Corps de l’article

Introduction

Les compétences que possèdent un individu, une entreprise et un pays sont au coeur du succès de l’innovation et de la performance économique. Elles sont devenues une préoccupation centrale des pays industrialisés. Innover ne se limite pas à la génération de nouvelles idées mais comporte une foule d’activités telles la diffusion des connaissances, la commercialisation des produits, la protection de la propriété intellectuelle, la gestion des ressources humaines, etc. Puisqu’elles couvrent un large spectrum d’activités, les compétences requises pour innover sont difficiles à identifier. On reconnaît de plus en plus qu’elles ne sont pas le seul apanage des ingénieurs et scientifiques.

L’innovation prend place dans un contexte où le marché du travail vieillit rapidement. Il devient donc impératif de mieux cerner si un déficit de compétences liées à l’innovation afflige la population vieillissante alors qu’elles seraient l’attribut de travailleurs plus jeunes. Le problème des compétences de la main-d’oeuvre mature est d’autant plus important que l’on prévoit un vieillissement encore plus rapide de la structure de la population au cours des années à venir. Dans les pays de l’OCDE, aucune étude n’a systématiquement examiné les compétences d’innovation de la population vieillissante alors qu’une « stratégie de vieillissement actif »[1], visant à encourager les travailleurs à demeurer sur le marché du travail le plus longtemps possible et les entreprises à les retenir, est largement promue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Bureau international du travail (BIT), la Commission européenne et différents gouvernements. Cette lacune est d’autant plus sérieuse qu’elle ne se limite pas à la population vieillissante; notre connaissance des compétences requises pour innover est encore très fragmentaire.

Dans cet article, notre objectif est de présenter un cadre d’analyse exploratoire des compétences d’innovation d’une population vieillissante. En nous appuyant sur la théorie schumpétérienne et sur la dernière version du Manuel d’Oslo influencée par cette théorie, nous dressons trois scénarios nous permettant ainsi de catégoriser la diversité des activités associées au processus d’innovation. Nous verrons que l’innovation est un concept large qui fait référence à une variété d’activités ainsi qu’à divers degrés de nouveauté. Cette catégorisation nous permettra de relativiser le rôle des différentes compétences au sein du processus d’innovation. Partant de ces trois scénarios, nous questionnons l’idée généralement reçue à savoir que la population vieillissante risque de fragiliser la capacité d’innovation des pays de l’OCDE étant donné l’obsolescence de ses capacités qui tendrait à s’installer au fil des années. Quelques avenues politiques et pratiques d’entreprise associées à l’un et l’autre des trois scénarios sont avancées dans un effort d’intégration des stratégies de « vieillissement actif » et « d’innovation ».

L’article est structuré comme suit : dans une première section, nous empruntons à la théorie schumpétérienne la définition de l’innovation et dressons sur cette base trois scénarios d’innovation. Ensuite, un portrait des tendances de vieillissement de la population et de la relation avec la performance d’innovation des pays de l’OCDE seront présentés. Un examen des profils d’éducation de cette population nous permettra de démontrer qu’elle n’est pas homogène à l’intérieur d’un pays et entre pays. Ce portrait établi, nous abordons les compétences impliquées dans le processus d’innovation. Nous explorons ensuite le potentiel de la main-d’oeuvre vieillissante sur la base des trois scénarios préalablement définis et concluons brièvement par une discussion sur les politiques gouvernementales et pratiques des entreprises visant à maintenir la main-d’oeuvre vieillissante active au sein du processus d’innovation.

Une approche schumpétérienne de l’innovation

Bien que les économistes et chercheurs aient tendance à limiter la définition de l’innovation aux aspects technologique ou scientifique, la dernière édition du Manuel d’Oslo[2] va bien au-delà de ces activités (OCDE/Eurostat, 2005). L’innovation non technologique est incluse dans cette édition, élargissant ainsi sa définition de façon à prendre en compte la commercialisation et l’innovation organisationnelle. Cette conception de l’innovation n’est pourtant pas récente et a été inspirée des travaux de Schumpeter. Cet économiste a d’abord identifié trois stades dans le processus de changement technologique : l’invention ou la production de connaissances et d’idées nouvelles; l’innovation qui consiste en un nouveau produit ou procédé vendu ou mis en oeuvre et, la diffusion qui consiste en l’adoption d’une innovation à grande échelle (on passe ici du niveau microéconomique au niveau macroéconomique) (Guellec, 1999 : 3). Ces trois stades ne sont pas impliqués dans un développement linéaire mais entretiennent des relations fort complexes qui diffèrent d’un processus de changement technique à un autre. En plus des changements associés à un produit ou à un procédé, Schumpeter a ajouté trois autres types d’innovation. Il s’agit des innovations organisationnelles (méthodes d’organisation de la production), des nouvelles sources de matières premières et des nouveaux marchés (ouverture d’un nouveau débouché). On peut comprendre que les activités d’innovation vont bien au-delà des seules activités de recherche et développement.

Fortement influencée par l’approche schumpétérienne, la dernière version du Manuel d’Oslo introduit des notions de nouveauté. Sur cette base, nous présentons une typologie d’innovations impliquant une variété d’activités. Il s’agit d’une première étape permettant d’identifier les compétences les plus susceptibles d’être attachées à l’un ou l’autre de ces trois scénarios : le premier fait référence à l’innovation technologique dont le niveau de nouveauté se situe à l’échelle du monde entier (new-to-the-world). On réfère ici aux compétences liées à la créativité, à la génération d’idées dans un contexte d’invention. Le deuxième scénario aborde un type de nouveauté au niveau de la firme (new-to-the-firm). L’adoption et l’adaptation de technologies telles les TICs (technologies de l’information et des communications) développées à l’extérieur de l’entreprise constituent un exemple de nouveauté plus restreint qui requiert des habiletés dans l’identification, l’appropriation et l’utilisation de technologies complémentaires. Le dernier scénario réfère à un processus d’innovation allant au-delà des activités scientifiques et technologiques et de l’innovation de produit ou de procédé. Il s’agit d’innovations organisationnelles, de nouvelles sources de matières premières et de nouveaux marchés.

