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Ce petit livre au titre accrocheur propose d’expliquer ou, tout au moins, de fournir au lecteur certaines clés de compréhension des attentats terroristes qui sont survenus à Casablanca, au Maroc, le 16 mai 2003. Ces attentats, rappelons-le, sont intervenus dans les premières années du règne de Mohammed VI, caractérisées par un renouveau marqué des politiques sociales et économiques, des interventions sur l’habitat et de l’aménagement urbain, tout comme des institutions politiques et des droits de la personne.

La grille d’analyse proposée se réfère à ce que l’auteur qualifie de « modèle centre / périphérie », c’est-à-dire un système d’oppositions entre un centre hypertrophié, lieu de concentration des pouvoirs et des richesses matérielles et symboliques, et des périphéries mal intégrées spatialement et socialement, qui sont des lieux de relégation des populations marginalisées, la plupart du temps exclues de l’économie officielle et cantonnées aux petits boulots. Il est à noter que cette opposition peut prendre des formes matérielles diverses et qu’à l’échelle d’une agglomération, celle du grand Casablanca ou de l’axe Kenitra-Casablanca, on remarque que les pires bidonvilles, les plus anciens, peuvent se trouver tout à fait au centre. Dans d’autres cas, ce sont les espaces d’habitation de la médina, elle-même lieu de haute centralité symbolique, qui sont les plus détériorés et habités par des catégories sociales en situation extrêmement précaire. Mais l’auteur ne s’attarde pas à discuter de ces complexités.

Le coeur du livre comporte deux parties : I) Découvrir les kamikazes et II) Identifier le territoire des kamikazes. Pour ce faire, l’auteur a retenu 19 kamikazes (potentiels ou passés à l’acte) dont un survivant des attentats du 16 mai, les autres étant condamnés à la réclusion perpétuelle. Il les divise en deux groupes (selon des critères non identifiés) et entreprend de décrire « l’espace socioéconomique » de chacun. En réalité, le matériel – au demeurant fort maigre – a peu à voir avec le spatial ; il s’agit plutôt d’éléments de la trajectoire familiale et socioprofessionnelle (niveau de scolarité, activités ou emplois pratiqués) de chacun. Deux caractéristiques ressortent : les échecs sur le plan socioprofessionnel et la découverte tardive de la religion à la faveur de rencontres avec des membres de la Salafiya Jihadia dans leur environnement quotidien. Mais il y a plus : la plupart finissent, après divers échecs, par devenir marchands ambulants, ce qui amène l’auteur à poser carrément la question « peut-on considérer les marchands ambulants comme des protagonistes des attentats suicides du 16 mai 2003 ? » Pour soutenir cette hypothèse, il fait état d’éléments d’enquêtes policières donnant à penser que plusieurs vendeurs ambulants ont été attirés et recrutés par la Jihadia moyennant le versement d’une sorte de salaire minimum correspondant à la valeur de leur panier ou étal d’objets (religieux et autres) à vendre dans des lieux stratégiques comme les portes d’entrée de mosquées.

De telles allégations peuvent sembler douteuses ou simplistes, mais elles ne sont peut-être que la caricature de très nombreux autres raisonnements qui, malheureusement, renvoient à des déterminismes sommaires dans la discussion de phénomènes par ailleurs centraux et qu’il aurait été intéressant de disséquer. En ce sens, il est dommage que la partie III, Les contraintes spatioéconomiques, se contente de rapporter des statistiques ou éléments d’analyse construits à l’échelle nationale ou internationale. Je ne citerai ici qu’un seul exemple : le traitement de la périphérie ou du bidonville comme un tout indifférencié, alors que toutes les études sérieuses, au Maroc entre autres, en ont révélé l’hétérogénéité en termes de peuplement, de cadre bâti et d’infrastructures. Quant aux remèdes proposés pour réparer le tissu urbain, l’auteur évoque notamment la création d’une « petite ville satellite dans une zone littorale proche de la ville-mère (…) qui dans quelques décennies formera une conurbation avec elle », bref une sorte de cité-jardin rappelant le modèle de Howard. Tant d’idées simples et de présupposés mécanistes émaillent ce livre qu’à la fin, le lecteur devient irrité et ne retient plus grand-chose.