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Plusieurs travaux ont montré l’importance que revêt le réseau de relations personnelles dont dispose le dirigeant de PME. Par le lien qu’il maintient entre la PME et son environnement, ce réseau est un élément décisif pour lui procurer une meilleure connaissance des marchés, des informations sur les possibilités de partenariats, un accès aux sources de financement, etc. (Littunen, 2000; Julien, Andriambeloson et Ramangalahy, 2004; Manolova et al., 2007; Ozgen et Baron, 2007; Watson, 2007). Il est frappant de constater que, dans tous ces travaux, le réseau personnel n’est étudié que dans sa capacité à véhiculer des informations et des ressources « en sens unique », depuis l’environnement vers le dirigeant de PME. Or, la littérature plus générale sur les réseaux sociaux souligne également une autre contribution possible, celle d’une diffusion d’informations en sens inverse, depuis l’individu vers l’environnement (Burt 2005). Un individu qui dispose d’un réseau personnel adéquat aura par ce biais le moyen de faire parler de lui (ou de son entreprise) dans un maximum de zones de la structure sociale, augmentant ainsi les chances que des opportunités lui soient proposées.

Pour le dirigeant de PME, ce phénomène peut se traduire très concrètement par le fait d’être recommandé auprès de partenaires potentiels qui ne le connaissent pas ou mal. Cela a déjà été constaté dans plusieurs études de nature qualitative (Uzzi, 1997; Jack, 2005), mais sans qu’il soit possible d’identifier les configurations de réseau qui sont les plus favorables. En effet, tous les dirigeants n’ont pas le même réseau personnel et tous les réseaux personnels ne se valent pas (Ingram et Roberts, 2000; Julien, Andriambeloson et Ramangalahy, 2004; Ozgen et Baron, 2007). Des outils conceptuels issus de la sociologie permettent de décrire les réseaux des dirigeants et d’identifier, à l’aide de tests empiriques, les types de réseaux qui ont le plus de retombées pour l’entreprise. C’est là le premier objectif de cet article, qui mobilise pour cela les concepts de liens faibles (Granovetter, 1973) et de trous structuraux (Burt, 1992).

Un second objectif est d’introduire la personnalité du dirigeant comme un déterminant supplémentaire des effets de recommandations dont bénéficie la PME. Certes, la qualité de ces effets dépend de la manière dont est diffusée l’information au sujet de la PME, en l’occurrence au travers de réseaux sociaux (Coleman, 1990). Mais elle dépend également des caractéristiques de cette information. La littérature sur la construction de la réputation et du statut des entreprises, qu’elle s’appuie sur la sociologie économique (Podolny, 1993) ou l’économie industrielle (Fombrun et Shanley, 1990), nous enseigne que ces processus reposent sur l’émission de certains signaux, qui vont être interprétés plus ou moins favorablement par l’environnement. En reprenant ce vocabulaire de cette littérature, les représentations que se fait l’environnement sur la PME ne dépendent pas seulement des canaux qui véhiculent le signal (ici, le réseau du dirigeant), mais aussi du signal lui-même.

Quel type de signaux particuliers véhiculent les relations personnelles du dirigeant ? Très probablement, des informations sur le dirigeant lui-même, sur sa fiabilité, sur son sérieux, sur ses compétences, etc. En effet, eu égard au poids de cet acteur dans la vie d’une PME, les recommandations faites dans le milieu des affaires vont porter indistinctement sur la PME et sur le dirigeant lui-même. Pour « capter » les caractéristiques de ce signal, nous proposons de décrire le dirigeant de PME au travers de ses traits de personnalité, conceptualisés à partir du big five (Costa et Mccrae, 1992; Digman, 1990). Ces traits vont être perçus par les personnes dans le réseau du dirigeant, à la faveur d’échanges interpersonnels, conduisant ainsi à une volonté plus ou moins forte de leur part de recommander l’entreprise à d’autres personnes. En définitive, ce que nous proposons, c’est une explication des effets de recommandations dont bénéficie la PME, par le jeu combiné du réseau du dirigeant et de sa personnalité.

Dans une première partie, nous identifions le rôle du réseau personnel. Discutant la théorie des liens faibles et celle des trous structuraux, nous posons des hypothèses quant aux configurations de réseaux qui procurent au dirigeant les plus gros effets de recommandations. Nous détaillons également la nécessité de prendre en compte la personnalité comme déterminant de la qualité du signal qui sera véhiculé par le réseau personnel du dirigeant. La deuxième partie présente la méthodologie de la collecte des données et de la mesure des différentes variables. Une troisième partie relate les résultats du test empirique et laisse place à une discussion sur leur portée.

Réseau personnel du dirigeant, personnalité et effets de recommandations de la PME

L’importance des effets de recommandations pour la PME

Pour assurer sa pérennité, une entreprise a besoin d’exister dans l’esprit des acteurs de son environnement. Cet aspect de la vie des organisations a été abordé dans la littérature étudiant la réputation (Fombrun et Shanley, 1990) ou le statut (Podolny 1993) organisationnels. Selon cette littérature, la réputation d’une entreprise s’appuie sur la diffusion d’informations relatives à sa performance passée et présente. Ces informations permettent à des acteurs de l’environnement, notamment des clients potentiels, de se faire une opinion sur l’opportunité (ou pas) d’établir des relations avec l’entreprise. Dans le cas de grandes sociétés, une importante quantité d’informations publiques circulent (performances boursières, part de marché, actions de communication à grande échelle…) et de nombreux travaux ont étudié leur rôle. Peu de recherches, en revanche, se sont intéressées au problème spécifique que rencontrent les PME sur ce point. Certaines s’intéressent à la construction de la réputation par les petites entreprises nouvelles sur un marché. Ainsi, à l’aide d’études de cas, Goldberg et al. étudient les stratégies types suivies par des start-ups israéliennes pour construire une réputation dans leur secteur (Goldberg, Cohen et Fiegenbaum, 2003). Plusieurs éléments sont cités, tels que l’affiliation à des acteurs importants par le biais d’alliances, le renforcement de la qualité des produits, le management de l’image à travers la mise en valeur de clients importants, de distinctions honorifiques reçues par l’entreprise, etc.

