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En Belgique, le gouvernement fédéral a intégré depuis 1999 la Politique des grandes villes (PGV) dans son programme gouvernemental. Grâce à un financement[1] fédéral, un programme d’intervention – axé sur les villes confrontées aux problèmes des quartiers en difficulté – s’est mis en place. Entre 2000 et 2004, 15 contrats de ville[2] ont été con­clus entre l’État fédéral et les autorités communales sur une base annuelle. Depuis 2005, ces con­trats de ville ont été conclus sur une base triennale. Le programme Politique des grandes villes a également étendu ses missions avec l’émergence d’un plan logement[3] qui permet aux villes et communes de réaliser un programme d’investissement pour la création de logements à des prix abordables. En 2005, 17 contrats logement[4] ont été conclus entre l’État fédéral et les autorités communales et pour une période de 3 ans. En 2009, les contrats de ville et contrats logement ont été fusionnés pour devenir les con­trats de ville durable.

En Belgique, la politique de logement est une matière régionale. Celle-ci se différencie très fort d’une région à l’autre : en Wallonie, une action centrée sur la maîtrise du développement spatial ; à Bruxelles, une politique centrée sur un projet de développement urbain qui privilégie des actions sur les quartiers en difficulté ; en Flandre, une politique centrée sur la dynamisation des villes dans le cadre d’une compétitivité économique. De fait, les régions ont développé des politiques urbaines en fonction de la prise en compte de ce qui constitue la pratique dominante de l’occupation de l’espace, à savoir l’étalement urbain ou encore la suburbanisation. Chacun des pouvoirs régionaux essaye tant bien que mal d’enrayer celle-ci en con­juguant – souvent de manière contradictoire – une action sur les quartiers les plus vulnérables, fragilisés par la précarité et une politique qui cherche à assurer aux villes une place dans la compétitivité territoriale à dimension européenne. Les législations régio­nales sont nombreuses et constituent un maquis juridique qui ne permet guère de saisir les orientations à l’action. Bref, leur lisibilité est limitée tant pour les décideurs locaux que pour les citoyens (Francq et al., 2008a).

La volonté du pouvoir fédéral de mettre en place une politique de contrats logement renvoyait dès lors à une extension de la politique de la ville et aux droits économiques et sociaux. D’abord, la politique de la ville s’est mise en place relativement tard – en 2000 – par rapport aux pays voisins de la Belgique. Relevant du pouvoir fédéral, le programme dit de la Politique des grandes villes (PGV) repose sur une forte contractualisation avec une quinzaine de villes reconnues comme ayant des problèmes urbains cumulatifs. La mission de la PGV est d’accompagner les communes en leur attribuant des subventions. Les communes doivent mettre en place des projets répondant aux objectifs stratégiques et opérationnels de la politique. Cependant, elles restent libres de leurs choix tant pour les types de projets que pour leur contenu, l’État fédéral s’engageant ainsi à respecter le principe de l’autonomie communale.

Ensuite, à un conseil extraordinaire des ministres en janvier 2004, la Politique des grandes villes (PGV) obtient des moyens supplémentaires pour renforcer l’intégration et la cohésion sociales dans les villes, à travers de meilleures possibilités de logement. Le gouvernement a en effet estimé à l’époque que le logement était un levier essentiel au niveau local pour créer ou rétablir des liens sociaux. Si la politique du logement relève du pouvoir régional, rien n’empêchait le pouvoir fédéral de préconiser des contrats logement au nom du droit à un logement décent ; celui-ci figure parmi les droits économiques et sociaux consacrés par l’article 23 de la Constitution belge et renvoie au caractère transversal de cette matière, le gouvernement fédéral soulignant « à quel point la crise du logement est aiguë et qu’une partie grandissante de la population est dans l’impossibilité de faire valoir ce droit ». En effet, ceux qui sont le plus soumis à l’augmentation des loyers sont pour la plupart des personnes précarisées, locataires. Quelque 83 % des locataires habitent dans un logement locatif privé alors que 16 % résident dans une habitation sociale.

Pour rendre compte de cette initiative politique fédérale, nous aborderons deux aspects. D’abord, comment cette politique s’est-elle mise en place concrètement et quels en étaient les objectifs déclarés ? Dans l’optique de la cohésion et de la mixité sociales, l’intention était que les contrats logement cherchent à promouvoir quatre pistes de travail prioritaires : 1) augmenter l’offre locative de qualité, adaptée aux besoins actuels et futurs des habitants ; 2) favoriser l’accès à la propriété pour les ménages disposant de faibles ou moyens revenus, ainsi que pour les jeunes ; 3) renforcer la politique communale de lutte contre l’insalubrité et les marchands de sommeil ainsi que l’abandon des logements ; 4) mettre sur pied des actions transversales visant à réinsérer des publics-cibles, au travers de l’accès au logement. Nous envisagerons ensuite les préférences que les villes ont choisies de travailler dans le cadre de l’action sur le logement et quels en ont été les effets. Le débat « people vs place » occupe une place importante dans les choix effectués de la même manière que l’évaluation des actions réalisées de 2004 à 2008 est révélatrice des rapports complexes entre l’État fédéral et les communes.

