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Dans ce court ouvrage, Georges Arsenault offre une bonne introduction sur l’évolution des traditions divergentes et convergentes de cette mascarade organisée annuellement le lendemain du Mercredi des Cendres, depuis les premières traces documentaires en Acadie au début du xixe siècle jusqu’à nos jours. Arsenault présente un bon résumé de l’histoire et du folklore entourant la Mi-Carême, tout en soulignant les facteurs qui ont contribué à sa disparition quasi complète, mais aussi à sa survivance à Chéticamp et Saint-Joseph-du-Moine (Nouvelle-Écosse), Fatima aux Îles-de-la-Madeleine, Natashquan et Pointe-Parent sur la Côte-Nord et Tignish à l’Île-du-Prince-Édouard. Une rareté bienvenue, Arsenault inclut les communautés acadiennes du Québec dans son étude.

Arsenault retrace avec concision les deux principales formes de la fête, d’abord en tant que la Grande Mi-Carême, une vieille femme qui, à la manière des père Noël et père Fouettard, distribue friandises et frayeurs aux enfants au mitan des privations prescrites avant Pâques. Il combine descriptions divertissantes et témoignages d’époque ou actuels, souvent très amusants. Ensuite, Arsenault présente la forme la plus commune et populaire jusqu’à nos jours, celle des coureux de la Mi-Carême, des groupes déguisés passant de maison en maison pour danser et festoyer, demandant douceurs et alcool pendant que leurs hôtes tentent de les reconnaître. Bien que la majorité de ses sources ethnographiques datent de la première moitié du xxe siècle, l’auteur insiste aussi sur les transformations récentes, depuis les années 1970, qui ont favorisé la perpétuation et la survie de la tradition où elle demeure encore. Si Arsenault traite rapidement des raisons de son abandon dans la majorité des régions acadiennes, il mentionne les influences combinées du père Noël pour la distribution de cadeaux et de l’Halloween pour la mascarade, qui auraient éclipsé la tradition acadienne. L’auteur croit cependant que la raison principale derrière l’abandon de cette fête est la levée graduelle des restrictions catholiques de la quarantaine avant Pâques, surtout les exigences du jeûne, que compensait le carnavalesque de la Mi-Carême. Avec la disparition complète de ces obligations au Concile de Vatican II, Arsenault postule que la fête n’avait plus sa raison d’être et a tout naturellement disparu.

Pourtant, l’auteur dresse lui-même un portrait beaucoup plus complexe de transformations qui auraient mérité une plus longue analyse. La brièveté du livre ne sert pas ici le travail remarquable d’Arsenault, car la diversité des moeurs qu’il décrit est si vaste qu’il n’a pas l’espace nécessaire pour en démontrer tous les détails avec l’étendue qu’elle mérite. Par exemple, si l’auteur souligne d’une part que, jusque dans les années 1930, il était courant que des groupes de mi-carêmes rivaux s’adonnent à des violences et, d’autre part, que cette décennie marque l’inclusion graduelle de femmes et d’enfants parmi les coureux, il ne souligne pas que ce dernier fait coïncide avec la disparition des batailles rangées. Une vingtaine de pages additionnelles auraient sans aucun doute permis de tisser tous les liens qui s’imposent à la lecture.

Cela dit, Georges Arsenault ajoute un bon troisième volume à son duo d’études essentielles sur les fêtes acadiennes, Courir la Chandeleur (1982) et Noël en Acadie (2005). L’ouvrage remplit bien son double rôle de livre grand public et d’introduction savante. Les universitaires regretteront l’absence de bibliographie, mais apprécieront les notes infrapaginales, alors que le lexique final informera les lecteurs québécois des mots moins usités employés par les informateurs acadiens.