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Travail et emploi sont deux termes souvent utilisés comme synonymes, alors qu’ils recouvrent deux significations distinctes. L’emploi en lui-même ne dit rien sur le travail, mais il en délimite le champ. Il est en quelque sorte l’enveloppe du travail qui, quant à lui, réfère au contenu. Le fil conducteur de l’ouvrage de Françoise Piotet s’appuie sur cette distinction entre travail et emploi. L’auteure cherche à savoir comment ces deux domaines s’articulent et interagissent et, plus précisément, à établir un lien entre la dégradation de l’emploi et les transformations du travail. C’est en étudiant le contexte français qu’elle développe sa réflexion.

Le grand écart entre travail et emploi, mais également les relations étroites qui les unissent, sont présentés au cours de neuf chapitres. L’auteure trace d’abord, au premier chapitre, les contours de l’emploi en s’attardant à quatre questions : qui travaille, sous quel statut, dans quelle structure et avec quelle qualification reconnue ? Après avoir ainsi campé le décor, Piotet fait état de la détérioration de la situation de l’emploi au second chapitre. Elle explique les craintes des Français quant à la sécurité d’emploi et à la possibilité de dénicher un emploi. Ces inquiétudes prennent forme suite au constat que les entreprises sont des objets comme les autres qui s’achètent et se vendent sur le marché mondial. Alors qu’il ne semble pas y avoir de frontières pour les transactions financières, il y en a pour les individus qui ne peuvent changer de nationalité aussi facilement que les entreprises. Les inquiétudes des salariés découlent également de la situation du chômage en France qui dure longtemps et devient vite un état. Finalement, la diminution de l’emploi public, les discours sur les vertus de la flexibilité et l’augmentation des formes d’emploi atypiques font craindre aux salariés français une croissance de la précarité, déjà constatée d’ailleurs.

Ces transformations de l’emploi sont en lien avec les transformations de l’organisation du travail. À cet égard, au troisième chapitre, Piotet présente les nouvelles frontières de l’organisation, plus poreuses. Elle indique que le client est au coeur du modèle actuel. En effet, du taylorisme, où le client n’existe pas puisque la rationalisation du travail est la principale préoccupation, les entreprises sont passées à un modèle où la connaissance du client devient le fondement de l’ensemble des activités. L’auteure propose ainsi une typologie des clients qui permet d’identifier quelques-unes des conséquences de ce modèle. Ce lien direct avec les clients, par le biais des technologies de l’information et des communications notamment, suppose une plus grande autonomie des salariés. Malgré cette augmentation de l’autonomie, le contrôle n’en est pas moins présent et fort. Au quatrième chapitre, Piotet explique ce phénomène d’autonomie contrôlée. Elle présente l’importance de la logique de la compétence, notamment l’intégration des savoir-être à la qualification, pour expliquer cet accroissement simultané de l’autonomie et du contrôle. Elle souligne par ailleurs un paradoxe important, soit le fait que les salariés ne maîtrisent ni les situations de travail qui leur sont imposées, ni les moyens dont ils disposent pour y faire face, alors que la compétence leur est étroitement liée. Cette analyse de l’organisation du travail se poursuit au sixième chapitre où l’auteure présente les changements par rapport à l’ancien modèle. Elle indique entre autres que les organisations s’avèrent de plus en plus fragiles et instables et que l’avantage majeur de l’ancien modèle, la prévisibilité, est perdu avec les nouvelles formes d’organisation du travail. La plupart des changements proposés dans le cadre du modèle actuel sont pertinents, mais posent un problème au plan de la cohérence et de la stabilisation de l’ensemble.

Au cinquième chapitre, Piotet poursuit sa réflexion sur la distinction entre emploi et travail en présentant la différence entre temps de l’emploi et temps de travail. Le temps de l’emploi connaîtrait une certaine diminution et une diversification alors que le temps de travail serait sujet à une intensification. Autrement dit, le salarié est appelé à travailler davantage dans un temps plus restreint. Il lui faudrait en faire plus et plus rapidement de façon à maximiser le temps de l’emploi qui, lui, est de plus en plus limité. Cette intensification est l’une des causes de la pénibilité physique et psychologique du travail, malgré une autonomie accrue, des niveaux de formation plus élevés et des technologies plus accessibles. Cette pénibilité du travail est décrite au septième chapitre qui porte sur les conditions de travail et les conditions d’emploi. Pour ce faire, l’auteure donne trois exemples, soit ceux du désastre de l’amiante, de l’épidémie des troubles musculo-squelettiques et du harcèlement moral.

Au huitième chapitre, Piotet souligne la très grande difficulté à traiter les problèmes du travail et à les gérer, malgré la présence d’instances possédant les compétences pour se saisir de ces questions et en débattre. À cet égard, elle choisit de décrire trois dispositifs de régulation qui présentent, selon elle, certaines lacunes en France : les syndicats, l’inspection du travail et la médecine du travail. Elle explique notamment les dysfonctionnements de ces dispositifs par la faiblesse objective des acteurs en place.

Finalement, au dernier chapitre, l’auteure s’attarde à la valeur du travail qui semble réduite au prix donné à l’emploi. Malgré le fait que la valeur attribuée à un emploi soit désignée par le salaire, l’auteure indique que les salariés confèrent eux-mêmes un sens et de la valeur à leur travail, au-delà du statut de leur emploi.

Piotet conclut en rappelant que le travail et l’emploi sont fortement imbriqués et que le statut de l’emploi ne suffit pas à définir la qualité du travail. Dans le contexte actuel, la création d’emplois, préoccupation majeure, semble souvent s’opérer sans tenir compte de leur contexte, de leur contenu. Elle termine ainsi en spécifiant que l’enjeu réel est celui de la réduction de l’écart entre l’emploi et le travail.

Cet ouvrage a le mérite de rassembler une quantité d’informations sur les évolutions du travail et de l’emploi et de mener une réflexion qui prend en compte leur articulation, alors que ces évolutions sont souvent traitées séparément dans la littérature. Il s’agit donc d’une synthèse fort intéressante pour ceux et celles qui souhaitent se familiariser avec de telles thématiques. En effet, l’ouvrage de Piotet présente des qualités pédagogiques certaines. Mentionnons notamment les résumés qui se trouvent au début de chaque chapitre et les nombreux exemples de terrain qui illustrent la réflexion de l’auteure. Cette réflexion porte principalement, même presque exclusivement, sur le contexte français. Malgré cet ancrage, les lecteurs d’autres nationalités y trouveront certainement un intérêt puisque des parallèles peuvent être tracés avec leur propre réalité. Destiné à des étudiants ou des citoyens en quête de sens, bien plus qu’à des spécialistes qui y verront sans doute une synthèse des écrits sur la question, l’ouvrage de Françoise Piotet permet de dégager des liens et de cerner les enjeux relatifs aux évolutions du travail et de l’emploi.