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Il était sans doute difficile de trouver un titre qui reflète l’ensemble des domaines traités dans ce livre. En effet, une très longue et riche première partie présente de façon critique la littérature généralement regroupée sous le nom de « géopolitique ». Puis une bonne moitié du volume concerne des études de « cas géopolitiques » essentiellement consacrés à l’Asie, complétées enfin par des analyses plus courtes sur des espaces spécifiques : la Terre Québec, les villes clôturées aux États-Unis et les espaces de bandes de rues et des groupes criminalisés au Québec. Mais cette diversité apparaît au fil de la lecture comme un effort logique de réflexion théorique sur un savoir contesté, « la géopolitique », appliqué à des espaces divers mais rarement analysés malgré leur importance contemporaine, notamment en Asie.

Dans leur première partie, les auteurs s’efforcent donc de présenter et de critiquer la production géopolitique qu’ils répartissent en une « École matérialiste », essentiellement germanique et anglo-saxonne, une École française, et un ensemble de géographes politiques plus récents qui visent à sortir ces analyses de présupposés plus politiques que scientifiques, tout en donnant des éléments suffisamment diversifiés pour permettre la compréhension d’un espace politique qui ne se réduise pas à un territoire étatique.

Ce projet les amène à cerner une « méthode en géopolitique » qui combine, en fonction d’une pratique, des éléments et des outils de connaissances. Même si cet objectif pratique n’est pas décrit ici, il déterminerait l’importance accordée aux différents facteurs. Cette méthode consiste, entre autres, à donner toute leur place aux « représentations » sociales de l’espace, tout en soulignant la richesse d’une approche multiscalaire qui s’attache à combiner les échelles, qu’elles soient spatiales (locales, nationales, régionales, mondiales, en réseaux...) ou temporelles (long et court termes, profondeur historique et enjeux des représentations).

Plus qu’un comparatisme, cette « méthode » est alors appliquée à divers espaces ou territoires en Asie : successivement le « Triangle d’or » de Birmanie et ses confins, l’Afghanistan, la mer de Chine du Sud, l’interaction litigieuse entre la Chine et l’Inde, le Cachemire, fournissant ainsi un panorama des principaux espaces de conflictualités dans une zone qui accumule actuellement les populations et les arsenaux les plus impressionnants de la planète. C’est dire l’intérêt de ce parcours qui conduit les auteurs à interroger la réalité d’une représentation passablement médiatique et critiquée pour son schématisme, selon laquelle nous serions entrés dans « l’ère du Pacifique ». Il permet aussi de revenir à une étude plus théorique de la notion de frontière.

La critique des représentations est aussi appliquée à « La quête du territoire de la Nation : la Terre Québec ». Enfin des analyses plus thématiques portent sur les éventuelles « guerres de l’eau » que risquent de provoquer la raréfaction et l’inégale répartition de cette ressource, et les « espaces du quotidien » que constituent les exemples de villes ou de quartiers clôturés aux États-Unis ou partiellement contrôlés par des bandes violentes au Canada.

Si les développements théoriques sur la géopolitique qui ouvrent le livre font preuve d’une grande exhaustivité, c’est peut-être au détriment d’une certaine lisibilité : on peut se demander si tous les auteurs ou les textes cités ne méritaient pas une hiérarchisation, tant il est vrai que la prétendue scientificité du terme « géopolitique » permet de masquer des positions très politiques derrière des affirmations utilisant les différents aspects de la géographie humaine, de la démographie ou des projets de conquêtes économiques... On en vient à souhaiter une « géopolitique des géopolitiques » qui donnerait les clefs, et les importances relatives des représentations avancées, des revues citées. Les philosophies politiques des théoriciens ou parfois des journalistes ou des rédacteurs dont il est fait état expliquent souvent largement leurs positions et leurs analyses. Ce n’est en revanche pas le travers des études très précises, « multiscalaires », fournies par les auteurs dont l’intérêt aurait parfois été encore plus grand si l’effort cartographique avait été réellement rendu par l’éditeur. Même si certaines analyses sont déjà dépassées par les évènements (Afghanistan, Cachemire...), les données fournies et une riche bibliographie, française et anglo-saxonne font de ce livre à la fois un outil de réflexion sur les dimensions politiques de la géographie et surtout sur les principaux espaces d’affrontement en Asie.