Dans d’autres travaux sur la PME, les liens personnels du dirigeant apparaissent comme un élément essentiel de diffusion d’informations favorables. Shane et Cable ont par exemple montré, dans le cas de sociétés en création, que l’obtention de financement de la part d’un capital-risqueur est d’autant plus probable que le dirigeant a un lien personnel direct ou indirect avec lui (Shane et Cable, 2002). Ils montrent que ce mécanisme ne relève en rien d’un certain favoritisme lié à une forme d’obligation sociale, mais à la possibilité pour le capital risqueur de disposer d’informations de première main sur les compétences et le projet du dirigeant. Sur un échantillon d’entreprises déjà installées dans leur secteur depuis de nombreuses années, Jack identifie la mobilisation de liens personnels comme un facteur décisif pour développer la réputation de l’entreprise et obtenir des commandes, par le jeu du bouche à oreille (Jack 2005). Des résultats comparables ressortent de la fameuse étude que fait Uzzi sur l’industrie new-yorkaise de la confection (1997), où l’établissement de relations personnelles par le dirigeant favorise des effets de recommandation se traduisant par des commandes.

Cet effet positif des relations personnelles comme diffuseur d’informations favorables a déjà été conceptualisé dans la littérature sur les réseaux sociaux, dans des problématiques de comportement organisationnel. Burt (1992) explique ainsi qu’un des bénéfices du réseau personnel d’un manager repose sur les effets de recommandations (referrals) sur sa personne. « Le réseau qui filtre l’information qui arrive jusqu’à vous dirige, centralise et légitime des informations qui vous concernent et qui partent en direction des autres » (Burt 1992:14). Seibert et al. (2001) parlent, de manière similaire, du réseau personnel comme un outil pour accroître la « visibilité » de l’individu.

Les bénéfices retirés proviennent tout d’abord du simple fait qu’il est impossible pour une personne d’être partout à la fois et de se faire connaître de tout le monde. « Vos contacts personnels mentionnent votre nom au bon moment et au bon endroit, de sorte que les opportunités vous sont proposées à vous » (Burt 1992 : 14). Par exemple, au moment de pourvoir un poste à responsabilité, si ego[2] dispose d’un alter associé ou consulté dans le processus de décision, celui-ci pourra donner des informations positives sur ego ou répondre à d’éventuelles informations négatives. D’une certaine manière, le réseau représente un effet levier, qui permet à l’individu d’être présent « partout à la fois » dans les discussions. C’est ainsi une dimension quantitative des effets de recommandations : plus mon réseau est riche, plus je dispose de porte-parole qui vont véhiculer des informations vers des gens que je ne connais pas.

Mais au-delà de cet effet de diffusion, la contribution est aussi qualitative et s’évalue en termes de légitimité : non seulement alter distribue de l’information positive concernant ego mais, en plus, celle-ci est plus légitime que si ego la donnait lui-même (Burt 1992:15). Dans l’étude déjà citée, Uzzi observe ainsi des mécanismes de transfert de confiance (1997). Des relations commerciales nouvelles peuvent s’instaurer rapidement entre deux entreprises dont les dirigeants ne se connaissent pas, grâce au rôle d’un intermédiaire. « L’intermédiaire assure deux fonctions : il ou elle répercute les anticipations de comportement d’une relation encastrée existante sur les firmes nouvellement liées et mobilise la réciprocité que lui accorde un partenaire pour la transférer à un autre » (Uzzi, 1997, p. 48). Ces phénomènes de recommandation conduisant à l’établissement des liens commerciaux ont également été constaté par Comet dans le milieu des entreprises du bâtiment (Comet, 2006). Du fait notamment de l’incertitude très forte liée aux qualités des prestations, le bouche à oreille passant par les relations personnelles est un déterminant essentiel de l’obtention de commandes.

Le réseau personnel du dirigeant a donc des retombées favorables sous la forme de recommandations qui se traduisent, entre autres, par l’établissement de nouvelles relations commerciales. Ceci étant dit, tous les dirigeants n’ont pas les mêmes réseaux personnels et certains d’entre eux parviennent à en tirer plus de bénéfices que d’autres. La section suivante vise à éclaircir ces différences.

Figure 1

La théorie des trous structuraux

La théorie des trous structuraux

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Liens faibles, trous structuraux et effets de recommandation

Il existe une littérature abondante sur la manière dont les caractéristiques du réseau personnel d’un individu conditionnent son accès à certaines informations et ressources. Deux dimensions se sont affirmées comme des déterminants importants : les trous structuraux et la force des liens.

Une première intuition serait que, pour bénéficier du meilleur accès aux ressources ainsi que des meilleurs effets de recommandations, on a intérêt à avoir le plus de contacts directs possibles. Toute la théorie de Burt est bâtie par opposition à cette intuition. Pour Burt, ce qui est déterminant ce n’est pas le nombre de contacts, mais le nombre de contacts non redondants. « Deux contacts sont redondants lorsqu’ils donnent accès aux mêmes personnes, et procurent ainsi les mêmes bénéfices en informations » (Burt 1992:17). L’auteur introduit la notion de trou structural qui est un vide entre contacts non redondants. Par exemple, sur la figure 1, ego a plusieurs trous structuraux dans son réseau. L’absence de lien entre Julie et Vincent, par exemple, correspond à une situation où ces deux contacts connectent ego à des cliques différentes. A contrario, Tanguy et Cyprien sont des contacts redondants, qui se connaissent, appartiennent à la même clique et conduisent aux mêmes contacts indirects.

Ainsi, lorsqu’un dirigeant dispose d’un réseau riche en trous structuraux, il est connecté à des zones très variées de la structure sociale, garantissant ainsi que les informations sur son entreprise soient diffusées à un maximum d’individus. A contrario, un dirigeant disposant d’un réseau très dense où, à l’extrême, tout le monde se connaît, ne pourra que difficilement diffuser de l’information sur son entreprise au-delà de son réseau de contacts directs.

