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Faire l’historique de la géomorphologie au Québec constitue un véritable défi, que nous tentons de relever ici. En effet, cette histoire est complexe et dépend de l’évolution à la fois de la géographie et de la géologie puisque plusieurs techniques et méthodes sont communes à ces deux disciplines. Traditionnellement, les géographes s’intéressaient surtout aux formes et aux processus exogènes alors que les géologues sont surtout concernés par la nature des matériaux de l’écorce terrestre, les processus endogènes, la tectonique, la stratigraphie, la sédimentologie et la géochronologie. Cette distinction s’est évidemment atténuée avec le temps.

Nous avons trouvé peu de documents décrivant l’état de la géomorphologie au Québec. Les seuls écrits disponibles sont ceux d’Hamelin (1963) et de St-Onge (1963) dans le cadre d’un colloque de l’Association canadienne française pour l’avancement des sciences (ACFAS) sur la géographie au Québec, d’Hamelin (1966) dans le numéro sur la géomorphologie du Bulletin de l’Association des géographes de l’Amérique française et de Clément (1974) dans Le Géographe canadien. Les auteurs des quelques articles décrivant l’histoire de la géomorphologie au Canada (Parry, 1967 ; Bird, 1989, 1992 ; Bird et Parry, 1993) tiennent peu compte du Québec et de la contribution des francophones. Pour combler cette lacune, nous nous sommes donnés comme objectifs :

  • d’analyser l’évolution récente de la géomorphologie sur les plans de son contenu et de ses institutions ;

  • d’essayer de dégager les grandes périodes dans l’évolution de la géomorphologie ;

  • de cerner les facteurs et les raisons expliquant les changements survenus.

Bien que nous ne puissions établir de statistiques sur l’évolution du nombre de géomorphologues (personnes qui ont fait un mémoire ou une thèse en géomorphologie) sortis de l’ensemble des universités du Québec, nous présentons néanmoins le cas de l’Université de Sherbrooke. Comme bon nombre de géomorphologues travaillent dans l’entreprise privée, il aurait été intéressant de retracer leur implication, mais malheureusement nous n’avons trouvé aucune donnée à cet effet.

Reconstituer l’histoire de la géomorphologie québécoise par périodes nous est d’abord apparu impossible, surtout pour la période plus récente. Néanmoins, nous avons pu le faire de façon approximative en nous basant à la fois sur l’appartenance disciplinaire des acteurs et sur le développement technologique. Notre historique peut se diviser en cinq périodes d’inégales longueurs : 1) la première est celle dominée par les géologues ; 2) la seconde porte sur l’essor de la géomorphologie partagée entre géologues et géographes ; 3) la troisième est caractérisée par un début d’institutionnalisation de la géomorphologie ; 4) la quatrième se présente comme une géomorphologie renouvelée à l’assaut du Québec ; 5) la cinquième présente la géomorphologie à l’ère des technologies de l’information. Pour terminer, nous évoquons brièvement l’état actuel de la géomorphologie et ses perspectives d’avenir.

De la difficulté à établir une périodisation : un premier aperçu quantitatif

Compte tenu du temps alloué pour rédiger cet article, il n’a pas été possible de faire un inventaire complet des publications de l’ensemble des géomorphologues québécois. Nous avons donc décidé de compiler le nombre et les thématiques des communications scientifiques présentées dans deux associations importantes pour les géomorphologues : l’ACFAS et l’AQQUA (Association québécoise pour l’étude du Quaternaire) (annexe 1). Cette compilation nous donne un corpus intéressant depuis 1934 (ACFAS, 1933-2008 ; AQQUA, 1973-2008). Ces communications nous semblent représentatives des progrès réalisés dans le domaine de la géomorphologie, malgré le fait que nous ne tenons pas compte de celles présentées dans d’autres congrès ou colloques, au pays et à l’étranger. Conscients que certains chercheurs ont préféré d’autres tribunes que québécoises pour s’exprimer, nous croyons que les communications faites par leurs étudiants reflètent leurs programmes de recherche. De plus, contrairement aux articles et rapports qui nécessitent temps et délais de publication, les communications scientifiques donnent un aperçu de l’avancement des recherches en cours. Nous avons ainsi tiré des tableaux sur l’évolution des grands champs de la géomorphologie (tableau 1) et sur l’évolution des spécialisations en géomorphologie dynamique (tableau 2) qui ont permis un premier essai de chronologie.

Comme cet exercice ne couvre pas toutes les périodes de l’histoire de la géomorphologie et ne permet pas d’expliquer l’évolution des champs et des spécialisations, nous avons essayé de dégager les principaux jalons que nous fournit l’histoire des organismes et programmes gouvernementaux et paragouvernementaux canadiens et québécois, des principales associations et rencontres scientifiques, des institutions de formation et des centres ou des laboratoires de recherche ainsi que des principaux médias de communication et livres ou manuels québécois (annexe 2).

Tableau 1

Évolution des grands champs de la géomorphologie au Québec, à partir des communications aux colloques et congrès de l’ACFAS et de l’AQQUA

Évolution des grands champs de la géomorphologie au Québec, à partir des communications aux colloques et congrès de l’ACFAS et de l’AQQUA

N.B. L’année 1957 représente le début des communications en géomorphologie dans la section Géographie de l’ACFAS et l’année 1966 représente la formation de la section Géomorphologie

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En examinant l’évolution des grands champs de la géomorphologie (tableau 1), nous remarquons que la géomorphologie dynamique a toujours été la grande préoccupation des géomorphologues et qu’elle s’est accentuée depuis les années 1970, avec un apogée dans les années 1980. La deuxième grande préoccupation est l’histoire du Quaternaire, aussi depuis les années 1970. L’intérêt pour la physiographie s’est cantonné aux années 1940-1956 et la géomorphologie structurale s’est développée dans les années 1960, mais n’a pas tenu le coup après les années 1980. La cartographie géomorphologique a connu le même sort pendant la même période. En effet, les véritables cartes géomorphologiques ont atteint un point culminant dans les années 1970 et se font rares depuis (tableau 3). Elles ont plutôt été remplacées par des cartes de formations meubles sur lesquelles les géomorphologues ajoutent une variété plus ou moins grande de symboles géomorphologiques (Dionne, 1969). La sédimentologie a préoccupé les géomorphologues des années 1970 à 1990, tandis que les applications de la géomorphologie n’auraient fait une percée que dans les années 1990. De façon générale, on relève un nombre moyen annuel de plus d’une vingtaine de communications en géomorphologie depuis les années 1970, avec un sommet dans les années 1980, alors qu’on compte une moyenne annuelle de 44 communications. Puis on assiste à un déclin à partir des années 1990 alors que le nombre moyen annuel de communications revient au même niveau que dans les années 1970, soit un peu plus d’une vingtaine. Cette évolution peut s’expliquer de la façon suivante (annexe 2) : la fin des années 1960 et le début des années 1970 sont marqués par la mise en place de nombreuses institutions ou de nombreux organismes ou programmes gouvernementaux favorables au progrès de la géomorphologie et à l’accroissement du nombre de géomorphologues. L’apogée des années 1980 représente la période où les géomorphologues présentaient la plupart de leurs communications au Québec, en particulier lors des colloques ou congrès de l’ACFAS et de l’AQQUA. Le déclin survenu dans la décennie 1990 correspond plutôt à une diversification des communications lors d’activités scientifiques tenues dans d’autres instances disciplinaires ou pluridisciplinaires, surtout internationales, qu’à une décroissance absolue du nombre de communications à contenu géomorphologique. Cette diminution est aussi en partie attribuable, surtout dans la décennie 2000, à une certaine désaffection des membres de l’AQQUA pour les congrès de l’ACFAS.