Enfin, la conclusion mettra en évidence le caractère innovant de la politique publique et les ambiguïtés qui la caractérisent tant au niveau des objectifs de mixité sociale qu’à celui de la conception d’une politique de développement durable, l’objectif de lutte contre l’insalubrité des logements occupant une place secondaire.

Pour rendre compte de la politique développée dans le cadre d’un programme d’action piloté par l’État fédéral, nous avons choisi une approche en termes de politiques publiques, à savoir « un enchaînement de décisions et d’ac­tivités, intentionnellement cohérentes, prises et mises en oeuvre par différents acteurs, publics et parfois privés, dont les ressources, les attaches institutionnelles et les intérêts varient, en vue de résou­dre de manière ciblée un problème défini politiquement comme collectif » (Jacob, Varone, 2003 : 8). Cette définition implique que l’évaluation cherche à repérer les décalages qui ont été créés par l’action publique en privilégiant deux niveaux : celui des réalisations et des différents moyens mobilisés pour que « ça marche » ; celui des effets à partir d’une analyse prenant en compte : 1) l’introduction d’éventuels changements et leur visibilité ; 2) l’existence d’une politique transversale interministérielle afin de dépasser les approches sectorielles ; 3) le système de pilotage mis en place entre les acteurs institutionnels ; 4) la consistance des démarches participatives développées ou non par le dispositif contractuel[5]. Les développements qui suivent ont été établis méthodologiquement sur la base d’une triple démarche : une analyse du contenu des différents projets adoptés dans les 17 villes concernées par la politique fédérale ; un suivi de leur mise en chantier à partir des documents officiels (définition, tableaux de bord, indicateurs, composition de comité de suivi…) ; une série d’entretiens individuels avec des membres de la cellule PGV et des responsables locaux des contrats pour les villes d’Anvers, Bruxelles-Capitale, Molenbeek, La Louvière, Liège et Mons.

Les contrats logement et leurs orientations

En 2005, 17 contrats logement se mettent en place en fonction de quatre priorités par rapport auxquelles se définissent des projets. Chaque contrat se décline en différents projets qui doivent impérativement être situés dans les quartiers considérés par l’administration fédérale comme « à problèmes » sur base d’une analyse cartographique basée sur une multiplicité d’indicateurs socioéconomiques (Vandermotten, Kesteloot, 2007). Chaque contrat doit impérativement ne couvrir que des dépenses d’investissement, l’optique dominante étant de financer des opérations à effet démonstratif.

Ainsi dans la commune de Bruxelles-capitale, en association avec le Centre public d’action sociale qui a en charge l’application des politiques sociales locales, il s’agit de s’attaquer à la vétusté des immeubles, liée non seulement à l’ancienneté des constructions mais aussi à leur manque d’entretien, faute de moyens financiers de leurs propriétaires. Malgré leurs nombreuses déficiences en matière de sécurité, de salubrité et de confort, ces immeu­bles n’en sont pas moins occupés par des ménages précarisés qui n’ont pas d’autres choix sur le marché du logement. Le projet consiste en la mise en conformité aux normes de salubrité de logements privés et occupés, accompagnée d’une prise en gestion publique et du maintien des habitants dans le logement, aux mêmes conditions financières.

À Anvers, c’est à l’échelle d’un quartier que le projet se définit à partir d’une approche intégrée de revalorisation du quartier des bateliers (Schipperskwartier), le quartier chaud d’Anvers. La ville, par une politique de contrats de rénovation, veut stimuler les personnes physiques et morales à rénover leurs bâtiments et à les louer moyennant un loyer peu élevé. La ville fait ici office de régie (y compris dans la sélection des établissements susceptibles d’entrer en ligne de compte) et prend en charge une partie du coût financier. Ainsi il s’agit de mettre en oeuvre une politique communale destinée à lutter contre les immeubles vides et l’insalubrité immobilière. Vu le public cible très large, le projet a pour objectif d’augmenter l’offre en logements de qualité et donc de faciliter l’accès à la propriété pour les jeunes et les familles à revenus modérés.

