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Dans cet ouvrage, Laurent Turcot nous invite à découvrir bien plus que la promenade. C’est le corps, la ville, une société, ses moeurs qui se donnent à voir dans ses écrits. En effet, l’auteur nous fait découvrir, avec beaucoup de subtilité, l’évolution, à la fois de la promenade, comme construit social, celle des représentations du corps et de la ville à Paris entre le XVIe et le XVIIIe.

À travers l’évolution de la promenade, l’auteur nous fait découvrir les différentes formes de cette dernière, au regard de l’évolution des règles de la société. Tout d’abord, il nous présente la promenade sous forme de rituel, fondée sur les principes établis par les codes de civilité, de bienséance, qui définissent la nature et la fonction de la « promenade de civilité ». Celle-ci nécessite une certaine pédagogie du corps qui permet de distinguer les hiérarchies sociales. La promenade de civilité apparaît comme une pratique ritualisée de la sphère mondaine parisienne. C’est l’honnête homme qui se met en scène, en empruntant une posture particulière fondée sur le maintien du corps. Pour répondre aux besoins de la promenade de civilité, des jardins, des cours s’aménagent dans Paris pour offrir un cadre architectural propice à la réalisation de ce rituel. L’auteur va d’ailleurs insister sur les théories du jardin à la française dans lesquelles la promenade est au centre de la réflexion, inspirant l’écriture des différents traités paysagers. Il nous montre également l’influence de l’aménagement des promenades, impliquant une importante présence de la végétation dans la ville, qui transforme physiquement l’espace urbain parisien. Le cours devient une forme particulière d’espace de promenade dédié à l’aristocratie parisienne.

Comme l’auteur le souligne, au début du XVIIIe plutôt que de continuer à dresser le corps de l’homme moderne, nombreux sont les écrivains et penseurs de l’époque qui prêchent pour une authenticité de l’être, pour l’homme libre. L’auteur met en avant les écrits de Jean-Jacques Rousseau qui critique la promenade de civilité, en insistant sur le fait qu’elle éloigne l’homme de sa nature profonde. Ainsi, au XVIIIe siècle, c’est davantage le divertissement et la santé qui vont orienter la promenade. Alors que la promenade de civilité implique de marcher accompagné, la promenade de divertissement fondée sur la liberté, l’épanouissement de l’être se pratique davantage seul. On rejoint l’idée de marche comme introspection. La dimension santé qui s’ajoute à la promenade est abordée par l’auteur, en insistant sur le changement que la promenade de santé a suscité en éliminant l’usage de la promenade à un domaine et une classe sociale particuliers et en l’ouvrant à tous. Ainsi, la nature devient un impératif à la promenade. Au regard des écrits d’Hippocrate, des médecins comme Tronchin vont insister sur l’importance d’une vie plus active en contact avec la nature, valorisant la marche comme moyen d’être en santé. De plus, le corps va être abordé par rapport à l’importance de sa motricité, la promenade assurant les impératifs de la motricité. À la différence de la promenade de civilité, le corps ne doit pas être contraint, mais, au contraire, il s’agit de faciliter le mouvement favorable au bien-être du citadin. Enfin, l’importance de la promenade de santé est influencée par le courant hygiéniste qui impose cette pratique à l’ensemble de la population. La ville devient un observatoire médical de la promenade comme outil de promotion de la santé.

L’auteur nous conduit depuis la promenade de loisir, de santé, à l’émergence de la promenade publique qui prend toute sa grandeur à partir du moment où Paris se transforme avec la construction des boulevards. Comme le signale l’auteur « l’évolution de la nature du construit urbain infléchit de nouvelles attitudes corporelles » (p. 136). Le boulevard réhabilite la rue comme lieu de promenade sans négliger l’importance des jardins. De nombreux exemples d’aménagements sont d’ailleurs développés par l’auteur. Cette nouvelle forme urbaine a permis un nouvel usage de la pratique de la promenade plus accessible à l’ensemble des citadins. Comme l’auteur le souligne, cette nouvelle forme de promenade a nécessité l’établissement de règlements particuliers, dans la mesure où la promenade tend à s’intégrer aux pratiques quotidiennes.

Le succès du boulevard va entraîner le développement de lotissements résidentiels sur la promenade ce qui va modifier les formes d’utilisation sociale du boulevard. Les résidents ayant tendance à donner un statut d’espace de circulation domestique au boulevard, la fonction de promenade publique du boulevard va évoluer.

L’auteur va également s’attarder sur l’exemple des Champs-Élysées : depuis son statut de prolongement du jardin des Tuileries, à la fin du XVIIe, jusqu’à sa transformation en promenade publique. À travers cet exemple, l’auteur introduit l’importance de la police pour assurer le bon déroulement de la promenade.

Après avoir abordé la promenade comme construit social en détaillant ses effets sur la transformation de la ville et sur les représentations du corps, Laurent Turcot nous invite à découvrir les différentes figures du promeneur. Tout d’abord, il nous propose une lecture des guides de voyage comme outil de lecture de la ville, dans lesquels la promenade est centrale. Ces ouvrages présentent une articulation entre des préceptes collectifs et des expériences individuelles qui permettent de saisir l’ampleur et l’évolution des pratiques et des représentations de la ville. Ces guides sont le reflet des figures du promeneur, depuis l’honnête homme des promenades de civilité, jusqu’au promeneur public en quête de découverte.

Pour terminer, l’auteur fait références à trois écrivains parisiens qui se sont inspirés de la promenade dans leurs écrits. Le premier, le libraire Siméon Prosper Hardy, qualifié de promeneur-rédacteur, a parcouru et raconté la ville de Paris dans son quotidien, mettant en scène l’ordinaire à travers ses chroniques journalières. Ses écrits présentent le regard qu’il porte sur la ville, la manière dont il se déplace et use des lieux. Le second Sébastien Mercier, est présenté par l’auteur comme un écrivain qui a choisi de nous présenter Paris à partir d’une observation particulière de la ville, non de ses monuments, mais plutôt de ses gens, de leurs moeurs publiques, de leurs pensées… Il introduit l’observation comme méthode d’appréhension de la ville. Enfin, Rétif de la Bretonne utilise également l’observation pour lire la ville, une ville qu’il parcourt et raconte lors de ses marches nocturnes. On y retrouve l’importance des marches solitaires. Les écrits de ces deux écrivains constituent une source d’information importante sur l’organisation de la ville, de ses boulevards, permettant de lire les différentes pratiques de la promenade au cours du XVIIIe siècle.

Pour conclure, je tiens à recommander cet ouvrage à tous ceux qui travaillent ou s’intéressent à la ville, ses espaces publics, le transport, le corps, la santé … En effet, Laurent Turcot, à travers le portrait qu’il tisse du promeneur au XVIIIe siècle à Paris, nous invite à comprendre l’importance d’une pratique, la promenade, d’une part, dans la conception urbanistique de l’ensemble d’une ville, et d’autre part, dans la conception même de l’approche médicale du corps citadin. L’acte de se promener offrant une lecture fine de la ville, tout en favorisant l’appropriation de cette dernière, nous devrions revoir notre manière de penser la ville, en accordant, à nouveau, la priorité à la promenade.