Tableau 2

Évolution des spécialisations en géomorphologie dynamique au Québec, à partir des communications aux congrès et colloques de l’ACFAS et de l’AQQUA

Évolution des spécialisations en géomorphologie dynamique au Québec, à partir des communications aux congrès et colloques de l’ACFAS et de l’AQQUA

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Tableau 3

Exemples de cartes géomorphologiques sur le Québec

Exemples de cartes géomorphologiques sur le Québec

* = cartes en couleurs

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En examinant l’évolution des spécialisations en géomorphologie dynamique (tableau 2), nous constatons que le domaine glaciaire a surtout retenu l’attention des géomorphologues depuis le début, avec un maximum atteint dans les années 1970 et 1980. Cet apogée a coïncidé avec les grands programmes de cartographie géomorphologique et des formations meubles. L’intérêt pour le périglaciaire a suivi à partir de la fin des années 1950, aussi avec un point culminant dans les années 1970 et 1980. Les équipes du Centre d’études nordiques de l’Université Laval, de l’Université McGill et de l’Université de Montréal ont particulièrement été actives dans ce dernier domaine. Cependant, le regain des années 2000 est probablement lié aux programmes sur les changements climatiques. L’intérêt pour le glaciel s’est surtout développé dans les années 1970 et 1980, principalement grâce aux travaux de Jean-Claude Dionne. Apparu dans les années 1970 et 1980, l’intérêt pour la géomorphologie fluviale a progressé rapidement depuis le début des années 2000, en particulier grâce au groupe de recherche de l’Université de Montréal sous la direction d’André Roy et en raison des préoccupations pour les risques naturels dont témoignent les colloques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à l’ACFAS depuis 2006. L’intérêt marqué pour les domaines marin et littoral a commencé dans les années 1970 avec l’engagement de plusieurs géomorphologues, dont Jean-Claude Dionne, Jean-Marie Dubois et Michel Allard, qui s’y sont spécialisés, entre autres avec leur implication dans de grands projets gouvernementaux. Après un sommet dans les années 1980, la baisse qui a suivi quant au nombre de communications à des congrès et colloques au Québec n’est certainement pas représentative de l’activité de recherche dans ce domaine. Au contraire, la plupart des études sont liées aux changements climatiques et à la hantise de la hausse du niveau marin relatif ainsi qu’à l’érosion accélérée des côtes. L’éolien n’est pas un domaine très étudié, car la superficie couverte de dunes est relativement petite dans l’ensemble du Québec. Néanmoins, la compréhension et la conservation de certains champs de dunes anciennes et actuelles ont conduit à diverses recherches et à des inventaires, surtout depuis les années 1980. Le domaine du gravitaire s’est développé de façon accélérée au cours des années 1970, principalement à cause du mémorable glissement de Saint-Jean-Vianney, en 1971. Des programmes gouvernementaux et universitaires permettant de cartographier ces glissements, d’étudier les processus en cause et de prévoir des mesures d’atténuation ont été créés au cours des années 1980. Les phénomènes karstiques étant marginaux au Québec, seulement quelques chercheurs se sont intéressés à ce domaine depuis les années 1970, en particulier à l’île d’Anticosti et en Gaspésie.

La géomorphologie par les géologues (fin du XIXe et première moitié du XXe siècle)

« La géomorphologie est née de la géologie. » C’est ce qu’affirment St-Onge (1963) et Hamelin (1964 : 202). Certes, même si plusieurs naturalistes ont pu écrire sur le relief du Québec (Parry, 1967), le début des publications dans ce domaine est attribuable aux géologues de la Commission géologique du Canada (CGC), fondée à Montréal en 1842 puis rapatriée à Ottawa en 1881. Les rapports d’exploration des géologues de l’époque contiennent en effet certaines informations sur les formations meubles, leur origine et les formes de relief (physiographie). Paru en 1863, Geology of Canada demeure un des premiers ouvrages pertinents de la CGC. Alors qu’en Europe grandissait l’intérêt pour la géomorphologie et que William Morris Davis (1899) formulait une première théorie générale sur l’évolution du relief, faisant ainsi une place à la géomorphologie dans les sciences de la Terre (St-Onge, 1981), cette discipline ne semble pas avoir retenu l’attention des rares géographes et des géologues canadiens de l’époque.

Dès le début des années 1940, et probablement avant à l’instar des collègues états-uniens, les géologues canadiens se sont intéressés à la physiographie, terme englobant tous les phénomènes naturels. Les premières communications aux congrès de l’ACFAS en font foi. Ces études ont conduit à la publication d’un répertoire d’exemples de formes de terrain sur les cartes topographiques (Baird, 1964) et à la production de la carte physiographique du Canada (Bostock, 1964). Aussi, le projet de carte glaciaire du Canada, commencé vers 1951 et qui débouche sur la publication d’une carte dans l’Atlas du Canada de 1957, de même que la contribution de Robert Sabourin pour la partie québécoise, illustrent l’intérêt des géologues pour la géomorphologie glaciaire. C’est aussi en 1957 que des Canadiens commencent à participer à l’International Union for Quaternary Research (INQUA) (Hamelin, 1984). D’ailleurs, jusqu’en 1955, toutes les communications aux congrès de l’ACFAS étaient présentées dans la section Géologie et minéralogie. En revanche, la fondation à l’Université McGill en 1945 de l’Arctic Institute of North America, organisme international regroupant des chercheurs canadiens, états-uniens et groenlandais, suscite un certain intérêt pour l’étude, à partir de photographies aériennes et de travaux sur le terrain (Drummond, 1966 ; Parry, 1967), de la « surface du terrain » dans le but de connaître les conditions de « traficabilité » du territoire, surtout à des fins militaires.

À l’époque, la géographie au Québec était une matière très secondaire, par rapport à l’histoire, et ce, à tous les niveaux d’enseignement. Il y avait peu de géographes et il n’y avait pas de maître-à-penser (Hamelin, 1963a). Le seul endroit où l’on offrait un certain enseignement supérieur en géographie, au Canada depuis 1910, était l’École des hautes études commerciales de l’Université de Montréal, avec un cours de géographie économique et commerciale donné par les géographes belges Auguste Joseph De Bray puis Henry Laureys (Deshaies, 2006). Même si Raoul Blanchard a produit des synthèses géographiques descriptives du Québec (1935, 1948, 1953-1954, 1960) dont une portion de 20 à 25 % des trois premiers textes concerne la géomorphologie (Taillefer, 1959), il n’a pas créé d’« école » et les universités n’ont que peu produit de géographes spécialisés en géographie physique, d’autant plus que des scientifiques issus d’autres disciplines, dont les géologues, s’accaparent ce domaine. Il demeure cependant que la géographie universitaire québécoise commence à être influencée par les géographes européens, surtout par les collègues français, dont Raoul Blanchard même en milieu anglophone (Dagenais, 1959 ; Parry, 1967). Les géographes britanniques et belges ont aussi joué un rôle, mais dans une moindre mesure (Hamelin, 1963a). Les deux premières thèses de doctorat au Québec ont d’ailleurs été celles de John Ross Mackay et de Frederick Kenneth Hare, rédigées et soutenues en anglais à l’Université de Montréal, en 1949 et 1950.

