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Cet ouvrage est le fruit d’un colloque tenu en 2006 au Département de sociologie de l’Université de Klagenfurt en Autriche. Le livre, dirigé par le professeur Josef Langer, considère l’Union européenne comme un objet de sciences sociales et cherche à définir, en remontant aux origines et aux influences premières, ce qui constitue son identité profonde, de quelle manière son histoire a influencé sa structure actuelle et dans quelle mesure ces facteurs influent sur sa direction et son choix contemporains.

Comme cet ouvrage consiste en un recueil de textes, il va dans des directions passablement différentes auxquelles il manque, malheureusement, un fil de conducteur. Cela cause certaines frustrations d’autant plus grandes que le sous-titre semblait alléchant : Social Science Approaches to Understanding the European Union. On aurait pu penser que ce livre offrirait une synthèse didactique sur les différentes manières dont les sciences sociales appréhendent l’intégration européenne.

Ce recueil contient des contributions originales et critiques, en règle générale issues de la sociologie, que l’on ne retrouve pas généralement dans les nombreux ouvrages sur l’Union européenne. Ainsi, tout en ayant pour orientation principale d’examiner les différentes dimensions du projet de l’Union européenne, ainsi que la direction de son développement, cet ouvrage reflète aussi l’état des sciences sociales dans cette évolution.

En conséquence, le livre est structuré de façon à prendre en considération aussi bien les perspectives « modernistes » que « critiques » et « culturalistes ». Compte tenu de ce très vaste cadre d’analyse, les contributions des différents auteurs offrent pour le moins un large éventail de regards sur le projet de l’Union européenne.

Elles mettent ainsi l’accent sur des aspects cachés, rarement mentionnés, ou pas du tout reconnus dans le discours officiel sur l’ue. En outre, une attention est portée à la situation précaire des sciences sociales en période de rapide transformation de la société.

On comprend néanmoins que les concepteurs de cet ouvrage cherchent dans un premier temps à établir ce qui constitue réellement les caractéristiques de l’Union européenne. Ces derniers procèdent en détaillant l’évolution, le déroulement et les objectifs du processus d’harmonisation. Ils abordent également la question complexe de savoir ce qui constitue la forme de celui-ci. Ainsi, de nombreuses contributions portent sur une réflexion concernant la forme de l’Union européenne. Faut-il la considérer comme un super-État, comme un État fédéral, une fédération, un réseau d’États, un empire, etc. ?

Josef Langer semble largement partager les analyses des auteurs mentionnés plus haut et envisage lui-même non seulement des possibilités d’évolution de l’Union européenne vers un État-réseau ou une fédération, mais également le glissement de l’ue vers un empire ou un protectorat.

À partir de là, les contributions abordent le problème, délicat, de la légitimité de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne les processus d’intégration, lesquelles semblent correspondre plus aux attentes et aux idées de certaines élites qu’à celles des citoyens des États membres. Ainsi, de nombreux auteurs, comme Josef Niznik et Marco Caselli, se penchent sur les raisons profondes de la disparition de ce consensus permissif qui permettait aux façonneurs de la construction européenne de bénéficier d’une sorte de blanc-seing de la part des populations européennes.

Dans cette perspective, les auteurs étudient également les efforts entrepris pour contrer ce manque d’identification des citoyens à l’égard du projet d’intégration européenne et donc la perte de légitimité que cela engendre. Cela les amène à une réflexion sur les moyens qu’il faudrait mettre en oeuvre pour contrer cet état de fait, notamment ceux qui visent à créer une société civile européenne. Malheureusement, la réflexion ne va pas aussi loin que celle que l’on trouve dans de nombreux autres ouvrages et articles sur ce sujet déjà archi-débattu du « déficit démocratique » de l’Union européenne, de la participation citoyenne, du rôle du Parlement européen et de celui des États membres, ainsi que du développement de la démocratie directe à travers des formes de référendum.

L’ouvrage s’attache, par ailleurs, à observer les différentes cultures faisant de l’Union européenne une sorte de tour de Babel revisitée, caractéristique particulièrement handicapante pour l’européanisme.

Le ton général de ces textes va dans la direction d’une dénonciation de l’Union européenne comme néo-impérialiste. Tel est par exemple l’argument principal développé par les professeurs József Böröcz et Mahua Sarkar. Pour ces deux auteurs, les forces colonialistes et impérialistes qui ont façonné le passé européen sont encore à l’oeuvre mais, désormais, elles avancent déguisées à travers l’Union européenne.

Cette dernière cultive une image de « bonté politique ultime » alors que le « sale boulot » est accompli par les États-nations et les entreprises multinationales. Ce qui rend ce type de domination possible, c’est un système sophistiqué de relations faisant de l’Union européenne un « méta-État » qui soustrait à la vue de ses sujets les véritables rapports de force. Le pouvoir réel reste en fait au sein d’une clique d’acteurs qui partagent les mêmes visions du monde : dirigeants nationaux, sociétés multinationales, classes dirigeantes transatlantiques, organisations non gouvernementales (ong), nouveaux entrepreneurs supranationaux, etc.

En somme, ce recueil de textes offre un aperçu de contributions hétéroclites et inégales, mais qui apportent une certaine fraîcheur par leurs références aux courants actuels de la sociologie, plutôt qu’aux textes classiques des théories de l’intégration, tout en ne manquant pas de lancer des pistes de réflexion originales sur l’Union européenne et le discours dominant sur cet objet politique qui demeure tellement difficile à identifier.