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1. Introduction et problématique

Actuellement, dans les sociétés alphabétisées, tous les enfants sont engagés dans des situations scolaires d’apprentissage-enseignement de la lecture, et cet apprentissage est primordial dans le parcours professionnel, social et culturel de tout individu. Pourtant, en fin de scolarité primaire, certains d’entre eux ne lisent pas couramment ou lisent très mal (Kayl et Fayol, 2000). Les difficultés en lecture peuvent avoir des causes différentes et sont souvent la conséquence de difficultés sociales ou de déficits intellectuels (Kayl et Fayol, 2000). Les enfants dyslexiques font partie de cette catégorie d’enfants qui, en dépit de conditions favorables, d’une intelligence normale et d’une compréhension orale normale, ne parviennent pas à apprendre à lire de façon autonome (Gombert, Colé, Valdois, Goiguex, Mousty et Fayol, 2002). Plus spécifiquement, on définit leurs difficultés par un trouble spécifique de la lecture qui se caractérise par un déficit sur le plan des procédures d’identification des mots écrits (Braibant 1994 ; Egaud, 2001 ; Morais et Robillard, 1998 ; Observatoire national de la lecture, 2000 ; Sprenger-Charolles et Casalis, 1996). La recherche dans le domaine de l’apprentissage de la lecture assigne un rôle important à la reconnaissance des mots écrits (Colé et Fayol, 2000) et plusieurs travaux ont permis de mettre en évidence qu’il s’agit d’une cause importante des échecs en lecture (Aaron, 1989 ; Alégria, 1997 ; Crinon et Legros, 1995 ; Observatoire national de la lecture, 2000 ; Perfetti, 1985 ; Sprenger-Charolles, 1997 ; Stanovich, 1991). Pour les élèves dyslexiques, il devient alors nécessaire de mettre en place des activités spécifiques visant à consolider les apprentissages et à accélérer la reconnaissance des mots écrits.

Peu d’études ont jusqu’ici porté sur l’intervention auprès d’enfants dyslexiques. De plus, comme le mentionnent plusieurs auteurs (Chardon et Baillé, 2001 ; Ecalle, Armand, Chevillot-Junker et Orsat, 2001 ; Sprenger-Charoles, Siegel et Béchennec, 1997), les recherches sur l’acquisition de la lecture et de l’écriture sont essentiellement anglophones.

Pour sa part, notre article concerne les résultats de l’expérimentation d’un programme d’intervention compensatoire auprès d’enfants de 9 et 10 ans présentant une dyslexie phonologique et scolarisés aux deuxième et troisième cycles du primaire. Dans un premier temps, nous présenterons notre contexte théorique, qui portera d’une part, sur l’identification des mots écrits et d’autre part, sur les programmes d’intervention existants (recherches à cas unique et études de groupes). Dans un deuxième temps, il sera question de méthodologie ; nous décrirons notamment la procédure retenue, basée sur le programme WIST, et justifierons notre choix, tout en précisant qu’il s’agit d’une étude pré-expérimentale. Dans un troisième temps, nous exposerons les résultats qui concernent l’identification des mots écrits et nous en discuterons.

2. Contexte théorique

2.1 Identification des mots écrits

L’apprentissage de la lecture nécessite que l’enfant reconnaisse les mots écrits efficacement, qu’il explicite des structures syntaxiques et qu’il développe des compétences liées au traitement du sens (Observatoire national de la lecture, 2000). L’identification des mots écrits constitue cependant la tâche cruciale, spécifique à la lecture, et la principale pierre d’achoppement pour les élèves dyslexiques. Deux procédures permettent l’identification des mots écrits : la procédure par médiation phonologique (aussi appelée alphabétique ou voie indirecte) et la procédure orthographique (aussi appelée voie directe). Pour l’enfant, la capacité à identifier les mots écrits nécessite la découverte du principe alphabétique, fondement de notre système d’écriture, qui constitue selon certains, le moteur de l’apprentissage des processus d’identification des mots écrits (Frith, 1986 ; Observatoire national de la lecture, 2000). Progressivement, en apprenant à lire, l’enfant commence aussi à se constituer un dictionnaire mental dans lequel les formes orthographiques et sonores de chaque mot sont stockées en lien avec le sens qui leur correspond. Ce lexique orthographique, dont l’activation constitue une procédure plus efficace, dite directe, que l’identification à l’aide des indices graphophonologiques, se développe progressivement et, à terme, devient la procédure dominante dans l’identification des mots écrits. C’est d’ailleurs cette procédure qui est privilégiée par le lecteur expert (Egaud, 2001).

Dans les taxonomies des dyslexies développementales les plus actuelles, on retrouve généralement trois sous-types de dyslexie : la dyslexie phonologique, la dyslexie de surface et la dyslexie mixte. La dyslexie phonologique est caractérisée par un effet de lexicalité (les mots sont mieux identifiés que les non-mots) et par un effet de fréquence (mots fréquents mieux identifiés que mots rares). En revanche, la performance d’un dyslexique phonologique n’est pas caractérisée par un effet de régularité, c’est-à-dire que les mots réguliers sont aussi bien identifiés que les mots irréguliers (comme par exemple les mots irréguliers : chorale, monsieur, sept, tabac). L’effet de régularité affecte au contraire la performance du dyslexique de surface, pour qui l’identification de mots irréguliers est plus déficitaire que l’identification de mots réguliers (les mots sont alors produits de façon régulière). Sa performance n’est toutefois pas caractérisée par la présence d’un effet de lexicalité (non-mots aussi bien identifiés que mots). Un troisième type de dyslexie se caractériserait par une difficulté sur le plan des deux procédures d’identification des mots écrits.