Outre les géologues, les pédologues cartographient les formations meubles à titre d’horizon C des sols, en mentionnant leur origine et les principales formes, surtout d’érosion, qui les affectent. Ainsi, le premier rapport semble être celui de Johnston (1917) couvrant le nord de l’Outaouais québécois. Agriculture Québec a couvert presque tout le sud cultivable du Québec, comté par comté, depuis 1942 ; de rares géomorphologues y ont participé, tels Camille Laverdière et Jean-Claude Dubé. Agriculture Canada a aussi aidé Agriculture Québec surtout en cartographiant le sud du Saint-Laurent, principalement en Montérégie et en Estrie, entre 1942 et 1967, puis cet organisme a refait les cartes de la majeure partie de la Montérégie entre 1985 et 2001. On peut aussi souligner le lien indéniable entre une catégorie particulière de sol, le podzol à ortstein, et la géomorphologie, un lien qui sera établi par Dubois et al. (1990).

Les premiers travaux d’envergure en géomorphologie ont pu être réalisés grâce à la disponibilité des premières grandes couvertures de photographies aériennes (Bird, 1992), comme celle de 1945 au Québec, couverture complétée pour l’ensemble du territoire dès 1953. Parry (1967) considère que c’est ce qui a révolutionné la géomorphologie au Canada en la dégageant des études à grande échelle des Européens pour s’attaquer aux inventaires régionaux du milieu physique, dont les études sur le milieu glaciaire. Les premiers cours universitaires de photointerprétation ont débuté aux départements de géographie de l’Université McGill en 1946 et de l’Université de Montréal en 1951 (Provencher et Dubois, 2005, 2006a). Depuis cette époque, la photographie aérienne s’est révélée un outil incontournable pour toutes les études du milieu physique, tant par les géologues que par les géomorphologues. Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement du Canada ait fondé la Photothèque nationale de l’air dès 1925, que le gouvernement du Québec ait établi la Photocartothèque québécoise en 1963 et que tous les modules ou départements de géographie se soient dotés de collections de photographies aériennes dans leurs cartothèques. Il a cependant fallu attendre jusqu’en 1970 pour un premier manuel en anglais d’exemples de photographies aériennes interprétées sur des thèmes de géomorphologie pour l’ensemble du Canada (Mollard, 1970) et 1985 pour celui en français (Mollard et Janes, 1985). Entre temps, Hugues Gagnon avait publié son manuel avec quelques exemples en géomorphologie (Gagnon, 1974).

L’essor de la géomorphologie partagée entre géologues et géographes (1945-1965)

Bien que la géographie ait été pratiquée au moins depuis la fondation de la Société de géographie de Québec en 1877 et la publication de son bulletin en 1880 (Morissonneau, 1971), la section Géographie de l’ACFAS fut créée seulement en 1956. Toutefois, la géographie avait pris un certain essor avec la fondation de la Société de géographie de Montréal en 1939 et la création des départements de géographie de l’Université McGill en 1945 et de l’Université de Montréal en 1947, de la Revue canadienne de géographie en 1947 à Montréal, de la Direction de la géographie du Canada en 1947, de l’Institut d’histoire et de géographie de l’Université Laval en 1946, du Géographe canadien en 1950 à Montréal, de l’Association canadienne des géographes en 1951 à Montréal, du bulletin de la Direction de la géographie du Canada en 1951 et des Cahiers de géographie (l’ancêtre des Cahiers de géographie du Québec) en 1952.

Quoique peu nombreuses entre 1956 et 1964, les communications en géomorphologie ont été faites surtout par des géographes. À cette époque, les géomorphologues québécois ne sont pas très actifs au plan international ; en effet, il n’y a qu’une communication canadienne au congrès de l’Union géographique internationale, à Stockholm, en 1960 (Hamelin, 1961a). Les sujets concernent principalement le glaciaire, la cartographie géomorphologique, le fluvial et le périglaciaire. Le Canada commence à siéger à la Commission du périglaciaire de l’Union géographique internationale en 1957 (Hamelin, 1961b). Louis-Edmond Hamelin, qui en sera membre jusqu’en 1969, publie, en 1960, une carte du périglaciaire avec la collaboration de Jean-Claude Dubé et, en 1967, un manuel illustré sur le périglaciaire en collaboration avec Frank A. Cook (Hamelin et Cook, 1967). Deux autres départements de géographie voient le jour au Québec vers la fin de cette période : ceux de l’Université Bishop’s, en 1961, et de l’Université de Sherbrooke, en 1963.

La géomorphologie commence à peine à se développer de façon autonome au Québec alors qu’elle est en plein essor aux États-Unis et en Europe de l’Ouest et de l’Est (Hamelin, 1964). En France, le traité de géographie physique de De Martonne (1948-1950, 7e ou 8e édition depuis 1909) est déjà remplacé par de nombreux manuels généraux et thématiques de géomorphologie qui seront utilisés dans nos universités. Mentionnons ceux sur le littoral par Guilcher (1954), sur les définitions multilingues en géomorphologie par Baulig (1970, mais 1re édition en 1956), sur l’ensemble des notions de géomorphologie par Tricart et Cailleux (1958), sur la géomorphologie générale par Derruau (1972, mais 1re édition en 1956) et par la série de manuels de Tricart et Cailleux (1962-1969), sur la géomorphologie des régions froides (glaciaire et périglaciaire) par Tricart (1963) suivi par celle des régions chaudes et la géomorphologie structurale (Tricart, 1972, 1974), sur le littoral par Ottman (1965), sur les méthodes en géomorphologie par Tricart (1965, 1968) et sur la géopédologie par Pouquet (1966). Certains manuels en anglais ont aussi été utilisés dans cette période et dans la suivante, comme celui en géographie physique par Strahler (1957), en glaciaire par Flint (1971), en fluvial par Leopold et al. (1964) et par Morisawa (1968), en littoral par Zenkovich (1967), en fluvial par Carson (1971), sur la géomorphologie et la dynamique des versants par Carson et Kirkby (1972), en cartographie géomorphologique par Demek (1972), en sédimentologie par Reineck et Singh (1973) ainsi que l’encyclopédie de géomorphologie par Fairbridge (1968). Divers manuels de géologie furent utilisés, du simple Laverdière et Morin (1941) à des manuels plus élaborés comme celui portant sur la géologie structurale de Billings (1954), la glaciologie (Lliboutry, 1964-1965) ou la géologie sédimentaire de Pettijohn et al. (1972) et, plus récemment, la géologie des formations meubles de Campy et Macaire (1989). Malgré cet éveil, Parry (1967) mentionne que, par rapport à l’ensemble des publications sur la géographie du Canada, celles en géomorphologie ne représentaient qu’environ 4 % dans les années 1930 et à peine 9 % au début des années 1960.

C’est au cours des années 1960 que débutent les projets de cartographie d’envergure en géomorphologie, en particulier des formations meubles, partiellement réalisés par des géographes-géomorphologues (Deshaies et al., 1987). On peut mentionner la cartographie du périglaciaire par la Direction de la géographie du Québec (Louis-Edmond Hamelin et Jean-Claude Dubé), la cartographie des formations meubles et des formes glaciaires du nord du Québec par la Commission géologique du Canada (1955-1964) et des formes de terrain par l’équipe de Kenneth Hare de l’Université McGill (1947-1962) pour le ministère de la Défense et la cartographie des formations meubles dans le sud du Québec, tant par le ministère des Richesses naturelles du Québec sous la direction de Pierre LaSalle (1961-1984) que par la Commission géologique du Canada (Nelson R. Gadd, Barrie C. McDonald et William W. Shilts), ainsi que la cartographie des formations meubles pour les fins de l’inventaire canadien des terres dans le cadre de la Loi sur l’aménagement rural et le développement agricole (ARDA) et du Bureau d’aménagement de l’Est-du-Québec (BAEQ) dans l’est du Québec (Jean-Claude Dionne et Robert Héroux) et dans le parc des Laurentides puis au Saguenay-Lac-Saint-Jean (Jean-Claude Dionne) (1964-1971). C’est aussi à cette époque que les premiers centres de recherche en milieu nordique ont été fondés avec la station de recherches subarctiques de Schefferville (anciennement Knob Lake) par l’Université McGill en 1954 (Bird, 1995) et le Centre d’études nordiques (CEN) par l’Université Laval en 1961. La recherche en géomorphologie connaît un nouvel essor à travers l’étude des milieux nordiques. Par exemple, 25 % des 70 projets du CEN pendant ses cinq premières années d’existence sont en géomorphologie (Parry, 1967). Par ailleurs, la Direction de la géographie du ministère des Mines et relevés techniques du Canada est, à l’époque, le plus grand employeur de géomorphologues (Parry, 1967).

