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1. Introduction et problématique

Au Maroc, comme dans la grande majorité des pays francophones, les enseignants-chercheurs sont recrutés seulement en fonction de leur compétence en recherche, sans qu’ils aient une formation pédagogique initiale (Chiadli, 2008). Or, toute profession doit s’appuyer sur des savoirs théoriques pour fonder ses actions. Pour la profession d’enseignant, ces savoirs théoriques relèvent des sciences de l’éducation. Dans l’enseignement supérieur, on peut donc diviser le corps enseignant en deux catégories : une minorité ayant une spécialité qui relève des sciences de l’éducation (cursus de formation suivi, enseignement et recherche) et les autres, qui pratiquent l’enseignement de leur discipline sans connaissances pédagogiques théoriques. C’est dans ce sens qu’on fait dans les écrits de recherche en pédagogie universitaire, en particulier à l’Association internationale de pédagogie universitaire (AIPU), une distinction entre les spécialistes des sciences de l’éducation et les praticiens de l’enseignement supérieur. C’est de ces derniers qu’il s’agira dans ce texte et que nous appellerons les enseignants du supérieur, pour éviter toute connotation péjorative ou confusion avec d’autres catégories de personnes (professionnels des services de supports pédagogiques ou technologiques, appelés praticiens de l’enseignement supérieur dans une acception québécoise).

Aussi logique qu’elle paraisse, cette distinction se traduit par une fracture communicationnelle entre ces deux composantes du corps des enseignants du supérieur dès qu’on parle de besoins en formation pédagogique : une évidence pour les premiers, qui se positionnent automatiquement dans la catégorie des formateurs ; une humiliation professionnelle pour les seconds, qui refusent la catégorie d’apprenants d’un savoir pédagogique qu’ils estiment maîtriser grâce à leur longue expérience d’enseignement. Pour pouvoir parler de formation pédagogique à ces enseignants, il faudrait d’abord résoudre ce conflit communicationnel par une sensibilisation à la pédagogie universitaire qui, partant de la valorisation de leur savoir expérientiel, vise à créer chez eux un bon rapport au savoir pédagogique qui sera à même de susciter des besoins explicites en formation.

Créé institutionnellement pour accompagner la mise en oeuvre de la Réforme LMD (Système Licence, Master, Doctorat, réforme inspirée du processus de Bologne) de l’enseignement supérieur marocain, le Centre international de pédagogie et de gestion universitaires (CIPEGU) est chargé, parmi d’autres missions, de la sensibilisation et de la formation pédagogique des enseignants du supérieur au Maroc. Avec ses 500 membres déjà sensibilisés à la pédagogie universitaire à travers différentes rencontres régionales, nationales et internationales, la section marocaine de l’Association internationale de pédagogie universitaire (AIPU-MAROC) constitue un public cible privilégié pour le service de formation qu’offre le Centre international de pédagogie et de gestion universitaires.

L’analyse des besoins en formation pédagogique de ce public revêt un intérêt double pour le Centre international de pédagogie et de gestion universitaires. Premièrement, elle est nécessaire pour la construction de toute offre pertinente de formation. Deuxièmement, elle permet, par la suite, une plus grande stabilité à une telle offre, car la mission de sensibilisation précédera toujours celle de la formation pour les futurs publics cibles de ce centre.

S’interroger sur la pertinence (ne pas se tromper de besoins à identifier : côté chercheur) et sur la fiabilité (les besoins identifiés sont indépendants de la méthode d’analyse choisie) des méthodes d’analyse des besoins en formation pédagogique des enseignants du supérieur constitue le centre d’intérêt de cette recherche qui gravite autour de deux questions principales :

Q1 : Quel est le niveau de pertinence et de fiabilité des résultats d’une analyse des besoins selon la méthode d’analyse utilisée (comparaison de deux conceptions différentes de l’analyse des besoins) et le niveau d’explicitation des questionnaires utilisés (items sans ou avec explicitation par des mots clés ; questionnaire administré à distance ou discuté en présentiel) ?
Q2 : Quel impact aurait une sensibilisation à la pédagogie universitaire sur l’expression des besoins en formation pédagogique des enseignants du supérieur au Maroc ?

Rappelons que les concepts de pertinence, de validité et de fiabilité sont centraux en méthodologie de la recherche, comme le montrent les nombreux écrits des méthodologues de la recherche (De Ketele et Maroy, 2006 ; De Ketele et Roegiers, 2003 ; Paquay, Crahay et De Ketele, 2006).

Cet article se divise en quatre parties. Après le cadre théorique de cette étude, nous allons présenter notre méthodologie de recherche, les considérations éthiques, nos résultats avant de terminer par une conclusion générale.

2. Contexte théorique

En ingénierie de la formation (Dennery, 2006 ; Le Boterf, 1990, 2005), l’analyse des besoins de formation suppose l’existence d’un commanditaire de la formation qui souhaite transformer une situation réelle actuelle, décrite comme une situation-problème, en une situation désirée idéale, dans le cadre d’un projet de changement collectif où la formation n’est que l’un des leviers d’action. Dans ce cadre, l’existence des trois pôles – situation-problème, situation désirée et action de changement – est ainsi une condition nécessaire à toute analyse des besoins de formation. Dans ce cas, les besoins de formation n’existent pas en soi, mais constituent des écarts entre la situation-problème et la situation désirée que l’ingénieur de la formation devrait identifier et analyser en vue de construire son projet de formation (Le Boterf, 2005, p. 19). Dans cette conception, le concept de besoin est objectivé par la clarté de la situation désirée (référentiel de compétences, objectifs du projet de changement…) et la méthode d’analyse des besoins est tout indiquée : la méthode de l’écart. Roegiers (2007) distingue deux façons d’envisager la notion de besoin. D’une part, une conception objectiviste, basée sur […] les besoins du fonctionnement de l’institution on considère que les besoins des acteurs sont des besoins objectivables par les dirigeants de l’organisation ou par un expert (p. 69). D’autre part, une conception constructiviste, basée sur les besoins exprimés par les acteurs, qu’il appelle besoins des acteurs, où on

[…] postule l’absence de besoins objectifs : ce courant considère que le besoin est une représentation de la réalité, une construction de cette réalité par chacun des acteurs, liée aux interactions multiples que la personne entretient avec son environnement…On parle de besoin exprimé et non de besoin réel.