2.2 Programmes d’intervention

Les études qui s’intéressent à l’intervention auprès de sujets dyslexiques peuvent se regrouper en deux grandes catégories méthodologiques : les recherches à cas unique et les études de groupes. Outre ces deux catégories méthodologiques, on peut aussi distinguer des approches de nature corrective, dans lesquelles l’intervention vise la rééducation de la procédure d’identification déficitaire, et des approches de nature compensatoire, dans lesquelles l’intervention vise davantage à renforcer la procédure la plus fonctionnelle chez le sujet.

2.2.1 Recherches à cas unique

Les recherches à cas unique sont moins nombreuses que les études dans lesquelles on intervient auprès de groupes. Les recherches à cas unique, qui s’inscrivent généralement dans l’approche cognitive, semblent toutefois répondre davantage au principe de l’intervention selon la variabilité individuelle, puisqu’on s’intéresse généralement à l’effet d’un programme élaboré en fonction d’un profil de dyslexie. Les études de Broom et Doctor (1995a ; 1995b) et de Seymour et Bunce (1994) s’inscrivent dans l’approche cognitive et seront brièvement discutées.

Dans les études de Broom et Doctor (1995a ; 1995b), les programmes d’intervention sont différents selon le profil de dyslexie, alors que Seymour et Bunce (1994) ont choisi d’utiliser le même programme d’intervention pour des profils différents de dyslexie. Dans les travaux de Broom et Doctor (1995a ; 1995b), les programmes d’intervention sont de nature corrective. Pour le sujet présentant un profil phonologique, le programme d’intervention a pour objectif d’améliorer la procédure par médiation phonologique, alors que, pour le sujet présentant un profil de surface, le programme d’intervention a pour objectif d’améliorer le traitement orthographique. Globalement, comme il y a amélioration de la performance dans les deux cas de dyslexie, on peut penser qu’il est pertinent d’adopter des programmes différents selon le profil de dyslexie établi à priori. Toutefois, les résultats pour la dyslexie de surface sont beaucoup moins probants.

Dans l’étude de Seymour et Bunce (1994), les auteurs ont choisi d’utiliser le même programme d’intervention pour un cas de dyslexie phonologique et un cas de dyslexie de surface. Ainsi, dans les deux cas de dyslexie, le but du programme d’intervention est d’améliorer la procédure orthographique et se veut donc compensatoire pour le profil de dyslexie phonologique. Globalement, les résultats indiquent une amélioration pour les deux sujets. Ainsi, même si les auteurs ont choisi d’utiliser le même programme d’intervention pour des profils de dyslexie différents, les résultats indiquent que ce choix peut s’avérer tout aussi pertinent que celui d’adapter le programme au profil de dyslexie comme l’ont fait Broom et Doctor (1995a ; 1995b).

2.2.2 Les études de groupes

Dans les études de groupes, on compare un ou deux groupes auxquels sont dispensés les programmes d’intervention à un groupe contrôle, et les profils de dyslexie ne sont généralement pas déterminés. Les programmes d’intervention visent l’amélioration de la procédure d’identification par médiation phonologique ou de la procédure orthographique.

Programmes phonologiques

Les résultats des travaux sont éloquents sur le caractère crucial de l’aspect phonologique dans l’identification de mots écrits, que ce soit en ce qui concerne la conscience phonologique, cette capacité à percevoir que les mots sont composés de phonèmes ou de sons (Ehri, Nunes, Willows, Schuster, Yaghoub-Zadeh et Shanahan, 2001), ou le rôle même de la procédure par médiation phonologique dans l’identification de mots écrits (Frith, 1986 ; Share, 1995). Toutefois, il semblerait qu’un entraînement à la conscience phonologique ne peut être efficace que s’il est combiné à l’entraînement d’habiletés de décodage (Castle et Coltheart, 2004), c’est-à-dire à des manipulations sur le langage écrit.

Plusieurs programmes d’intervention poursuivent l’objectif général de travailler cette procédure, que ce soit par l’entraînement à des habiletés phonologiques ou aux correspondances graphophonologiques (CGP). C’est le cas des programmes Phonological Awareness Training (PAT) (O’Shaughnessy et Swanson, 2000), Phonological Analysis and Blending/Direct Instruction Program (PHAB) (Lovett et collab., 1994 ; Lovett et collab., 2000) et du programme de Torgeson (Torgeson, Wagner, Rashotte, Burgess et Hecht, 1997). Généralement, ces programmes mettent l’accent sur l’amélioration de l’identification des mots écrits par un entraînement aux correspondances graphophonologiques. Cet entraînement passe aussi par des activités de fusion et de segmentation, habiletés qui sont souvent travaillées en contexte isolé. Enfin, dans ces programmes, peu d’activités de transfert sont prévues.