Même si aucune université québécoise, sauf McGill, n’a de centre de recherches en géomorphologie et même si la géomorphologie n’a pas encore de cadres académiques (Ritchot, 1966 ; Dionne, 1966), les premiers départements de géographie, les projets et les centres de recherches présentés plus haut de même que la Direction de la géographie du Canada ont permis de former les premiers géomorphologues possédant une bonne expérience sur le terrain. Par exemple, les premiers camps d’automne font leur apparition en 1953 à l’Université de Montréal (Beauregard, 1988) et en 1957 à l’Université Laval (Hamelin, 1966). La géomorphologie et l’histoire du Quaternaire ne sont donc plus le seul fief des géologues, au Québec et au Canada. Mais on s’aperçoit que ceux-ci sont divisés par le débat entre la géomorphologie des processus des géologues états-uniens et canadiens anglais versus la géomorphologie plus inductive comme science du relief des géographes du Québec et d’Europe, dont ceux des pays francophones ou francophiles comme la Pologne (Ritchot, 1966 ; Hamelin, 1964). Pierre Cazalis (1960-1961), alors à l’Université de Sherbrooke et qui vient de compléter un mémoire de maîtrise sur la notion de géomorphologie (Cazalis, 1960), incite les géomorphologues à s’investir davantage dans le processus expérimental en recherche, que ce soit en laboratoire ou tout simplement en appliquant plus rigoureusement la méthode scientifique avec ses étapes inductive et déductive ainsi que le processus de confirmation d’hypothèses. Hamelin (1964) et Ritchot (1966) déplorent aussi que la moitié des géographes qui se disent préoccupés par les relations humain-milieu ne se préoccupent pas de la géomorphologie qui, pourtant, explique la répartition de la plupart des établissements et des aménagements humains.

Un début d’institutionnalisation de la géomorphologie (1965-1972)

Au milieu des années 1960, Hamelin (1964) mentionne que 30 % des mémoires et des thèses de l’Université Laval et de l’Université de Montréal portent sur la géomorphologie, et ce, sans compter les premiers géographes qui sont allés étudier à l’étranger, surtout en France, en Belgique et aux États-Unis. En revanche, Dionne et Ritchot (1966) rapportent qu’il n’y avait à l’époque que vingt géographes, cinq géologues, un pédologue et un forestier ayant un intérêt direct pour la géomorphologie au Québec, auxquels s’ajoutent dix géographes et dix géologues ayant un intérêt secondaire. Seule une poignée de ces géomorphologues vont vraiment contribuer à l’évolution de la géomorphologie au Québec. En 1971, seulement 19 % des répondants (22 sur 114) à un questionnaire de l’Association des géographes de l’Amérique française (AGAF : nom de l’Association des géographes du Québec (AGQ) de 1966 à 1972) peuvent être qualifiés de géomorphologues (Hamelin et Harvey, 1971).

En 1963, lors d’un colloque de l’ACFAS sur la géographie au Québec, Louis-Edmond Hamelin et Denis St-Onge militent en faveur de l’essor de la géomorphologie, mais d’une géomorphologie rattachée à la géographie. En 1965, sous la direction de Jean-Claude Dionne, un comité de géomorphologie voit le jour au sein de la jeune Association des géographes du Québec, fondée en 1962. C’est ce comité qui est à l’origine de la section Géomorphologie de l’ACFAS en 1966, événement souligné par un colloque dirigé par Jean-Claude Dionne et Gilles Ritchot, sur l’état de la géomorphologie et ses perspectives au Québec (no 10 sur la Géomorphologie de l’AGAF, 1966). Lors de ce colloque, Jean-Claude Dubé et Jean-Claude Dionne dirigent une première excursion scientifique sur la Côte-de-Beaupré. Ces activités coïncident avec la formation, la même année, du Comité associé des recherches sur le Quaternaire, du Conseil national de recherches du Canada. L’année suivante, la Direction de la géographie du ministère des Mines et Relevés techniques est abolie et la géographie physique est placée dans la Division de la recherche en Quaternaire et de la géomorphologie à la Commission géologique du Canada. La même année, lors du congrès de l’ACFAS à Sherbrooke, les géomorphologues tiennent un colloque sur la cartographie géomorphologique. Il en découle un article dans l’encyclopédie de géomorphologie de Fairbridge (St-Onge, 1968). En 1968, Jean-Claude Dionne et Camille Laverdière font changer le nom de la section Géomorphologie de l’ACFAS pour Géomorphologie et Quaternaire. Cette même année, Jean-Claude Dionne organise le 1er colloque sur le Quaternaire du Québec à Chicoutimi, dont les actes seront publiés dans la Revue de géographie de Montréal en 1969, puis, avec Denis St-Onge, il anime un colloque sur la photointerprétation au congrès de l’ACFAS à Ottawa. Mais les efforts des géomorphologues pour que soit créée une section du Quaternaire et de la géomorphologie au ministère des Richesses naturelles du Québec, n’aboutissent pas (Bergeron, 1966 ; Dionne et Ritchot, 1966 ; Dubois, 2008).

C’est aussi à cette époque que l’on commence l’inventaire du pergélisol au Canada et que débutent les inventaires écologiques basés sur une cartographie des formations meubles et des types géomorphologiques à Environnement Canada puis à Environnement Québec (Jurdant, 1966).

Toutes ces activités reliées à la géomorphologie aboutissent à une augmentation et à une diversification des thématiques abordées lors des congrès de l’ACFAS, particulièrement sur le glaciaire, le périglaciaire, la cartographie géomorphologique, le structural et le littoral, dont le glaciel, vocable créé par Louis-Edmond Hamelin (1959, 1966). Au cours des décennies suivantes, le Québec imprimera d’ailleurs sa marque dans le domaine du glaciel (Clément, 1974), surtout avec les travaux de Jean-Claude Dionne. Cet engouement pour les milieux froids existe aussi ailleurs au Canada puisque, de 1960 à 1967, 25 % des contributions canadiennes recensées dans les Geomorphological Abstracts portent sur le périglaciaire et 17 % sur le glaciaire (Parry, 1967). John Parry fait aussi remarquer qu’il y a peu de publications en géomorphologie quantitative et que les géomorphologues semblent réticents à cette tendance, même s’il lui semble naturel que les géomorphologues, aguerris à l’interprétation de photos aériennes, s’intéressent aux techniques photogrammétriques pour acquérir un minimum de données quantitatives sur les formes de relief.