2007, p. 69

Dans le cadre de référence de la formation pédagogique des enseignants en général et de ceux de l’enseignement supérieur en particulier, la problématique réside dans le fait que les trois pôles de l’analyse des besoins (situation-problème, situation désirée et action de changement) sont encore, et resteront peut-être toujours, des objets de discussions universitaires et de négociations conflictuelles au sein de la communauté des enseignants.

Si on se réfère au cadre de référence de l’ingénierie de la formation, on peut ajouter une difficulté supplémentaire : celle de l’absence, en général, d’un projet de changement collectif mobilisateur et la prédominance des représentations et des décisions individuelles. Il ne peut donc être question de besoin en dehors du discours des individus qui se construit à partir de leur perception de la réalité, comme le soulignent Roegiers, Wouters et Gérard (1992, p. 33). Cette dimension subjective du concept de besoin, dans la mesure où il n’existe qu’à travers le filtre des perceptions de l’individu, le rend ambigu (Barbier et Lesne, 1977 ; Roegiers et collab., 1992) et relativise la pertinence de toute analyse des besoins en formation pédagogique des enseignants du supérieur. Nous sommes ici dans la catégorie besoins des acteurs, que nous postulons comme non objectifs (Roegiers, 2007).

Bourgeois (1991) reprend les trois pôles de l’analyse des besoins de formation, les exprime en termes de représentations et les considère comme distincts, mais étroitement liés. Pour lui, le besoin se conçoit comme une construction mentale autour de ces trois pôles et il suffit que l’un d’eux soit saillant dans la perception d’un acteur pour qu’un besoin soit exprimé (Roegiers, 2007 ; Roegiers et collab., 1992). Nous ne sommes donc plus dans l’existence simultanée des trois pôles comme condition nécessaire à toute analyse des besoins de formation, contrairement à ce que postule le cadre de référence de l’ingénierie de la formation ; Lusalusa et Fox (2004) situent les approches de Barbier et Lesne (1977) et de Bourgeois (1991) dans un courant constructiviste selon lequel il n’existe pas de besoins objectifs, observables, mais seulement des expressions de besoin, des représentations de besoin.

Dans cette recherche, nous nous inscrivons dans l’approche de Bourgeois (1991) et nous reprenons les expressions de ces pôles comme les ont formulées Roegiers et ses collaborateurs (1992) :

  1. Le pôle de la représentation de la situation actuelle, dans lequel le besoin est exprimé en termes de problème, de dysfonctionnement, d’exigence, de nécessité, de défaut (je rencontre des problèmes dans…, les difficultés sont liées à…).

  2. Le pôle de la représentation de la situation attendue, dans lequel le besoin est exprimé en termes de désir, de souhait, d’aspiration, de motivation... (je souhaiterais…, j’ai le projet de…).

  3. Le pôle de la représentation des perspectives d’action dans lequel le besoin est exprimé en termes d’action à mener (il faudrait que…, pour y arriver…).

Pour un public cible d’enseignants du supérieur, notre expérience de formateurs au Centre international de pédagogie et de gestion universitaires nous a signalé deux difficultés majeures : 1) l’enseignant ne voit pas sa formation pédagogique (son absence ou son insuffisance) comme une composante essentielle de la situation-problème (dysfonctionnement ou défaut dans la situation actuelle) ; c’est toujours la faute aux autres (niveau des étudiants, conditions de travail, etc.) et 2) l’enseignant arrive rarement à introduire des actions de changement dans ses pratiques pédagogiques, même après une formation. C’est là encore toute l’importance d’une sensibilisation à la pédagogie universitaire basée sur le changement des pratiques pédagogiques. Sensibilisation et analyse des besoins sont donc nécessaires et précèdent les actions de formation en vue de réaliser un changement collectif pertinent et efficace. C’est la vision que le Centre international de pédagogie et de gestion universitaires adopte dans le cadre de son projet intégré : Management du changement dans le cadre de la Réforme LMD au Maroc, où la formation n’est vue que comme un des leviers d’action, comme dans le cadre de référence de l’ingénierie de la formation. Cette vision s’appuie sur un modèle de professionnalisation du métier d’enseignant du supérieur, basée sur une typologie de l’expérience pédagogique, et une approche séquentielle où la sensibilisation permet le changement du type praticien répétitif au type praticien réflexif avant que la formation ne permette la professionnalisation (Chiadli, 2008).

En plus de la définition du besoin comme décalage ou écart entre une situation actuelle et une situation désirée (De Ketele et collab., 1989 ; Nadeau, 1988), comme en ingénierie de la formation, une autre définition nous paraît pertinente et cohérente avec l’approche de Bourgeois (1991) que nous adoptons : il s’agit de celle qui conçoit le besoin comme un drive conscient. Le terme drive véhicule un réseau complexe de connotations. Il peut désigner tendance, pulsion, intérêt et, entendu au sens béhavioriste, il couvre l’ensemble des dispositions physiologiques par lesquelles un être vivant est sensible à un stimulus et y répond (Hamdane, 1990). Certains auteurs (notamment Hamdane, 1990) considèrent le concept de drive comme un stimulus puissant qui peut pousser à l’action.