Méthodologie

L’article questionne l’idée généralement reçue à savoir que les compétences d’une population vieillissante seraient incompatibles avec les activités d’innovation. Partant du niveau macroéconomique nous inspirant de la théorie schumpétérienne telle que présentée dans la section précédente, nous utiliserons un ratio de dépendance et un indicateur d’intensité technologique afin d’examiner s’il existe un lien entre une population vieillissante et la capacité d’innover dans certains pays de l’OCDE. Cette relation sera spécifiée en tenant compte des profils nationaux d’éducation de la population âgée. Ce portrait macroéconomique établi, nous migrerons vers une analyse qualitative au niveau individuel et entreprendrons une analyse exploratoire des compétences en demande dans un contexte d’innovation. Le contexte d’innovation sera désagrégé en trois scénarios suivant la logique de Schumpeter nous permettant ainsi de catégoriser les compétences d’innovation en demande sur le marché du travail. Cette analyse nous guidera dans l’identification des compétences que les travailleurs matures pourraient vraisemblablement offrir dans chacun de ces scénarios. Certains auteurs se sont intéressés à la relation entre l’âge et la cognition. Nous utiliserons des approches qui s’attardent plus précisément aux capacités métacognitives compte tenu de leur pertinence dans un contexte de changement technologique où l’incertitude est omniprésente. L’article utilisera une approche interdisciplinaire et évoluera d’un niveau macroéconomique à un niveau individuel afin de démontrer que la relation entre l’âge et l’innovation est complexe et non linéaire. Une distinction des compétences selon les trois scénarios d’innovation préalablement définis nous aidera à nuancer cette relation. Sur cette base, il sera également possible de proposer quelques politiques et pratiques que le gouvernement et les entreprises pourraient développer afin d’intégrer les stratégies de « vieillissement actif » et « d’innovation ».

Performance nationale d’innovation et ratio de dépendance

Afin de fournir un portrait de l’évolution du vieillissement de la population dans les pays de l’OCDE jusqu’en 2020, nous utilisons un ratio de dépendance des personnes âgées de 65 ans et plus. Sur la base de ces données, nous examinons le portrait de cette population en fonction du niveau d’intensité technologique du pays (R et D/PIB). Ensuite, nous évaluerons s’il existe un lien entre le fait que certains pays aient une population de plus de 65 ans plus nombreuse et la faible intensité d’investissement dans la recherche et le développement en 2005.

Tableau 1

Ratio de dépendance : population âgée de 65 ans et plus sur la force de travail totale

 

1990

1995

2000

2005

2010

2015

2020

Canada

21.9

23.8

24.1

24.9

26.7

30.7

35.8

Finlande

25.8

29.3

29.8

31.2

33.9

41.6

48.1

France

32.4

35.0

36.6

37.6

39.2

44.5

50.5

Allemagne

30.3

32.1

33.2

36.7

39.9

41.0

44.5

Italie

35.1

41.7

44.1

46.0

48.3

52.1

55.7

Japon

23.3

27.4

32.6

37.7

43.6

51.3

55.9

Norvège

32.2

31.8

29.0

27.4

28.3

31.7

34.8

Suède

32.8

34.5

34.1

35.0

38.5

43.7

47.5

Royaume-Uni

31.4

32.4

31.7

31.6

32.7

36.3

39.0

États-Unis

24.8

25.4

24.7

24.7

26.1

29.4

33.8

UE15

34.3

35.1

36.4

38.3

41.5

45.1

OCDE total

26.7

27.7

29.0

31.0

34.5

38.3

Notes: Ratios de dépendance : les ratios du nombre de personnes de 65 et plus par rapport à la force de travail– Données non disponibles

Source : OECD Factbook (2005).

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Tableau 2

Intensité de la R et D en pourcentage du PIB (2001 et 2005)

Grèce*

0,7

0,5

Belgique*

2.0

1,8

Portugal

0,8

0,8

Danemark*

2,2

2,5

Espagne

1,0

1,1

France

2,2

2,1

Nouvelle Zélande*

1,0

1,2

OCDE

2,3

2,3

Italie**

1,1

1,1

Allemagne

2,5

2,5

Irlande

1,2

1,3

Suisse**

2,6

2,9

Australie**

1,5

1,8

États-Unis

2,8

2,6

Norvège

1,6

1,5

Corée

3,0

3,0

Royaume-Uni

1,9

1,8

Islande

3,1

2,8

EU

1,9

1,7

Japon

3,1

3,3

Canada

1,9

2,0

Finlande

3,4

3,5

Pays-Bas**

1,9

1,8

Suède

4,3

3,9

* Données de 1999; ** Données de 2000

Source : OCDESTI(2003, 2007).

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Abstraction faite de la Norvège et des États-Unis, le Canada maintient un des plus faibles ratios de dépendance des pays de l’OCDE, c’est-à-dire qu’il a une population de plus de 65 ans moins nombreuse (tableau 1). En même temps, il présente une performance d’innovation plus faible que la moyenne des pays de l’OCDE basée sur un indicateur d’intensité technologique (R et D/PIB) (tableau 2). Par contre, des pays comme le Japon, la Finlande et la Suède qui ont des ratios de dépendance très élevés performent pourtant très bien en matière d’innovation. Ce n’est toutefois pas le cas pour l’Italie qui présente un profil d’innovation très faible et se caractérise par un ratio de dépendance très élevé, plus élevé en fait que ceux de la Suède et de la Finlande. La France présente elle aussi un ratio de dépendance élevé mais se situe en-deçà de la moyenne de l’OCDE en termes d’intensité technologique. Les États-Unis, dont le ratio de dépendance est de loin le plus faible, présente, pour sa part, un effort d’innovation juste au-delà de la moyenne des pays de l’OCDE.

