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Il est difficile de faire le compte rendu d’un tel ouvrage. C’est une question de moment de parution. Le livre de Yannick Mireur a en effet été publié quelques mois avant le verdict populaire de l’élection présidentielle américaine. Le lecteur doit donc se replacer dans cette époque et ne pas tenir compte de la victoire du candidat démocrate Barack Obama. Soulignons ici le courage de l’auteur qui a pris le risque de publier un ouvrage sur les deux principaux candidats à la présidence des États-Unis avant le résultat des urnes.

Replongeons-nous donc dans la période qui précède cette élection et reconnaissons d’emblée les qualités de ce livre. L’analyse y est aussi fine que profonde. Nul doute que l’auteur, titulaire d’un doctorat de la Fletcher School de Boston, connaît bien les États-Unis. Il peut donc d’emblée refroidir l’enthousiasme de ceux qui pensent que cette élection marque un tournant dans l’histoire des États-Unis et qu’une Amérique nouvelle va naître sur les cendres de l’ère bushienne. Quel que soit le nouveau locataire de la Maison-Blanche, l’Amérique ne changera pas : telle est la thèse centrale de ce livre. Ils auraient tort ces optimistes de croire que les deux mandats de G.W. Bush ne sont qu’une parenthèse. Pour Yannick Mireur, l’ère Bush n’est pas un accident historique. L’ancien président républicain a bien incarné l’âme d’une certaine Amérique. Une âme qui ne disparaîtra pas avec le départ de Bush. « Les années “W.” ont dévoilé les excès dont l’Amérique est capable. Et si l’on peut attendre une accalmie, les traits de caractère révélés par Bush Jr. perdureront. »

L’auteur commence donc par sonder la conscience du peuple américain, plus particulièrement celui du Sud profond. Cet esprit incarnerait le sentiment d’une nation à part, isolée sur une île-continent, persuadée de détenir la Vérité sur un monde qu’elle ne connaît pas et ne veut d’ailleurs pas connaître. Une prétention à la Vérité, un temps enfouie dans les décombres de la guerre froide, qui ressurgit si soudainement et si brutalement après les attaques terroristes du 11 septembre 2001.

Dans sa démonstration, Mireur fait appel aux événements contemporains et à l’histoire des États-Unis pour décrire cette tendance lourde de l’identité américaine. De McKinley (1896-1901) à W. Bush, en passant par le candidat malheureux Barry Goldwater (1908-1998) ou encore Ronald Reagan, il montre l’émergence de cette pensée en gestation au sein du Grand Old Party (gop). Ce cheminement intellectuel autour de l’idée de prospérité aboutira à la présidence de Bush Jr. Et à ses dérives qui sonnent non pas comme une négation, mais comme une trahison de l’héritage d’un Roosevelt ou d’un Reagan. D’où ce rapide portrait de la famille Bush et de ses richesses qui colle difficilement avec l’exigence d’éthique de l’âme américaine.

Yannick Mireur dessine le portrait d’un peuple américain qui doute du système de libre-échange et de ses scandales, qui s’émeut d’un déséquilibre grandissant entre une masse qui stagne, voire qui régresse, et une minorité qui ne cesse de s’enrichir. Un peuple qui s’interroge sur la mondialisation et ses méfaits et qui s’inquiète pour un Welfare qui s’épuise et ne propose pas de solution de rechange suffisamment claire et visible. Faudra-t-il lancer une nouvelle version d’un nouveau fédéralisme ? Mireur l’avait bien perçu : l’élection de 2008 sera l’occasion de relever le défi pour un nouveau projet de société.

Il s’agit d’un nouveau projet pas seulement pour la société américaine mais pour le monde. Car l’Amérique doit aussi « renouveler son leadership mondial ». C’est l’objet de la deuxième partie de l’ouvrage. Le danger pour Washington n’est pas nouveau. Il se situe entre deux excès : l’isolationnisme ou l’interventionnisme armé. Cette Amérique décrite par l’auteur comme un « empire par inadvertance » évitera ces deux extrêmes en choisissant le retour « à un centre rationnel ». Seule cette position (Cold War Liberal) peut rassembler républicains et démocrates comme au temps de la guerre froide. Pour renouer avec le consensus national en politique étrangère, l’Amérique doit avant tout faire son introspection, guérir les blessures de ses propres trahisons, celle de la presse qui n’a pas fait son travail entre 2001 et 2003, celle des clercs qui ont abandonné leur mission critique et laissé la voie libre à quelques membres du gouvernement pour déclencher une guerre.

L’Amérique, insiste l’auteur, doit se juger elle-même si elle veut garder son leadership mondial largement entamé dans certaines parties du monde. Au Moyen-Orient, son crédit est « ruiné ». Dans la zone Afghanistan-Pakistan, la cavalerie américaine n’est plus le symbole de la liberté. Idem en Irak, où l’intervention armée de Washington a servi les intérêts de Téhéran ainsi débarrassé de son vieil ennemi, Saddam Hussein. Du côté de la Russie, la volonté pressante d’accueillir les ex-républiques d’urss dans l’otan a détérioré les relations de Washington avec Moscou.

Et que dire des relations avec l’Europe, que la guerre en Irak a particulièrement fragilisées. Toutefois, l’auteur a raison de souligner que ce dernier chantier est à double sens, tant l’Union européenne doit également se repositionner sur le nouvel échiquier mondial.

En revanche, on peut douter de la solution qu’il préconise : une Union occidentale euro-américaine, fer de lance d’une nouvelle prospérité. Cette conclusion hâtive aurait mérité un développement, sans que l’intérêt de ce livre soit pour autant remis en cause. En bon connaisseur des États-Unis, Mireur propose aux lecteurs avertis un ouvrage complet et toujours actuel qui présente les principaux défis de l’Amérique pour les années à venir.