À Liège, un des projets prévoit la rénovation lourde d’une ancienne cité de logements sociaux vidée de ses habitants pour cause d’insalubrité, les logements n’étant plus du tout adaptés aux normes actuelles de sécurité et de confort. Parmi les différents scénarios envisagés (démolition totale, façadisme, etc), la rénovation lourde est choisie comme la solution la plus intéressante, du point de vue aussi bien financier qu’architectural puisqu’elle permet le maintien des caractéristiques architecturales d’un ensemble inscrit à l’inventaire du patrimoine tout en rendant possible la création de logements de qualité. La totalité du site appartenait à la société Le Logis social, soit une des sociétés de logements sociaux oeuvrant à Liège. La Ville de Liège prévoyait de racheter la moitié du site afin d’y rénover les logements destinés à la vente (logements moyens ou à caractère social), l’autre moitié du site étant cédée à la Ville par bail emphytéotique de 30 ans. Il était prévu que les futurs logements rénovés soient mis en location, à titre de logement à caractère social ou moyen.

Ces trois exemples sont indicatifs de la diversité des projets qui ne seront pas moins de 72. Il est intéressant de voir comment ceux-ci se répartissaient selon les régions en établissant l’importance du type de projets, des budgets mobilisés et du nombre de logements.

Ce tableau est indicatif non seulement de la diversité des projets, mais des choix différents qui sont faits selon les régions et les villes. Ce sont surtout la Flandre et la Wallonie qui montrent une image polarisée : en Flandre, un tiers des projets et programmes ont mobilisé 69 % du budget total pour la priorité n° 2, soit la simplification de l’acquisition d’une propriété pour les familles à bas ou moyens revenus et les jeunes. Parmi les villes flamandes, seule Gand accorde une plus grande importance à la priorité n° 1 (l’augmentation du nombre de logements locatifs de qualité à disposition des ménages à bas revenus). En Wallonie, seulement 8 % des projets sont consacrés à la priorité n° 2 et, en revanche, 72 % des projets sont repris sous la priorité n° 3, à savoir la lutte contre les marchands de sommeil, l’inoccupation et l’insalubrité, mobilisant 95 % du budget. Étant donné que l’on fait face à un patrimoine immobilier vieillissant et à des villes qui perdent de la population en leur centre – et c’est surtout le cas en Wallonie où 60 % du parc immobilier est considéré comme n’étant plus aux normes –, ce choix est compréhensible. Par contre, les communes bruxelloises partagent le budget de manière égale entre trois priorités différentes. À l’exception de la priorité n° 2, qui représente à peine 1 % du budget total, les trois autres priorités (augmentation du nombre de logements locatifs de qualité, lutte contre les marchands de sommeil, l’inoccupation et l’insalubrité et réintégration des groupes défavorisés via l’accès au logement) sont traitées en proportions égales. En fait, comme le soulignera en 2007 un rapport de la Cour des Comptes consacré à la PGV, le programme des contrats logement favorisait une large dispersion des moyens par un grand nombre de villes et de communes. Plus encore, l’introduction des contrats de logement a entraîné une modification de la répartition des moyens consacrés à la politique des grandes villes entre les différentes régions, en faveur de la Région flamande qui reçoit 43,7 % des moyens (contre 39,7 % avant l’introduction des contrats de logement). La Région wallonne reçoit 31,8 % (contre 33,2 %) et la Région de Bruxelles-Capitale, 24,5 % (contre 27,2 %).

Tableau 1

Répartition régionale des projets logement selon la priorité et le budget

Répartition régionale des projets logement selon la priorité et le budget

Légende

Priorité 1

Augmenter l’offre locative de qualité, adaptée aux besoins actuels et futurs des habitants.

Priorité 2

Favoriser l’accès à la propriété pour les ménages disposant de faibles ou moyens revenus ainsi que pour les jeunes.

Priorité 3

Renforcer la politique communale de lutte contre l’insalubrité et les marchands de sommeil ainsi que l’abandon des logements.

Priorité 4

Mettre sur pied des actions transversales visant à réinsérer des publicscibles, par l’accès au logement.

Sources : Administration de la PGV

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En ce qui concerne le nombre de logements qui concrétiseraient la réalisation des 72 projets locaux, au départ, ceux-ci se répartissaient de la manière suivante : les logements rénovés concernaient 1575 logements (29 % du budget) ; le programme prévoyait la construction de 900 nouveaux logements (68 % du budget) et la création de 25 logements de transit (1 % du budget). Le suivi du programme a révélé les difficultés nombreuses suscitées par une opération d’investissement avec des limites tem­porelles puisque les dépenses devaient être engagées par les communes pour fin décembre 2008. Le calendrier s’est montré peu réaliste, différents interlocuteurs au sein des communes étant d’avis que celui-ci pour les projets d’infrastructure laissait une marge très étroite, voire irréaliste. Il n’était jugé réalisable que dans le cadre de projets simples, tels que des achats, ou de projets qui, au moment d’être choisis, étaient déjà suffisamment mis au point. Fin 2009, il restait à faire l’évaluation des logements effectivement réalisés (rénovés ou construits).