Ce que l’on doit retenir de ces indicateurs est qu’ils n’ont pas une relation similaire d’un pays à l’autre. Il est donc difficile de supposer que l’âge a un effet négatif dans un contexte d’innovation. Il faut aller au-delà de ces indicateurs pour comprendre la contribution de la main-d’oeuvre vieillissante à l’innovation. Un examen de la composition des profils d’éducation de la population vieillissante peut améliorer notre compréhension de cette relation.

Innovation et diversité des profils d’éducation de la population vieillissante

La notion de population vieillissante dans son sens le plus simple signifie qu’« une population vieillit lorsque la proportion des personnes dans ses groupes d’âge plus élevés augmente » (Godbout et al., 2007 : 15). Selon Auer et Fortuny (2000), l’âge moyen de la retraite dans les pays de l’OCDE se situe autour de 65 ans et avait été fixé au début du siècle lorsque l’espérance de vie était en bas de 50 ans. Aujourd’hui l’espérance de vie se situe à près de 80 ans.

En plus de l’espérance de vie qui augmente, les projections de l’OCDE pour 2015 (tableau 3) en ce qui a trait à la population âgée de 45 à 64 ans montrent que, de façon générale, le niveau de scolarité de ce groupe de population augmentera considérablement dans presque tous les pays de l’OCDE. Il convient donc de reconsidérer la contribution des travailleurs sur le marché du travail, en général, et à l’innovation, en particulier, au-delà de l’âge moyen de la retraite.

Tableau 3

Répartition de la population active âgée de 45 à 64 ans selon le niveau de formation (1995 et 2015, %)

 

1995

2015*

 

Niveau inférieur au 2e cycle du secondaire

2e cycle du secondaire

Tertiaire non universitaire

Universitaire

Niveau inférieur au2e cycle du secondaire

2e cycle secondaire

Tertiaire non universitaire

Universitaire

Australie

44.8

29.0

11.6

14.6

37.1

31.8

12.1

18.9

Autriche

33.0

58.7

1.5

6.8

17.5

69.8

2.8

9.8

Belgique

46.2

27.0

13.3

13.5

25.7

35.6

19.1

19.6

Canada

27.7

24.8

29.3

18.2

14.1

30.1

33.8

21.9

Danemark

35.5

42.4

6.1

15.9

23.5

49.6

8.3

18.6

Finlande

43.4

36.0

8.6

12.0

17.9

56.2

10.5

15.4

France

38.4

44.0

6.5

11.1

15.4

57.8

11.0

15.8

Allemagne

15.4

58.1

11.7

14.8

8.6

63.5

10.8

17.1

Grèce

71.4

14.4

3.6

10.6

41.5

29.6

9.9

19.1

Italie**

67.2

21.9

10.9

44.6

42.3

13.1

Luxembourg**

62.0

20.1

17.9

53.2

25.8

20.9

Pays-Bas***

36.9

38.1

25.0

23.5

46.1

30.4

Norvège

20.6

51.2

11.2

16.9

9.4

53.2

13.1

24.2

Portugal

84.0

5.2

3.8

7.0

67.8

14.7

4.3

13.2

Espagne

78.8

7.1

2.7

11.5

49.5

20.1

8.4

22.0

Suède

35.8

37.4

11.5

15.3

14.7

54.3

16.4

14.6

Suisse

19.4

57.9

14.2

8.5

10.8

63.5

14.0

11.7

Royaume-Uni

27.6

51.3

9.9

11.2

13.0

61.3

9.4

16.4

États-Unis

12.4

51.0

7.6

29

9.2

51.7

9.5

29.6

Moyenne non pondérée

44.1

35.2

9.1

13.4

26.9

45.9

11.5

18.1

– Données non disponibles

* La répartition de la population active en 2015 est fondée sur l’application des taux d’activité par niveau de formation pour les personnes âgées de 45 à 64 ans en 1995 aux personnes âgées de 25 à 44 ans en 1995.

** Les données pour le tertiaire non universitaire sont inclues dans le niveau universitaire.

*** Le niveau tertiaire non universitaire ne s’applique pas.

Source : OCDE (1998).

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De façon générale, la proportion de la population âgée n’atteignant pas un deuxième cycle de secondaire se résorbera significativement dans l’ensemble des pays d’ici 2015. En 1995, le Canada et les États-Unis pouvaient se réjouir de posséder une population âgée plus instruite que les autres pays de l’OCDE. La répartition de leur population de 45 à 64 ans possédant un diplôme universitaire se maintiendra à des niveaux élevés jusqu’en 2015, particulièrement dans le cas des États-Unis. Combiné à un faible ratio de dépendance, ces deux pays ont une situation privilégiée comparée à celle des pays européens. La Suède qui se comporte en leader dans le domaine de l’innovation selon plusieurs indicateurs, aura vraisemblablement une proportion plus faible de sa population possédant un diplôme universitaire en 2015 que ce n’était le cas en 1995. Cela est d’autant plus préoccupant que ce pays fait face à une accélération rapide de sa population vieillissante. En fait, sauf pour les Pays-Bas, l’Espagne et la Norvège, les pays européens demeureront derrière les pays nord-américains en ce qui a trait à la population de 45 et plus détentrice d’un diplôme universitaire. En plus de prévisions qui tendent à démontrer une population vieillissante moins instruite que celle de l’Amérique du Nord, ces pays auront, pour la prochaine décennie, un ratio de dépendance plus élevé (tableau 1).

