bernard, 2000). À ces quelques travaux québécois, on devrait aussi ajouter l’ouvrage de Janet Atkinson-Grosjean (2006) consacré au programme fédéral des Réseaux de Centres d’excellence, sans parler de la vaste littérature, surtout anglo-saxonne, sur ces sujets parus au cours des dix dernières années (Bruno, 2008 ; Geiger, 2004 ; Newfield, 2008 ; Slaughter et Leslie, 1997).

En fait, le ciblage sert les intérêts de certains chercheurs, que cela nous plaise ou non. Quant à la liberté d’enseignement qui serait menacée par les programmes ciblés, elle n’a rien à voir avec les organismes subventionnaires, mais bien avec les programmes universitaires de premier, deuxième et troisième cycles. Si la liberté d’enseigner signifie pour le professeur enseigner ce qui lui plait, eh bien il est évident que l’existence même de programmes d’enseignement brime la liberté des professeurs lorsqu’elle est conçue, comme dans le cas de la recherche, de façon aussi individualiste. Bien sûr, dans un monde parfait et aux ressources illimitées, il n’y aurait qu’un immense programme de subvention libre où tous les chercheurs pourraient soumettre leurs demandes sans contrainte et dont le taux de réussite avoisinerait 100 % tant il est, aux yeux de certains, évident que tous les professeurs, puisqu’ils sont à l’université, font de la bonne recherche et méritent des subventions. Mais ce monde n’existe pas et le travail d’analyse du sociologue consiste à comprendre le monde tel qu’il est avant de déplorer qu’il ne ressemble pas à celui de nos rêves de jeunesse. Et il est certain que même pour le changer, il faut d’abord s’assurer de le bien comprendre, sinon les recettes proposées ne donneront rien ou pis, génèreront des effets pervers. Et si ce monde idéal de la recherche « libre » semble avoir existé, ou du moins s’en être rapproché, dans les années 1950 et 1960, c’est parce que la démographie universitaire était bien différente. Les chercheurs universitaires en sciences sociales étaient alors très peu nombreux tandis qu’ils sont aujourd’hui pléthore. Comme on l’a montré ailleurs, ce qui caractérise le monde universitaire depuis les années 1960, c’est bien la montée fulgurante des sciences sociales, comparée à la stabilité relative des sciences naturelles et au déclin des humanités (Gingras et Warren, 2007). Ces transformations structurelles ne peuvent avoir été sans effet sur les pratiques de la recherche, sans compter la fin des Trente Glorieuses vers 1975 qui a été suivie d’une rareté croissante des fonds de recherche comparée à la croissance effective plus rapide du nombre de chercheurs actifs.****

En somme, les nombreuses faiblesses de la critique du système de la recherche mise de l’avant par l’auteure dans son ouvrage au titre mobilisateur découlent essentiellement d’une absence de distanciation par rapport à un univers faussement familier et donc difficilement objectivé et faisant fi des travaux antérieurs, et surtout d’une vision ultra-individualiste de la recherche et de l’enseignement : l’individu pense seul, travaille seul et écrit seul ; bien entendu, il lui faut parfois le recours à des assistants et les échanges avec des collègues, mais cela est accessoire à la pensée véritable. Que la réalité du monde de la recherche de la fin du XXe et du début du XXIe siècle ne soit plus celle du début ou même du milieu du XXe siècle, cela n’est, aux yeux de l’auteure, que déplorable et il suffit alors de faire des calculs et des entrevues pour le prouver à ceux qui en doutaient encore. Mais lorsque l’auteure note dans sa conclusion que le ciblage de la recherche entraîne « plusieurs inconvénients », dont le « danger d’orientations à caractère idéologique dictées de l’extérieur et surtout, [la] nature incertaine de la qualité des résultats » (p. 197-198), elle ne semble pas réaliser que son ouvrage montre aussi que de tels « inconvénients », surtout les derniers, peuvent également résulter d’une recherche individuelle et « libre », mais fondée sur une idéologie : l’individualisme.