Une analyse des effets de cette politique devrait nous permettre de mieux appréhender les intentions de départ quant aux contrats logement en précisant si la PGV a joué son rôle de moteur d’impulsion et sur quels types de projets, ou encore si elle a suppléé aux politiques structurelles bénéficiant aux communes.

Les problèmes, les effets

Nous avons voulu saisir l’action de la PGV à partir de quatre registres d’évaluation. Ces quatre dimensions permettent de rendre compte des effets, mais aussi des difficultés rencontrées : celle du changement au niveau de la politique du logement ; celle de la transversalité de l’action publi­que ; celle de cohérence du système de pilotage du programme ; celle enfin de la mobilisation des partenaires et des acteurs impliqués directement ou indirectement par la PGV.

La visibilité du changement

En quoi la PGV a-t-elle conduit à certains changements en matière de politique locale de logement ? Le plus visible d’entre eux a été que les autorités communales aient joué – comme attendu par la mise en place des contrats logement et leur subsidiation – un rôle accru dans le domaine du logement. Les villes et communes sont devenues directement acteurs du marché ou ont pratiqué indirectement des partenariats avec les associations, les propriétaires privés ou encore des promoteurs privés.

Un effet moins visible concerne la constitution d’une culture de gestion urbaine. Le développement de cette culture faisait partie des hypothèses d’intervention du plan logement du gouvernement fédéral qui considérait que les autorités locales, les communes et les Centres publics d’action sociale (CPAS) avaient la capacité de « jouer un rôle dynamisant et régulateur, afin de répondre aux besoins de logement de tous les habitants résidant sur leur territoire » (Cellule PGV, 2005 : 4). Cela s’est fait de manière différentielle : dans certaines communes, il existait avant la création du programme PGV des cellules de développement urbain qui se sont adaptées rapidement aux exigences du programme ; d’autres en ont fait l’apprentissage sans que les conditions (par exemple, l’existence d’un diagnostic ou d’un état des lieux de la situation urbaine) soient toujours réunies.

Ce qui est beaucoup plus problématique quant à la visibilité, c’est le faible impact des contrats logement sur les quartiers et les personnes. Selon les directives des contrats logement, les projets ne pouvaient se limiter à l’aspect constructif mais devaient être socialement innovants et avoir un rôle moteur avec un effet d’entraînement. Dans la pratique, il est difficile d’évaluer cet aspect, non seulement par la faiblesse du diagnostic initial, mais aussi par manque d’indicateurs clairs et précis. Bien plus, la non-intégration des contrats logement dans les contrats de ville a eu pour effet de mettre entre parenthèses une des préconisations initiales du programme PGV, à savoir une action qui devait être dirigée vers les quartiers en difficulté.

Une action publique transversale

Ce deuxième registre porte sur la transversalité de l’action publique. Celle-ci concerne deux aspects : entre les niveaux de pouvoir – local, régional, fédéral – et entre les différentes politiques sectorielles d’un même niveau, l’objectif étant alors de lutter contre les processus cumulatifs d’exclusion en adoptant une approche transversale là où les politiques sectorielles sont inefficaces. Une des conséquences de ce nouveau modèle d’action est la nécessité de prévoir des espaces de coordination et de concertation entre les différents intervenants.

En pratique, dans la PGV, c’est la coordination informelle qui a prévalu en fonction des initiatives des conseillers fédéraux, puisqu’il n’y avait pas de structures de coordination officielles ni de coordination entre les ministres responsables. En effet, le programme PGV a fait l’objet de deux réunions interministérielles impor­tantes pendant la période 2005-2008 (Francq, Loopman, 2008b : 45). La première réunion, lors de la mise en phase du programme, portait sur les relations entre le logement et le programme ; elle nécessitait une réunion annuelle des cinq ministres concernés par la PGV, soit le ministre en charge de la tutelle sur la Régie des bâtiments, le ministre compétent pour les Affaires Intérieures, le ministre compétent pour l’Emploi, le ministre compétent pour l’Inté­gration sociale et les Grandes Villes, le membre du gouvernement compétent pour la Mobilité. Cette réunion n’eut jamais lieu. La deuxième réunion a concerné la signature des avenants pour les contrats de ville et les contrats logement pour l’année 2008 entre les villes et cinq membres du gouvernement fédéral concernés par la PGV. Il n’y a pas vraiment eu travail sur la transversalité entre ministères fédéraux. En 2007, le rapport d’évaluation de la Cour des comptes sur la PGV soulignait les impasses de cet absence de travail transversal : « il n’existe quasiment pas de mise en concordance et de coordination avec les régions et les communautés, à l’exception de quelques interventions ad hoc occasionnelles en matière de contrats. Au niveau administratif, il n’existe pas davantage de structure permanente permettant la concertation avec les régions. De même, la gestion de l’expertise en matière de politique urbaine ne fait l’objet d’aucune vision commune » (Cour des comptes, 2007 : 42). Si la Cour tempérait son jugement en précisant qu’une « certaine concordance existe sur quelques points tels qu’en matière d’études portant sur le logement, les décisions sont prises au sein de la conférence interministérielle PGV et logement », il n’en reste pas moins que la coordination au sein de la PGV n’a guère été efficiente du fait de la faiblesse du travail interministériel au niveau fédéral comme dans ses relations avec les régions. Une des conséquences est « de faire supporter en grande partie par les communes la responsabilité de l’approche globale de la problématique des grandes villes » (Idem : 45).