Au milieu des années 1960, seulement 10 géographes et deux géologues enseignent la géomorphologie dans les trois universités francophones du Québec (Laval, Montréal et Sherbrooke) ainsi que cinq géographes à l’Université McGill (Dionne et Ritchot, 1966). Il n’y a pas d’équipe de plus de deux personnes et peu d’orientations spécifiques (Dionne, 1966 ; Trotier, 1976). Certains géomorphologues, comme Hamelin (1963b, 1964), St-Onge (1963, 1966), Dionne et Ritchot (1966), David (1966) et Parry (1967), déplorent les lacunes de la formation des géomorphologues tant en géologie qu’en mathématiques, en statistiques, en chimie, en physique, en informatique et même sur le plan de l’expérience du terrain. David (1966) va jusqu’à dire qu’aucun département de géographie du Québec ne produit de bons géomorphologues parce qu’il y a peu d’enseignements en géologie dans les programmes de géographie et que les géographes ne sont pas initiés à la méthode scientifique. Certains géomorphologues francophones contestent évidemment cette affirmation, dont Ritchot (1968) qui plaide aussi pour que la géomorphologie garde son rattachement à la géographie. Certains s’interrogent aussi sur la nature scientifique de la géomorphologie, alors que ceux qui la défendent (Hamelin, 1964 ; St-Onge, 1966 ; Ritchot, 1968) souhaitent qu’elle devienne une science autonome (Ritchot, 1966).

Une géomorphologie renouvelée à l’assaut du Québec (décennies 1970 et 1980)

Dès la fin des années 1960 et surtout au début des années 1970, on assiste à une amorce d’intérêt des géographes pour l’analyse statistique ou quantitative des données à caractère spatial (Deshaies et al., 1987) et aux premiers balbutiements des systèmes d’information géographique (SIG), principalement pour l’inventaire canadien des terres à partir de 1966, dont l’initiateur est le géographe canadien Roger Tomlinson en 1960 (Tomlinson et Toomey, 1999). Son CGIS (Canada Geographic Information System) est reconnu dès 1963 comme le premier SIG opérationnel au monde (Colwell, 1983). En 1963, on assiste aussi à l’ouverture du premier laboratoire de géochronologie absolue (datations 14C) à la Commission géologique du Canada.

La première concrétisation de ces approches quantitatives a été l’étude géoscientifique sur le site de l’aéroport de Sainte-Scholastique (Mirabel) par la Commission géologique du Canada, dirigée par le géomorphologue Denis St-Onge en 1971-1972. Pour cette étude, on a créé une base de données informatisée sur les formations meubles, la stratigraphie et la géotechnique à partir de données prises sur le terrain, de forages et sondages sismiques ainsi que des résultats d’analyses sédimentologiques et géotechniques en laboratoire pour en tirer automatiquement des cartes et des coupes stratigraphiques (St-Onge et Scott, 1972). À la même époque, le ministère des Richesses naturelles du Québec commençait aussi à expérimenter des fiches standardisées pour les observations sur le terrain en vue de leur traitement informatique. Mais, vu la lourdeur du processus de traitement et la faible capacité des ordinateurs de l’époque, il faudra attendre la disponibilité d’ordinateurs et de SIG plus performants, dans les années 1980, pour une utilisation optimale des informations emmagasinées dans les banques de données.

Durant cette période, dans d’autres projets d’envergure, on utilise encore l’approche conventionnelle, mais ces projets contribuent tous à augmenter les connaissances, principalement sur les modelés glaciaires et marins du Québec. On peut mentionner la cartographie des rives du Saint-Laurent par le ministère des Travaux publics du Canada (1970-1973), la cartographie géomorphologique de la région de Mirabel par Camille Laverdière et Pierre Guimont pour le projet d’écologie de Pierre Dansereau (1970-1972), la cartographie géomorphologique des Îles-de-la-Madeleine par Camille Laverdière, Pierre Guimont et Liette Roy-Venne pour l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) (1972-1975), la cartographie des formations meubles par Jean-Serge Vincent de la Commission géologique du Canada et par Jean-Claude Dionne pour la carte écologique de l’équipe de Michel Jurdant à la Baie-James (1973-1977), les études géomorphologiques liées au développement hydroélectrique du nord du Québec par Camille Laverdière et Pierre Guimont pour la Société de développement de la Baie-James (1974-1984), la cartographie des formations meubles de la région de Montréal par Victor K. Prest et Kezer J. Hode de la Commission géologique du Canada (1974-1977), la cartographie des formations meubles du Témiscamingue (1977-1983), de la Gaspésie (1985-1988), de l’Abitibi (1987-1992) et du Bas-Saint-Laurent (1989-1991) par la Commission géologique du Canada (Jean Veillette) ainsi que de la Basse-Côte-Nord par Jean-Claude Dionne de l’équipe de Michel Jurdant (1978-1980). Le gouvernement du Québec produit également deux séries de cartes de compilation des formations meubles du sud du Québec : celle de la géologie du Quaternaire, en 1984, et celle des formations meubles pour l’inventaire forestier, entre 1987 et 1996. Cette dernière cartographie se poursuit encore et devient numérique en 2000. Pour sa part, la Commission géologique du Canada produit une grande synthèse sur le Quaternaire du Canada en 1989 (Fulton, 1989), dont deux chapitres portent sur le Québec (Occhietti, 1989 ; Vincent, 1989).

Depuis 1966, quelques essais de cartes géomorphologiques avaient été faits à la Commission géologique du Canada et dans presque toutes les universités du Québec dans le cadre de mémoires de maîtrise, de thèses de doctorat ou de projets particuliers (tableau 1). La première carte géomorphologique en couleurs publiée au Québec est celle de la région de Trois-Pistoles élaborée par Jean-Claude Dionne en 1966 (Dionne, 1967, 1968). Elle a été faite à l’aide d’une adaptation de la méthode de Tricart (1965, p. 182-242) qui tient compte de la morphométrie, de la morphographie, de la morphogenèse et de la chronologie. La première carte à petite échelle aurait été faite par Robert Héroux (1965) pour la Gaspésie, mais elle n’a malheureusement jamais été publiée (Dionne, 2009, comm. pers.) et nous n’avons jamais pu l’examiner. Vu l’intérêt de ces cartes pour des décideurs avertis, l’OPDQ, sous la direction d’André Dumont, a amorcé un projet de cartographie à grande échelle pour le Québec. Après quelques essais en Outaouais, sur la Côte-Nord et en Estrie entre 1974 et 1976, le projet a été malheureusement abandonné, vraisemblablement pour des questions de coûts. C’est d’autant plus malheureux que la carte géomorphologique est un document rigoureux de classification et de synthèse incomparable démontrant la capacité des géomorphologues à comprendre l’ensemble d’un paysage naturel (St-Onge, 1981). Cependant, sa complexité en rend la lecture difficile pour les non-spécialistes, de sorte qu’elle est peu utilisée. Cette situation est regrettable à une époque où l’on tend à rendre la géomorphologie plus appliquée, entre autres au service de l’aménagement (Clément, 1974).