Il est intéressant de noter que depuis les années 1990, le concept de besoin n’a plus guère fait l’objet d’études théoriques. Il est bien établi que l’analyse des besoins (conçus comme écarts ou drives) est une composante importante de la stratégie d’entreprise et doit être située dans une analyse plus large. On trouve d’ailleurs, dans les écrits de recherche (Johnson, Scholes, Wittington et Fréry, 2008), toute une série de modèles d’analyse stratégique. Le SWOT en est un ; il repose sur une matrice à deux dimensions (l’origine interne par rapport à externe ; le caractère positif par rapport négatif pour atteindre l’objectif) dont le croisement permet de déceler les forces (Strenghts), les faiblesses (Weaknesses), les opportunités (Opportunities) et les menaces (Threats). Le modèle SWOT n’est donc pas simplement une analyse de besoins de formation (même s’il la rend possible), mais une analyse plus large de l’environnement interne et externe de l’organisation en fonction des objectifs de l’entreprise ; il permet de choisir des options stratégiques qui sont loin de se cantonner à des actions de formation. Des connexions sont néanmoins possibles tant avec le besoin comme écart (entre les objectifs assignés de l’entreprise et les faiblesses) qu’avec la notion de drive (certaines opportunités peuvent être des drives).

Il est à noter aussi que les écrits de recherche ne comportent guère d’études empiriques où sont comparés différents dispositifs d’analyse des besoins. C’est ce qui nous a poussés à le faire dans notre recherche, d’autant plus que la conception du besoin comme drive, plus psychologique (répondre à un stimulus) et plus active (stimulus puissant qui peut pousser à l’action), est plutôt complémentaire, et non contradictoire, avec l’autre définition qui considère le besoin comme un écart. Nous l’avons utilisé dans cette recherche (voir études A et B ci-dessous) parce que nous craignions, même auprès d’un public cible déjà sensibilisé à la pédagogie universitaire, que pour les questionnaires administrés à distance, la méthode de l’écart ne soit interprétée par les répondants comme une sorte d’évaluation. Nous considérons que les deux études menées par la méthode du drive correspondent parfaitement au pôle de la situation désirée, alors que dans l’étude C (voir ci-dessous) le contexte nous permettait de raisonner en termes d’écart entre la situation vécue et la situation désirée.

Notre recherche vise à vérifier et à comparer le degré de fiabilité et de pertinence des deux méthodes d’analyse de besoins en formation à la pédagogie universitaire les mieux adaptées aux enseignants du supérieur du Maroc : la méthode du drive et la méthode de l’écart. Nous nous proposons par la suite de vérifier les deux hypothèses suivantes :

H1 : Effet décodage 

Même lorsqu’ils sont sensibilisés à la pédagogie universitaire, les enseignants du supérieur ont des difficultés à décoder la terminologie des sciences de l’éducation. Cela se traduirait par un effet sur la pertinence (on ne se trompe pas de besoins à identifier : côté chercheur), voire la validité (correspondance entre besoins exprimés et besoins effectifs : côté répondant), et la fiabilité (les besoins identifiés sont indépendants de la méthode d’analyse choisie : côté méthode d’analyse) de l’analyse de leurs besoins en formation pédagogique par des questionnaires administrés à distance, surtout lorsque les items proposés ne sont guère explicités.

H2 : Effet sensibilisation

La sensibilisation à la pédagogie universitaire permettrait, d’une part, de créer un besoin de formation pédagogique chez les enseignants du supérieur et, d’autre part, de recentrer leurs besoins prioritaires sur l’étudiant et son apprentissage ainsi que sur les pédagogies actives.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Notre enquête visait les enseignants universitaires marocains. La section marocaine de l’Association internationale de pédagogie universitaire, avec ses 500 membres, constitue, d’une part, un public cible privilégié pour le service de formation qu’offre le Centre international de pédagogie et de gestion universitaires et, d’autre part, un échantillon spécifique aux besoins de l’étude. Dans le paragraphe suivant, nous décrivons les instruments utilisés lors des différentes phases de la recherche ainsi que les échantillons disponibles.

3.2 Instrumentation

Lors de la 3e Rencontre nationale de l’Association internationale de pédagogie universitaire – Maroc, organisée les 29-30 avril 2005, nous avons distribué un questionnaire de 18 items aux enseignants universitaires des différents établissements du Maroc qui participaient à cette Rencontre. Notre échantillon final pour cette phase de la recherche regroupe 50 répondants sur les 130 participants, ce qui représente un taux de retour des questionnaires de 38 %. C’est ce que nous appellerons par la suite l’Étude A.

Un an plus tard, avant la tenue de la 4e Rencontre nationale de cette association, en mai 2006, le questionnaire de l’étude A a été réaménagé en 13 items, chacun d’eux étant explicité par des mots clés. Ainsi réorganisé, le questionnaire a été envoyé par courriel aux membres de l’Association, et ses résultats ont été présentés en séance plénière lors de cette rencontre. Le temps accordé à cette étape n’a pas permis une large participation des membres de l’Association internationale de pédagogie universitaire – Maroc et, à cause de cela, le taux de retour des questionnaires a été très moyen : sur 180 questionnaires envoyés, 42 sont revenus dans les délais, soit un taux de retour de 23 %. C’est ce que nous appellerons par la suite l’Étude B.