Tout comme les travailleurs plus jeunes, les travailleurs âgés ne sont pas tous identiques, ne possèdent pas tous le même niveau de scolarité, les mêmes compétences, ne sont pas localisés dans les mêmes industries, n’occupent pas tous les mêmes emplois, etc. D’une génération à l’autre, les expériences individuelles et les possibilités d’éducation sont différentes compte tenu de la diversité des contextes dans lesquels prend place l’apprentissage. Il va sans dire que cette diversité influence les aspirations et attitudes au travail. Les niveaux et la composition des compétences acquises avant l’entrée sur le marché du travail possèdent de toute évidence des spécificités générationnelles (Dixon, 2003 : 73).

Il est intéressant de noter, sur la base des résultats de l’enquête sur la littératie[3] et les compétences des adultes publiée en 2005, que si la scolarité est un facteur important entre l’âge et les compétences, « les résultats montrent qu’au chapitre des compétences, les écarts entre les cohortes d’âge persistent, ce qui prouverait dans une certaine mesure que les compétences sont liées à l’âge indépendamment de l’éducation » (Statistique Canada/OCDE, 2005 : 45).

Compétences liées à l’innovation

Selon Eliasson, une compétence est définie comme, « the ability to use knowledge and information for a particular purpose » (Eliasson, 1999 : 4). Une courte revue de littérature sur le sujet nous permet de discerner une certaine constante dans les compétences d’innovation. Quelques efforts isolés, incluant celui du Conference Board du Canada (CBOC), visent à définir conceptuellement les compétences associées au processus d’innovation :

Preliminary research and common sense suggest that a number of skills are beneficial to innovation. They include entrepreneurship, creativity, a willingness to take risks, openness to new ideas, the ability to collaborate effectively, interpersonal communications, a desire to experiment, curiosity and ability to manage risk (CBOC, 2004 : iv).

Hamdani (2003) réfère, quant à lui, à deux catégories de compétences liées à l’innovation, il parle de compétences conceptuelles (conceptual skills) et de compétences de mise en oeuvre (implementation skills). Le Secrétariat d’État et de l’Industrie du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie de la France a développé des données sur « les compétences pour innover » basées sur neuf catégories (François, 1998) : savoir insérer l’innovation dans la stratégie d’ensemble de l’entreprise; développer les innovations; organiser et diriger la production de connaissance; gérer les ressources humaines dans une perspective d’innovation; suivre, prévoir et agir sur l’évolution des marchés; financer l’innovation; vendre l’innovation; gérer et défendre la propriété intellectuelle; s’approprier les technologies extérieures.

Le gouvernement australien, pour sa part, identifie trois catégories de compétences étroitement liées à la capacité d’innover :

generating innovative ideas, products, processes or services, managing the processes of innovation, including building cultures fostering innovation, capitalising on the innovative ideas, products, processes or services (Australian Government, 2003 : 7).

Finalement, Peeters et van Pottelsberghe de la Potterie (2003 : 2) identifient quatre catégories de compétences d’innovation : la capacité de développer une culture d’innovation, la capacité de générer des idées, la capacité de concrétiser ces idées et la capacité de gérer efficacement la propriété intellectuelle.

Bien que ces initiatives plutôt isolées devraient faire l’objet d’une évaluation systématique, nous en ferons une synthèse en reprenant les trois scénarios d’activités identifiés plus haut. La génération d’idées qui correspond à notre premier scénario est assise sur les compétences de créativité et de la capacité de concrétiser ces idées, la curiosité, la capacité de prendre des risques et d’entreprendre de nouvelles avenues de recherche. Le second scénario implique des capacités d’identification des technologies développées ailleurs (veille technologique), de s’approprier et d’utiliser ces technologies. Le troisième scénario implique des compétences de gestion : la capacité de gérer les risques et de financer l’innovation dans une perspective à long terme, la capacité de prévoir l’évolution des marchés, de vendre l’innovation, d’intégrer la stratégie d’innovation dans celle de l’entreprise et de protéger la propriété intellectuelle. Les compétences de gestion des ressources humaines sont également omniprésentes.

Malgré ces tentatives d’identification des compétences liées à l’innovation, la connaissance de ces compétences est encore très fragmentaire (CBOC, 2004 : v). On suppose qu’elles ne sont pas exclusivement réservées aux ingénieurs et scientifiques non plus qu’aux cohortes de jeunes travailleurs. De plus, on peut même se questionner à savoir si ces compétences sont acquises uniquement sur la base de l’éducation formelle et donc, si elles seront affectées par le vieillissement comme le sont les « compétences motrices ». Si ce n’est pas le cas, il serait difficile de conclure que les compétences d’innovation sont l’apanage exclusif de jeunes travailleurs sortant de l’université.

Population vieillissante et compétences d’innovation

Certaines catégories de population vieillissante possèdent un niveau d’éducation et de littératie très élevé alors que d’autres ont difficilement atteint un niveau de fonctionnalité. Cependant ce qui les distingue des travailleurs plus jeunes est le fait qu’ils aient quitté les bancs de l’école depuis quelques décennies. Le problème est que la connaissance codifiée, acquise dans l’éducation formelle (cognition académique), s’est transformée au fil des ans, ce qui a pour conséquence de nous faire croire que leurs compétences fondamentales sont désuètes. Mais est-ce le cas ? Est-ce que l’aspect tacite[4] développé sur la base de l’expérience (cognition pratique) au fil du temps n’aurait pas tendance à compenser pour cette soi-disant désuétude ?

On peut faire l’hypothèse, partant d’une définition large du processus d’innovation, qu’une partie des compétences liées à l’innovation s’améliorent avec l’expérience et la pratique alors qu’une autre partie se dégrade en fonction de l’âge. Il y aurait des effets de pratique résultant d’expériences de vie, c’est-à-dire une accumulation de connaissances et de compétences qui n’est pas négligeable et qui augmenterait le rendement cognitif[5]. C’est en fait l’interaction de l’effet de vieillissement et de l’effet pratique qui déterminerait ce rendement (Statistique Canada/OCDE, 2005 : 43).

