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« Tu l’as dit Mamie, la vie il n’y a pas d’avenir là-dedans, il faut investir ailleurs[1]. » Le roman Va savoir de Réjean Ducharme s’ouvre sur ces mots, peut-être cryptés, qui renvoient à l’expérience de la transmission des héritages. L’avenir est grevé ; l’horizon, incertain ; la perte et la désillusion affleurent, surtout quand « on ne sent pas son poids d’enclume » et qu’on ne « [tient qu’]à un fil » (VS, 9). Stérile et désuni, le couple formé par le narrateur Rémi Vavasseur et sa Mamie ne songe plus guère à s’inscrire dans l’histoire, il s’y enfonce « en se serrant plus fort dans le lit du courant » (VS, 9). Si ces premières lignes rappellent la négativité de L’hiver de force et de Dévadé, elles sont rapidement contredites par l’entrée en scène, aussi soudaine qu’inattendue, de la petite Fanie qui apparaît « dans le beau clair de tête où elle a répandu son gazouillis » (VS, 9). Tout entière dévouée au jeu et à la splendeur de l’instant, l’enfant efface momentanément les tourments de Rémi qui s’acharne à rénover pour sa Mamie partie en voyage « une ruine au fond du vallon d’un village, au bout d’une rue mal ressuscitée » (VS, 10).

Pour le lecteur familier de l’univers de Réjean Ducharme, l’incipit de Va savoir a de quoi surprendre. Loin de se poser en ennemis, méfiants ou insoucieux de leurs mondes respectifs, l’enfant et l’adulte y sont réunis, parlent le même langage, échangent librement, en toute amitié, hors des contraintes imposées par le milieu familial ou par les institutions religieuses et scolaires[2]. La scène permet ainsi de prendre la réelle mesure de la singularité de Va savoir au sein de l’oeuvre ducharmien. Certes, Rémi est un rada, un raté, sans emploi et sans avenir, comme les adultes ducharmiens qui l’ont précédé, Nicole et André Ferron, Vincent et Fériée, Bottom[3]. « Enfant à [s]a façon » (VS, 10), Rémi n’est pourtant pas un enfantôme au sens où l’entendait Ducharme dans ses romans antérieurs. Il n’est guère hanté par sa jeunesse enfuie, dont la trame est d’ailleurs quasi absente du roman, et tente plutôt de se projeter dans le rôle du professeur d’occasion. Il se situe ainsi entre l’enfance et l’âge adulte, passe du statut d’orphelin — sa femme disparue ne porte-t-elle pas le surnom de Mamie[4] ? — à celui de père d’adoption. Mais c’est surtout parce qu’il a quitté son « île immatérielle[5] » et choisit de s’investir dans un projet qu’il se distingue de ses prédécesseurs. Contrairement aux romans antérieurs, et plus particulièrement à L’hiver de force qui tendait vers le dépouillement le plus radical, Va savoir se présente comme le récit du recyclage. Comme le note Michel Biron dans L’absence du maître,

Rémi, lui, n’a pas de tâche historique. La cabane qu’il achète, grâce à l’argent de l’oncle de Mamie, n’a aucune valeur patrimoniale ; en fait, elle n’a pas de valeur du tout. C’est une ruine. Rien d’autre, située de surcroît au fond d’une impasse. Une ruine tout de même habitable parce que tout, dans Va savoir, peut (doit) être récupéré. Tel est le discours auquel se mesure Rémi tout au long du roman : le discours de la récupération et du recyclage des années 1990, ce que le discours de la révolte fut aux années 1960 et ce que le discours de la contre-culture fut aux années 1970[6].

Rémi est en effet animé par le désir de tout recommencer, de compenser la perte de ses idéaux par l’habitation d’une ruine, laquelle métaphorise à la fois le désastre de sa vie intime et son difficile enracinement dans un lieu et dans une communauté. Va savoir emprunte ainsi au récit de filiation l’idée de la reconstruction toujours incertaine d’une histoire, qu’elle soit individuelle, familiale ou collective, et met en scène un sujet qui « s’appréhende comme celui à qui son passé fait défaut[7] ». La question de l’héritage innerve par là même le roman de Ducharme. Fidèle à sa « poétique du débris[8] » pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Élisabeth Nardout-Lafarge, l’auteur se plaît à multiplier les citations, les références encyclopédiques et les fragments d’oeuvres littéraires, canoniques ou marginales, sans toujours en dévoiler les origines et les sources. Balzac, Rembrandt, Schubert et Pascal, Saint-Denys Garneau, Aquin et Marie-Victorin côtoient, dans un certain désordre, les mythes bibliques, les chansons populaires et les savoirs techniques. Le recyclage et la reprise des références livresques illustrent encore une fois l’attachement de Ducharme à un certain héritage littéraire. Sans vouloir nier l’importance d’une telle prolifération intertextuelle, déjà étudiée par plusieurs critiques, je m’attacherai plutôt aux discours et aux motifs qui accompagnent les héritages matériels et familiaux de Va savoir. En ne cessant de faire retour sur certaines figures, de la ruine à la souche en passant par l’enclume, le roman témoigne des apories liées au fait d’hériter. Il se double par là d’une réflexion sur les économies de l’héritage qui éclaire, à bien des égards, le rapport du narrateur à son passé et à son avenir.