Lors de cette quatrième rencontre, nous avons organisé une analyse des besoins en atelier en utilisant le questionnaire de l’étude B, mais que nous avons explicité davantage en utilisant les 43 mots clés de ses 13 items comme 43 sous-items à traiter séparément. Le nombre de participants à cet atelier était de 62, soit environ 50 % des participants à cette rencontre où un autre atelier avait été organisé en parallèle sur le thème : Pédagogie multimédia et compétences techniques en Technologies de l’information et de la communication en éducation (TICE). Cette étude sera nommée par la suite l’Étude C.

3.3 Déroulement

L’étude s’est déroulée en deux phases, l’une portant sur la méthode du drive et l’autre sur celle de l’écart.

Dans la première phase, la méthode du drive, avec un questionnaire administré à distance, a été utilisée à deux reprises. Dans l’étude A, un questionnaire à 18 items a été distribué lors de la 3e Rencontre nationale de l’Association internationale de pédagogie universitaire – Maroc (fin avril 2005). Dans l’étude B, le questionnaire de l’étude A réaménagé en 13 items et explicité par des mots clés a été envoyé par courriels aux membres de cette Association, avant la tenue de la 4e Rencontre nationale en mai 2006. Les résultats de cette étude B ont été présentés en séance plénière lors de cette rencontre.

La seconde phase, dénommée l’Étude C, se déroule lors de cette 4e Rencontre nationale de l’Association, co-organisée par le Centre international de pédagogie et de gestion universitaires. Dans un atelier ayant pour thème : Pédagogie universitaire et compétences pédagogiques : quelle formation pour quels besoins ?, le questionnaire à 13 items de l’étude B, conçu au départ avec la méthode du drive a été transformé selon la méthode de l’écart, et ses items ont été déclinés en 43 sous-items en utilisant les mêmes mots clés qui servaient à expliciter les items initiaux. La consigne consistait à inviter les participants à s’exprimer sur leur degré de maîtrise de ces sous-items dans leurs pratiques d’enseignement (situation actuelle) et sur l’importance qu’ils leur accordent comme objets d’une éventuelle formation à la pédagogie universitaire (situation désirée). Animé par Jean-Marie De Ketele, l’atelier se déroulait de la manière suivante :

  • l’animateur explique d’abord le sens de l’item et de ses sous-items et montre leurs impacts sur les pratiques pédagogiques et les apprentissages des étudiants ;

  • répartis ensuite en sous-groupes constants de deux ou trois, les participants s’expliquent dans leurs propres mots l’item et ses sous-items, avant de répondre individuellement pour chacun des sous-items ;

  • pendant le travail en sous-groupes, l’animateur répond aux questions, s’assure de la bonne compréhension et fait partager les erreurs d’interprétation.

Le tableau 1 permet de récapituler et de comparer les caractéristiques des trois études A, B et C.

Tableau 1

Les caractéristiques des trois études

Les caractéristiques des trois études

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3.4 Méthode d’analyse des résultats

Dans les études A et B, conduites suivant la méthode du drive, les répondants sont appelés à répondre, sur une échelle de Likert en cinq points, sur le degré d’importance qu’ils accordent à une éventuelle formation pédagogique pour chacun des items. L’échelle de jugement utilisée dans l’étude C, conduite suivant la méthode de l’écart, est donnée dans le tableau 2.

Tableau 2

L’échelle de jugement de la méthode de l’écart

L’échelle de jugement de la méthode de l’écart

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Dans notre analyse de l’étude C, trois indicateurs de mise en priorité sont utilisés, en l’occurrence : le degré d’importance (unidimensionnelle, situation désirée), l’écart absolu (bidimensionnelle) et l’indice de priorité des besoins (IPB). En outre, nous avons utilisé l’approche graphique de Hershkowitz (1973 ; Nadeau, 1988), qui permet une plus grande discrimination des thèmes prioritaires.

3.4.1 Le degré d’importance

Pour les études A et B (méthode du drive), le degré d’importance (DI), de chaque item est calculé comme étant la moyenne de ses scores. Les items sont alors classés par ordre de priorité suivant les valeurs décroissantes de leur degré d’importance.

Pour l’étude C (méthode de l’écart), le degré d’importance ne concerne que la situation désirée et est calculé de la même façon. Cette situation désirée est alors notée SD pour pouvoir la comparer à la moyenne des scores de l’item dans la situation actuelle (SA).

3.4.2 L’écart absolu

Il est calculé comme étant la différence entre les valeurs SD et SA de chaque item :

Il peut ainsi avoir une valeur positive, négative ou nulle, une valeur négative ou nulle étant interprétée comme une absence de besoin. On classe les items par ordre décroissant des valeurs de leur écart. Cette approche reste peu discriminative, car elle ne tient compte que de la différence entre ces moyennes.

3.4.3 L’indice de priorité des besoins (IPB)

Cet indice est égal au produit de la valeur de l’écart absolu par la valeur de la situation désirée :

L’indice de priorité des besoins est donc un indicateur bidimensionnel qui permet de pondérer, par le degré d’importance de la situation désirée (SD), l’écart absolu par rapport à la situation actuelle (équation 1). Comme l’écart absolu, l’indice de priorité des besoins peut avoir une valeur positive, négative ou nulle. Une valeur négative ou nulle peut être interprétée comme une absence de besoin. Les items sont classés par ordre décroissant de priorité sur la base des indices de priorité des besoins calculés. Cet indicateur (équation 2) reste également peu discriminatif, même s’il devrait l’être plus que l’écart absolu (équation 1).