Il y aurait un effet de compensation qui ne serait pas étranger au fait que les travailleurs âgés n’occupent pas les mêmes corps d’emploi que les jeunes qui entrent sur le marché du travail. Par exemple, les individus tendent à entrer, au début de leur carrière, dans des emplois qui demandent des compétences motrices qui ont tendance à s’atrophier avec l’âge et, par la suite, intègrent des corps d’emploi dont les compétences requises ne sont pas influencées par l’âge, telles les compétences en communication (Auer et Fortuny, 2000). La distribution des travailleurs par tranche d’âge et par secteur industriel et corps d’emploi est très révélatrice des compétences associées à ces groupes d’âge. La structure d’âge des corps d’emploi et des industries diffèrent considérablement, tout au moins au Canada (CPRN, 2004 : 12). Ce qui amène à questionner la thèse de la substitution des travailleurs plus âgés par de jeunes travailleurs (OECD, 2001 : 131). Une des raisons qui explique la réfutation de cette thèse tient justement au fait que les flux occupationnels d’entrée et de sortie sur le marché du travail ne sont pas identiques (Auer et Fortuny, 2000). Cela va dans le même sens que le rapport de l’OCDE qui soutient que les compétences apprises dans le monde du travail tendent à prendre plus d’importance que les compétences apprises sur les bancs de l’école au fur et à mesure que les travailleurs prennent de l’âge (OECD, 1998 : 130).

Un des mythes entourant la population vieillissante est que le processus de vieillissement tend à promouvoir la théorie de « dedifferentiation ». Il existe maintenant une littérature abondante qui aborde la mémoire et les compétences cognitives et qui tend à remettre cette thèse en question. On parle ici de « l’effet de récence » (Statistique Canada/OCDE, 2005 : 45). Cet effet se caractérise par le fait que les aptitudes cognitives diminueraient en fonction du vieillissement. Elles diminueraient par rapport à leur niveau initial établi à la fin de la scolarité. Selon un cadre d’analyse adapté à l’interprétation des changements qui se produisent dans la performance de cognition dans le temps et rapporté dans l’ouvrage de Sternberg et al. (2005), il semble que deux catégories de compétences – fluides et cristallisées – soient en jeu. Alors qu’une catégorie subit des pertes, l’autre aurait tendance à faire des gains.

Fluid skills are those required to deal with novelty, such as in the immediate testing situation (e.g., discovering the pattern in a figure sequence). Crystallized skills are represented by accumulated knowledge (e.g., finding a synonym of a low-frequency word). Utilizing this distinction, many studies have demonstrated that fluid skills are relatively susceptible to age-related decline, whereas crystallized skills are relatively resistant to aging (Sternberg et al., 2005 : 282).

En fait, la désuétude des compétences serait probablement provoquée par l’exclusion des travailleurs âgés du marché du travail plutôt que par l’incompatibilité de leurs compétences face à celles en demande sur le marché du travail (Sternberg et al., 2005 : 286). De plus, comme le soulignent David et ses collègues, une diversité et rotation de tâches peut éviter une forme de « sclérose cognitive » qui pourrait éventuellement compromettre la capacité d’apprentissage (David et al., 2001).

Un concept très prometteur en ce qui concerne l’innovation est celui de la métacognition qui fait référence au rôle des experts dans un domaine de recherche donné.

Metacognition is an awkward concept – the act of thinking about how one is thinking – but it is how experts avoid dead ends. Depending on the problem, metacognition can require several types of knowledge : a sense of when to give up on a strategy, a knowledge of alternative strategies, the good judgment about the strategy to try next (Levy et Murnane, 2004 : 66).

Le concept de métacognition est important dans les compétences de haut niveau, telles l’expertise de la réflexion (expert thinking) et la communication complexe (complex communication). La première réfère à la résolution de problèmes pour lesquels il n’y a pas de solutions évidentes alors que la seconde consiste à interagir avec les gens afin d’acquérir de l’information, l’expliquer et les persuader des implications (Levy et Murnane, 2004 : 48). Les capacités métacognitives renvoient à l’autoconnaissance et donc à la capacité pour un individu d’identifier ses forces et ses faiblesses et d’adopter une stratégie axée sur la résolution de problèmes (Bobillier-Chaumon et Sandoz-Guermond, 2007 : 16). Ces capacités seraient donc centrales dans un processus d’innovation. Est-ce que les travailleurs expérimentés auraient de meilleures dispositions que les travailleurs plus jeunes envers la métacognition ?

C’est précisément cet aspect qu’il convient de vérifier chez les travailleurs plus âgés. Auraient-ils acquis une mémoire essentielle au bon fonctionnement d’une entreprise qui, en disposant de ces compétences, lui permettrait d’être plus innovatrice qu’une autre firme qui aurait en son sein que de jeunes travailleurs ? Auraient-ils un rôle plus périphérique dans la création qui semble fondée sur la « cognition académique » alors qu’au niveau de la diffusion ou plus précisément de la composante transmission, ils en constitueraient la pierre angulaire ? Est-ce que la capacité de création ou les compétences liées à la créativité sont l’apanage exclusif des jeunes diplômés de l’université ?

Politiques publiques et pratiques d’entreprise

Les politiques publiques ainsi que les pratiques d’entreprise ont des effets sur la décision de la population de se retirer du marché du travail ou de poursuivre une carrière. Dans un contexte d’innovation, ces initiatives sont importantes dans l’atteinte d’un équilibre entre l’offre et la demande de travail. Il ne s’agit pas seulement de combler des postes, mais de s’assurer que les travailleurs aient les compétences requises pour assumer les tâches et responsabilités dans un contexte d’innovation (IBM, 2007).