Programmes orthographiques

Les travaux qui mettent l’accent sur l’amélioration de la procédure de traitement orthographique sont moins nombreux, mais devraient être tout aussi importants. La reconnaissance automatique des mots fréquents et le traitement rapide des autres mots par la procédure de traitement orthographique sont des conditions nécessaires à une lecture efficace (Observatoire national de la lecture, 2000). Différents programmes ont pour objectif d’améliorer la reconnaissance directe des mots écrits en travaillant sur la procédure de traitement orthographique : le Word Analogy Training (WAT) (O’Shaughnessy et Swanson, 2000), le Word Identification Strategies Training (WIST) (Lovett et collab., 1994 ; Lovett et collab., 2000), le programme de Lemoine, Levy et Hutchinson (1993) et le programme de Tressoldi, Lonciari et Vio (2000). Dans ces programmes, on travaille la reconnaissance des mots écrits à partir d’unités plus larges que le phonème. Par exemple, l’utilisation de l’analogie est au centre des programmes Word Analogy Training et Word Identification Strategies Training. Dans le programme de Lemoine et ses collaborateurs (1993), les effets de la répétition d’items sont étudiés, alors que dans le programme de Tressoldi et ses collaborateurs (2000), la reconnaissance rapide de mots est travaillée directement par la lecture rapide de mots réguliers.

3. Objectif de recherche

L’objectif de cette étude est de décrire les effets du programme d’intervention WIST visant l’amélioration des procédures d’identification des mots écrits sur la capacité à identifier les mots écrits chez des enfants dyslexiques phonologiques de langue maternelle française.

4. Méthodologie

4.1 Le programme WIST

4.1.1 Description de la procédure

Le programme d’intervention mis à l’essai dans le cadre de la présente étude est une adaptation du Word Identification Strategies Training (Lovett et collab., 1994 ; Lovett et collab., 1997 ; Lovett et collab., 2000) pour le français. Ce choix repose sur différents aspects que nous exposerons brièvement à la suite de la description du programme d’intervention. Ce programme a été mis à l’essai sur une période de cinq semaines, à raison de trois rencontres d’une heure par semaine, pour un total de 15 heures d’intervention. Les enfants forment un seul groupe et l’intervenant est le même pour tous les enfants.

Le programme repose sur l’enseignement de trois stratégies d’identification de mots introduites par l’entremise de l’enseignement explicite : 1) l’identification par analogie ; 2) l’identification par repérage d’une partie connue ; 3) l’identification par pelage de mot. Ces stratégies sont introduites les unes après les autres et les élèves s’y entraînent jusqu’à la fin du programme d’intervention. Par la suite, les stratégies sont pratiquées à l’intérieur d’un questionnement métacognitif qui amène les sujets à 1) réfléchir sur les stratégies disponibles pour identifier les mots et 2) faire le choix de la stratégie la plus efficace en fonction du mot à identifier. L’enseignement de ces stratégies dépend d’un corpus de 60 mots clés fréquents qui sont introduits progressivement au cours du programme d’intervention, et qui constituent les exemples de référence pour l’identification de nouveaux mots. Les enfants doivent réaliser des activités d’identification de mots isolés et d’identification de mots dans des phrases. Le programme est dispensé collectivement, mais le rythme de travail peut varier d’un enfant à l’autre.

L’identification par analogie est la première stratégie introduite dans le programme d’intervention, et l’analogie est travaillée à partir de la rime des mots. On enseigne aux enfants à identifier la rime du mot (le phonème final du mot), à la comparer à un mot clé, introduit dans le programme, qui présente la même rime (le même phonème final), et à utiliser cette comparaison (analogie) pour identifier le nouveau mot. Par exemple, les mots clés enseignés, mon, ton ou son, ont servi à identifier le mot menton.

L’identification par repérage de partie connue est la seconde stratégie introduite. Devant un nouveau mot, on enseigne aux enfants à rechercher un mot ou une partie de mot qui leur serait familiers à l’intérieur du mot à identifier. Par exemple, devant le mot montagne, les enfants peuvent reconnaître les parties mon et ta qui correspondent à des mots clés enseignés. À la différence de la première stratégie, les mots ou les parties de mots connus ne correspondent pas systématiquement à la rime.

Enfin, l’identification par pelage du mot est la dernière stratégie qui est introduite. Elle consiste à enlever les affixes d’un mot multisyllabique. Les préfixes et les suffixes les plus fréquents sont enseignés comme des mots clés. On enseigne aux enfants à enlever les préfixes au début des mots ou les suffixes à la fin des mots, pour qu’il ne reste que la racine à identifier. Par exemple, on retranche le re- et le -ment au mot recommencement. Pour identifier la racine du mot, les sujets peuvent ensuite avoir recours à l’une des deux autres stratégies, s’il y a lieu.

4.1.2 Justification du choix du programme WIST

Étant donné l’hypothèse du déficit phonologique présent chez un nombre important de sujets dyslexiques, et ce, même lorsqu’ils présentent un profil de surface (Casalis, 1995 ; Sprenger-Charolles et Colé, 2003 ; Valdois, 2000), il aurait pu être logique de choisir un programme de nature phonologique dans une perspective corrective. Une perspective compensatoire a cependant été privilégiée, mettant l’accent sur des stratégies d’identification orthographiques utilisées chez le lecteur expert. En ce sens, les recherches de Van der Leij et Van Daal (1999) et d’Ouzouliaz, Fisher et Brissiaud (2000) ont montré l’efficacité de programmes d’intervention à nature orthographique.