3.4.4 L’approche normative (graphique) de Hershkowitz

C’est une approche qui a été développée par Hershkowitz (1973 ; Nadeau, 1988). Elle consiste à diviser le plan cartésien en quatre zones (catégories de besoins). Celles-ci sont obtenues par la détermination d’un axe vertical passant par la moyenne globale de la situation désirée et d’un axe horizontal qui passe par la moyenne globale de la situation actuelle. Chaque zone représente une catégorie de besoins. La moyenne accordée à l’importance ou au degré de maîtrise réel de chaque item est reportée sur le plan cartésien par rapport à ces deux axes (Figure 1). La zone 4 regroupe les items dont la moyenne d’importance est supérieure à la moyenne globale d’importance, mais dont la moyenne de réalisation est inférieure à la moyenne globale de réalisation. C’est la zone des besoins critiques (besoins prioritaires).

Figure 1

Répartition des catégories de besoins selon l’approche de Hershkowitz (1973)

Répartition des catégories de besoins selon l’approche de Hershkowitz (1973)

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3.4.5 Méthode graphique du Signe normatif de priorité (SNP)

D’entrée de jeu, mentionnons que le co-auteur de cet article, A. Chiadli a développé cette méthode d’analyse comparative pour les besoins de cette étude.

Pour pouvoir vérifier notre première hypothèse de recherche, l’hypothèse H1 (effet décodage), nous aurons à utiliser les degrés d’importance (DI) de chaque item dans les études A, B, et la situation désirée dans l’étude C qui présentent, respectivement, des niveaux croissants d’explicitation des mêmes items.

En utilisant le même indicateur (le degré d’importance) pour le même critère (importance accordée à la formation) qui caractérise le même item, on peut se permettre la comparaison des résultats même si les méthodes sont différentes (drive et écart). Il reste, cependant, comme hypothèse pour la validité de la méthode de comparaison choisie, à s’assurer que les échantillons, dans les trois études, représentent séparément le même public cible (même caractéristique visée dans la recherche), même si les répondants sont des personnes différentes. Par ailleurs, dans les comparaisons, nous ne pouvons contrôler l’effet dû à la composition des échantillons non strictement semblables (mêmes répondants) ; il aurait d’ailleurs été impossible de le faire sur le plan de l’éthique.

L’échelle de jugement étant différente dans l’étude C, nous proposons une variable normative et une méthode graphique pour établir une telle comparaison. Pour chaque étude, on calcule le degré d’importance moyen DI moyen sur tous les items. On définit alors le signe normatif de priorité de chaque item, dans une étude donnée, comme étant le signe de la différence entre la valeur du degré d’importance de cet item et la valeur du degré d’importance moyen de l’ensemble des items de l’étude :

Ainsi, si le degré d’importance de l’item est supérieur à la valeur moyenne de l’étude, le signe normatif de priorité est positif (représenté par le signe +) et l’item est considéré comme prioritaire. Inversement, si le degré d’importance de l’item est inférieur à la valeur moyenne de l’étude, le signe normatif de priorité est négatif (représenté par le signe -) et l’item est considéré comme non prioritaire. Dans le cas particulier où le degré d’importance de l’item est égal à la valeur moyenne de l’étude, le signe normatif de priorité sera traité comme négatif et l’item sera considéré comme non prioritaire. Ainsi, dans une échelle normative macro, cette variable nous permet, d’une part, de distinguer facilement les items prioritaires dans une étude donnée et, d’autre part, de comparer la priorisation selon le degré d’importance obtenu par des méthodes différentes (drive et écart), même quand les réponses sont données sur des échelles de jugement différentes.

La visualisation graphique de la comparaison entre deux méthodes A et B, se fait en croisant les résultats des deux études sur deux axes cartésiens qui représentent chacune des études. Le plan cartésien est ainsi divisé en quatre zones (Figure 2) :

  1. Zone 1 : elle regroupe les items qui sont prioritaires dans B (SNPB positif) et non prioritaires dans A (SNPA négatif). C’est une zone de discordance entre les deux études.

  2. Zone 2 : elle regroupe les items qui sont prioritaires aussi bien dans B (SNPB positif) que dans A (SNPA positif). C’est une zone de concordance entre les deux études.

  3. Zone 3 : elle regroupe les items qui ne sont prioritaires ni dans B (SNPB négatif) ni dans A (SNPA négatif). C’est une zone de concordance entre les deux études.

  4. Zone 4 : elle regroupe les items qui sont non prioritaires dans B (SNPB négatif) et prioritaires dans A (SNPA positif). C’est une zone de discordance entre les deux études.

Figure 2

Méthode graphique du signe normatif de priorité (SNP) de comparaison entre deux études de priorisation des besoins suivant le degré d’importance

Méthode graphique du signe normatif de priorité (SNP) de comparaison entre deux études de priorisation des besoins suivant le degré d’importance

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On obtient donc deux zones de concordance (Zones 2 et 3) et deux zones de discordance (Zones 1 et 4) entre les deux études. Ainsi, à une échelle macro, la comparaison qualitative est clairement visualisée et facilement lisible sans que l’on se noie dans les tableaux de priorisation des deux études. À cette échelle aussi, une comparaison quantitative peut être chiffrée en calculant un taux de concordance comme étant le pourcentage des items des zones de concordance par rapport à l’ensemble des items, puisque chaque item ne peut se trouver que dans une seule zone.