Politiques de l’amour : entre dettes et dons

Dès les premières pages de son essai Comment j’ai vidé la maison de mes parents, paru en 2004, Lydia Flem compare le fait d’hériter à une « épreuve de la réalité[9] ». L’héritier est le survivant, celui qui « commence par un surinvestissement du parent mort avant son désinvestissement progressif au profit de la vie[10] ». Pour l’essayiste endeuillée, l’héritage n’a rien d’un don, mais s’apparente fort à une dette :

Le verbe « hériter » est à l’opposé du verbe « léguer » […] L’héritage, à l’inverse du legs, ne suppose aucun désir, ne traduit aucune intention à notre égard. […] La loi me déclare héritière légale, mais affectivement ne suis-je pas un imposteur ? Comment puis-je recevoir des choses que l’on ne m’a pas données[11] ?

À ces questions, qui ont peut-être l’apparence de truismes, les réponses sont nombreuses et complexes car, tout autant qu’un geste d’interprétation, le fait d’hériter constitue une forme d’appropriation impudique, parfois même violente. Il s’agit littéralement, pour reprendre le titre de l’essai de Flem, de « vider la maison de ses parents ».

Au-delà des coïncidences anecdotiques[12], les constats de Lydia Flem trouvent une certaine résonance dans Va savoir, par l’entremise notamment de la dialectique du don et de la dette. Ducharme se plaît à réinvestir le vocabulaire économique en lui attribuant un poids existentiel. Il récupère des expressions de la langue courante qui procèdent déjà d’un tel déplacement sémantique, et les multiplie au fil de son roman. Les personnages « se ruin[ent] pour ceux qu’ils aim[ent] » (VS, 73), « paye[nt] de [leur] personne » (VS, 77) ou « pour se faire pardonner » (VS, 86), « sont appréciés […] à ce qu’[ils] coûtent » (VS, 89), « [ont] les moyens » ou pas (VS, 96) et « fini[ssent] par [être touchés] où ça compte » (VS113). À plusieurs reprises, Rémi fait référence à son compteur (VS, 113, 176, 186, 218, 225), tête, cerveau, mais surtout siège de la raison. Dans l’univers ducharmien, le discours économique ne saurait cependant témoigner des passions et des élans du coeur. Indissociable de la mythologie qui accompagne chiffres et comptabilités, il renvoie le plus souvent au monde adulte et à ses responsabilités, rappelant le vers « Nous ne sommes pas des comptables[13] » de Saint-Denys Garneau, dont l’oeuvre est citée implicitement dans Va savoir[14]. Si l’adulte Rémi s’use le « compteur » en vains calculs, la petite Fanie amasse des trésors inestimables, véritables dons de la nature, au cours de ses multiples excursions : bouteilles consignées, « rudbeckias », « suzanne-aux-yeux-noirs » (VS, 141), « rondelle de bois, millénaire » (VS, 185) ou canot abandonné se trouvent sur son chemin et deviennent tout naturellement siens. L’adulte compte, l’enfant prend[15] ; l’adulte travaille, l’enfant joue. Rien d’étonnant à ce que la petite Fanie éclate au moment où elle apprend que Rémi, qui lui a pourtant « montré à jouer », s’apprête à « chercher de l’ouvrage et [à] désorganiser ses loisirs » (VS, 191).

Ces oppositions évoquent la tension entre le travail et l’oisiveté sur laquelle se sont construits certains des textes fondateurs de l’économie politique classique. Comme le souligne Éric Méchoulan dans son article intitulé « Dette, institution et histoire », l’imaginaire de la créance entraîne même dans son sillage des antinomies idéologiques :

À la dépense s’oppose donc l’épargne comme au divertissement et à l’enjouement, à la jouissance du moment présent s’oppose le désir d’améliorer sa condition ou encore comme la passion violente et difficile à contrôler au désir calme et dépassionné, un désir éminemment raisonnable. Mais le plus remarquable tient au redoublement des oppositions temporelles où l’intérêt pour un certain mode temporel est dupliqué par la temporalité spécifique de cet intérêt : la passion pour le moment présent ne saurait être elle-même que momentanée et occasionnelle, tandis que le désir d’améliorer sa condition, et donc de stocker du temps, relève lui-même d’une continuité temporelle qui entraîne tout individu de sa naissance à sa mort[16].

