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Tenter de revisiter un terrain aussi exploré qu’est la relation entre Français et Amérindiens au cours d’un long xviie siècle relève de la témérité pour un étudiant de maîtrise. Après les travaux de Trigger, Delâge, Beaulieu, White et Havard, est-il possible d’ajouter des éléments nouveaux à partir de documents peu abondants sur ces rapports ? La réponse est mitigée. L’auteur arrive bien à sortir quelques détails mais, dans l’ensemble, ce travail offre une synthèse souvent détaillée, sans apporter beaucoup d’intuitions nouvelles.

Le premier chapitre traite essentiellement de la médiation française à l’époque de Samuel de Champlain. Malheureusement, l’analyse procède d’une lecture peu critique des écrits de Champlain et d’une méconnaissance des forces en présence. Certes, Champlain se voit en médiateur, mais ce qu’il prétend et ce qu’il peut effectivement faire sont deux choses. L’auteur n’arrive pas à expliquer d’une manière satisfaisante le retrait des Montagnais de la région de Québec et leur hostilité aux Français lors de l’épopée des frères Quer (ou Kirke si on préfère) ; élément essentiel des rapports de cette période. Le recours à des concepts de droit international pour distinguer un arbitre d’un médiateur, que les acteurs ne maîtrisaient pas nécessairement, contribue à alourdir et à rendre confus le texte sans vraiment apporter d’éclaircissements nouveaux.

Le second chapitre aborde les guerres franco-iroquoises du xviie siècle. C’est ici que l’auteur avance l’essentiel de sa thèse : les Iroquois poursuivaient leur propre ordre du jour et tentaient de détourner les interprétations et conventions françaises à leur profit. Ce n’est pas une position très originale, mais l’auteur le souligne avec force exemples qui sont assez convaincants. Cette démonstration se poursuit au chapitre suivant consacré aux négociations de la Grande Paix de Montréal de 1701. Toutefois, c’est un sujet archi-travaillé et on a du mal à y trouver des intuitions originales. Plutôt, on assiste à l’élaboration d’hypothèses construites sur des prémisses fragiles qui ne sont pas très convaincantes. Enfin un dernier chapitre traite de la période 1701-1717. L’auteur voit cette dernière date comme un moment charnière entre une ancienne politique et une nouvelle. Les années 1650, 1701, 1717 – autant de dates qui marquent des transitions sans que l’une ou l’autre remporte la majorité des suffrages.

Si l’érudition est nettement supérieure à bien des mémoires de maîtrise, notamment en ce qui concerne la production anglo-américaine récente, il y a quand même des lacunes. Par exemple, l’auteur cite seulement la traduction en anglais (2001) du mémoire de maîtrise de Gilles Havard sur la Grande Paix de 1701, mais pas la version originale en français (publiée aux Recherches amérindiennes au Québec en 1992) ni le catalogue d’exposition de 2001 (Montréal 1701 : Planter l’arbre de paix), ce qui lui fait écrire qu’Havard s’inspire de l’ouvrage d’Alain Beaulieu et Michel Lavoie (2000), alors que c’est plutôt le contraire ! Il faut bien faire plaisir à son directeur de recherche mais il y a des limites à respecter. Et que penser d’un ouvrage qui ignore totalement les travaux du regretté Lucien Campeau, de Jan Grabowski ou de l’auteur de ce compte rendu qui ont quand même commis des écrits sur les sujets traités dans le livre ? On a beau ne pas être d’accord avec les thèses avancées par d’autres, la rigueur exige qu’on en traite.

Il y a quelques erreurs de détail, par exemple, c’est en 1615 que Champlain participe à l’attaque d’un village iroquois et cette action est rarement qualifiée de victoire (p. 51) ! L’auteur situe la rivière à La Famine au sud d’Onontagué, alors qu’elle est au nord-est (p. 129). Mais ce ne sont que des broutilles qui ne déparent pas un travail sérieux et consciencieux.

Voilà une contribution intéressante, même si elle n’est pas très originale, à l’historiographie des rapports entre Français et Amérindiens en Amérique du Nord. De par son ampleur géographique et l’intégration des travaux étatsuniens récents, cette étude mérite d’être lue par les étudiants qui s’intéressent à la Nouvelle-France pour permettre de désenclaver une perspective uniquement française.