Les travaux empiriques testant cette théorie sont très nombreux (Burt, 1992, 2004; Mcevily et Zaheer, 1999; Seibert, Kraimer et Liden, 2001; Reagans, Zuckerman et Mcevily, 2004). Cela dit, ils se contentent de tester l’effet des trous structuraux sur divers critères (progression de carrière, performance individuelle au travail, créativité, performance des équipes projets, etc.), sans qu’il soit possible d’isoler l’effet dû à l’accès que donne le réseau à des informations et des ressources, de l’effet dû au fait que le réseau diffuse des informations favorables et recommande ego. Une seule recherche, à notre connaissance, se rapproche de la question de la diffusion d’informations favorables, dans un contexte organisationnel. Mehra, Dixon et Brass montrent ainsi que la réputation dont jouit un manager en matière de leadership est influencée positivement par sa centralité dans les réseaux d’amitiés de l’organisation, suivant une argumentation très proche de la théorie des trous structuraux (Mehra et al., 2006).

H1 : Plus le réseau du dirigeant est riche en trous structuraux, plus la PME bénéficie d’effets de recommandation.

Une autre caractéristique importante du réseau personnel du dirigeant est la force des liens qui y sont entretenus. L’argument initial de Granovetter (1973) est celui d’une force des liens faibles. Les liens forts ont tendance, remarque Granovetter, à être transitifs : si un dirigeant a un lien fort avec A et avec B, il est fort probable que se développe un lien entre A et B. Ce principe, si on l’applique à tout le portefeuille de relations du dirigeant, conduit à ce que les individus disposant surtout de liens forts ont tendance à être dans des réseaux plutôt denses, au sein desquelles les ressources circulent « en circuit fermé ». L’individu aurait donc intérêt à tisser des liens faibles, c’est-à-dire avec des alter peu connus situés dans d’autres groupes sociaux. Cet argument, très proche de celui de Burt (il suppose finalement qu’il existe des trous structuraux entre des liens faibles, non entre des liens forts), est contrebalancé dans la littérature par le fait que les liens faibles sont des liens dont il n’est pas aisés de tirer des ressources (voir par ex. Ingram et Roberts, 2000; Uzzi et Lancaster, 2003) .

Sur la base d’arguments similaires, nous pensons qu’il est plus probable qu’alter recommande l’entreprise d’ego si le lien qui existe entre les deux est fort plutôt que faible. Premièrement, la présence de liens faibles réduit la probabilité que les alter dans le réseau soient fortement motivés à diffuser l’information. Un lien fort, à contrario, est souvent associé à une situation de motivation à apporter un soutien à l’autre (Krackhardt, 1992). Deuxièmement, un lien fort correspond généralement à une meilleure connaissance par alter des ressources et compétences dont dispose ego (Borgatti et Cross, 2003), ce qui augmente la probabilité qu’il diffuse des informations à son sujet. A contrario, un lien faible, qui connaît mal ego, a peu de chances de disposer d’informations substantielles à diffuser. Troisièmement, un alter avec lequel ego a un lien fort va plus facilement « biaiser » les informations relatives à ego vers les éléments le mettant en valeur, filtrant les informations, ne relayant que les plus favorables. Ce phénomène s’explique par la tendance à surestimer les qualités de nos liens forts par rapport à celles de nos liens faibles, du fait sans doute de l’enjeu émotionnel qui y est associé (Gershoff et Johar, 2006). Ces arguments fournissent donc une explication à certains résultats tels que ceux de Jack (2005), qui montre, lors d’une étude qualitative de 14 entrepreneurs, que ceux-ci s’appuient sur leurs liens forts, familiaux et amicaux, plutôt que sur des liens faibles, pour construire la réputation de leur entreprise.

H2 : Plus les liens sont forts dans le réseau du dirigeant, plus la PME bénéficie d’effets de recommandation.

Personnalité du dirigeant et effets de recommandation

Concevant le réseau comme un support efficace de circulation d’informations, la littérature sur les réseaux sociaux offre donc un cadre adapté pour expliquer les effets de recommandation dont bénéficie la PME. Meilleur est le réseau du dirigeant, meilleure sera la diffusion d’information. Mais quelle information va circuler ? Une information qui a un large potentiel de diffusion (grâce au réseau) n’a pas les mêmes retombées pour l’individu selon qu’elle lui est favorable ou défavorable. Ainsi, si le potentiel de diffusion est un élément important, le contenu de l’information susceptible d’être diffusée en est un autre.

Ce constat, qui commence à émerger dans certains travaux récents (Burt, 2005), conduit logiquement à tâcher de mieux prendre en compte les particularités des acteurs dont on étudie les réseaux personnels. En effet, c’est en fonction des caractéristiques et des comportements d’un individu que va se construire la représentation que s’en font les membres de son réseau. De là viendra que des informations favorables circuleront ou pas dans la structure sociale.

Dans ce travail, nous avons retenu les traits de personnalité comme caractéristiques fondamentales du dirigeant. Nous pensons en effet que les différences de personnalité entre les dirigeants sont liées à des différences de comportements, et que ces différences expliquent que le réseau du dirigeant diffuse ou pas des informations favorables à son sujet. Plusieurs travaux justifient ce choix. Ciavarella et al. ont montré que les traits de personnalité du dirigeant influent sur les chances de survie de son entreprise (Ciavarella et al., 2004). De même, l’orientation entrepreneuriale du dirigeant a été identifiée comme un construit explicatif de la performance (Covin et Slevin, 1989; Becherer et Maurer, 1999). Ces recherches soutiennent l’idée suivant laquelle la personnalité du dirigeant se traduit par des choix et des comportements qui ont des conséquences sur le devenir de la PME. Il est donc fort probable que le jugement véhiculé, au travers de recommandations, dans le milieu des affaires, porte indistinctement sur la PME et sur le dirigeant lui-même.

De très nombreux concepts sont disponibles pour caractériser la personnalité d’un individu. Nous avons retenu les big five (Costa et Mccrae, 1992; Digman, 1990; Zhao et Seibert, 2006), modèle global permettant de mesurer en cinq traits la personnalité d’un individu. Il comprend les dimensions suivantes : caractère agréable, caractère consciencieux, extraversion, stabilité émotionnelle et ouverture à l’expérience. Cet outil conceptuel a l’avantage d’avoir été très largement éprouvé en psychologie. En outre, il offre une distinction assez nette entre des traits de personnalité susceptibles d’être interprétés très négativement par des personnes en relation avec l’individu, et d’autres qui devraient être interprétés positivement.