Ces oppositions topiques, comme les rapports au temps qu’elles supposent, sont reprises presque textuellement dans Va savoir. La relation qu’entretient Rémi avec Fanie, notamment, s’inscrit tout entière sous le signe du don et s’attache à des moments évanescents de communion et de partage. Au début du roman, le narrateur affirme : « Je l’ai juchée sur mes épaules, et je ne sais pas ce que ça m’a encore fait comme effet, si j’étais heureux de l’avoir, ou malheureux qu’elle ne soit pas à moi » (VS47). L’enfant « n’a rien, elle est tout ce qu’elle a » (VS, 30). Elle ne se laisse ni exclure ni posséder, attitude rappelant sans conteste les enfances mises en scène dans les premiers romans de Ducharme. À l’instar de Bérénice Einberg qui « [est] [s]a propre enfant[17] », qui « [est] quelqu’un et [qui s’]appartient[18] », refusant qu’on « joue avec [elle] comme avec une chose[19] », Fanie résiste à ceux qui ne pourraient partager son langage et ses codes. Lorsque Rémi la rejoint, c’est dans « un autre âge », dans un de ces « mondes éclos et explosés en une seconde » (VS186). Ces mondes fragiles, qui menacent à tout moment de basculer dans le néant[20], n’ont cependant rien d’abstrait : l’île minuscule, le canot, les rails d’un chemin de fer qui « ne vont plus nulle part » confèrent un ancrage matériel à l’amitié véritable « dont le jeu est d’être seuls au monde » (VS, 69). Contrairement aux lieux de socialisation du monde adulte, ils ne supposent aucun investissement financier et s’offrent gratuitement à ceux qui les découvrent. Une telle appropriation de l’espace, en marge et en dehors des lieux communs, s’apparente fort à la pratique du braconnage qui consiste essentiellement à prendre — comme l’enfant — sans s’inquiéter des lois et des frontières territoriales.

Tout le contraire se produit entre Mamie et Rémi qui prolongent leur histoire, malgré la distance physique qui les sépare. Ils habitent le passé, rêvent d’un avenir commun, mais n’ont pas de présent. Leur vie conjugale n’occupe que l’espace virtuel de leurs échanges épistolaires, lesquels se font de plus en plus rares au fil du roman. Le projet de rénovation de Rémi illustre éloquemment la dynamique de leur relation. Cette dernière, en effet, s’use et s’effrite, à l’image de leur maison-tombeau[21], « tout en petit bois de cercueil » (VS, 131), et dont les fondations mêmes sont assises dans « une boue qui les moisit et les disloque » (VS190). C’est à la logique du travail et des longues durées, mais surtout à l’imaginaire de la dette et de la créance, que renvoie l’amour de Rémi et de Mamie. Rémi se voit en effet contraint d’obéir à une « comptabilité des compensations » (VS, 65), colmatant les brèches de leur passé, « raté de toute façon, par définition » (VS, 112). Aux sacrifices de Mamie qui, en s’effaçant, souhaite oublier la perte de ses jumelles mort-nées, Rémi répond par le labeur et la dépense. Ironie du sort, il restaure une maison qui ne lui a pas vraiment été léguée :

[On] a hérité du bordel dans toute sa splendeur… C’est le mot : ça ne nous a rien coûté. On n’a pas dépoché un sou. Je dirais même : au contraire. Le prêt hypothécaire avalisé par l’oncle Albert sur mon devis de réfection a bourré notre livret d’épargne. On est riches. À milliers ! Ce n’est pas notre propre. On ne se sent pas propres propres.

VS, 10

Ce passage, évocateur s’il en est, pourrait bien résumer la situation profondément chaotique et paradoxale dans laquelle se trouve le narrateur. Au moment de la prise de possession de la maison, le « on » du couple n’avait déjà plus de réalité. Destiné à Mamie, l’héritage de l’oncle Albert avait en quelque sorte une vocation thérapeutique : il s’agissait d’offrir un refuge confortable à la légataire pour lui permettre d’oublier l’avenir qu’elle avait perdu. Or, Mamie disparue, la maison devient l’enjeu d’un litige. « [D]ébarqués en conquérants » (VS195), les membres de la famille de Mamie enjoignent Rémi de faire revenir la véritable propriétaire d’une maison, qualifiée tour à tour de « gâchis » (VS, 16), de « débris » (VS, 19), « de tas de ruines » (VS, 31), de « cloaques en planches » (VS, 39), de « dépotoir » (VS, 88), de « dégâts » (VS, 196). Se substituant au « bordel dans toute sa splendeur » mais aussi à la vie intime du couple désuni, ces figures disent les effets ravageurs du passage du temps sur la matière. Elles insistent sur le caractère éminemment indésirable du lieu qui, défait, sans valeur, connote le rejet et le rebut. C’est dire que les efforts de Rémi sont vains. Pourquoi préserver de la disparition une maison qui ne lui appartient pas, qui ne sera jamais son propre ? Comment habiter un lieu qui porte, en creux, les signes d’une future dépossession ?