C’est aussi durant cette période que le réseau universitaire prend de l’expansion avec la création des composantes de l’Université du Québec à partir de 1969 et de l’Université Concordia en 1974 (Sir George William University de 1948 à 1974). On crée des modules ou des départements de géographie dans chacune, ainsi qu’une maîtrise en sciences de la Terre à l’UQAM en 1974. Plusieurs petits laboratoires d’analyse de sédiments, principalement par granulométrie, s’y sont développés, le principal étant le Laboratoire de géographie physique pour l’eau et les sédiments de l’Université de Sherbrooke dès 1967 (Lambert et al., 1985). Pour l’étude des sédiments organiques, Pierre Richard a constitué un laboratoire de palynologie, d’abord à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) en 1973, puis transféré à l’Université de Montréal en 1976. Plus tard, en 1983, André Roy constitue le Groupe de géomorphologie fluviale à l’Université de Montréal. D’autres laboratoires se sont spécialisés dans les datations absolues, comme le GEOTOP de l’UQAM en 1974, le laboratoire de datations 14C du CEN en 1983 (Michel Allard) prenant la relève de celui du ministère des Richesses naturelles (1971-1981) et, enfin, le laboratoire de dendrochronologie aussi du CEN (Louise Filion), en 1983. Les deux laboratoires du CEN mis en place à l’occasion d’une restructuration de l’institution vers les sciences naturelles (géomorphologie, géophysique, biologie et écologie) par Serge Payette ont créé une infrastructure de recherche qui a favorisé l’éclosion de plusieurs travaux fondamentaux dans le domaine du Quaternaire. C’est également sous la même administration que se sont développés les laboratoires de paléoécologie et de télémétrie environnementale, à l’origine du réseau de stations météorologiques automatisées dans l’ensemble du Québec nordique et du Nord-Est canadien. De plus, des sites expérimentaux ou d’observation intensive en milieu naturel ont vu le jour. On peut mentionner les parcelles d’érosion de Pierre Clément, à l’Université de Sherbrooke en 1967, le site d’évolution du réseau hydrographique d’un terril de mine à Eastman de Claude Bernard de l’Université de Montréal au début des années 1970, le bassin hydrographique de la rivière Eaton lors de la Décennie hydrologique internationale de 1965 à 1974 (Université de Sherbrooke et Université McGill) et diverses parties de cours d’eau à plusieurs endroits du sud du Québec depuis 1989 pour des mesures en géomorphologie et sédimentologie fluviale par le Groupe de géomorphologie fluviale de l’Université de Montréal. On commence ainsi à appliquer sérieusement diverses approches quantitatives, principalement pour mesurer l’érosion, la sédimentation ou l’évolution de certaines formes, comme celles décrites dans Horton (1945), Chorley (1957), Cailleux et Tricart (1963), Leopold et al. (1964), Chorley et Haggett (1967), Strahler (1968), Morisawa (1968), Haggett et Chorley (1969), Dackombe et Gardiner (1983). En particulier, avec le concept de géomorphologie dynamique véhiculé par Strahler (1952) dans le milieu anglo-saxon et déjà adopté avant 1966 par l’Université McGill (Drummond, 1966) ainsi que par Tricart (1965) en francophonie, la géomorphologie s’oriente davantage vers l’étude des processus et leur quantification (St-Onge, 1981). L’utilisation systématique de l’expérimentation n’est-elle pas une « condition de progrès » en géomorphologie (Cazalis, 1960-1961) qu’elle soit en laboratoire ou sur le terrain, comme le constate d’ailleurs Parry (1967) ?

Le début des années 1970 est également marqué par un développement important de la géomorphologie et des études sur le Quaternaire avec trois congrès internationaux, soit ceux de géologie et de géographie, à Montréal en 1972, et celui sur les glaces flottantes de Jean-Claude Dionne, à Québec en 1974, en plus du 2e colloque sur le Quaternaire du Québec, à Montréal en 1973, et du colloque sur la cartographie des formations meubles lors du congrès de l’ACFAS à Sherbrooke en 1971 (Clément et Poulin, 1972). La Revue de géographie de Montréal, à l’instigation de Camille Laverdière, souligne la contribution des géomorphologues et des quaternaristes en instituant des numéros « froids » en alternance avec les numéros réguliers sur la géographie humaine et sociale. Ce début des années 1970 vit ce qu’aurait anticipé Hamelin (1964), c’est-à-dire un mouvement vers l’éclatement de la géographie. Par exemple, à Sherbrooke, les géomorphologues tentent de se constituer en section distincte et de se rattacher à la Faculté des sciences appliquées. Le baccalauréat en géographie avec mineure en sciences y verra ainsi le jour en 1970 et deviendra un baccalauréat en géographie physique distinct de celui en géographie. Pour sa part, le Département de géologie-géographie de l’UQAM est scindé en deux en 1970, la géographie d’une part et les sciences de la Terre d’autre part.

La fondation de l’AQQUA en 1974, dont les membres sont majoritairement des géomorphologues (tableau 4), est également un moteur de développement de la discipline en relation avec les disciplines connexes. On doit d’ailleurs remercier André Cailleux, qui en a été le promoteur au début des années 1970. De façon régulière, l’AQQUA anime le milieu en organisant ses congrès quadriennaux de 1976, 1980, 1984 et 1988 sur le Quaternaire du Québec, souvent avec des thématiques particulières en relation avec les paléoenvironnements et les conséquences des changements climatiques sur les milieux terrestres. Des numéros thématiques de Géographie physique et Quaternaire découlent de la tenue de ces congrès, toujours accompagnés d’excursions scientifiques.

Tableau 4

Champs disciplinaires des membres de l’AQQUA (1975-2007)

Champs disciplinaires des membres de l’AQQUA (1975-2007)
Source : Dubois (2008)

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Entre 1975 et 1990, c’est l’AQQUA qui organise la section Géomorphologie et Quaternaire de l’ACFAS, la plupart du temps avec des colloques thématiques très diversifiés. Cette diversification se reflète dans les thématiques des communications présentées, les principales portant sur l’histoire du Quaternaire. Les variations du niveau marin relatif et du climat, le glaciaire, le périglaciaire et le glaciel sont aussi parmi les thèmes les plus souvent abordés. Des thématiques nouvelles par rapport aux périodes précédentes portent sur le littoral, le fluvial (mais avec un caractère quantitatif), le gravitaire (depuis le glissement de Saint-Jean-Vianney en 1971), la sédimentologie et la géophysique. En comparaison, Clément (1974) rapporte que les publications des géomorphologues québécois de l’époque portent, par ordre décroissant, sur le littoral (22 %), le glaciaire (21 %), le périglaciaire (15 %), la sédimentologie et la stratigraphie du Quaternaire (12 %), le gravitaire (7 %) et le fluvial (5 %).

À partir des années 1980, on constate qu’il y a davantage de communications appuyées par des datations absolues, surtout utilisées pour retracer l’évolution du niveau marin relatif, la chronologie des glaciations et des déglaciations ainsi que la dynamique des phénomènes géomorphologiques et climatiques. Aussi, à partir du milieu des mêmes années, on note qu’un nombre accru de communications sont basées sur des approches quantitatives utilisant l’informatique et, plus timidement, les SIG. Cette évolution est liée à la mise en marché récente des ordinateurs personnels. Mais, dans le milieu universitaire, on constate qu’il y a encore trop peu de projets transdisciplinaires en sciences de la Terre permettant des avancées importantes en science (Bonn et al., 1980).

Par ailleurs, les images de télédétection, disponibles depuis 1972 (MSS de ERTS-1 devenu Landsat par la suite), sont encore peu utilisées en géomorphologie en raison de leur trop faible résolution spatiale (57 x 79 m/pixel) (Bonn et al., 1980). On s’en sert surtout pour retracer l’évolution de phénomènes à petite ou moyenne échelle, comme l’évolution des côtes sableuses, des grands deltas, des glaciers, des banquises ou de l’ensablement éolien. Par exemple, l’utilisation d’images de télédétection pour la mise à jour des cartes topographiques fédérales au 1: 50 000 qui sera faite à la fin de la décennie suivante à partir d’images ETM+ de Landsat, bien qu’ayant une meilleure résolution spatiale (30 x 30 m/pixel), ne permettra plus l’identification que d’un nombre limité de formes de terrain (Provencher et Dubois, 2006b).