Nous présenterons brièvement chacun de ces traits (Zhao et Seibert, 2006). Premièrement, les personnes ayant un fort score sur la dimension caractère agréable sont qualifiées de confiantes envers les autres, d’altruistes et prennent soin des autres. A l’opposé, les individus ayant un faible score sont décrits comme étant manipulateurs, centrés sur eux, méfiants et peu doués de compassion. Deuxièmement, la dimension caractère consciencieux indique le degré d’organisation de l’individu, sa persévérance, sa motivation à poursuivre ses buts. Les personnes ayant un faible score sont désorganisées et se laissent rapidement gagner par le découragement. Troisièmement, l’extraversion est une tendance de l’être humain à se tourner vers le monde extérieur. Les individus extravertis sont affirmés, dominants, énergiques, actifs, bavards et enthousiastes; ils aiment la vie de groupes et recherchent la stimulation au travers du contact avec autrui. Les personnes qui sont faiblement extraverties préfèrent passer plus de temps seules et sont plutôt réservées et indépendantes. Quatrièmement, l’individu ayant de faibles scores sur la dimension stabilité émotionnelle est sujet à l’anxiété, à la dépression, à l’impulsivité (Costa et McCrae 1990). En revanche, l’individu ayant un score élevé sur cette dimension a confiance en lui, est calme, tempéré et généralement détendu. Cinquièmement, l’ouverture à l’expérience caractérise des individus curieux, qui sont à la recherche de nouvelles expériences et explorent des idées originales. Un individu ayant un fort score sur cette dimension est créatif, innovant, imaginatif, réfléchi et non-conventionnel.

Une littérature conséquente s’est développée pour montrer l’impact de ces traits sur certains comportements (Paunonen 2003; Lee, Ashton et Shin, 2005), sur le statut social des individus (Anderson et al., 2001) ou sur la performance au travail (Hurtz et Donovan, 2000; Judge et Ilies, 2002; Ones et al., 2007). Si le caractère consciencieux se révèle être un facteur explicatif particulièrement puissant, il ressort des méta-analyses que les quatre autres traits agissent généralement dans le même sens : caractère agréable, extraversion, stabilité émotionnelle et ouverture aux expériences, lorsqu’ils ont un poids explicatif, jouent positivement sur la performance individuelle.

Il est important de noter que dans la plupart de ces travaux (voir par exemple la synthèse de Ones et al. 2007), la performance renvoie en fait à une évaluation opérée par les supérieurs de l’individu. Ainsi, les cinq traits de personnalité semblent moins jouer sur la performance objective de l’individu que sur le jugement plus ou moins favorable que portent sur lui certains acteurs. De ce point de vue, l’hypothèse d’un effet positif de ces traits du dirigeant sur le niveau de recommandations dont bénéficiera la PME se justifie d’autant plus : nous avons affaire ici à des traits qui devraient être perçus positivement et, partant, donner plus facilement lieu à une diffusion d’informations favorables de la part des membres du réseau personnel du dirigeant.

H3 : Plus le dirigeant est agréable, consciencieux, extraverti, stable émotionnellement et ouvert aux expériences, plus la PME bénéficie d’effets de recommandation.

Au final, le modèle que nous proposons pour expliquer le niveau de recommandations dont bénéficie une PME se présente tel que sur la figure 2.

Figure 2

Le modèle proposé pour expliquer les effets de recommandations de la PME

Le modèle proposé pour expliquer les effets de recommandations de la PME

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Ce modèle mentionne également l’hypothèse d’un effet d’interaction (H4 et H5). Il s’agit de pousser plus loin la logique d’un effet combiné du réseau et de la personnalité. Si le réseau est un levier de diffusion d’informations favorables, son effet sur le niveau de recommandations devrait varier selon que le signal qu’il est susceptible de véhiculer est positif ou négatif. Un dirigeant a certes, de manière générale, intérêt à disposer d’un réseau assurant une bonne diffusion, mais il y a d’autant plus intérêt que le signal est positif. Autrement dit, les traits de personnalité de l’acteur vont jouer un rôle d’amplification de l’effet positif des trous structuraux et des liens forts. Ainsi, l’effet du réseau sur le niveau de recommandation est modéré par la personnalité du dirigeant.

H4 : L’impact positif des trous structuraux sur le niveau de recommandations est d’autant plus élevé que le dirigeant est agréable, consciencieux, extraverti, stable émotionnellement et ouvert aux expériences.

H5 : L’impact positif des liens forts sur le niveau des recommandations est d’autant plus élevé que le dirigeant est agréable, consciencieux, extraverti, stable émotionnellement et ouvert aux expériences.

Méthodologie et données

Les mesures utilisées

La mesure du niveau de recommandations de la PME

Comme nous l’avons dit, le phénomène de recommandations dont bénéficient les PME par le biais du bouche à oreille a été étudié de manière plutôt qualitative jusqu’à présent (Uzzi 1997, Jack 2005). En l’absence d’outils de mesure, des échelles ont été développées pour mesurer le niveau de recommandations de la PME. Pour assurer une certaine consistance de cette première échelle de mesure, nous avons choisi de nous concentrer sur un type particulier de recommandations : celles qui sont adressées spécifiquement à des clients potentiels.

Ces recommandations ont en effet été identifiées comme particulièrement importantes pour les PME, lors de 15 entretiens exploratoires réalisés auprès de dirigeants. Nous avons établi un ensemble d’items, qui ont été pré-testés auprès de chercheurs en sciences de gestion mais également de dirigeants correspondant à la population cible. Le niveau de recommandations de la PME a été mesuré à l’aide de 6 items, dont 4 seulement ont été retenus à l’issue d’une série de factorisations utilisant la méthode des analyses en composantes principales, avec rotation varimax. La variance expliquée s’élève à 70,8 %. Les items retenus sont : « on recommande mon entreprise auprès de clients », « on conseille vivement certaines entreprises de travailler avec mon entreprise », « mon entreprise décroche des contrats parce qu’elle est reconnue », « ma société jouit d’une bonne réputation dans son domaine d’activités ». Sur les données collectées, la mesure présente un alpha de Cronbach satisfaisant, de 0,862.