À un niveau micro de l’analyse, une comparaison qualitative plus fine est possible si chaque item est porté dans ce graphique avec son ordre de priorité dans chacune des deux études. On peut ainsi comparer les ordres de priorité, pour chaque item, des zones de concordance, mais surtout les grandes différences dans les ordres de priorité pour les items des zones de discordance. Ainsi, comme ce sera le cas dans nos études, un item classé premier dans une étude et qui devient non prioritaire dans l’autre est un résultat qualitatif très significatif.

Nous pensons que cette technique de comparaison, la méthode graphique du signe normatif de priorité, est généralisable à d’autres variables que le degré d’importance (notamment l’indice de priorité des besoins ou l’écart pour les analyses de besoins) et à d’autres types de comparaisons monovariables, et en particulier, les analyses de fiabilité ou de fidélité d’une méthode donnée.

3.4.6 Vérification des hypothèses

Pour vérifier l’hypothèse H1 (effet décodage), nous allons comparer les résultats des études A, B et la situation désirée de l’étude C, en utilisant la méthode graphique du signe normatif de priorité comme nous l’avons décrite ci-dessus. Rappelons que l’ordre de ces trois études correspond à l’ordre croissant d’explicitation des items, ce qui nous permet d’étudier son impact. Dans un premier temps, nous allons comparer les études A et B, qui sont menées selon la même méthode du drive et administrées dans le même contexte (questionnaires à distance), le questionnaire de l’étude B étant plus explicité par des mots clés que celui de l’étude A. Une telle comparaison nous permettra d’examiner l’impact éventuel du degré d’explicitation dans un même contexte (administration à distance) et selon une même conception (drive). Dans un deuxième temps, nous allons comparer les résultats de l’étude B et ceux de la situation désirée de l’étude C. Dans ce cas, les questionnaires sont identiques, mais administrés dans des contextes différents, (le traitement en atelier dans l’étude C étant le plus explicite) et selon des conceptions différentes (drive dans l’étude B et écart dans l’étude C).

Avec un taux de retour de 23 % dans le pire des cas, les échantillons des trois études sont statistiquement représentatifs du même public cible, c’est-à-dire les membres de la section marocaine de l’Association internationale de pédagogie universitaire (AIPU-Maroc) visés dans cette recherche, qui répondent à la caractéristique d’être sensibilisés à la pédagogie universitaire. Les études A et C ont été d’ailleurs réalisées lors de deux rencontres nationales (2005 et 2006) de la dite section, et au moins 60 % des participants ont assisté aux deux rencontres en tant que membres des 12 bureaux régionaux de la section.

Pour vérifier l’hypothèse H2 (effet sensibilisation), nous nous baserons uniquement sur l’étude C, en procédant par triangulation des résultats de priorisation obtenus à travers l’indice de priorité des besoins (IPB), l’écart absolu et la zone des besoins critiques de la méthode de Hershkowitz.

3.5 Considérations éthiques

Comme nous l’avons signalé auparavant, l’objectif de cette recherche est d’étudier la pertinence et la fiabilité des méthodes d’analyse de besoins en formation pédagogique des enseignants du supérieur.

Or, toute analyse de besoins en formation pédagogique, conçue comme élément constitutif d’un dispositif de formation, peut participer en amont à l’élaboration d’un tel dispositif, de manière à tenir compte de la réalité du terrain. Elle peut également être perçue par les enseignants concernés comme un moyen d’évaluation de leurs pratiques pédagogiques.

Cependant, notre option ne vise guère à évaluer ces pratiques, ni ne cherche à identifier les bons ou les mauvais enseignants. Seul l’aspect de la rigueur de l’analyse de besoins est au centre de nos intérêts, et cela, afin de répondre à l’un des principaux objectifs du Centre international de pédagogie et de gestion universitaires : le développement de programmes pertinents de formation en pédagogie universitaire.

De plus, notre choix d’un échantillon auto-sélectionné, déjà sensibilisé à la pédagogie universitaire, n’a aucune portée discriminatoire ; nous ne l’avons fait que pour répondre aux besoins spécifiques de l’étude. Les missions assignées au Centre international de pédagogie et de gestion universitaires visent la sensibilisation avant la formation de tous les enseignants universitaires marocains sans exception.

4. Résultats et discussion

4.1 Comparaison des études A et B

Les résultats de cette comparaison sont illustrés par la méthode graphique du signe normatif de priorité à la figure 3, où chaque item est représenté avec, entre parenthèses, ses ordres de priorité respectifs dans A et dans B ; par exemple l’item ingénierie pédagogique (6,1) est classé sixième dans l’étude A et premier dans l’étude B.

Figure 3

Graphique du signe normatif de priorité (SNP) de comparaison entre les études A et B

Graphique du signe normatif de priorité (SNP) de comparaison entre les études A et B

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Au niveau macro de comparaison, on peut noter que 9 items sur les 13 sont classés dans les zones de concordance (zones 2 et 3), soit un taux de concordance d’environ 69 %. On peut aussi noter la grande différence de discrimination dans les deux études : alors que 9 items sur les 13 sont classés prioritaires dans l’étude A (SNPA positif, zones 2 et 4), seuls 5 items le sont dans l’étude B (SNPB positif, zone 2 et aucun item dans la zone 1). Autrement dit, environ 50 % des items prioritaires dans l’étude A ne le sont plus dans l’étude B.

Au niveau micro de la comparaison, on peut tout d’abord noter que l’item qui était classé premier dans l’étude A, en l’occurrence l’item Pédagogie et TEC (Techniques d’Expression et de Communication), n’est plus prioritaire dans l’étude B. Sans autres mots clés dans A, les répondants ont peut-être compris qu’il s’agissait de techniques d’expression et de communication qui devaient permettre à l’en-seignant de mieux expliquer son cours en devenant un meilleur orateur. Dans l’étude B, on avait ajouté, entre parenthèses, les mots clés suivants : méthodes de travail personnel, travail en groupe, apprentissage collaboratif et communication interpersonnelle. Cette recentration de l’item sur l’étudiant est peut-être à l’origine de ce changement dans la priorisation.