La géomorphologie à l’ère des technologies de l’information (décennie 1990)

La fin des années 1980 et le début des années 1990 marquent réellement le début de l’ère informatique dans le domaine de l’analyse spatiale avec la mise en marché généralisée de logiciels performants comme ArcInfo, MapInfo, SPANS, PAMAP et ArcGIS (Laperle, 1995). Ces logiciels permettent la création de modèles numériques d’altitude, le traitement de données multisources et la modélisation de l’évolution des phénomènes et des processus, à partir de banques de données personnelles mais aussi institutionnelles. Parmi ces dernières, on trouve celle des données de puisatiers (Système d’informations hydrogéologiques) pour établir la stratigraphie des formations meubles (ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec), celle de la couche d’information sur les formations meubles de la carte écoforestière du Québec (ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec) et celles des données topographiques au 1: 20 000 du Québec (ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec) et au 1: 50 000 du Canada (Centre d’information topographique de Sherbrooke). ArcGIS est un des logiciels les plus utilisés pour la réalisation de modèles 3D grâce à l’intégration de la topographie dans le processus de modélisation. À titre d’exemple, le Centre géoscientifique de Québec, qui a pris à toute fin pratique la relève du ministère des Ressources naturelles du Québec dans la cartographie des formations meubles au Québec à partir de 1989, s’est converti à la géomatique vers 1998 pour les projets à incidence minière, hydrogéologique, d’aménagement et de risques naturels (annexe 2 ; Centre géoscientifique de Québec, 2009).

Les géomorphologues disposent maintenant de nouveaux moyens d’observation. En effet, depuis la fin des années 1990, des images à haute puis à très haute résolutions spatiales (moins de 1 m/pixel) et spectrale, observables en stéréoscopie, permettent une analyse à la fois analogique et automatisée du terrain. Les géomorphologues disposent également d’images vidéographiques géopositionnées verticales ou obliques, prises à basse altitude, qu’on peut observer en stéréoscopie et à partir desquelles peuvent être prises des mesures de hauteur, de longueur, de surface et de volume à l’aide d’un logiciel créé par un géomorphologue québécois, Denis Mercier de GEO-3D (Provencher et Dubois, 2007). Un bon exemple d’utilisation de ces images est la caractérisation géomorphologique fine du littoral de la Côte-Nord faite dans le cadre d’un projet d’évaluation du risque d’érosion (Dubois et al., 2006), qui se poursuit actuellement dans tout l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent par le ministère de la Sécurité publique du Québec en collaboration avec des géomorphologues de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) (dont Pascal Bernatchez) et de l’Université de Sherbrooke (Jean-Marie Dubois). De plus, le développement des systèmes de positionnement global (GPS) depuis le milieu des années 1980 permet aujourd’hui un géopositionnement de l’ordre quasi métrique tant sur le terrain que de façon aéroportée. Ces nouveaux outils se prêtent à des études de suivi de plus en plus précises, dans l’espace aussi bien que dans le temps.

En revanche, la prolifération des banques de données dans Internet et l’utilisation de plus en plus exclusive des SIG dans les analyses spatiales occultent trop souvent la nécessité des vérifications sur le terrain. C’est surtout vrai pour les spécialistes de la géomatique qui n’ont pas la formation suffisante pour développer un esprit critique en matière de méthodes et d’analyse ainsi que la connaissance assez fine du terrain et qui peuvent alors véhiculer de l’information non validée et potentiellement fausse. Internet peut même devenir une cause de désinformation puisque, d’une part, certains peuvent être portés à croire que ce qui n’y est pas répertorié n’existe pas et que, d’autre part, on peut y puiser des informations fausses si on ne s’assure pas du sérieux des sources. Ce problème devient endémique chez les étudiants et même chez certains jeunes collègues.

La géomorphologie actuelle : état des lieux

Avec le développement de technologies performantes pour la géomorphologie, un récent regain d’intérêt pour cette discipline se manifeste aux plans international et canadien avec la fondation de l’Association internationale des géomorphologues en 1989 et du Groupe canadien de recherche en géomorphologie en 1993. En revanche, au Québec, on semble constater pratiquement le contraire. Alors qu’auparavant on formait des géomorphologues dans presque tous les modules ou départements de géographie du Québec, il ne reste actuellement plus que cinq départements ayant encore un nombre suffisant de professeurs de géomorphologie pour couvrir la majeure partie des champs de la discipline (ACG, 2007), soit ceux des universités Laval (4), McGill (4), du Québec à Montréal (4), du Québec à Rimouski (4) et de Montréal (3). Deux de ces départements bénéficient de chaires de recherche, l’une du Canada en géomorphologie fluviale (André Roy, Université de Montréal) et l’autre du ministère de la Sécurité publique du Québec en géoscience côtière (Pascal Bernatchez, UQAR). Quatre autres modules ou départements n’embauchent qu’un ou deux géomorphologues, soit ceux de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), de Sherbrooke, de Bishop’s et de Concordia, mais il n’y en a aucun ni à l’UQAC ni à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscaminque (UQAT). Au total, on ne compte plus que 25 professeurs de géomorphologie dans les universités du Québec et dont le tiers approchent de l’âge de la retraite.

Le cas du Département de géographie de l’Université de Sherbrooke illustre bien le problème de désaffection mentionné plus haut. En effet, ce département a été titulaire du premier programme de baccalauréat en géographie physique du Québec en 1970 (celui de l’UQAM ayant été transformé il y a quelques années en mineure en géographie physique) et a pu compter sur une équipe qui a atteint six géomorphologues au début des années 1980 ; mais la géographie n’a pas survécu à un recentrage sur la télédétection en 1985 puis sur la géomatique en 2000, aux problèmes financiers périodiques de la faculté qui l’a hébergée et à des décisions administratives malheureuses, basées sur des considérations très contestables. Et pourtant, en 40 ans, cette université a formé près de 400 géographes physiciens sur un total de 1 500 étudiants aux baccalauréats en géographie et en géographie physique, ainsi que 67 géomorphologues au niveau de la maîtrise, dont la moitié oeuvrent ou ont oeuvré dans leur domaine de spécialité.

L’évolution des membres de l’AQQUA est également significative (tableau 4). En effet, on constate que, de 1976 à 1994, l’association comptait presque toujours plus d’une centaine de professionnels de toutes disciplines alors que, présentement, il n’y en a plus qu’environ la moitié. En outre, jusqu’en 1997, l’association comptait toujours plus d’une quarantaine ou d’une cinquantaine de géomorphologues professionnels, alors qu’il n’y en a plus maintenant qu’une trentaine, dont un bon nombre sont à la retraite ou en voie de l’être.

Le peu d’ouvrages québécois récents sur le sujet n’aide sûrement pas non plus à donner le goût de la géomorphologie aux jeunes du Québec. En effet, on a publié plusieurs ouvrages sur le vocabulaire du périglaciaire et du glaciel dans les années 1960 et 1970 (Hamelin, 1959, 1960 ; Hamelin et Clibbon, 1962 ; Hamelin et Cook, 1967 ; Dionne, 1972), deux manuels en anglais au début des années 1970, un sur l’érosion hydrique (Carson, 1971) et l’autre sur les processus de versant et l’évolution des paysages (Carson et Kirkby, 1972), deux au milieu des années 1970 sur la géomorphologie structurale (Ritchot, 1975) et l’environnement glaciaire (Pagé, 1992, dont la première édition en notes de cours à l’Université de Sherbrooke date de 1977) ainsi que le manuel de géologie de Landry et Mercier (1992, dont la première édition date de 1983), qui sert autant au collégial qu’à l’université. Récemment, toutefois, on n’a vu naître que cinq ouvrages : le Dictionnaire de géomorphologie à caractère dimensionnel de Brochu et Michel (1994), le Guide pratique d’identification des dépôts de surface de Robitaille et Allard (1996), le guide des paysages québécois de Robitaille et Saucier (1998 ; hélas erroné sur le plan des degrés-jours cumulés au-dessus de 5,4°C), le Dictionnaire de géomorphologie de Genest (2000), le livre sur les tourbières du Québec-Labrador de Payette et Rochefort (2001), traitant de géomorphologie périglaciaire et du pergélisol dans les environnements tourbeux occupant près de 15 % de la superficie du Québec, et le guide d’interprétation des entités géographiques naturelles sur les cartes topographiques de Provencher et Dubois (2006b).