Notre mesure s’entend donc comme un niveau de recommandations global perçu dans l’environnement par le dirigeant. Cela pose naturellement des questions légitimes quant à la validité de la mesure, comme à chaque fois qu’une forme de performance d’un individu est auto-évaluée (Schoorman et Mayer 2008). Une des conditions principales pour considérer qu’il est recevable d’adopter une telle mesure du niveau de recommandation, c’est qu’un dirigeant soit capable, lorsque son entreprise reçoit une commande, de savoir si cette commande provient d’une recommandation de tiers. Au vu de l’échantillon, composé majoritairement de PME de moins de 50 salariés, nous pensons que cette condition a de bonnes chances d’être remplie.

Une démarche alternative pourrait certes consister à mesurer la perception moyenne de la PME par les acteurs du secteur, avec dans ces conditions d’évidents problèmes de faisabilité. Une autre possibilité serait également d’interroger les membres du réseau du dirigeant afin de mesurer leur comportement de recommandation. Cependant, l’existence d’un tel comportement n’implique pas forcément des retombées favorables pour la PME. Précisément, selon la forme du réseau, ces recommandations sont plus ou moins diffusées et amplifiées dans le secteur, conduisant à plus ou moins de résultats pour la PME.

L’utilisation de générateurs de noms

Pour construire les variables portant spécifiquement sur le réseau des répondants, la technique de collecte utilisée est celle du générateur de noms. Le principe est que le répondant cite les personnes avec qui il a des contacts sur différents types de contenu (amitié, conseils, etc.). Sur la base des travaux antérieurs, nous avons construit des générateurs de noms adaptés au contexte de la direction de PME. Le répondant est invité à donner les noms ou initiales des contacts qu’il mobilise sur cinq types de contenu : (1) personnes consultées pour des décisions importantes, (2) pour des échanges d’informations sur la concurrence, (3) pour recruter un collaborateur, (4) pour résoudre un problème technique, (5) enfin, une rubrique plus ouverte : « manque-t-il quelqu’un d’important ? ». Au total, le répondant peut entrer 18 noms. Les différents noms cités constituent un ensemble au sujet duquel le répondant va ensuite devoir répondre à diverses questions. Cette technique fait donc appel à la mémoire du répondant pour établir les caractéristiques de son réseau. Ses biais possibles ont fait l’objet de diverses discussions (Brewer 2000). Il en ressort que, moyennant quelques précautions méthodologiques, elle est particulièrement pertinente pour ce qui est de mesurer les liens récurrents et « typiques » du réseau d’un individu, même plus valide semble-t-il que certaines techniques s’appuyant sur des mesures « objectives » (XXX). A contrario, elle est moins efficace lorsqu’il s’agit de mesurer certaines interactions précises, situées dans le temps : c’est là que les biais liés à la mémoire posent le plus de problèmes.

La mesure de la variable trous structuraux

L’idée générale de trou structural peut être mesurée par diverses variables. La mesure qui semble être la plus utilisée est la contrainte, qui évolue inversement avec le nombre de trous structuraux dans le réseau. C’est la mesure dans laquelle l’ensemble des relations d’ego avec ses alter impliquent directement ou indirectement un même alter (pour les détails sur son mode de calcul, voir Burt 1992 : 54-55). Elle exprime donc la mesure dans laquelle ego est entouré d’individus qui sont eux mêmes en relations avec d’autres personnes de son réseau. A cet égard, elle est généralement très corrélée avec la densité du réseau. A partir des renseignements fournis par le répondant sur l’existence de liens entre tous les alter de son réseau déclarés dans les générateurs de noms, les valeurs de la contrainte ont été calculées à l’aide du logiciel UCINET VI (Borgatti, Everett et Freeman, 2002). Pour disposer d’une variable en accord avec le sens de l’hypothèse H1, nous avons constitué la variable trous structuraux, correspondant à 1-contrainte, à l’instar d’autres auteurs (Mcevily et Zaheer, 1999, Rodan et Galunic, 2004).

La mesure de la variable liens forts

On distingue de nombreuses façons de mesurer la force des liens (Marsden et Campbell, 1984). Les deux mesures les plus régulièrement rencontrées sont la fréquence d’interaction et la proximité émotionnelle ; c’est cette dernière que nous avons retenue. Marsden et Campbell (1984) montrent, en effet, qu’elle semble offrir la plus grande validité. En particulier, la fréquence d’interaction est souvent un corrélat d’éléments sans rapport avec la force d’un lien (proximité géographique, par exemple). Dans notre outil de collecte, le répondant devait positionner chaque contact cité sur une échelle comprenant les modalités (définies dans le questionnaire, reprises et adaptées de Burt 1992) : « pas du tout proche », « peu proche », « assez proche », « proche ». La variable liens forts est mesurée par la moyenne des scores obtenus sur tous les alter cités par le répondant.

La mesure des traits de personnalité

Les échelles du big five ont été de multiples fois testées et validées. Le site de l’IPIP (International Personality Item Poolhttp://ipip.ori.org/ipip/), développé par les principaux chercheurs dans le domaine, regroupe les traductions des items généralement utilisés dans plusieurs dizaines de langues, dont le français. Nous avons repris ces items et avons sélectionné certains d’entre eux. En effet, selon les versions, pour chaque dimension, il est proposé entre 10 et 20 items. Nous souhaitions en intégrer uniquement six pour ne pas surcharger notre questionnaire et maximiser ainsi le taux de retour, face à une population cible disposant de très peu de temps pour répondre. Les relectures par huit chercheurs en sciences de gestion, ainsi que par dix professionnels, ont permis de nous assurer de la bonne compréhension des items retenus. Après factorisation, il est apparu que seule la dimension stabilité émotionnelle présentait une structure bi-dimensionnelle. De manière assez nette, les deux dimensions sont la stabilité émotionnelle liée à l’impulsivité et la stabilité émotionnelle liée au stress. Les variables de personnalité sont donc au nombre de six : les deux précitées (respectivement αCronbach=0,766 et α=0,756), le caractère agréable (α=0,812), consciencieux (α=0,776), l’extraversion (α=0,761) et l’ouverture aux expériences (α=0,757).

Les variables de contrôle

Afin de ne pas sous-spécifier le modèle et de mettre en évidence le poids significatif des variables intervenants dans les hypothèses, il est nécessaire de contrôler l’effet d’autres variables. A partir de la littérature proche de notre problématique (McEvily et Zaheer, 1999; Rodan et Galunic, 2004) et de nos entretiens, nous avons jugé utile d’intégrer les variables de contrôle suivantes : le sexe de l’individu, l’ancienneté dans l’entreprise, le niveau de diplôme, la taille de l’entreprise, sa localisation et son secteur d’activité.