En ce qui concerne les stratégies d’identification enseignées qui composent le programme, différents travaux ont prouvé leur efficacité. La stratégie d’identification par analogie (rime) semble faire l’unanimité, pour ce qui est de son importance dans l’identification de mots écrits (Casalis, 1995 ; Gombert et collab., 2002 ; Goswami, 1986, 1988 ; Ecalle et Magnan, 2002). Pour ce qui est de la stratégie d’identification par pelage, étant donné que de nombreux mots sont morphologiquement complexes (Observatoire national de la lecture, 2000), de plus en plus de recherches se sont intéressées à l’influence de la morphologie dans l’identification de mots (Colé et Fayol, 2000 ; Carlisle et Stone, 2005 ; Leong, 1989 ; Leong et Parkinson, 1992 ; Nunes, Bryant et Olsson, 2003 ; Pacton et Fayol, 2003). Certains résultats ont montré que généralement, l’utilisation d’unités morphologiques au cours d’une tâche de décision lexicale permet de distinguer les bons et les moins bons lecteurs et que la décomposition de mots affixés facilite leur identification.

Le choix du programme Word Identification Strategies Training repose aussi sur sa nature métacognitive. L’efficacité d’un enseignement de stratégies métacognitives a été démontrée dans différentes recherches (Palincsar et Brown, 1984 ; Pressley, Wharton-McDonald, Mistretta-Hampston, et Échevarria, 1998 ; Rémond et Quet, 1999). Enfin, les résultats du WIST (Lovett et collab., 1994 ; Lovett et Steinbach, 1997 ; Lovett et collab., 2000) quant au transfert s’avèrent aussi un facteur décisif dans le choix de ce programme. En effet, un programme d’intervention visant la rééducation des procédures d’identification des mots écrits ne peut s’avérer intéressant que dans la mesure où ses effets sont transférables non seulement à l’identification des mots écrits non entraînés (qui n’ont pas fait l’objet d’un entraînement), mais aussi à des tâches de compréhension.

4.2 Une étude pré-expérimentale

Il s’agit d’une étude pré-expérimentale dont la méthodologie emprunte à la fois à la méthodologie des études de groupes et à la méthodologie des recherches à cas unique. Ce modèle de recherche pré-expérimental n’est pas souvent utilisé en éducation, surtout parce qu’il ne permet pas d’exercer un contrôle sur les variables. Comme la représentativité de la population n’est pas assurée, qu’il n’y a pas de groupe contrôle et que les sujets ne sont pas choisis au hasard, l’utilisation des résultats est alors limitée au contexte spécifique de la recherche.

Les effets de la variable indépendante portent alors sur la différence entre la mesure qui précède l’intervention et la mesure qui a suivi l’intervention, et il demeure difficile d’attribuer uniquement à la variable indépendante l’entièreté des effets sur la variable dépendante.

Boudreault, 2000, p. 152

4.3 Instrumentation

Dans le cas présent, la recherche implique des analyses de cas (sous-groupes de dyslexie) sur les plans quantitatif et qualitatif (analyse qualitative des erreurs). Elle se situe également dans un créneau où peu de recherches se sont intéressées à l’évaluation des effets d’un programme en fonction des profils de dyslexie (Sprenger-Charolles et Colé, 2003), alors qu’il s’agit d’une nécessité, comme l’ont mentionné différents auteurs (Sprenger-Charolles et Colé, 2003 ; Valdois, 2000). La plupart du temps, on obtient les résultats d’un programme d’intervention pour un groupe de dyslexiques sans distinction des profils ou pour un sujet unique. Donc, étant donné les limites des études de groupes et les limites des recherches à cas unique, nous avons adopté une approche mixte novatrice se rapprochant davantage de l’étude de cas multiples.

Dans la recherche (Myre-Bisaillon, 2004) dont sont issus les résultats présentés ici, à l’aide d’un design pré-test / post-test, nous avons donc déterminé quels sont les effets du programme d’intervention pour un ensemble de sujets présentant une dyslexie développementale. Par la suite, nous avons déterminé quels sont les effets de ce même programme d’intervention en fonction des profils de dyslexie (phonologique, surface, mixte). De cette façon, nous avons pu d’une part nuancer les résultats obtenus pour le groupe et, d’autre part, questionner la pertinence des différentes méthodologies. Pour chacun des sous-groupes de dyslexie, nous avons par la suite effectué l’analyse qualitative des erreurs de deux sujets choisis en fonction de leur performance au test d’identification de mots entraînés, étant donné que cette épreuve témoigne des effets directs du programme d’intervention. Nous avons retenu les deux sujets présentant les résultats moyens à cette épreuve. Cette analyse qualitative a principalement servi à préciser ou à nuancer différents résultats. Au post-test, les sujets pouvaient utiliser le crayon surligneur de façon à reproduire la démarche enseignée dans le programme et à laisser des traces des stratégies utilisées. Cependant, le fait de pouvoir utiliser le crayon augmentait le risque d’observer des temps de réponses plus lents, ce dont il a fallu tenir compte dans l’interprétation des résultats. Les résultats présentés dans cet article ne concernent toutefois que les dyslexiques phonologiques, et les analyses statistiques sont non paramétriques, étant donné le petit nombre de sujets.

Trois types de mesures ont servi à évaluer la capacité à identifier les mots écrits : une mesure d’entraînement, une mesure de transfert direct et des mesures de transfert indirect. Pour toutes les tâches d’identification de mots, la consigne était la même : lire les items le mieux possible et le plus rapidement possible. De même, pour toutes ces tâches, le total de bonnes réponses et le temps d’identification pris à l’aide d’un chronomètre ont été colligés. La nature des items était précisée aux sujets (mots existants ou mots inventés).