Un système de pilotage cohérent ?

Le pilotage concerne principalement la coordination et la coopération entre la cellule administrative fédérale chargée du suivi des contrats PGV et les entités locales. Les rapports entre le local et le fédéral sont marqués par des rapports dits « doux », le fédéral jouant principalement un rôle de soutien des administrations locales dans l’élaboration et le suivi des projets. Les conseillers fédéraux doivent normalement aussi s’assurer du respect des objectifs du programme.

Au niveau local, plusieurs phases sont prévues dans la réalisation des projets : le diagnostic, l’élaboration et le suivi des projets, l’évaluation de ceux-ci. Dans la première phase, l’instrument central est la réalisation d’un diagnostic de la situation locale du logement qui doit permettre la mise en place des projets ou même un « programme d’interventions » qui auront pour objectif d’y répondre. Cette phase de diagnostic est donc primordiale lors de la mise en oeuvre des projets d’interventions. Malgré l’importance de ce diagnostic, certaines villes ou communes n’en ont qu’une utilisation limitée. Cette situation a été révélée par le rapport de la Cour des comptes qui précise que « de nombreux coordinateurs ont expliqué que le diagnostic ne jouait souvent pas de rôle significatif dans le choix des projets. Le plus souvent, il existe déjà dans la commune des idées ou des plans que l’on s’efforce d’intégrer dans les différents flux financiers régionaux, fédéraux et européens » (Cour des comptes, 2007 : 45).

La phase principale porte sur le montage des projets. L’élément essentiel de cette étape est la mise en route des outils qui permettront le suivi et l’évaluation des projets. Parmi ces outils, il y a entre autres les tableaux de bord. Selon les directives des contrats logement, ils doivent permettre « aux différents intervenants, ainsi qu’au comité d’accompagnement, d’en suivre, pas à pas, (la) mise en oeuvre » et pour y parvenir, « le tableau de bord décrit le contenu de chaque étape, les acteurs concernés, la chronologie ainsi que le coût » (Cellule PGV, 2005 : 29). Les observations que nous avons pu faire sont indicatives des problèmes rencontrés par le bon usage des indicateurs, leur définition étant souvent floue en laissant planer un halo abstrait entre ce qui est de l’ordre du suivi et de l’impact. Ou à l’inverse, ils font l’objet d’une surabondance de critères à partir de la démarche Plan-Do-Check-Act[6] (soit une liste de plus de 50 questions) totalement inappropriables.

Ainsi ce mode de pilotage, basé sur une relation de concertation entre les entités locales et le niveau fédéral, peut poser quelques problèmes. Parmi ceux-ci, le principal est le respect des objectifs assignés aux villes et communes par le programme. L’instrument utilisé pour obtenir le respect de ces objectifs est l’usage de subventions contractualisées. La cellule fédérale dispose alors d’instruments pour s’assurer de leur respect tels que les tableaux de bord qui doivent permettre le suivi des projets ainsi que leur évaluation. Cependant, ces outils ne sont pas nécessairement utilisés ou même correctement remplis par les villes et communes. De ce fait, la cellule fédérale ne dispose pas toujours de toutes les informations indispensables pour contrôler le respect des objectifs et des priorités d’actions du plan logement. De plus, les subventions sont accordées aux villes et communes dès la signature du contrat, même si leur versement s’étale tout au long de la réalisation du projet. Le problème du suivi et du respect des objectifs du programme est renforcé par le fait que, en pratique, une large autonomie est laissée aux villes et communes. Dans le même ordre d’idées, « la pratique démontre que la plupart des communes s’arrogent un large degré d’autonomie et de liberté politique, ce qui conduit souvent à une gestion fédérale théorique de la mise en oeuvre de la PGV. Cette situation est notamment due à l’application très souple et l’interprétation très large des directives par l’administration fédérale, et à l’application purement formelle des directives par les villes et les communes » (Cour des comptes, 2007 : 19).