La collecte et la description des données

Les hypothèses ont été testées sur un échantillon de 405 dirigeants de PME, grâce à une collecte en ligne utilisant un outil de collecte spécialement développé pour les enquêtes sur les réseaux personnels. Nous avons procédé par envoi de courriels auprès de deux bases de données afin de communiquer l’URL de l’hébergement du questionnaire. Notre échantillon est un échantillon de convenance et ne prétend pas garantir le caractère généralisable des résultats à l’ensemble de la population des PME françaises. La première base de données utilisée associe deux sources de la Haute-Savoie : la chambre de commerce et d’industrie de ce département et Thésame, association en charge du pôle de compétitivité Arve-Industries. Elle a permis l’envoi de 1581 courriels. Le taux de retour pour cette première base est de 8 %. La seconde base, France Prospect E-mail Janvier 2007, comptait environ 10000 courriels de PME de moins de 250 salariés, toutes localisées en France métropolitaine. Le taux de retour pour cette base est de l’ordre de 4 %.

En tout, 508 questionnaires utilisables ont été renseignés. Cependant, une variable de contrôle a révélé que 103 de ces répondants n’étaient pas le dirigeant de la PME interrogée, mais un responsable de niveau inférieur (responsable marketing, production, etc.). Ils ont été ôtés de la base, conduisant à un effectif de 405 répondants. Sur ces 405 répondants, 102 sont situés au sein d’une zone géographique spécifique, la Technic Vallée, en Haute-Savoie, territoire particulièrement riche en entreprises de mécanique et mécatronique. La variable mesurant la localisation de l’entreprise incluse dans le modèle permet de prendre en compte cette particularité de l’échantillon.

Le tableau 1 présente les principales statistiques descriptives relatives aux variables utilisées dans les traitements (moyennes, écarts-types, corrélations bi-variées). On peut relever que l’échantillon est dominé par des entreprises de petite taille (44,9 % ont moins de 10 salariés, 40,2 % moins de 50, le reste se situant entre 50 et 250 salariés). L’échantillon semble donc très adapté pour tester nos hypothèses, celui-ci étant composé essentiellement d’entreprises dont le devenir est très dépendant de l’action du dirigeant. Au total, 59 % appartiennent à un secteur industriel, dont principalement la métallurgie (12,6 % de l’ensemble de l’échantillon), la mécanique (6,4 %), l’électrique et l’électronique (11,1 %), la chimie et plasturgie (9,9 %). L’échantillon est composé à 20 % de dirigeants femmes. Enfin, 47,7 % des dirigeants de l’échantillon disposent d’un niveau d’études supérieur ou égal à bac+4, 30,6 % égal à bac+2 ou bac+3.

Tableau 1

Les moyennes, écart-types et corrélations[1]

Les moyennes, écart-types et corrélations1
1

Les variables 2 à 11 sont des variables dichotomiques, prenant 1 ou 0. Par conséquent, le chiffre inscrit dans la rubrique « moyenne » correspond à la proportion des observations ayant une valeur 1. Par exemple, pour la variable « dirigeant femme », le chiffre 0,20 signifie que l’échantillon comprend 20% de femmes.

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Tableau 2

La qualité globale du modèle

La qualité globale du modèle

Modèle 1 : Variables de contrôle individuelles + variables de contrôle organisationnelles

Modèle 2 : Variables de contrôle individuelles + variables de contrôle organisationnelles + variables de réseau

Modèle 3 : Variables de contrôle individuelles + variables de contrôle organisationnelles + variables de réseau + variables de personnalité

Modèle 4 : Variables de contrôle individuelles + variables de contrôle organisationnelles + variables de réseau + variables de personnalité + (variables de réseau*variables de personnalité)

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Tableau 3

Les résultats de la régression sur la variable niveau de recommandations

Les résultats de la régression sur la variable niveau de recommandations
2

La significativité des t de Student se lit de la manière suivante : *** p < 0,01 ; ** p < 0,05 ; * 0,05 < p < 0,10

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Les résultats empiriques

Les hypothèses ont été testées à l’aide de régressions hiérarchiques. La section ci-après traite des hypothèses sur l’effet du réseau et de la personnalité. La section suivant celle-ci analyse les effets d’interaction entre réseau et personnalité.

L’effet du réseau personnel et de la personnalité

L’introduction des variables par bloc, c’est-à-dire suivant une logique de régression hiérarchique, nous permet d’observer que l’ajout des variables de réseau (modèle 2 du tableau 2) et de personnalité (modèle 3) contribue significativement au pouvoir explicatif du modèle.

Un premier examen du tableau 3 montre que les hypothèses H1 et H2 sont corroborées (modèle 2). Plus le dirigeant dispose de liens forts dans son réseau, plus les retombées en termes de recommandations seront importantes pour la PME. De même, conformément à la théorie de Burt (1992), plus le dirigeant a un réseau riche en trous structuraux, plus la PME bénéficie de recommandations.

Deuxièmement, H3 est partiellement validée (modèle 3). Quatre des six variables de personnalité ont un effet direct sur le niveau de recommandations. Conformément à notre hypothèse, le caractère consciencieux du dirigeant constitue un signal positif, qui favorise la diffusion d’informations favorables. De la même manière, on comprend qu’un dirigeant prenant soin d’autrui (caractère agréable) a plus de chances de bénéficier de diffusions d’informations favorables par les personnes qui le connaissent, qu’un dirigeant ayant un score faible sur cette dimension.

Ceci étant dit, le poids explicatif le plus important vient de la variable extraversion et, surtout, de l’ouverture à l’expérience. Cette spécificité fait écho à certains travaux en psychologie, indiquant que ces traits contribuent à un même facteur de niveau conceptuel supérieur, appelé « facteur Beta » (Digman, 1997, Ones, Viswesvaran et Dilchert, 2005). De manière générale, extraversion et ouverture aux expériences ont en commun d’être tournées vers l’importance attribuée par l’individu à l’action et le fait pour lui d’être en interaction permanente avec son environnement.