L’imaginaire des ruines est ainsi doublement convoqué. S’impose, d’une part, « le travail figural de la négativité, en ceci que [les ruines] signifient sur le mode de l’absence une présence “désormais” renversée par sa propre faillibilité[22] » et, d’autre part, l’idée d’une dépense d’énergie excessive qui épuise le sujet et le dépossède[23]. Les investissements physique et financier se confondent d’ailleurs à plusieurs reprises dans le discours de Rémi qui « [s]e ruine et [s]e crève à assainir cette soue qu’ils ont laissée pourrir » (VS, 85). L’héritage matériel est négatif au sens le plus strict qui soit : il retranche, il siphonne, il amenuise, et condamne au sur-place et à l’imposture. La propriété et l’enracinement, qui vont rarement de soi chez Réjean Ducharme, sont également indissociables des compromissions de l’âge adulte car elles participent d’une économie des relations affectives où « l’érotique [et] la politique[24] », pour reprendre les mots de Nicole et d’André Ferron, finissent toujours par l’emporter.

Familles rêvées, familles hantées

Dans la maison en déshérence, la négativité reflue, signe d’un enracinement, voire d’une refondation, profondément aporétiques. À cet excès du présent répond paradoxalement un passé anémique qui, comme l’explique Laurent Demanze dans son ouvrage Encres orphelines, ne peut être que

le symptôme d’une situation historique marquée par la lacune et l’inquiétude de la mémoire. Parents victimes d’une histoire devenue folle, pères évanouis ou mélancoliques, mères endeuillées ou sacrifiées, les figures parentales ne fournissent ni modèles ni repères à l’aune desquels se constituer. Le passé parental est le chapitre vacant de la mémoire, il est l’insu d’un sujet qui peine à le reconstituer à force d’hypothèses généalogiques et d’investigations imaginaires[25].

Ces constats s’appliquent parfaitement au passé familial de Rémi, dont les souvenirs demeurent fugitifs et lacunaires. Notons d’abord que le patronyme de Rémi, Vavasseur, connote la dépossession et l’absence de lieu propre. Au Moyen Âge, le vavasseur occupait le dernier rang de la vassalité, il était « pourvu d’un arrière-fief », souvent d’étendue médiocre. Qualifié de vavassorerie, son fief relevait « d’un fief noble, [avec] rente ou redevance due sur ce fief[26] ». Dans le dictionnaire de Furetière, le vavasseur est littéralement « l’arrière-vassal ou le vassal du vassal d’un Seigneur[27] ». Or Rémi, nous l’avons vu, a pris possession de la maison au nom de Mamie qui, elle-même, a dû emprunter à sa famille pour en obtenir le droit de propriété. La belle-famille revendique à plusieurs reprises ce contrat, et réagit plutôt froidement lorsqu’elle apprend que l’« hypothèque est assurée. En cas de décès, la dette est effacée, tout […] revient [à Rémi] » (VS, 196). Ni propriétaire, ni locataire, squatteur autorisé à la rigueur, Rémi dispose d’un capital fondé sur un héritage à venir, dépourvu de testament qui plus est[28].

De très rares allusions à la véritable famille de Rémi émaillent le roman. Le lecteur apprend, au détour d’une phrase, que son frère est mort du cancer[29] (VS14). Près de cent pages plus loin, il met littéralement sa famille entre parenthèses : « ma propre famille, affirme-t-il, [en est] (réduite à ma pauvre soeur, collée avec notre père invalide) » (VS101). Seul un souvenir heureux tend à nuancer ce sombre portrait :

Les yeux me ferment et, je ne sais par quel joint, je me prends à rêver à ma mère, aux temps où j’étais son « mousse » et que le soir avant de monter me coucher elle me jouait de l’accordéon. Des valses. Heure exquise qui nous grise… Ça me berce encore. Ça me donnait tellement la paix que ça me la donne encore, ici, au fond de ces horreurs où j’ai été jeté par erreur. […] Ça n’a aucun rapport avec l’état de ressemblance où je me trouve, où je me reconnais avec une si exacte adhésion, quand ça me revient, que j’entends la voix qui fredonnait, qui m’a fait, qui m’a nommé…

VS, 243

Le souvenir, qui surgit au milieu d’un rêve éveillé, se distingue nettement des précédentes allusions dysphoriques à la famille. Loin du frère leucémique, de la « pauvre soeur » et du père invalide, membres d’une famille « réduite » comme le souligne Rémi, émerge soudain la voix souveraine de la mère. L’amenuisement, la maladie et la pauvreté sont pour ainsi dire éclipsés par cette voix qui « donne tellement la paix » et, plus encore, redonne au narrateur une origine, un ancrage, un lieu où il lui est enfin possible de se reconnaître.