Les mesures d’entraînement et de transfert direct sont constituées des 816 mots qui ont fait l’objet d’un entraînement au cours du programme d’intervention et de 816 mots appariés aux mots étudiés. Ces mots ont été sélectionnés dans la base lexicale de fréquence écrite élaborée par Laplante (1998). Cette base de données est composée de plus de 2 000 mots tirés de la collection pédagogique MÉMO, couramment utilisée au Québec pour l’apprentissage de la lecture. À l’aide de cette base, il était possible de déterminer pour chaque mot, la fréquence, la longueur, la complexité syllabique et graphémique. À partir des mots sélectionnés pour chacune des stratégies du programme d’intervention, nous avons apparié les mots deux par deux, selon les critères de fréquence, de longueur et de complexité (par exemple, place et glace). Nous avons ainsi obtenu deux listes de mots appariés, l’une étant la mesure d’entraînement et l’autre, la mesure de transfert direct.

Pour mesurer le transfert indirect, des épreuves d’identification de mots réguliers, de mots irréguliers, de non-mots, de mots fréquents et de mots rares ont été utilisées. Ces épreuves normalisées sont tirées du test ODÉDYS (Jacquier-Rioux, Valdois et Zorman, 2002) et de la batterie BÉLEC (Mousty, Leybaert, Alegria, Content et Moraïs, 1994). Ces épreuves ont principalement servi à évaluer les effets du programme en fonction de la nature des items à identifier, mais elles ont aussi servi à l’analyse qualitative des erreurs (lexicalisation et régularisation).

Les résultats quantitatifs ont été compilés et analysés à l’aide du logiciel de traitement statistique SPSS. Pour ce qui est des analyses qualitatives d’erreurs, les sujets devaient, lors du post-test, indiquer les parties de mots reconnues en les surlignant, ce qui nous a permis de retracer les stratégies qu’ils avaient utilisées.

4.4 Sujets

L’échantillon à l’étude est composé de cinq sujets (trois filles et deux garçons), âgés de 9 et 10 ans, et scolarisés dans une école de la région de Sherbrooke, au Québec. Ils se répartissent comme le montre le tableau 1.

Tableau 1

Répartition des sujets selon le genre, l’âge chronologique et le degré scolaire

Répartition des sujets selon le genre, l’âge chronologique et le degré scolaire

* Les sujets sont identifiés par les initiales de leur prénom et de leur nom de famille. F = féminin, M = masculin.

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Les sujets présentaient tous les critères diagnostiques de dyslexie, c’est-à-dire un minimum de deux ans de retard sur les tâches d’identification de mots, une compréhension orale normale et une intelligence normale, pas de difficultés conceptuelles dans d’autres matières scolaires, pas de déficit sensoriel ou moteur et un niveau socioéconomique moyen. Le profil phonologique de dyslexie a été déterminé par l’analyse cognitive qui consiste à interpréter les comportements de lecture en référence à un modèle cognitiviste de traitement de l’information. Les sujets sont soumis à des tâches d’identification et de production de mots et de non-mots dans lesquelles certaines variables sont systématiquement manipulées (lexicalité, régularité, fréquence, longueur, complexité). Par la suite, l’effet différentiel de ces variables sur la performance des sujets (taux d’erreurs, temps de réponse, nature des erreurs) est interprété en référence aux postulats énoncés par les modèles de traitement de mots écrits. Généralement, cette interprétation cognitive des erreurs en lecture permet d’établir un profil détaillé des procédures d’identification de mots. Les effets les plus souvent manipulés dans les études sur la dyslexie sont ceux de lexicalité, de fréquence et de régularité (Sprenger-Charolles et Colé, 2003). Ce sont donc ces effets qui ont été retenus pour déterminer le profil de dyslexie phonologique des sujets de notre étude. Dans la présente étude, nous avons retenu les critères d’interprétation de la batterie ODÉDYS et de Valdois (2000). Ainsi, dès qu’un sujet présente deux ans de retard en identification de non-mots, alors que l’identification de mots fréquents réguliers ou irréguliers est préservée, il est classé dans le sous-groupe des dyslexies phonologiques. Lorsque le déficit est relatif, le fonctionnement de la seconde procédure est examiné plus en détail, c’est-à-dire que la production d’erreurs phonémiques et de lexicalisations chez les dyslexiques phonologiques est observée. Lorsque la procédure orthographique est plus fonctionnelle que la procédure par médiation phonologique, le sujet est classé dyslexique phonologique.

4.5 Considérations éthiques

Pour respecter les règles d’éthique, tous les parents des enfants participant à l’étude ont signé un consentement libre et éclairé à la suite d’une rencontre au cours de laquelle nous leur avons expliqué les objectifs et le déroulement de la recherche. De leur côté, les enfants pouvaient se retirer en tout temps sans préjudice. Enfin, même si les parents ont été informés individuellement des progrès de leur enfant, les évaluations ont été rendues anonymes pour la présentation des résultats à des fins de recherche.

5. Résultats

Il est important de mentionner que dans le cadre de cette étude, l’effet de l’enseignement n’a pu être contrôlé, de même que les effets des apprentissages réalisés en classe qui peuvent en partie être responsables de certaines améliorations des sujets.

Les premiers résultats présentés concernent l’identification des mots entraînés au cours du programme d’intervention et des mots non entraînés appariés. Par la suite, les résultats sont présentés en fonction de l’effet des variables linguistiques.