Ces résultats confirment donc l’approche que nous proposons des effets de recommandations, comme d’une combinaison du potentiel de diffusion d’informations relatives à la PME (selon le réseau du dirigeant) et du caractère plus ou moins favorable de ces informations (selon la personnalité).

Approfondissements sur les effets d’interaction entre réseau et personnalité

Le modèle 4 (tableaux 2 et 3) comprend l’ensemble des variables précédentes, plus les produits des variables de personnalité et de réseau[3]. Dans le but de mieux se représenter les effets d’interaction constatés dans les résultats, nous les avons mis en évidence graphiquement, suivant la démarche recommandée par Aiken et West (Aiken et West, 1991). Ces représentations utilisent les coefficients non-standardisés pour établir la pente de la régression en envisageant trois cas : celui où la valeur de la variable modératrice est élevée (située à 1 écart-type au dessus de la moyenne), celui où elle est faible (1 écart-type au dessous) et celui où elle est égale à la moyenne. Nos résultats concernent deux traits de personnalité : le caractère consciencieux et l’ouverture à l’expérience.

Il apparaît qu’un réseau constitué de liens forts améliore le niveau de recommandations d’autant plus fortement que le dirigeant est très ouvert aux expériences. Lorsque, a contrario, il est faiblement ouvert aux expériences, la variable liens forts n’a pratiquement pas d’effet sur le niveau de recommandations. Ce résultat corrobore l’hypothèse H5, selon laquelle le caractère ouvert aux expériences accroît l’effet de diffusion engendré par l’existence de liens forts dans le réseau. Il conforte l’idée suivant laquelle le potentiel de diffusion d’informations (le réseau) a d’autant plus d’effets que le signal qu’il s’agit de diffuser (trait de personnalité) est positif.

Figure 3

L’effet d’interaction entre l’ouverture à l’expérience et les liens forts

L’effet d’interaction entre l’ouverture à l’expérience et les liens forts

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Le caractère plus ou moins consciencieux du dirigeant, quant à lui, conditionne à la fois l’effet des trous structuraux et des liens forts. L’effet bénéfique des trous structuraux joue d’autant plus que le dirigeant est peu consciencieux (figure 4). Il existe donc bien un effet modérateur, mais opposé à celui qui était attendu.

Figure 4

L’effet d’interaction entre le caractère consciencieux et les trous structuraux

L’effet d’interaction entre le caractère consciencieux et les trous structuraux

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Ce résultat semble indiquer que le réseau joue un rôle « d’aggravation » de la réputation du dirigeant. C’est ce qui est qualifié par Burt de phénomène d’écho (Burt 2005). Dans un réseau dense (à gauche, sur le repère de la figure 4), un signal négatif (caractère faiblement consciencieux), donne lieu à très peu de diffusions d’information favorables : en effet, les traits jugés négatifs vont être facilement connus par les personnes en contact avec le dirigeant, par effet de recoupement. En outre, s’appuyant sur des travaux de psychosociologie, Burt défend l’idée que ces avis négatifs sont non seulement diffusés mais amplifiés, exagérés au gré des conversations (Burt 2005). Un dirigeant faiblement consciencieux a donc intérêt à avoir beaucoup de trous structuraux dans son réseau (à droite sur la figure 4), situation dans laquelle, le signal négatif va perdre de son intensité, car il ne sera pas repris au fil de conversations entre les personnes pour qui le dirigeant est une connaissance commune (Burt 2005). A contrario, un dirigeant très consciencieux bénéficiera de ce phénomène, ce caractère positif se renforçant avec la densité de son réseau (pente légèrement négative lorsque l’individu est fortement consciencieux) : le signal positif que représente son trait de personnalité est diffusé et amplifié au gré des conversations entre personnes pour qui il est une connaissance commune.

Enfin, l’effet positif attendu des liens forts joue surtout pour les dirigeants peu consciencieux. Lorsque l’on considère des dirigeants ayant surtout des liens faibles (à gauche sur la figure 5), il apparaît que le caractère faiblement consciencieux est un signal négatif, qui limite la diffusion d’informations favorables. Les dirigeants très consciencieux bénéficient alors logiquement de plus de recommandations que les autres. Mais lorsque le réseau du dirigeant est constitué essentiellement de liens forts (à droite sur la figure 5), ceux-ci ont probablement tendance à ignorer les aspects négatifs du comportement du dirigeant, diffusant « malgré tout » des informations favorables. Le réseau constitué de liens forts va donc jouer un rôle de levier pour augmenter le niveau de recommandations de la PME du dirigeant ayant un caractère faiblement consciencieux. En revanche, les dirigeants fortement consciencieux ont le même niveau de recommandations quelle que soit la force des liens dans leur réseau.

Figure 5

L’effet d’interaction entre le caractère consciencieux et les liens forts

L’effet d’interaction entre le caractère consciencieux et les liens forts

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Ainsi, l’hypothèse H5 est partiellement validée et H4 est non validée. Les résultats révèlent que l’effet modérateur n’est pas le même suivant le trait de personnalité que l’on considère : l’ouverture à l’expérience augmente bel et bien l’effet positif des liens forts ; en revanche, le caractère consciencieux atténue cet effet positif. Cela ne signifie pas qu’un dirigeant très consciencieux aura un moindre niveau de recommandations, mais plutôt que ce niveau ne dépend pas, dans ce cas, de son réseau. Plus le dirigeant est consciencieux, en somme, et moins le niveau de recommandations de sa PME dépend de son réseau. Alors que plus le dirigeant est ouvert aux expériences et plus le niveau de recommandations de sa PME dépend de son réseau. Ce résultat élargit la portée de notre travail, en montrant que, si la personnalité est un facteur de contingence pertinent de l’effet du réseau, la contingence en question est très différente selon le trait considéré.

Tableau 4

Les hypothèses corroborées et non corroborées

Les hypothèses corroborées et non corroborées

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Discussion

Les commandes qui s’adressent à une PME sont en partie le résultat de recommandations de tiers et d’un mécanisme de bouche à oreille. Ce phénomène a déjà été décrit dans plusieurs recherches qualitatives sur les PME (Uzzi, 1997; Jack, 2005). Cet article avait pour objectif de dépasser le stade du constat pour tenter d’expliquer le fait que certaines PME bénéficient de plus gros effets de recommandations que d’autres. Nous avons proposé pour cela une approche expliquant le niveau de recommandations dont bénéficie la PME comme le résultat d’un signal plus ou moins positif (la personnalité du dirigeant) et d’un potentiel de diffusion de ce signal plus ou moins important (réseau du dirigeant). La pertinence de cette approche combinée a été partiellement confortée par une étude empirique sur 405 dirigeants de PME.