Ducharme sème cependant le doute : la scène oscille entre mémoire et songe, et semble également emprunter certains motifs à la pièce Oh les beaux jours de Samuel Beckett. La même valse, tirée de l’opérette La veuve joyeuse, est en effet fredonnée à deux reprises chez Beckett : la première fois, la « voix rauque[30] » de Willie en entonne l’air ; puis, à la toute fin de la pièce, Winnie « s’essaie à chantonner le début de l’air, celui de la boîte à musique, puis chante doucement Heure exquise / Qui nous grise / Lentement […][31] ». Comme la mère fantomatique de Rémi, Winnie est dépossédée de son corps et n’existe que par son « babil[32] », son chant, sa voix. À demi enterrée, jetée « au fond de ces horreurs », elle confère au chant le pouvoir de transcender symboliquement sa condition : « Chante ta chanson, Winnie. (Un temps.) Alors prie. (Un temps.) Prie ta prière, Winnie[33]. » Le chant jouxte l’imploration, renvoie au sacré et à l’élévation spirituelle, contredisant ainsi la véritable situation du personnage immobilisé. Dans Va savoir, le souvenir du chant maternel émerge au moment où Rémi apprend la disparition de Mamie, et vient en quelque sorte contrer ses sentiments d’abandon et de dépossession. Issu de l’enfance, ce chant plonge dans un autre monde, utérin et édénique à la fois, qui n’est pas sans évoquer les figures de la communion amicale et amoureuse, ces « mondes éclos et explosés en une seconde » (VS, 186), évanescents et éphémères. Plus qu’une réminiscence fidèle du passé, le souvenir constitue le lieu d’un apaisement métaphorique, pur fantasme d’une réconciliation avec la mère disparue. Ainsi rêvée, voire réécrite à la lumière des fictions d’autrui, la famille véritable de Rémi demeure un référent fantomatique.

La cellule familiale que tente de recréer Rémi s’avère tout aussi fuyante. De l’impossible avenir, incarné par les jumelles enfantômes, au rêve d’un recommencement absolu[34], en passant par l’effacement du personnage de Mamie, le roman entier repose sur la présence spectrale d’une famille mort-née. Écrit en partie à la deuxième personne du singulier, Va savoir est destiné à une femme disparue qui, qualifiée de « spectre » (VS, 183) et de « fantôme » (VS, 219), aspire à la sainteté. Enfant, affirme Raïa, elle « barbotait [déjà] dans la piété » (VS, 78) ; adulte, elle touchait avec sa « petite voix cassée de confessionnal » (VS, 158), endossant jusqu’à l’oubli complet de soi les valeurs judéo-chrétiennes du sacrifice et du rachat. La critique a abondamment commenté l’effacement du personnage de Mamie[35] auquel est conférée, en dernière instance, une trace matérielle :

[E]t j’ai trouvé ça dans mon casier, cette enveloppe, adressée par la main de Raïa. Et j’ai trouvé ça tout sec dedans, ce passeport, où tu as rayé ton visage. Tu l’as gratté, avec une aiguille, ou avec tes ongles. Il n’en reste rien, même pas le trait de ton menton. Tu as tout détruit. Patiemment. Jusqu’au blanc.

VS, 264

L’image ruinée, grattée jusqu’au blanc, connote certes de manière littérale l’effritement, le rognage, voire la destruction volontaire, mais elle représente également la transformation définitive de l’absente en spectre. Stéphane Inkel, dans sa thèse consacrée aux oeuvres de Samuel Beckett et de Réjean Ducharme, soutient fort pertinemment que « ce “blanc” est l’image. Image fantomatique parce qu’image indiscernable, ce blanc […] semble si important pour le roman parce qu’il en est pour ainsi dire sa condition[36] ». Rémi ne cesse en effet de revenir sur les ratés du passé, tente de les passer au blanc sans pour autant arriver à se débarrasser de leur emprise. Il invite littéralement le spectre chez lui : « Je me suis pris à rêver que tu me ferais la faveur de hanter la maison, de l’habiter enfin » (VS, 257). Par là même, il renverse la logique de la revenance puisque ce n’est pas le spectre qui visite le vivant, mais bien le vivant qui s’accroche à son spectre, qui l’installe à demeure.