5.1 Identification des mots écrits

5.1.1 Mots entraînés et non entraînés

Pour l’identification de mots entraînés et de mots non entraînés, on s’attend à ce que la procédure orthographique soit utilisée, et ce, surtout à la suite du programme d’intervention, car ce dernier insistait sur son utilisation. Comme cette procédure est jugée plus fonctionnelle que l’autre chez les dyslexiques phonologiques, on devrait observer une amélioration significative, tant sur les taux de réponses que sur les temps de réponses.

Tableau 2

Identification de mots entraînés / non entraînés (test des rangs signés) : pré-test / post-test – profil phonologique (n = 5)

Identification de mots entraînés / non entraînés (test des rangs signés) : pré-test / post-test – profil phonologique (n = 5)

p ≤ 0,05

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Pour les mots entraînés, l’analyse des résultats suggère que l’amélioration est significative en ce qui concerne les taux de réponses (p < 0,05) et les temps de réponses (p < 0,05). Pour les mots non entraînés, seule l’amélioration sur les temps de réponses est significative (p < 0,05) alors que, pour les taux de réponses, l’amélioration est non significative (p > 0,05). D’une part, ces résultats laissent envisager que le programme d’intervention a permis le renforcement de la procédure orthographique et d’autre part, qu’il a permis le transfert des apprentissages en ce qui concerne l’identification de mots de même structure que les mots entraînés, ce transfert n’étant toutefois pas significatif sur le plan statistique.

Deux hypothèses peuvent expliquer les différences observées entre l’identification de mots entraînés et de mots non entraînés. La première hypothèse est que la démarche d’identification enseignée dans le programme d’intervention est utilisée, mais qu’elle est moins automatisée pour les mots non entraînés que pour les mots entraînés. Les mots entraînés travaillés dans le programme d’intervention trouvent une association plus rapidement dans le lexique des sujets que les mots non entraînés. La seconde hypothèse est que les dyslexiques phonologiques utilisent la procédure par médiation phonologique généralement sollicitée par l’identification de nouveaux mots. Dans ce contexte, le programme n’aurait pas amené ces sujets à utiliser la démarche d’identification enseignée sur des mots nouveaux. Cependant, l’analyse qualitative des réponses des sujets R. G. et de J.-P. H. permet d’appuyer l’hypothèse selon laquelle ils ont utilisé les stratégies orthographiques enseignées pour identifier les mots qui ont fait l’objet d’un entraînement et les mots qui n’en ont pas fait l’objet, dans la mesure où ces sujets ont laissé des traces de l’utilisation de ces stratégies. Par exemple, sur le mot entraîné humaine, J.-P.H. a surligné la partie connue -aine. Cette partie connue était tirée du mot clé enseigné semaine.

5.1.2 Effet de fréquence

Théoriquement (Sprenger-Charolles et Colé, 2003 ; Valdois, 1996 ; Valdois, Colé et David, 2004), chez les dyslexiques phonologiques, les mots fréquents sont mieux identifiés que les mots rares (présence de l’effet de fréquence), ce qui caractérise une procédure orthographique plus efficiente que la procédure par médiation phonologique.

Tableau 3

Identification de mots fréquents / mots rares (test des rangs signés) : pré-test / post-test – profil phonologique (n = 5)

Identification de mots fréquents / mots rares (test des rangs signés) : pré-test / post-test – profil phonologique (n = 5)

p ≤ 0,05

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L’amélioration sur les mots fréquents est significative sur le plan des taux de réponses (p < 0,05), et ils sont mieux identifiés que les mots rares, pour lesquels l’amélioration est non significative. Ainsi, comme l’amélioration est significative pour les taux de réponses sur les mots fréquents, mais qu’elle ne l’est pas pour les temps de réponses sur ces mêmes items, on peut penser que les sujets ont suivi la démarche d’identification enseignée dans le programme d’intervention. En effet, lorsque la démarche est suivie, il est normal d’observer des temps de traitement plus lents, car l’enfant doit se questionner au cours de l’identification. L’utilisation de la démarche aurait donc des effets significatifs sur la précision des réponses, mais au détriment des temps de réponses. Pour observer des effets significatifs au niveau des temps de réponses, on peut penser qu’il serait intéressant de travailler à l’automatisation de la démarche d’identification, ce que pourrait éventuellement permettre un programme d’intervention plus long. Pour l’identification de mots rares, l’amélioration est non significative, même si le taux de réponses correctes a augmenté. L’analyse qualitative des réponses des sujets R. G. et J.-P. H. suggère l’utilisation des stratégies d’identification enseignées dans le programme. Par exemple, sur le mot rare rangement, R. G. a surligné les parties -an et -ment. La partie -an correspond au mot clé an enseigné dans le programme d’intervention, alors que la partie -ment correspond au suffixe équivalent, également enseigné dans le programme d’intervention. Le fait que les taux de réponses ne soient pas significativement plus élevés à propos des mots rares, alors que c’est le cas pour les mots fréquents, peut dépendre du fait que la démarche est susceptible de conduire à des réponses plus souvent correctes à propos des mots fréquents que pour les mots rares, étant donné le phénomène de l’exposition et l’utilisation du lexique oral pour valider les réponses.

5.1.3 Effet de lexicalité

Chez les dyslexiques phonologiques, on observe généralement la présence d’un effet de lexicalité, c’est-à-dire que les mots sont mieux identifiés que les non-mots (Sprenger-Charolles et Colé, 2003 ; Valdois, 1996 ; Valdois, Colé et David, 2004).