Naturellement, ce travail comporte un certain nombre de limites, dont il faut être conscient. Premièrement, il s’appuie sur un échantillon dit de convenance, qui ne permet pas de garantir la généralisabilité des résultats à l’ensemble des PME. Deuxièmement, l’utilisation d’auto-évaluations par les dirigeants pour mesurer les variables peut également faire peser certains risques de biais. Par exemple, un biais de désirabilité sociale pourrait inciter les répondants à survaloriser leurs traits de personnalité par rapport à la réalité. En outre, la représentation qu’ont les dirigeants du niveau de recommandations de leur PME pourrait être affectée par leur propre personnalité. Plus précisément, il est possible que deux dirigeants disposant d’un même niveau de recommandations « réel » rapportent des niveaux différents dans le questionnaire, du fait des particularités de leurs traits de personnalité. Une démarche alternative pourrait consister à mesurer le niveau de recommandations perçu par des acteurs de l’environnement plutôt que par le dirigeant lui-même. Enfin, l’introduction de variables de contrôle relatives à la qualité de l’offre de l’entreprise et à sa performance financière permettrait de vérifier l’impact de ces éléments sur les effets de recommandations dont bénéficie la PME. En effet, des prestations de qualité et une bonne santé financière sont autant de points forts qui, sans aucun doute, pourront favoriser la diffusion d’informations positives sur l’organisation.

Malgré ces limites, l’article représente plusieurs apports. Sur un plan managérial, il montre l’impact du réseau personnel et suggère du même coup que les dirigeants doivent y porter attention. Tous les réseaux ne se valent pas et nous montrons que le fait de disposer de liens forts ainsi que d’un réseau riche en trous structuraux sont des éléments bénéfiques. Concrètement, le dirigeant doit entretenir ses liens forts et les mobiliser pour que ceux-ci véhiculent des informations positives à son sujet auprès de leurs alter. En outre, le dirigeant doit veiller, dans le cas où son réseau est constitué de liens forts, à ce que ces liens soient établis avec des alter situés dans des groupes sociaux différents les uns des autres.

D’un point de vue théorique, nos résultats confortent la théorie des trous structuraux. En particulier, ils insistent sur le fait qu’il existe un effet de diffusion d’informations lié aux réseaux riches en trous structuraux, là où la plupart des travaux testant cette théorie ont insisté sur la circulation d’informations en sens inverse, depuis l’environnement vers l’individu. Nous apportons également des éléments pour conforter une théorie de la force des liens forts, faisant écho à la théorie de la force des liens faibles (Granovetter 1973). Là aussi, le fait d’étudier l’impact de la force du lien sur la possibilité qu’elle offre de diffuser de l’information et non pas seulement d’en acquérir, nous semble constituer un apport réel.

De manière générale, notre travail contribue aux efforts actuels pour dépasser une vision « universaliste » selon laquelle une même configuration de réseau (par exemple, nombreux liens faibles) conduirait systématiquement aux mêmes retombées (par exemple, accès à des informations). Après un premier courant visant à montrer les effets du réseau, nous voyons apparaître des travaux montrant que ces effets sont soumis à de multiples facteurs de contingence. Ce qu’un acteur peut retirer d’un réseau donné dépend en réalité de multiples facteurs, dont il faut essayer de saisir la complexité (Huault, 2004). A ce titre, plusieurs recherches avaient jusqu’à présent exploré les liens entre personnalité et composition des réseaux personnels (Burt, Jannotta et Mahoney, 1998; Mehra, Kilduff et Brass, 2001; Thompson, 2005; Kalish et Robins, 2006) mais sans montrer le rôle modérateur de la première sur l’effet de la seconde.

L’analyse de ce rôle modérateur de la personnalité montre que deux traits interagissent avec le réseau pour expliquer le niveau de recommandations. De manière très intéressante, leur effet modérateur n’est pas du tout le même. Alors que le caractère consciencieux réduit l’impact du réseau (absence d’effet lorsque le dirigeant est très consciencieux), l’ouverture à l’expérience accroît cet impact (effet maximal lorsque le dirigeant est très ouvert aux expériences). L’effet de la variable liens forts, en particulier, est modéré différemment selon le trait considéré, soulignant l’ambivalence des retombées des liens forts. D’un côté, ils augmentent la probabilité qu’une information favorable soit diffusée, ce qui peut expliquer que les dirigeants très ouverts à l’expérience bénéficient plus de leurs liens forts que les autres (figure 3). D’un autre côté, la proximité émotionnelle qui va avec la force d’un lien semble entraîner une certaine « distorsion » dans la diffusion d’informations, conduisant un lien fort à diffuser des informations favorables, même lorsque le signal est négatif, ce qui expliquerait que dirigeants faiblement et fortement consciencieux bénéficient pareillement de leurs liens forts (figure 5).

Ces considérations, en particulier sur l’effet des liens forts, nous amènent aux principales perspectives de recherches ouvertes par notre travail. Des travaux complémentaires sont nécessaires pour comprendre ces phénomènes d’interactions plus en profondeur. Ils pourraient consister d’une part à comprendre qui sont les personnes dans le réseau qui ont un comportement effectif de recommandation du dirigeant. D’autre part, il semble nécessaire de comprendre les processus par lesquels le jugement qu’un individu donné, susceptible de recommander le dirigeant, se construit et comment il varie selon le trait de personnalité considéré. Pour aller jusqu’au bout de cette logique, il serait intéressant de comprendre les moyens dont dispose le dirigeant pour créer les signaux favorables et influencer la perception qu’en ont les alters dans son réseau. Ces objectifs pourraient être atteints à l’aide d’un dispositif d’étude qualitative s’intéressant moins au dirigeant qu’aux personnes susceptibles de le recommander et aux mécanismes qui guident leurs perceptions et leurs comportements de recommandation.