Si Rémi se prend au rêve d’un recommencement absolu, il ne peut qu’admettre l’impossibilité même de son projet de fondation. Le motif de l’enclume accompagne à plusieurs reprises ses réflexions sur son avenir conjugal, et renvoie au versant sombre de l’enracinement. Inséparable d’une forme de sédentarité quasi morbide, le « poids d’enclume » de l’incipit s’inscrit dans différents contextes. Il traduit la fusion amoureuse, mais en lui attribuant la forme d’un douloureux partage : « [d]e tout notre pesant d’enclumes, on s’enfoncera l’un l’autre au fond de l’eau du lit, et la rouille en nous gangrenant ne nous détruira pas, elle nous soudera plaie à plaie » (VS, 71). Il dit aussi l’effritement du lien qui unissait Rémi et Mamie, de ce « fil […] perdu, qui s’est cassé sous le poids des enclumes » (VS, 94). Objet sans propriétés esthétiques, sans histoire, il ne peut prétendre à la grâce perdue de la ruine, et se présente plutôt comme l’emblème du travail, de cette fameuse entreprise de rénovation qui peine à effacer le legs négatif du passé.

Mais l’enclume ducharmienne ne renvoie pas uniquement à la pratique du forgeage, elle se confond aussi à plusieurs reprises avec l’ancre. Tout se passe comme si l’auteur avait volontairement travesti ses enclumes : détachées de leur fil, elles « coulent », « plongent » (VS, 184), « s’enfoncent dans l’eau » (VS, 9, 71), « descend[ent] au fond de [soi] en se coinçant ici et là pour mieux rompre et arracher » (VS, 241). Figures de l’impossible réunion des amants, elles conjuguent des pôles irréconciliables, le léger et le lourd, l’aérien, voire l’aquatique, et le terrestre : « [e]n nageant tous les deux comme des enclumes, ou tous les trois, on s’en tirera. Quand toute l’eau aura coulé, qu’elle aura roulé sur notre dos tous ses poissons, tous ses poisons, on émergera intacts » (VS, 184). Ces paroles ne font qu’exhumer la mauvaise foi du narrateur qui espère encore en une quelconque forme de rédemption, retour de l’absente ou résurrection du passé, pour filer la métaphore religieuse. Lourde et massive, l’enclume rompt fils et filiations. Ses effets ravageurs pourraient en cela illustrer le caractère discontinu de la passation, nullement linéaire, mais brouillée et incertaine. Selon l’hypothèse d’Anne Muxel, « rapportée au temps, la mesure de la transmission supposerait une posture inverse de celle qui est généralement effectuée, pour constater non pas le poids de ce qui se transmet, mais le poids de ce qui ne se transmet pas[37] ». Toutefois, jamais Ducharme ne dépouille l’enclume de sa valeur métaphorique. Il ne s’évertue guère à lui conférer un poids sociologique ou historique. Au contraire, l’enclume fait signe vers la fatalité de l’ordinaire. Elle est logée au coeur d’un présent marqué par la stagnation, auquel le passé n’aurait pas servi d’enseignement. L’emprisonnement des appartenances filiales, dont l’envers demeure le fantasme d’une souveraineté retrouvée, interdit au sujet de se projeter dans l’avenir.

Affinités électives

Mais rien n’est simple chez Réjean Ducharme, et encore moins dans Va savoir. Sans renoncer complètement au fatalisme de ses premiers romans, l’auteur greffe au récit du naufrage conjugal l’espoir d’une potentielle refondation. Aux familles gangrenées et dysfonctionnelles, il oppose une communauté, liminaire sans doute, qui offre au personnage de Rémi le sentiment d’appartenir réellement à un corps social[38]. À la verticalité de la filiation généalogique se superpose ainsi l’horizontalité des relations de bon voisinage. Contrairement aux rêves et aux hantises, ces liens obéissent au principe de réalité, ils sont choisis, cultivés, et ne s’inscrivent nullement sous le signe de la fatalité. La famille d’adoption de Rémi est constituée de deux branches distinctes : d’un côté, se trouvent Jina, l’ancienne danseuse nue, et son fils Jerrymie ; de l’autre, Mary, Hubert et leur fille Fanie[39]. Dans ce contexte particulier, Rémi multiplie les rôles. Amant éventuel, fils adoptif, frère d’infortune, père d’adoption, professeur d’occasion, il gravite autour de ses contemporains à la recherche d’un lieu, d’une place :

[Mamie] m’a jeté ici. Elle m’a fait retaper cette baraque en me laissant rêver que c’était pour elle. Elle faisait d’une pierre deux coups. Elle me donnait de quoi absorber le choc et de quoi me ressoucher. […] Je m’investissais mal et c’était de sa faute, elle m’avait incité à investir en elle.

VS, 167 ; je souligne

L’emploi du verbe néologique « ressoucher » n’est guère fortuit. À la majesté perdue de la ruine, au poids de l’enclume succède la grâce ambiguë de la souche. Dans La demeure, la souche, essai consacré entièrement au travail artistique de Pascal Convert, Georges Didi-Huberman en a finement décrit le symbolisme duel :

[elle] est un objet de profondeur, mais aussi d’extension : elle procède encore de la racine, elle procède déjà de la ramure. […] Elle évoque aussi bien la vie en mouvement, avec ses écheveaux de perturbations dynamiques, que la vie en arrêt, avec son aspect fossilisé, déjà minéral[40].

