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Comme cet ouvrage fait partie d’une collection qui vise à offrir à un large public un survol de la situation actuelle des grands États-régions du monde, et qui compte déjà des titres plusieurs fois réédités sur l’Afrique, l’Amérique latine, le Moyen-Orient et la Chine, pour ne nommer que ceux-là, on se posera peu de questions sur les objectifs et le format de cette synthèse. Michael Bressler de la Furman University en Caroline du Sud fait le pari de présenter un tableau assez exhaustif de la Russie actuelle, mais selon un angle d’approche très solidement ancré dans son contexte historique, surtout de la période soviétique, quitte à pécher par excès en accordant souvent beaucoup d’énergie à la période soviétique au détriment de développements plus récents.

L’ouvrage est plutôt ambitieux, avec douze chapitres en plus de l’introduction et d’un treizième chapitre qui sert de bilan pour cet État aux dimensions tout aussi excessives que le climat, le tout totalisant près de 400 pages de texte, débutant par un long survol de la géographie de la Russie, suivi d’une présentation historique assez approfondie, sur plus de douze siècles d’histoire, et de trois chapitres décrivant la situation politique, économique et diplomatique (relations internationales) réalisés par des spécialistes à la longue réputation dans le domaine comme Allen Lynch sur la politique étrangère et, sur l’économie, le regretté James Millar pour qui c’est sûrement un des derniers textes.

Par la suite, quatre chapitres se donnent comme objectif de présenter la société russe dans ses aspects démographiques et ethniques, de même que la question des femmes, en soulignant fortement la participation des femmes russes en politique et dans les ong. Cette présentation est suivie d’un aperçu des problèmes environnementaux. Les conclusions du chapitre, à savoir que les possibilités d’éviter une dégradation très nette des conditions environnementales en Russie reposent essentiellement sur la direction du pays et sur la société civile, font un peu froid dans le dos. Finalement, les deux dernières parties nous proposent un survol plus culturel avec un panorama de la question religieuse en Russie contemporaine et un tableau de la culture russe actuelle, essentiellement sous l’angle de la littérature et du cinéma, une vision somme toute assez traditionnelle de la culture.

L’effort de présenter un tableau aussi vaste est louable, mais il est presque illusoire de prétendre à une certaine exhaustivité en pareil cas. Quoiqu’il n’y ait rien à redire des excellents chapitres sur la politique et l’économie, les survols historique et géographique sont un peu lourds parce que l’approche historique est presque systématiquement reprise dans les autres chapitres, ce qui ne manque pas de créer de la redondance. De même, on s’étonnera de lire Dennis Shaw, dans un survol géographique, avancer que l’urss n’a jamais pu développer et maintenir une société moderne, ce qui va un peu à contre-courant des recherches plus récentes en sciences sociales qui proposent d’appliquer le concept de modernité autoritaire. Les affirmations de ce genre sont tout de même assez rares et, quoiqu’on ne puisse réellement observer de biais ou d’interprétation discutable, certains choix éditoriaux éloignent l’ouvrage de Bressler de ses objectifs de départ.

Tout d’abord, on ne trouve pas à proprement parler de chapitre sur la société russe contemporaine malgré l’intention de l’ouvrage de présenter un tableau relativement complet de la situation en Russie postsoviétique. Il y a certes les chapitres sur la démographie, les relations interethniques, la situation des femmes, et le chapitre sur les changements politiques contient une partie intéressante sur les attitudes de la population à l’endroit de la démocratie. Cependant rien de cela ne permet un véritable approfondissement des processus sociaux, un peu comme l’avaient fait sur la base de sondages d’opinion les Français Alexis Berelowitch et Michel Wievorka avec Les Russes d’en bas en 1996. Donc rien de véritablement approfondi sur des questions comme le consumérisme, la nouvelle classe moyenne et la situation en éducation, ni même sur les rapports entre civils et militaires. Les questions écologiques, démographiques et interethniques sont bien sûr importantes, mais elles figurent en tête de liste plus pour des raisons de potentiel conflictuel et biaisent un peu le tableau d’ensemble. De même, la technologie ou les médias ne sont pas véritablement traités.

Par ailleurs, on peut comprendre le besoin de bien ancrer la Russie contemporaine dans son contexte historique, mais un long chapitre d’une cinquantaine de pages vient un peu répondre à cet objectif, ce qui justifie mal le fait que plusieurs chapitres portent tout autant sur la période soviétique que sur la période postsoviétique, ce qui devait être, en principe, le point central de l’ouvrage. Par exemple, le chapitre sur la religion passe en revue l’évolution historique de chaque religion constituée, pour laisser de côté son contenu ou son influence sur la vie publique. Un peu dans le même esprit, la littérature et le cinéma soviétiques sont très nettement privilégiés aux dépens de leurs développements postsoviétiques. Et comme c’est le cas pour la plupart des chapitres de la synthèse de Bressler, on en vient à déceler un manque de coordination et de cohérence éditoriales qui diminue la qualité de l’ensemble, alors que plusieurs parties sont de très bonne qualité. Néanmoins, cet ouvrage peut très bien convenir à des lecteurs qui chercheraient à faire une révision de leurs connaissances historiques tout en lisant une présentation de la Russie actuelle.