À la suite du programme d’intervention, les mots sont mieux identifiés que les non-mots, mais l’amélioration sur ces deux types d’items est non significative (sauf pour les mots fréquents). Cependant, l’analyse des réponses des sujets R. G. et J.-P. H. laisse croire qu’ils ont utilisé les stratégies orthographiques enseignées dans le programme d’intervention pour identifier les non-mots, tout comme c’était le cas pour les mots rares. Pour les non-mots, les stratégies orthographiques étaient souvent combinées à l’utilisation de la procédure par médiation phonologique. Par exemple, sur le non-mot lébertation, J.-P. H. a surligné la partie -on à la fin du mot correspondant à la stratégie de l’analogie avec le mot clé maison, mais a découpé les premières syllabes du mot lé-ber-ta… (découpage syllabique entendu). Dans le cas du sujet J.‑P. H., il semble même qu’il ait utilisé les stratégies orthographiques avec des parties connues et des analogies qui n’ont pas fait l’objet d’un entraînement dans le programme d’intervention, ce qui témoigne d’un haut degré de transfert chez ce sujet. Par exemple, sur le non-mot obyptienne, la partie -ienne a été surlignée, mais n’avait pas fait l’objet d’un entraînement dans le programme d’intervention.

Tableau 4

Identification de mots / non mots (test des rangs signés) : pré-test / post-test – profil phonologique (n = 5)

Identification de mots / non mots (test des rangs signés) : pré-test / post-test – profil phonologique (n = 5)

p ≤ 0,05

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5.1.4 Effet de régularité

Chez les dyslexiques phonologiques, l’effet de régularité est généralement absent (Sprenger-Charolles et Colé, 2003 ; Valdois, 1996 ; Valdois, Colé et David, 2004), c’est-à-dire que les mots irréguliers sont aussi bien identifiés que les mots réguliers.

Tableau 5

Identification de mots réguliers / mots irréguliers (test des rangs signés) : pré-test / post-test – profil phonologique (n = 5)

Identification de mots réguliers / mots irréguliers (test des rangs signés) : pré-test / post-test – profil phonologique (n = 5)

p ≤ 0,05

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À la suite du programme d’intervention, les mots irréguliers ne sont pas mieux identifiés que les mots réguliers, et l’amélioration sur ces deux types d’items est non significative. Pour ce qui est des mots irréguliers, la démarche d’identification enseignée dans le programme semble toutefois avoir été utilisée, étant donné les traces laissées par les sujets, traces qui témoignent de l’utilisation de patrons orthographiques fréquents. Toutefois, l’utilisation de ces patrons a parfois induit les sujets en erreur. En effet, lorsque les mots irréguliers sont moins fréquents et qu’alors la validation par le lexique oral est plus difficile, l’utilisation des patrons orthographiques enseignés est moins efficace. Par exemple, si on prend le mot paon et qu’on utilise la partie connue on du mot clé maison et qu’on la prononce comme si elle était présente dans un mot régulier, le mot irrégulier paon est alors prononcé comme un mot régulier. Si le sujet ne retrouve pas ce mot dans son lexique de mots connus à l’oral, la correction est alors difficile.

En conséquence, il semble que les stratégies orthographiques enseignées, combinées au dialogue métacognitif, seraient d’abord plus efficaces sur des mots fréquents que sur des mots rares et sur des mots réguliers qu’irréguliers. En ce qui concerne finalement les mots réguliers, l’analyse qualitative des réponses de J.-P. H. laisse croire que le sujet utilise les stratégies enseignées. Cependant, lorsque les patrons orthographiques ne sont pas placés selon le découpage syllabique à l’intérieur du mot, ils peuvent amener les sujets à une mauvaise prononciation de ce mot. Par exemple, le mot astronome présente le découpage syllabique as-tro-nome ; cependant, si c’est le patron on qui est reconnu et prononcé comme il se doit, alors le sujet n’obtient pas la bonne prononciation. De là l’importance d’une part, du découpage syllabique et d’autre part, de la validation par le lexique oral. Dans le cas ci-dessus, remarquons qu’il ne s’agit pas ici d’un découpage fautif : ce n’est pas le nombre de syllabes (trois à l’oral et quatre à l’écrit) qui est en cause, mais le fait que le sujet, pour avoir utilisé le patron fréquent on, n’arrive pas à la bonne prononciation.

6. Discussion

6.1 Amélioration de la procédure orthographique

En ce qui concerne le renforcement de la procédure orthographique, les observations qualitatives sont plus convaincantes que les observations quantitatives. Les améliorations pour les taux de réponses sur les mots entraînés et sur les mots fréquents sont significatives (p < 0,05), et l’amélioration sur les mots réguliers et irréguliers se rapproche du seuil de signification (p = 0,068). Même si certaines améliorations demeurent non significatives, l’analyse qualitative des réponses des sujets R. G. et J.-P. H. suggère qu’ils ont utilisé les stratégies orthographiques enseignées dans le programme d’intervention. Si, au départ, les sujets utilisaient la procédure par médiation phonologique, ce que les temps de réponses laissent croire, ce serait donc un progrès en soi qu’ils utilisent des stratégies orthographiques pour l’identification de mots rares et de mots fréquents. Ce changement de procédure est d’autant plus important que le traitement orthographique est la procédure que devrait privilégier le lecteur expert, étant donné qu’elle est plus rapide que la procédure par médiation phonologique.