Elle ramène de surcroît à la flore tant célébrée par Ducharme, éloignant ainsi des constructions humaines menacées par l’écroulement.

Ducharme tisse autour du motif de la souche un réseau de références et de figures remarquablement cohérent. Rémi ne pardonne guère à Mamie de l’avoir « réclam[é] au fond de son sous-sol de la rue Milton », de l’avoir « déterré, ressuscité » (VS, 223) une première fois avant de l’abandonner à son sort. Au moment où il commence à désespérer de voir Mamie revenir, il se dit « complètement capoté » car il a « entrepris d’arracher les souches, en les déterrant, en tranchant à coups de hache et de scie à travers les espèces d’os et de nerfs » (VS170), question de faire « le grand ménage » (VS, 171). La souche est vivante, elle se situe entre le passé et l’avenir et porte, malgré la mort qui semble l’avoir entamée, l’espoir d’un recommencement. Rien d’étonnant à ce que la « si petite île » de Va savoir, découverte par Rémi et Fanie lors d’une de leurs promenades en canot, ait « donné le jour à une fleur, une seule, une scutellaire, abritée au pied du seul arbre, un aune à moitié arraché par les débâcles » (VS, 185). Si la délicate fleur et l’arbre quasi déraciné rappellent le couple formé par Fanie et Rémi, ils illustrent aussi l’un des paradoxes de l’héritage ducharmien[41]. Même au seuil de la mort, même dans le vide et la béance, dans le blanc le plus absolu, la renaissance et le ressouchage demeurent possibles. Les personnages des romans précédents y ont cru, parfois le temps d’une idylle, dans « l’espace d’un malentendu[42] » pour reprendre les mots de Bérénice Einberg.

La critique a souvent évoqué le rôle que jouent les affinités électives, qu’elles soient amicales, amoureuses ou littéraires, dans les diverses tentatives d’enracinement des sujets ducharmiens. Les personnages de Ducharme, enfants et adultes confondus, élisent leurs modèles et leurs amours en se souciant peu des hiérarchies et des convenances sociales. Il va sans dire que leurs rapatriements s’avèrent passionnels, enivrants et douloureux à la fois, toujours fort éloignés des calculs raisonnables. Va savoir n’échappe guère à cette convention. Dans son entreprise de ressouchage, Rémi adopte et se laisse adopter. Grâce aux relations de voisinage, l’héritage, empreint d’emblée d’une certaine négativité, se voit littéralement transformé en lieu habité. Ce déplacement atteste les vertus du recyclage qui peut en effet donner lieu à une véritable transfiguration. Ce sont d’abord les filles du roman — Fanie, Mary et Jina — qui adoptent Rémi. Trop proche de l’amitié, qui respecte les règles égoïstes du « chacun pour soi », ce rapatriement ne suppose aucun engagement formel de la part de Rémi, aucun investissement, si l’on veut reprendre la métaphore économique. En d’autres mots, nul rôle précis, nul devoir, nulle place ne lui sont assignés. Rémi peut très bien demeurer l’adulte-enfant qu’il prétend être, se cantonner dans les rôles commodes de grand frère, d’amant éventuel ou de bon copain. S’il ne se sent plus « dépossédé[43] » en leur compagnie, il ne désire pas plus être possédé, privé de cette liberté illusoire qui lui permettait momentanément de résister aux ressacs du passé[44]. Comme la souche, il se tient dans la zone indécise de l’entre-deux. Au moment où Mary lui propose de devenir le professeur de Fanie, lui suggérant par là même d’endosser une fonction unique et bien définie, il se rebiffe :

C’était clair dans sa figure et dans son coeur, qu’elle m’ouvrait tout à fait avec sa maison. Cracher du fiel là-dessus, c’est de la bêtise. D’autre part, elle me froisse en cherchant à m’adopter, à m’employer comme si je n’appartenais, ne servais à rien. Je ne suis pas si nécessiteux, si dépossédé, je t’ai.

VS, 159

C’est aussi parce que leur relation aurait eu, dès lors, à obéir à une « comptabilité des compensations » que Rémi refuse, dans un premier temps du moins, l’offre de Mary. Un tel compromis, toujours selon la logique des amours ducharmiennes, menacerait de ruiner le fragile équilibre d’une relation reposant en partie sur le non-dit et l’indécidabilité des rôles et des postures. Mary, qualifiée par Élisabeth Nardout-Lafarge de « femme-pilier », de « femme-arbre » en référence notamment à son métier d’horticultrice, mère et fille, est aussi « la Femme unique que Rémi avoue chercher dans toutes celles qu’il rencontre[45] ». En se laissant adopter trop facilement, il trahirait Mamie et oublierait les dettes qu’il a contractées auprès d’elle.