4.2 Comparaison entre les résultats de l’étude B et de la situation désirée de l’étude C

Pour pouvoir comparer les résultats de l’étude B à 13 items avec ceux de l’étude C, le degré d’importance de chacun des 13 items de l’étude C est calculé comme étant la moyenne des valeurs SD de ses sous-items. Le tableau 3 montre les résultats obtenus pour la situation désirée en déclinant en même temps les 13 items et leurs 43 sous-items. La figure 4 permet de comparer, par la méthode graphique du signe normatif de priorité (SNP), des résultats de priorisation de l’étude B et de la situation désirée de l’étude C. Les ordres de priorisation sont indiqués entre parenthèses, respectivement dans B et dans C.

Tableau 3

Classement de l’ensemble des items selon le degré d’importance de la situation désirée (Étude C)

Classement de l’ensemble des items selon le degré d’importance de la situation désirée (Étude C)

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Au niveau macro de comparaison, on peut noter que 8 items sur les 13 sont classés dans les zones de concordance (zones 2 et 3), soit un taux de concordance d’environ 61,5 %. On peut aussi noter la grande différence de discrimination dans les deux études : alors que 5 items seulement sur les 13 étaient classés prioritaires dans l’étude B (SNPB positif, zones 2 et 4), 8 items le sont dans l’étude C (SNPC positif, zones 1 et 2) dont 4 (zone 1) ne l’étaient pas dans l’étude B. Autrement dit, 50 % des items prioritaires dans la situation désirée de l’étude C ne l’étaient pas dans l’étude B.

Au niveau micro de l’analyse de comparaison, on peut noter que l’item classé premier dans l’étude C, en l’occurrence l’item Planification des apprentissages, était classé non prioritaire dans l’étude B. Enfin, le déclassement de l’item TICE, qui était classé troisième dans l’étude B et qui n’est plus prioritaire dans l’étude C, peut s’expliquer par le fait qu’un autre atelier qui portait sur les technologies de l’information et de la communication en éducation (TICE) était organisé en parallèle et que les participants du présent atelier n’étaient guère intéressés par cet item (voir la partie Sujets de l’étude ci-dessus).

4.2.1 Confirmation de l’hypothèse H1 (effet décodage)

Aussi bien à l’échelle macro qu’à l’échelle micro, le faible niveau de concordance entre les résultats de priorisation des études A et B montre la faible fiabilité des études d’analyse des besoins en formation pédagogique de notre public cible quand les questionnaires sont administrés à distance, en particulier pour la méthode du drive.

L’explicitation des items peut changer (augmentation ou diminution) jusqu’à environ 50 % le nombre de besoins prioritaires, résultat confirmé aussi bien dans la comparaison entre A et B qu’entre B et C.

L’effet décodage peut se manifester aussi bien au niveau de l’identification des items prioritaires (niveau macro) qu’au niveau de leur classement (niveau micro). Avec le résultat quantitatif précédent sur l’impact de l’explicitation des items, nous pouvons considérer que notre hypothèse H1 (effet décodage) est bien vérifiée. En réponse à notre première question de recherche, on pourrait affirmer que c’est essentiellement le niveau d’explicitation du questionnaire, en particulier de ceux administrés à distance, qui affecte la pertinence et la fiabilité des résultats de l’analyse des besoins, indépendamment de la méthode utilisée (drive ou écart). Par ailleurs, à niveau d’explicitation égal (même niveau de pertinence), la méthode de l’écart reste plus fiable eu égard aux résultats de la méthode de triangulation que nous avons utilisée (voir ci-dessous). Les résultats de l’étude C seront donc plus pertinents que ceux de A et B, puisque l’explicitation des items est traitée en atelier avec les répondants. Par la suite, nous procédons à une analyse complète de la méthode de l’écart afin d’obtenir une mise en priorité plus fiable des besoins et vérifier ainsi notre deuxième hypothèse de recherche.

Étude C

En nous basant sur les résultats de l’analyse complète de l’étude C, nous procédons à une comparaison des classements des sous-items suivant trois indicateurs : l’écart absolu, l’indice de priorité des besoins (IPB) et la méthode graphique de Hershkowitz (zone 4).

Parmi les trois indicateurs, la méthode de Hershkowitz est la plus discriminative : 11 sous-items seulement sur les 43 se trouvent dans la zone des besoins critiques (zone 4), alors que 22 sous-items ont un IPB supérieur à la moyenne et 25 sous-items ont un écart absolu supérieur à la moyenne. Ce résultat est conforme à l’ordre de discrimination croissant de ces indicateurs comme nous l’avons signalé dans la partie consacrée aux mesures effectuées ci-dessus. La triangulation portera donc sur les 11 sous-items classés comme besoins critiques dans la méthode de Hershkowitz et qui se trouvent aussi prioritaires suivant les deux autres indicateurs. Les résultats de cette triangulation sont consignés dans le tableau 4.

Tableau 4

Triangulation des résultats de l’étude C

Triangulation des résultats de l’étude C

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4.2.2 Confirmation de l’hypothèse H2 (effet sensibilisation)

L’effet de la sensibilisation à la pédagogie universitaire se manifeste à travers un certain nombre de constats issus de l’étude C.

Premièrement, les besoins prioritaires sont mieux discriminés et forment un ensemble beaucoup plus cohérent dans l’étude C.