Ainsi apparaît une double difficulté quant au respect des objectifs du programme. La première intervient avant même la conclusion des contrats. Elle est liée au flou qui entoure les objectifs fédéraux, permettant aux entités locales de faire passer certains projets ne répondant pas totalement aux enjeux fixés par le programme. La seconde difficulté intervient pendant et après la réalisation des projets. Elle est liée au suivi de ceux-ci et à la possibilité de sanction en cas de non-respect du contrat telle que la réduction du montant des subsides, voire leur non-versement, ce qui a des effets certains sur les dépenses engagées par les villes.

Une mobilisation limitée des acteurs et des partenaires

Ce dernier registre porte sur la mise en oeuvre de projets dont il est entendu aux yeux de l’administration fédérale qu’ils ne doivent pas se faire avec les seuls acteurs politiques et administratifs, mais s’ouvrir à l’ensemble des acteurs locaux. Les directives des contrats logement précisent que « une politique des quartiers et, plus particulièrement, du logement ne se décrète pas mais se construit avec ceux à qui elle doit profiter en premier lieu : ce sont les forces vives de ces quartiers. Il faut entendre par là les habitants engagés dans des associations ou comités, les représentants des usagers de la ville, les collectivités locales, mais également les citoyens qui, sans autre engagement, ont envie de faire entendre leur voix et de contribuer à la revitalisation de leur cadre de vie. Le contenu du ‘Plan logement’ devrait être enrichi par un partenariat avec tous ces acteurs locaux. Il est bien entendu que c’est à la Ville/ Commune qu’il incombe de choisir ses interlocuteurs dans ce cadre, en fonction de leur représentativité » (Cellule PGV, 2005 : 18). Dans ces directives, la participation est concrétisée, depuis 2005, sous la forme d’un accent transversal : la participation cito­yenne. Ces directives commencent par préciser que les principaux partenaires du Plan logement doivent être intégrés au sein d’un comité d’accompagnement. Dans la plupart des villes, nous avons pu observer que celui-ci comprend principalement les représentants politiques et administratifs, laissant de côté les acteurs de terrain tels que les associations. Les différents projets font principalement l’objet d’une gestion et d’un suivi interne vis-à-vis des autorités politiques et administratives ; dans certaines villes et communes, le comité d’accompagnement n’existe qu’officiellement, ne se réunissant jamais ou rarement. Parfois, ce comité n’existe que de manière formelle pour répondre aux demandes de la PGV et ne joue aucun rôle dans l’élaboration et le suivi des projets.

La question de la participation ne se limite toutefois pas au fonctionnement d’un comité d’accom­pagnement même si celui-ci est révélateur d’une frilosité par rapport à l’ouverture démocratique en ce qui concerne l’action publique. En pratique, cette participation se limite souvent à une simple information ou consultation, n’allant que rarement plus loin, la cogestion restant une exception. Les raisons de cette faible ouverture viennent tout d’abord du peu de temps disponible pour élaborer les projets au niveau de la mise en place du programme, mais surtout du fait que les autorités locales considèrent souvent la participation comme une simple formalité. De plus, cette gestion surtout interne a pour conséquence un faible recours aux partenariats dans l’élaboration des projets, les communes préférant mettre en place des instances para-communales comme des régies communales autonomes. L’ensemble des observations qui ont été faites dans les rapports d’évaluation depuis 2002 montre une nette tendance à ce que les villes privilégient des partenariats internes, entre services communaux ou entre antennes, régies ou associations émanant de la commune. Cette situation est à nouveau révélatrice de la volonté des entités locales de mener un travail en interne. Le modèle d’action publique des villes et communes partenaires du programme reste principalement celui d’une approche top-down.

C’est sans doute ici une des limites majeures du programme logement mis en place depuis 2005. Dans les projets définis pour la période 2005-2007, la participation fait référence à un spectre extrêmement large qui va d’une activité comme allant de soi à l’organisation de réunions diverses – groupes de travail, comités de quartiers, forums thématiques, panels et tables rondes – qui toutes sont supposées informer sur l’état d’avancement des chantiers, permettre la rencontre des habitants, associer les habitants à la gestion de l’espace collectif créé. Ce qui revient le plus souvent dans la définition de la participation comme axe transversal, c’est la certitude que l’animation de quartier poursuit une logique d’implication des participants dans l’organisation des activités. Très peu de projets font directement référence à une pratique participative dans laquelle les habitants seraient associés à la mise en oeuvre des projets eux-mêmes, ou mieux, ils seraient à l’origine des demandes. Dit autrement, nous sommes devant une conception assez « frustre », élémentaire, de la participation qui, comme le souligne J. Donze­lot (2006 : 144), confine celle-ci à « peu de choses : une publicité discrète, quelques réunions où se retrouvent des responsables d’associations bien connus de la mairie qui fournissent ainsi l’occasion de tirer quelques photos de la “rencontre” des élus avec les “habitants” et de les insérer dans un fascicule généralement vide de tout autre contenu que les décisions de la mairie mais pompeusement intitulé “la consultation des habitants du quartier” ».