Le ressouchage ne saurait être complet sans l’intervention de l’époux de Mary, Hubert Léveillé. Ce dernier, dont le patronyme renvoie très clairement au statut d’émissaire éclairé, est à la fois le double, le père et le maître de Rémi[46]. Atteint du cancer, il se tient au seuil de la mort, spectrale présence dont l’importance va en grandissant au fil des pages. Il « [est] tout là. Derrière » (VS, 213), pour reprendre ses propres paroles, tel un observateur distant et solidaire à la fois. Il se fait passeur par l’entremise de la littérature, peut-être parce que l’action et le mouvement lui sont interdits. L’intertexte balzacien, qui est implicitement convoqué dans la première moitié du roman[47], lui est plus tard directement associé. Hubert lègue « son » Balzac à Rémi, comme s’il devinait la suite de l’histoire. Tout ducharmien, le dénouement du roman laisse entendre que Rémi remplacera peut-être Hubert[48]. Plusieurs indices sont disséminés dans le texte tels des présages : Fanie lui offre de partager sa maman (VS, 172) ; Mary, malgré ses mouvements de recul et ses discours rationnels, l’encourage de ses plus « beaux yeux » (VS, 217, 264) ; Hubert lui-même s’efface pour lui laisser sa place. « Tu n’as pas perdu Mary… Et tu ne la perdras pas. […] Je fais attention. Je ne te l’abîme pas » (VS, 261), confie-t-il à Rémi lors de leur ultime conversation. Squatteur de naissance, le vavasseur ose penser ensuite, « [on] se met à leur place… On les achève » (VS, 262). Pour triompher de la mort et contrer la disparition, il s’agit donc d’envahir le territoire de l’autre, mais pas de n’importe quel autre. On vole celui qui possède ce que l’on désire, en toute déférence. L’héritier ducharmien, encore une fois, s’adonne à des pillages qui sont autant de preuves, ambiguës sans doute, de son amour et de son admiration. Rémi n’emprunte-t-il pas le pantalon noir d’Hubert pour affronter son premier jour de travail au Château ?

Ça y était, j’étais fin prêt, mon autre vie allait commencer, ma vie sans toi. Ça n’a pas traîné. Le boss ne m’avait pas aussitôt donné mon tablier à monnaie et désigné ma section qu’il me lançait en piste et que je touchais mon premier pourboire : trois gros trente-sous à une table de six.

VS, 254-255

Dans le pantalon d’un autre, endossant un rôle clairement défini cette fois, le narrateur accepte d’adhérer en apparence à la logique capitaliste qui récompense les individus, non pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font.

Discours économiques, relations de pouvoir, hiérarchies sociales, même s’ils envahissent la trame romanesque au point d’en subvertir les langages, sont toujours considérés par le sujet ducharmien avec une certaine distance. Si Va savoir semble se clore sur une note positive — avec toutes les ambiguïtés que cela suppose —, il ne nie nullement le tragique qui constamment affleure et déborde dans les romans ducharmiens. Recyclant la sentence de l’incipit, les dernières phrases du roman possèdent un double sens : « [u]n orphelin de père et de mère. Un pierrot de clocher. C’est dégueulasse. Mais tu l’as dit, ça n’a pas d’avenir, il ne faut pas investir là-dedans » (VS, 267). Au sens strict, Rémi congédie Vonvon, le demi-frère ivrogne de Mary. Orphelin de père et de mère, jaloux et possessif, raté au sens bien ducharmien du terme, Vonvon est le mauvais voisin, celui que l’on chasse et destitue. Mais par ce geste radical, Rémi met aussi à distance sa propre identité passée, sa vie conjugale ruinée tout comme les dettes qu’il a contractées auprès de Mamie. Il prétend enfin à la « souveraineté financière » (VS116), qu’il avait d’ailleurs enseignée à Fanie lors de leurs excursions. L’ironie du dénouement reconduit souterrainement tous les mythes et les clichés associés aux discours néolibéraux de la réussite. Or Va savoir, nous l’avons vu, s’acharne à subvertir ces idées reçues. Si Rémi triomphe de l’adversité, c’est bien parce qu’il est devenu l’héritier involontaire d’un avenir qui ne lui appartenait pas, enfin pas encore. La reprise et le recyclage lui ont permis de procéder à rebours du temps, de transformer les ruines en monuments ; mieux, d’entrevoir dans le gâchis du passé le potentiel à investir. Il ne s’agit plus de produire à tous vents, comme l’exigent les lois du marché, mais bien de prendre, de se servir : « [p]rendre possession des trésors pauvres ou riches de nos parents fait de nous d’odieux pirates, des rapaces impitoyables. Il faut cependant que la maison se vide. Visiblement[49]. »