Afin d’introduire quelques avenues pour les politiques et les pratiques d’entreprise concernant l’ajustement des compétences d’innovation de la main-d’oeuvre vieillissante, résumons notre propos en reprenant les trois scénarios d’innovation présentés au début de cet article et illustrés au tableau 4. Il faut préciser que ces scénarios ne sont pas mutuellement exclusifs. Ils nous aideront à déterminer le potentiel d’une population vieillissante dans un contexte où les activités d’innovation diffèrent d’un scénario à l’autre. Les implications politiques sont donc susceptibles d’être distinctes d’un scénario à l’autre. Bien que l’article ne se veuille pas une analyse comparative internationale des politiques, nous ferons mention ici et là de quelques initiatives politiques entreprises par certains pays en vue de permettre à la population vieillissante de demeurer active et de maintenir ou développer leurs compétences en innovation[6]. Il est certain que seule une stratégie concertée des travailleurs, des employeurs et des pouvoirs publics permettra de supprimer les barrières et d’augmenter les incitatifs décourageant les cessations anticipées d’activité des travailleurs dans l’innovation.

Tableau 4

Trois scénarios d’innovation

 

Activités d’innovation

Compétences

Politiques publiques et pratiques d’entreprise

Premier scénario

Génération d’idées

• Création et résolution de problèmes

• Production de nouvelles idées

• Développement de nouveaux produits et procédés (nouveau pour le monde entier)

   - Changement radical

   - Changement incrémental

• Créativité et curiosité dans le domaine de la science et l’ingénierie

• Capacité à résoudre des problèmes scientifiques et technologiques

• Capacité à prendre des risques

• Compétences entrepreneuriales

• Compétences conceptuelles

• Métacognition

• Flexibilité des conditions de travail en fin de carrière

• Mesures modifiant les conditions d’accès à la retraite, préretraite et invalidité

• Prévention des risques professionnels et promotion de la santé

• Initiatives de mentorat

Deuxième scénario

Adoption de technologies périphériques

• Technologies périphériques aux activités centrales (nouveau pour la firme)

• Acquisition de biens d’équipement (méthodes de production)

• Acquisition de technologies de l’information et des communications (TICs)

• Capacités dans les TICs

• Capacités métacognitives

• Compétences dans l’identification et l’appropriation des technologies extérieures

• Développement d’incitatifs pour les employeurs et travailleurs

• Production d’opportunités de formation tout au long de la vie

Troisième scénario

Gestion de l’innovation

• Méthodes de commercialisation (marketing)

• Méthodes organisationnelles

• Activités entrepreneuriales

• Gestion de la propriété intellectuelle

• Gestion des ressources humaines

• Compétences managériales de :

   - La propriété intellectuelle

   - La coopération des entreprises

   - La diffusion et de l’innovation

   - La communication

• Capacité de gérer les risques dans le long terme

• Capacités métacognitives

 

• Formation (cours d’appoint dans la gestion tout au long de la carrière)

• Horaires de travail à la fois stables et flexibles

• Initiatives de mentorat

• Planification des promotions des scientifiques et ingénieurs en gestion

• Politiques visant un vieillissement en santé

 

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La génération d’idées

Au coeur du processus d’innovation, il y a des activités centrées sur la création, la capacité de produire de nouvelles idées qui conduiront à de nouveaux produits ou procédés. Il s’agit ici du premier scénario axé sur la génération d’idées. On réfère plus spécifiquement à la frontière technologique ou de la connaissance[7] ainsi qu’à la capacité d’inventer (new-to-the-world). Comme le souligne Jones, en se basant sur l’observation de Isaac Newton, « if one is to stand on the shoulders of giants, one must first climb up their backs, and the greater the body of knowledge, the harder this climb becomes » (Jones, 2005a). Les compétences d’innovation dans ce scénario sont donc prioritairement l’attribut d’ingénieurs ou de scientifiques. Ce sont les compétences liées à l’innovation pour un groupe restreint de travailleurs du savoir. On parle ici de créativité et de curiosité, de compétences dans l’application du raisonnement mathématique à une variété de problèmes, des compétences liées à la résolution de problèmes de nature technologique, telles la capacité d’appliquer les principes de mécanique, d’électricité, d’électronique, de thermodynamique, de la dynamique des fluides, etc. (Chowdhury et Uddin, 2003 : 2).

Dans cette catégorie, on se questionnera alors à savoir si la main-d’oeuvre vieillissante est aussi apte ou peut-être même mieux outillée que les jeunes recrues sortant de l’université à créer de nouveaux produits et procédés compte tenu qu’elle a eu le temps d’escalader les épaules du géant. Comme Jones (2005b) le souligne, les innovateurs ne sont pas nés à la frontière de la connaissance, ils doivent y parvenir. Cela peut se faire initialement par la scolarité et ensuite par l’expérience.

Baumol distingue deux catégories d’innovation : les avancées technologiques incrémentales et les percées radicales. Selon lui, elles sont assises sur des types d’éducation et de compétences différentes (Baumol, 2004). Par exemple, les compétences entrepreneuriales sont étroitement associées au succès de percées radicales alors que ces compétences ne joueraient pas un rôle significatif dans les changements technologiques incrémentaux. On connaît mal la contribution des travailleurs plus âgés dans ce scénario, mais intuitivement on peut penser qu’elle est déterminante particulièrement dans le succès des avancées incrémentales compte tenu de leur expérience et leurs compétences « cristallisées ». La métacognition qui permet de résoudre des problèmes complexes est certainement une compétence fondamentale dans un contexte d’innovation incrémentale.

Les scientifiques et les ingénieurs matures pourraient également avoir un rôle à jouer dans l’innovation radicale qui nécessite de bonnes compétences entrepreneuriales. Cependant, comme le soulignent Hsu et ses collègues, on constate de plus en plus que l’âge médian des entrepreneurs a décliné depuis 1950, passant de 40 à 30 ans (Hsu et al., 2007).