Deuxièmement, les participants à l’étude C dégagent, à travers leurs évaluations, un écart important (échelle de jugement : -2, -1, 1, 2) entre la situation actuelle (la moyenne des situations actuelles est de 0,02) et la situation désirée (la moyenne des situations désirées est de 1,31) : une demande de formation pédagogique est ainsi clairement exprimée.

Troisièmement, les besoins prioritaires sont, dans l’étude C, centrés sur l’étudiant et son apprentissage et axés sur les pédagogies actives ; en particulier on peut noter que le sous-item Analyse des besoins est classé premier suivant les trois indicateurs. Les résultats de cette triangulation, ajoutés à la demande clairement exprimée d’une formation pédagogique, confirment donc notre hypothèse H2 (effet sensibilisation).

Quatrièmement, les besoins s’expriment beaucoup plus en termes de ressources d’action que de contenus disciplinaires. En effet, en plus d’un éclatement des items sur les quatre zones de priorités du graphique de Hershkowitz, on peut remarquer quantitativement un éclatement des items retenus comme prioritaires dans cette triangulation, d’autant plus important que l’item est centré sur l’enseignant et l’enseignement, et non sur l’étudiant et son apprentissage. Par ordre décroissant du rapport du nombre des sous-items retenus dans l’item sur le nombre total de ses sous-items (indiqués respectivement entre parenthèses, voir tableau 3), on trouve neuf items classés par ordre décroissant : Motivation en contexte universitaire (1/1) ; Pédagogies actives (3/4) ; Approche par compétences (2/3) ; Enseignement centré sur l’apprentissage (1/2) ; Accompagnement des étudiants (1/3) ; Ingénierie pédagogique (1/4) ; Didactique des disciplines (1/4) et Évaluation des apprentissages (1/6). On peut noter aussi, à cet égard, que les items Motivation en contexte universitaire, Enseignement centré sur l’apprentissage et Accompagnement des étudiants n’étaient pas prioritaires dans les études A et B. 

En réponse à notre deuxième question de recherche, il est donc possible d’identifier l’impact de la sensibilisation sur l’expression des besoins en formation pédagogique des enseignants du supérieur au Maroc comme suit :

  1. un besoin explicite en formation pédagogique est bel et bien exprimé à travers un grand écart entre la situation actuelle et la situation désirée ainsi que par une bonne discrimination et une bonne cohérence des besoins prioritaires exprimés ;

  2. les besoins prioritaires sont centrés sur l’étudiant et son apprentissage et axés sur les pédagogies actives ;

  3. les besoins s’expriment beaucoup plus en ressources d’action que de contenus disciplinaires.

5. Conclusion

Dans les limites inhérentes au contexte de cette recherche, il est possible de dégager plusieurs conclusions importantes.

Même lorsqu’ils sont sensibilisés à la pédagogie universitaire, les enseignants du supérieur ont des difficultés à décoder la terminologie des sciences de l’éducation ; ce qui met en cause la fiabilité, voire la validité et la pertinence, de l’analyse de leurs besoins en formation pédagogique par des questionnaires administrés à distance.

Basée sur une explicitation directe du questionnaire en atelier et appuyée par une triangulation des résultats (écart, indice de priorité des besoins et zone 4 du graphique de Hershkowitz), la méthode de l’écart est plus fiable et permet d’obtenir une meilleure discrimination des besoins prioritaires.

La sensibilisation des enseignants du supérieur à la pédagogie universitaire permet, d’une part, de créer chez eux un besoin de formation pédagogique et, d’autre part, de recentrer leurs besoins prioritaires sur l’étudiant et son apprentissage ainsi que sur les pédagogies actives.

Les limites de cette recherche tiennent, entre autres, aux facteurs suivants :

  1. L’homogénéité de l’échantillon par rapport à la dimension sensibilisation à la pédagogie universitaire (spectre très large des niveaux de sensibilisation), et sa représentativité (qualitative et quantitative) de la section marocaine de l’Association internationale de pédagogie universitaire (nous n’avons pas procédé à une technique d’échantillonnage).

  2. L’échantillon de l’étude C a la particularité de ne pas être intéressé par les technologies de l’information et de la communication en éducation (un autre atelier d’analyse des besoins leur a été consacré en parallèle), alors que dans les études A et B l’échantillon n’avait pas cet aspect sélectif (voir interprétation du déclassement de ce besoin dans la comparaison des résultats des études B et C).

  3. Le fait de faire travailler les participants en groupes pour l’explicitation des items dans l’étude C, s’il permet de lever l’impact du facteur décodage, pourrait toutefois avoir une influence sur l’expression individuelle des besoins par comparaison à la situation des études A et B (questionnaires administrés à distance).

À l’intérieur de ces limites, nous allons affiner cette recherche en exploitant les données biographiques des répondants pour tenter de découvrir d’éventuelles distinctions parmi les résultats en fonction du sexe, du champ disciplinaire, de l’expérience pédagogique (durée), de l’institution (faculté, école)… et d’éventuelles corrélations entre les besoins exprimés. Cela nous permettra, d’une part, de préciser davantage nos questions et nos hypothèse de recherche, en levant en partie la dégénérescence relative à la dimension sensibilisation à la pédagogie universitaire de notre échantillon, et d’autre part, de nous ouvrir un autre horizon de recherche sur les modes et les outils d’une telle sensibilisation qui seraient à même d’accélérer le passage à la posture de praticien réflexif, étape nécessaire dans notre modèle (Chiadli, 2008) pour qu’une formation pédagogique conduise à une professionnalisation du métier d’enseignant du supérieur.