Or, de nombreuses publications dans le domaine de la sociologie des politiques urbaines soulignent toutes la nécessité de ne pas réduire la participation à un faux semblant démocratique. Que ce soit P. Rosanvallon (2006), qui souligne les dangers de la montée d’un populisme et ses pathologies (dont l’une des formes les plus préoccupantes est la réduction de la critique de la démocratie représentative à un renforcement de la surveillance, de la vigilance et de l’exacerbation destructrice de l’idée de peuple-juge), ou Y. Sintomer (2007), qui souligne l’impossibilité de maintenir un statu quo par rapport à une démocratie représentative toujours indispensable, mais faiblement légitime aux yeux des citoyens et des habitants de villes et qui nécessite que se développe une démocratie participative qui mobilise un ensemble de dispositifs – jury citoyens, conférences de consensus, sondages délibératifs, collèges tirés au sort dans les conseils de quartier et les budgets participatifs, ou L. Blondiaux, pour qui il est urgent de reconnaître une compétence citoyenne qui implique une transformation profonde de l’action politique, puisque vis-à-vis de la défiance à l’égard de « la » politique, il y a obligation aujourd’hui à « rendre des comptes en permanence sur les choix que (les politiques) accomplissent » (Blondiaux, 2008 : 98). Soit tout un courant politique qui attire l’attention pour re-définir les pratiques démocratiques en ne considérant plus la participation citoyenne comme une formalité.

Il reste à la PGV à faire prendre conscience de la nécessité d’une véritable participation. Ceci implique des obligations de résultats pour les villes qui soient autres que la simple information. Il est donc nécessaire de progresser quant à la manière d’inclure la participation comme une dimension impérative des projets urbains. Le sens commun consisterait à se demander sur quoi devrait porter cette participation pour ce type de programme, qu’il s’agisse de la localisation des logements, de leur aménagement ou encore du mode de gestion de ceux-ci. Nos observations menées sur le terrain nous permettent d’attirer l’attention non sur ces aspects techniques, mais sur la portée des pratiques mobilisatrices telles qu’elles sont emplo­yées par les gestionnaires des villes. Elles sont résolument limitées en Belgique. Ce constat peut être élargi aux actions menées par les pouvoirs régionaux, guère plus à même de donner à la participation citoyenne une consistance politique et sociale (Francq et al., 2008a).

Sachant qu’il n’y a pas de modèle idéal de participation, comme l’attestent les nombreux manuels consacrés à la réalisation de celle-ci, il est nécessaire d’adopter une démarche qui vise à sortir des déclarations soit trop vagues, soit spontanées du type « ça va de soi avec le projet » ou « le lieu crée la participation ». Selon les contextes, les situations, les pratiques de participation se développent de manière différente mais elles doivent faire l’objet d’une programmation réaliste et d’un suivi permanent à travers un travail de veille que l’administration fédérale devrait promouvoir afin d’inciter les autorités locales à rendre compte des avancées et des difficultés rencontrées par la mise ne place et le fonctionnement de structures participatives. Nous en sommes loin.

Conclusion

Sans doute serait-il injuste de dire que le programme logement inscrit à l’agenda politique du gouvernement fédéral en 2004 est la démonstration de l’adage selon lequel « ce n’est pas avec les meilleures intentions du monde qu’on fait une bonne politique ». Alors qu’il se voulait résolument proclamatif au niveau du gouvernement fédéral en inscrivant le logement comme une priorité gouvernementale, il avait aussi l’ambition d’être démonstratif au niveau de la nécessité impérieuse pour les villes de marquer le coup – politique – en matière de politique locale de logement. Avec une tournure qui se voulait résolument sociale puisque l’intention était de privilégier la lutte contre les inégalités sociales engendrées par le logement et son usage différentiel. L’effet démonstratif du programme logement de la PGV s’est heurté à nombre d’obstacles qui donnent l’impression que la greffe n’a pas pris. Nous avons souligné combien était forte la dispersion des projets quant à leurs orientations et par rapport à la dimension régionale, la Flandre faisant des choix très différents de ceux de la région wallonne ou de la région bruxelloise. En même temps, l’évaluation des effets du programme est très indicative des difficultés organisationnelles – pilotage du programme, appropriation partielle des méthodes de management public – et démocratiques – action centrée sur les services internes, faiblesse des partenariats et des démarches participatives – qui caractérisent la mise en application d’un programme dont le gouvernement fédéral attendait des effets d’entraînement sur le logement en milieu urbain, et ce, en complémentarité avec les Régions qui sont compétentes en matière de politique du logement.