Afin de profiter plus longuement des compétences des scientifiques et des ingénieurs expérimentés, certaines mesures doivent être privilégiées. Une flexibilité des conditions de travail (une plus grande souplesse des horaires et un accès à des congés sabbatiques, entre autres) permettant aux travailleurs de poursuivre une carrière plus longue plutôt que de prendre une retraite anticipée profiterait à l’entreprise. La Suède, entre autres, fait la promotion d’une meilleure qualité de l’environnement du travail en mettant l’emphase sur la prévention des risques professionnels et la promotion de la santé des travailleurs par des améliorations ergonomiques (OECD, 2003). La plupart des pays de l’OCDE dont le Canada et la Suède ont réformé leurs systèmes de pensions afin d’augmenter les incitatifs pour les travailleurs à demeurer plus longtemps sur le marché du travail (Auer et Fortuny, 2000 : 28). Comme le souligne l’OCDE dans une étude sur la Suède, la réforme des régimes de retraite doit toutefois être complémentaire à la réforme d’autres programmes qui encouragent le retrait anticipé du monde du travail. On pense à ceux qui procurent des bénéfices à long terme, tel que dans le cas de maladie ou d’invalidité. De plus, il faut des mesures remédiant aux problèmes de discrimination liée à l’âge. La loi contre la discrimination en emploi aux États-Unis (Age Discrimination in Employment Act) est un exemple de programme visant à éliminer la discrimination liée à l’âge. Ce dernier n’aurait toutefois pas fait complètement disparaître la discrimination qui semble désormais plus subtile. Alors que les taux de chômage sont plus bas, la période de chômage s’allongerait (Neumark, 2008). Ce serait également le cas au Canada et en France (David et al., 2001 : 10).

L’entreprise doit également ajuster ses pratiques. Auer et Fortuny (2000) mentionnent quelques exemples de firmes américaines, françaises et britanniques ayant développé des programmes de formation et d’autres programmes visant l’embauche de travailleurs âgés afin de protéger les compétences acquises par l’entreprise. Comme certaines de ces compétences sont transmises par la collaboration intergénérationnelle de scientifiques et d’ingénieurs, les initiatives de mentorat constituent une bonne façon de faciliter leur transfert.

L’adoption de la technologie

Le second scénario, où les activités d’innovation pivotent autour de l’adoption de la technologie, implique des compétences dans l’identification, l’adoption et l’utilisation de technologies complémentaires aux technologies centrales d’une entreprise (new-to-the-firm). Un exemple typique se retrouve dans l’économie digitale et concerne l’adoption et ensuite l’adaptation de TICs (technologies de l’information et des communications), sous la forme d’un nouveau système informatique de traitement de données ou de production manufacturière robotisée. Il s’agit donc d’une définition restreinte du concept d’innovation. Comme le soulignent Arundel et Mohnen, « we need to be able to distinguish between innovation as a creative, inventive activity and innovation as adoption » (Arundel et Mohnen, 2003 : 59).

On pointe souvent les travailleurs âgés comme étant le maillon faible dans un tel scénario. Ils seraient incapables de s’adapter aux nouvelles technologies (Genevois, 2006). Contrairement au premier scénario qui met l’emphase sur les scientifiques et les ingénieurs, ce scénario vise l’ensemble des travailleurs âgés qui doivent se servir de technologies de l’information et des communications. Certains s’inquiètent du fait que ces travailleurs possèdent peu de compétences en TICs, ce qui risque d’entraîner une détérioration de leur situation au sein de la population active et, qui plus est, d’agir négativement sur la productivité du travail. Les compétences requises pour assimiler ces nouveaux outils rendent probablement les jeunes travailleurs plus aptes à innover. En d’autres mots, ces compétences creuseraient un fossé générationnel (Statistics Canada/OECD, 2005 : 190).

Malgré ces affirmations, il est fort probable que ce scénario serait à craindre si la population âgée avait un niveau de scolarité bien en-deçà du niveau moyen de la population ne lui permettant pas de poursuivre une formation d’appoint. Il faut évidemment tenir compte du fait que le taux de participation à la formation est lié au niveau de scolarité atteint et à l’âge du travailleur (Lavoie, 2003; David et al., 2001). Les capacités métacognitives associées aux travailleurs matures permettraient donc à cette population de prendre conscience plus aisément que les travailleurs plus jeunes de leur lacune dans le domaine des technologies digitales et d’adopter une stratégie afin d’y remédier (Bobillier-Chaumon et Sandoz-Guermond, 2007 : 16). La solution ici réside dans la formation et l’apprentissage à vie mais encore faut-il que cette participation ne soit pas discriminée en raison de l’âge. Le gouvernement doit donc créer des incitatifs visant à encourager à la fois les employeurs et les travailleurs âgés à entreprendre des sessions de formation.

Plusieurs initiatives ont été élaborées par l’OCDE, l’Unesco, la Banque mondiale, la Commission européenne, l’OIT et la plupart des gouvernements des pays de l’OCDE pour mettre en place une stratégie d’apprentissage à vie dont la population âgée est une des principales cibles.

Pour favoriser l’inclusion des travailleurs âgés, il faut les doter des qualifications dont ils ont besoin et des moyens de renouveler ces qualifications. L’apprentissage tout au long de la vie est un atout culturel important ainsi qu’une nécessité économique. C’est un concept qui sous-entend le rejet d’une société structurée en fonction de l’âge et dans laquelle éducation et formation s’acquièrent une fois pour toutes au début de la vie. Au niveau individuel comme à celui de l’organisation, se mettre à considérer que la formation permanente est quelque chose de naturel pourrait puissamment contribuer à faire admettre l’idée qu’elle concerne les travailleurs de tous âges. En règle générale, les jeunes travailleurs ont plus d’années de scolarité à leur actif et plus facilement accès à des programmes de formation que les travailleurs âgés. C’est pourquoi il peut être difficile à ces derniers de suivre l’évolution technique. Adapter et perfectionner leurs compétences est donc plus fructueux pour eux que d’en acquérir de nouvelles, le temps disponible pour amortir les coûts étant plus limité (OIT, 2002 : 13).