La question centrale a souvent été de savoir s’il valait mieux aider explicitement au développement et à l’installation de la procédure par médiation phonologique en enseignant les correspondances graphophonologiques dès le début de l’apprentissage de la lecture ou au contraire, s’il n’était pas plus efficace de favoriser d’emblée l’utilisation de la procédure orthographique qui est privilégiée chez le lecteur expert. Un ensemble de travaux (pour une synthèse, voir Observatoire national de la lecture, 2000) ont montré clairement l’intervention massive de la phonologie en lecture, et nous aurions donc tendance à plaider pour un enseignement basé sur le développement de la conscience phonologique et des connaissances des correspondances graphophonologiques. Or, pour une majorité d’enfants dyslexiques, le déficit se situe sur le plan du traitement par médiation phonologique. Ainsi, un entraînement de type phonologique qui se voudrait correctif, et qui, à première vue, pourrait sembler plus approprié, peut aussi avoir une influence néfaste chez des lecteurs plus avancés pour lesquels la lecture est devenue une source de frustration et d’échecs. En ce sens, les résultats de la présente recherche suggèrent qu’un programme de nature orthographique, compensatoire, permet d’améliorer la capacité à identifier les mots écrits chez des enfants dyslexiques phonologiques.

6.2 Temps de réponses

À la suite du programme d’intervention, ce qui démarque toujours les dyslexiques phonologiques, ce sont les temps de réponses qui sont largement sous la norme. Il faut toutefois nuancer cet écart par le fait que, si les dyslexiques phonologiques ont utilisé la démarche enseignée dans le programme (comme l’analyse qualitative des erreurs l’a démontré), et qu’elle n’est pas automatisée, il est normal que les temps de réponses soient toujours lents. Cependant, récemment, les données de différentes études (Castles et Coltheart, 1993 ; Manis, Seidenberg, Doi, McBride-Chang et Petersen, 1996 ; Stanovich, Siegel et Gottardo, 1997), analysées par Sprenger-Charolles et Colé (2003), suggèrent que les dyslexiques francophones pourraient utiliser à peu près correctement les correspondances graphophonologiques, leur déficit phonologique se manifestant principalement par la lenteur de cette opération. Les résultats observés dans la présente étude convergent vers cette hypothèse.

7. Discussion et conclusion

Au cours de la recherche, différents éléments du programme d’intervention se sont révélés importants et nécessitent une attention particulière. C’est le cas, entre autres, de la validation par le lexique oral.

Il a été possible de constater que l’utilisation des patrons orthographiques s’est avérée plus efficace pour l’identification de mots présentant une orthographe régulière, car les patrons orthographiques sont eux-mêmes réguliers. De plus, comme nous l’avons également constaté, lorsque les patrons orthographiques ne sont pas placés selon le découpage syllabique à l’intérieur du mot, ils peuvent amener les sujets à une mauvaise prononciation du mot, d’où l’importance de l’utilisation de la validation par le lexique oral.

Dans les conclusions de sa thèse, Laplante (1998) avait déjà soulevé l’importance du lexique oral dans le développement de la médiation phonologique et dans la constitution du lexique orthographique et la nécessité d’investiguer cette problématique. Elle référait alors aux résultats de recherche de Sprenger-Charolles et Casalis (1996), qui attribuaient un rôle central au lexique oral dans l’identification de mots écrits. Les auteurs montraient que, dès le début de l’apprentissage de la lecture, la confrontation des réponses issues d’un décodage phonologique partiel ou total avec les mots connus à l’oral, permettait aux enfants d’inférer les règles de correspondance graphophonologique. Même les mots irréguliers pouvaient être acquis de cette façon. Par la confrontation d’une prononciation erronée d’un mot irrégulier avec des représentations stockées dans le lexique interne, il est possible de corriger l’erreur phonologique. La référence constante au lexique oral permettrait même de créer des associations fortes entre unités phonologiques et unités orthographiques, ce qui contribuerait au perfectionnement de la médiation phonologique, mais également à l’élaboration du lexique écrit. Selon cette perspective, le traitement orthographique ne pourrait être dissocié de la médiation phonologique et ainsi, en dépit d’un déficit de la médiation phonologique, l’utilisation de celle-ci, combinée à la validation par le lexique oral, pourrait contribuer à rendre plus efficace l’identification des mots écrits. Dans la présente recherche, il semble que les stratégies d’identification enseignées n’auraient pu être aussi efficaces sans leur combinaison à l’utilisation de la validation par le lexique oral.

Une des principales limites de cette recherche est assurément le petit nombre de sujets auprès desquels le programme d’intervention a été expérimenté. Il faut tout de même retenir que la démarche peut être transférée à d’autres contextes scolaires, ce qui, à notre avis, constitue un des intérêts de cette recherche. Il a été possible d’expérimenter un programme d’intervention dans une école, à l’intérieur des horaires réguliers des enfants, et non pas pendant des temps libres ou après l’école. Cette démarche de recherche pourrait donc être reprise dans une autre école, par une orthopédagogue et auprès d’élèves présentant des difficultés à identifier les mots écrits.

Sur le plan de la recherche, les résultats, même s’ils ne sont pas généralisables, montrent que, pour les sujets qui ont participé à l’étude, il est possible d’améliorer la procédure orthographique d’identification de mots écrits chez des enfants dyslexiques. Il pourrait être intéressant de poursuivre d’autres projets auprès d’un plus grand nombre de sujets, pas spécifiquement identifiés dyslexiques, mais qui ont de la difficulté à identifier les mots écrits.