Il reste néanmoins que la mise en place de ce programme a eu des effets démonstratifs certains, même si ce n’était pas ceux que le gouvernement attendait. Ils sont de trois ordres. D’abord, il est apparu comme une aberration instrumentale d’avoir défini des contrats logement qui n’étaient pas intégrés aux contrats de ville qui portaient principalement sur des actions de lutte contre la dégradation sociale et économique de quartiers considérés – et labellisés – comme « en difficulté ». Ici, comme le signale Divay, Leloup, Séguin (2005), l’absence d’une stratégie municipale dans une perspective globale et intégrée a eu pour effet de renforcer à l’échelle locale une action sectorialisée, alors que les incitations à une action par projet développant des partenariats cher­chaient à établir des liens transversaux entre lesdits secteurs – infrastructure, marché locatif et social, lutte contre l’insalubrité…

Ensuite, le fonctionnement du programme logement et sa dissociation des contrats de ville a eu un effet de révélateur en ce qui concerne le lien entre les projets et l’action dans et sur les quartiers. Tant pour les contrats de ville que pour les contrats logement, les villes – hormis l’une ou l’autre exception – n’ont pas été à même de mesurer si les achats de bâtiment, les actions de reconstruction ou d’aménagement avaient créé un effet levier sur les quartiers dits en difficulté. Au point que les évaluations réalisées par des experts extérieurs ont toutes été amenées à souligner la faible visibilité de la relation entre les projets et les quartiers. C’est alors l’ensemble du programme de la PGV qui en est délégitimé.

Enfin, élargissons le propos, l’action urbaine entre le gouvernement fédéral et le gouvernement des villes est très révélateur d’un mode de gouvernance autour de ce qu’il est convenu d’appeler « politique de proximité ». Tant les discours que les politiques mises en place en matière de lutte contre la pauvreté comme en matière de droit au logement s’appuient sur la référence constante à une proximité problématique. Soit celle-ci est en déréliction, soit elle est absente. L’action est centrée sur des quartiers prioritaires en fonction de critères tels que : parc de logements dégradés, manque d’entretien des espaces publics, chômage important, notamment des jeunes, criminalité en hausse, présence d’une gentrification, manque d’équipements de formation, difficultés d’intégration de certaines populations principalement allochtones… Ce proche qui conduit à accorder à l’espace une fonction de déversoir, de référentiel privilégié nécessite que deux conditions soient réunies : une connaissance assez pointue des niveaux socio-économiques des ménages selon des unités géographiques ; l’existence d’un chaînage institutionnel entre les différents niveaux de pouvoir – commune, région, fédéral – afin de localiser les manques les plus criants. Or on vient de voir que ce chaînage est loin d’être efficient tandis que la géographie prioritaire, d’un atlas à l’autre, s’étend, comme si la pauvreté n’avait plus de bornes, ni de limites. Les appels à la proximité sont autant de références mortifères à des publics considérés comme « cibles » et enfermés dans leurs situations inégalitaires. Cette déroute de la proximité se double d’une fuite en avant, vers un contrôle obsessionnel de l’occupation de l’espace alors même que la politique du logement, la politique fiscale, les primes diverses sont tournées vers l’acquisition d’un logement et l’entrée dans le « pays des propriétaires ». Cette fuite en avant réduit alors la solidarité urbaine à sa non-existence. Car, il faut le souligner, nous sommes devant un vide sidéral en ce qui concerne la démocratie urbaine : les processus participatifs existants y sont faibles, tout au plus consultatifs. Mais plus encore, ce qui est au coeur de la construction d’une solidarité urbaine dépassant l’action de quartiers, c’est la volonté politique de « rendre des comptes » à la population et de travailler au déploiement de son empowerment comme capacité à transformer des politiques trop limitées à une proximité tout compte fait ségréguée. Les acteurs urbains, ceux qui habitent les villes, sont alors réduits à n’être que des groupes à « auditer » pour venir conforter les plans et diagnostics locaux à la transversalité incertaine et donner des gages à un État préoccupé de légitimer le niveau fédéral de l’action. C’est là qu’est la limite la plus dramatique des programmes d’action publique en matière de gestion urbaine.