La gestion de l’innovation

Dans un troisième scénario, on retrouve les activités axées sur la gestion de l’innovation scientifique et technologique. On pense plus précisément à la commercialisation qui est une étape importante du processus d’innovation mais qui requiert à la fois une connaissance technique et des compétences liées au développement d’un marché. Il s’agit de compétences complémentaires à la connaissance scientifique et technologique. Ces activités sont au coeur de la nouvelle édition du Manuel d’Oslo. Encore une fois, on peut se demander si les travailleurs plus âgés sont désavantagés par rapport aux travailleurs plus jeunes à cette étape de l’innovation. Le développement des départements de gestion de la technologie dans les universités et d’une littérature de plus en plus abondante dans le domaine au cours des dernières décennies visant à doter les ingénieurs et les scientifiques de compétences en gestion est fort probablement le reflet d’un besoin de compétences spécifiques pour ces travailleurs du savoir. Est-ce que cette formation peut compenser pour l’expérience ?

Si innover, c’est-à-dire faire franchir à un nouveau produit ou un nouveau procédé les frontières du marché, requiert des compétences en gestion, il faut alors se questionner sur l’expérience comme source de développement de ce type de compétences. Si l’expérience est une source importante d’acquisition des compétences managériales, on pourrait conclure que les travailleurs âgés ont un avantage comparatif sur les travailleurs plus jeunes dont l’expérience de travail est plus courte. Encore une fois, la métacognition aurait fort probablement un rôle à jouer dans le succès de la gestion de l’innovation au sens où les capacités métacognitives permettraient de planifier une stratégie, de l’abandonner lorsqu’elle ne semble pas fonctionner et d’évaluer rapidement les solutions de rechange (Levy et Munrane, 2004).

La prolongation de l’activité des spécialistes en gestion de la science et technologie devrait être encouragée par des politiques actives relatives au marché du travail. Par exemple, un horaire de travail flexible et variable pourrait vraisemblablement contribuer à maintenir une masse critique de personnes possédant ces compétences plus longtemps sur le marché du travail.

Les entreprises doivent également adopter des pratiques aidant au développement des compétences en gestion. Plusieurs pays, dont l’Australie, encouragent de plus en plus les initiatives de mentorat afin de transférer la connaissance des gestionnaires et entrepreneurs d’une génération à l’autre. Tout au long de la carrière, les entreprises devraient encourager, entre autres, la rotation des tâches, une formation obligatoire abordant les problèmes liés à l’âge ainsi qu’une planification des promotions de scientifiques et ingénieurs dans le domaine de la gestion.

En résumé, la stratégie de « vieillissement actif » telle que préconisée par l’Union européenne et autres pays de l’OCDE ainsi que les politiques publiques et pratiques des entreprises visent à maintenir l’employabilité[8] des personnes âgées. Parmi ces mesures, on compte, en plus de la formation tout au long de la vie, des conditions de travail plus appropriées touchant, par exemple, aux mesures financières, aux mesures de sensibilisation des problèmes du vieillissement destinées aux entreprises (Zanardelli, 2006 : 2) ainsi qu’aux politiques proactives visant un vieillissement en santé. On peut aussi mentionner des horaires de travail moins atypiques, plus stables évitant, entre autres, les horaires de travail comprimées, le travail de nuit et de fin de semaine prévenant ainsi les troubles du sommeil, une réduction de la vigilance, une augmentation des accidents, des changements dans l’humeur et l’accroissement du stress, etc. (David et al., 2001 : 16).

Conclusion

Le « vieillissement actif » devrait inclure, entre autres, le maintien et l’amélioration des compétences d’innovation compte tenu de la contribution potentielle de la population vieillissante aux processus d’innovation. Innover ne signifie pas seulement un changement de type technologique ou scientifique mais implique une série d’activités allant de la génération d’idées à la commercialisation d’un produit ou d’un procédé passant par la protection de la propriété intellectuelle.

Nous avons emprunté les termes « nouveau dans le monde entier » (new-to-the-world) et « nouveau dans la firme » (new-to-the-firm) et nous avons ajouté les activités de gestion au processus d’innovation présentant ainsi trois scénarios d’activités d’innovation. Comme les compétences diffèrent d’un scénario à l’autre, les politiques publiques et les pratiques d’entreprise issues de la stratégie du « vieillissement actif » axées sur les compétences d’innovation diffèreront. D’un pays à l’autre, les politiques risquent de se distinguer puisque les citoyens pourraient avoir des préférences différentes entre temps libre et revenus élevés. Ces particularités nationales sont également liées à la relative polarisation générationnelle du niveau d’éducation et de salaires entre les pays. Cette analyse exploratoire nous a ainsi permis, sur la base des trois scénarios d’innovation, d’aborder, bien que sommairement, certaines initiatives politiques et pratiques d’entreprise visant à promouvoir le vieillissement actif dans un contexte d’innovation.

Dans cette perspective, la stratégie de vieillissement actif est d’autant plus pertinente qu’elle pourrait permettre aux travailleurs qui le désirent de continuer à contribuer positivement à l’innovation et, par le fait même, à la croissance économique. Toutefois, le niveau de satisfaction des travailleurs âgés, tout comme celui des plus jeunes, est à prime abord défini sur le lieu de travail. Les entreprises ont donc un rôle primordial à jouer et doivent aller au-delà des désavantages du vieillissement de leurs employés et miser sur les avantages de l’expérience en mettant en place des mesures adaptées aux besoins de cette population.