Enfin, plusieurs autres facteurs peuvent expliquer la diminution de l’intérêt pour la géomorphologie au Québec : 1) la réduction significative des communications en géomorphologie aux congrès de l’ACFAS (annexe 1) ; 2) l’engouement pour les données proxies plus facilement traitables statistiquement que les indicateurs géomorphologiques paléoclimatiques, pourtant plus expressifs ; 3) le désintérêt pour la géomorphologie régionale et les paléoformes au profit des processus actuels, notamment en relation avec les géorisques, ce qui semble être un revirement mondial (Church, 2005) ; 4) le glissement de la géomorphologie vers les disciplines connexes, en particulier la géophysique (Church, 2005) mais aussi la géologie et même parfois la biologie ou l’écologie ou, encore, la paléogéographie! En revanche, certains pensent au contraire que l’avenir des géomorphologues passe par leur participation aux équipes multidisciplinaires, dont celles qui essaient d’expliquer la formation et l’évolution de la surface de la Terre et des autres planètes (Summefield, 2005). Enfin, la disparition en 2007 de la revue Géographie physique et Quaternaire risque fort d’affecter l’intérêt pour la géomorphologie au Québec. Cette disparition est en partie attribuable à l’anglicisation de la communauté scientifique, mais aussi en grande partie à la gestion défaillante des Presses de l’Université de Montréal ainsi qu’à l’arrêt du financement des revues scientifiques par les organismes gouvernementaux du Québec et du Canada. La perte de cet outil de diffusion est fort regrettable ; on ne prévoyait certainement pas ce triste événement lors de la publication du numéro anniversaire de la revue, en 1996.

Les perspectives d’avenir de la géomorphologie

Quel avenir prévoyons-nous pour la géomorphologie au Québec ? D’abord, le récent abandon de l’enseignement des notions de géographie physique dans un cadre géographique au niveau pré-universitaire s’est déjà fait sentir sur les programmes de formation et sur l’emploi d’enseignants spécialisés en géographie. En effet, une géographie physique diminuée dans son contenu sera dorénavant enseignée en sciences dans le cadre de l’enseignement secondaire par des spécialistes qui ne sont pas nécessairement formés dans ce domaine. L’effet à plus long terme se traduira assurément par d’importantes lacunes de connaissances fondamentales pour l’ensemble de la population. Faut-il alors compter sur les diverses émissions télévisées sur les sciences de la Terre et sur tous les dossiers disponibles dans Internet ? Nous pensons que seulement une petite minorité de personnes utilise ces documents dont le contenu est rarement contrôlé par des géomorphologues ou, tout au moins, par des personnes compétentes.

Sur un ton plus optimiste, nous misons sur une utilisation mieux concertée des différentes sources d’information et des outils d’observation de la réalité du terrain, combinée à des capacités de traitement et d’analyse informatique de plus en plus performantes. Ces nouvelles possibilités, mieux employées, devraient favoriser l’acquisition d’une meilleure compréhension de la dynamique des processus et des formes de terrain à des échelles de plus en plus grandes. Pour ce faire, il faudra qu’on poursuive la formation afin de maintenir la capacité d’analyse et d’interprétation des géomorphologues. La possibilité d’observation en temps presque réel grâce aux nouvelles technologies, dont la télédétection, devrait aussi permettre un meilleur suivi de cette dynamique pour en arriver à une modélisation de plus en plus précise des processus. En somme, la technologie permet maintenant d’observer, d’acquérir et de traiter l’information géographique d’une façon aussi, sinon plus, exhaustive qu’avec la photographie aérienne classique (qui elle-même se transforme en numérique). Par contre, le défi de connaissances devient colossal non seulement à cause de la quantité astronomique d’informations à traiter, mais aussi et surtout à cause de l’acquisition et de la maîtrise de connaissances sur l’épiderme terrestre et du développement d’un esprit critique face aux méthodes, à l’analyse et à l’interprétation de ces informations sur la Terre.

Par ailleurs, avec tous ces nouveaux développements technologiques, nous devrions dans un avenir rapproché pouvoir revenir à une cartographie géomorphologique produite à partir d’un SIG. En effet, un essai de cartographie, à partir d’une banque de données multicouches, est présentement en voie de réalisation pour le territoire du parc national du Canada Kouchibouguac au Nouveau-Brunswick, par une des dernières étudiantes géomorphologues de l’Université de Sherbrooke (Fréchette, 2010). Rappelons qu’il y a plus de 25 ans, Denis St-Onge (1981) évoquait avec pragmatisme que le problème des cartes géomorphologiques traditionnelles demeure la difficulté d’interprétation de ces documents à des fins pratiques, malgré leur grande utilité pour une foule d’applications, dont l’aménagement des ressources en général (St-Onge, 1968). Il semble que cette difficulté pourrait maintenant être contournée au moyen de requêtes à même les banques d’information constituant des cartes géomorphologiques montées dans les SIG.

Une autre perspective d’avenir pour les géomorphologues pourrait être une ouverture à la géomorphologie et à la cartographie géomorphologique à l’échelle du système solaire. De nouveaux capteurs satellitaires ou sondes spatiales, comme MRO (Mars Reconnaissance Orbiter) et Cassini-Huygens (Saturne et ses satellites), permettent aujourd’hui d’obtenir des informations à haute résolution (par exemple 25 à 32 cm/pixel pour la caméra HiRISE de MRO) sur différentes planètes ainsi que sur leurs satellites, comme Titan, satellite de Saturne. Le monde « extra-terrestre » a été trop longtemps dominé par des spécialistes souvent sans aucune notion sur la géomorphologie des objets observés, tant quant à leur contenant et leur contenu qu’à leurs interactions. De plus, des recherches fondamentales en géomorphologie dans cette sphère pourraient peut-être remettre en question certains processus bien connus qui se manifestent sur la surface terrestre. Un géomorphologue retraité de l’UQAM, Robert Desjardins, s’y attelle depuis quelques années avec un collègue français.

Enfin, partant du principe qu’il vaut mieux bien connaître son ennemi avant de le combattre, la connaissance exhaustive des processus géomorphologiques, dont plusieurs sont des aléas, demeure une condition préalable à tout programme de prévention et de gestion des géorisques. C’est dans cet esprit que fut créée, à l’UQAR, la chaire de recherche appliquée en géoscience côtière, financée conjointement par le ministère de la Sécurité publique du Québec, le Fonds Vert et l’UQAR. Dotés de solides connaissances en géomorphologie dynamique (étude des processus), en stratigraphie quaternaire, en cartographie et en photointerprétation, les géomorphologues sont appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans les programmes de gestion et de prévention des risques naturels. Il est bien possible que ce créneau soit l’un des principaux créateurs d’emplois pour les géomorphologues dans le futur.