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Cet ouvrage écrit par la professeure France Morrissette aborde le sujet fort opportun du droit canadien des traités, ou plus exactement celui de la pratique canadienne en matière de conclusion des traités. L’approche comparative retenue permet de proposer des recommandations pour améliorer la pratique actuelle, à la lumière de l’expérience communautaire européenne. L’ouvrage s’inscrit dans le contexte plus large du regain d’intérêt qui a marqué la doctrine, tant au Canada anglais qu’au Québec, à l’égard des rapports entre l’ordre juridique canadien et l’ordre juridique international[1].

L’intérêt du sujet découle, entre autres, de l’importance accrue de l’activité conventionnelle du Canada dans des sphères intimement liées aux politiques élaborées par les gouvernements dans les domaines économique, environnemental, social et culturel. Il provient aussi du caractère imprécis entourant certains aspects du droit canadien des traités, en l’absence de règles constitutionnelles écrites claires, voire du caractère peu sophistiqué du processus actuel de conclusion des traités au Canada.

L’ouvrage de la professeure Morrissette s’annonce comme le premier d’une trilogie sur la conclusion des traités au Canada et dans la Communauté européenne, sans que l’objet des deux autres ouvrages à venir soit précisé. Comme le titre et le plan l’évoquent, cet ouvrage n’offre pas une étude du processus communautaire de conclusion des traités en soi, mais plutôt une étude du processus canadien de conclusion des traités, sous l’éclairage du processus communautaire. L’approche méthodologique de l’auteure consiste à examiner les modalités d’intervention de la société civile, de la branche législative, ainsi que des composantes territoriales dans le processus de conclusion des traités du Canada et de la Communauté européenne. Cet examen a pour objet d’évaluer dans quelle mesure sont satisfaites les exigences du principe de la démocratie, du principe de l’équilibre institutionnel et du principe du fédéralisme. S’il faut saluer le traitement distinct de la problématique de la participation des provinces – acteurs constitutionnels – de celle de la société civile, aucune mise en contexte conceptuelle substantielle n’est proposée pour présenter et défendre l’approche retenue par l’auteure, qu’il s’agisse des principes choisis ou encore de la comparabilité d’une organisation internationale comme la Communauté européenne avec un État fédéral comme le Canada.

Le plan employé par l’auteure est clair, divisant le sujet en trois chapitres. Ce livre est au demeurant plutôt court, avec 141 pages de texte ; à noter qu’une erreur s’est glissée dans la pagination de la table des matières, qui laisse entendre que le texte compte 50 pages de plus. Le premier chapitre porte sur le processus canadien de conclusion des traités et est le plus long, faisant près de la moitié du livre avec 74 pages. Il débute par une présentation sommaire du droit canadien des traités à l’intention des lecteurs européens, tel qu’il apparaît de la pratique gouvernementale fédérale, et fait une brève allusion à la controverse sur la capacité internationale des provinces. La première section décrit la pratique administrative suivie lors de la négociation des traités par le gouvernement fédéral, de la phase exploratoire précédant le début des discussions à la conduite des négociations. L’auteure décrit avec force détails les différentes initiatives administratives mises en avant par le gouvernement fédéral pour consulter la société civile, en s’attachant aux négociations d’accords commerciaux et environnementaux. Elle relève surtout que les personnes consultées n’ont pas toujours les compétences requises et que leur sélection manque de transparence, que les grandes consultations générales se révèlent inefficaces et que l’information circule souvent à sens unique du gouvernement à la société civile.

L’auteure souligne l’absence de rôle formel joué par les provinces durant les négociations, tout en insistant sur la nécessité logique qu’elles soient consultées en raison de leur pouvoir de mise en oeuvre des traités qui portent sur les matières relevant de leurs champs de compétence. La possibilité qu’une obligation constitutionnelle positive en ce sens existe n’est cependant pas examinée. L’auteure décrit ensuite les développements spéciaux dans la pratique administrative survenus lors des négociations des accords commerciaux depuis le cycle de Tokyo, qui ont vu la consultation des provinces se structurer graduellement en raison de leur incidence grandissante sur les matières de compétence provinciale. Les développements spéciaux de la pratique administrative dans d’autres domaines de compétence provinciale comme l’environnement, le droit international privé et les droits de la personne sont également mentionnés. L’absence de garanties juridiques pour les provinces est soulignée, ainsi que l’opinion soutenue par certains auteurs voulant que ces pratiques aient pu donner naissance à des conventions constitutionnelles liant le gouvernement fédéral, sans toutefois que cette dernière avenue soit explorée davantage.

Le rôle du Parlement fédéral au cours des négociations internationales est finalement exploré, et celui que jouent les comités parlementaires ressort particulièrement de la discussion. Cet aspect du contrôle parlementaire fédéral sur l’action internationale du Canada n’est d’ailleurs pas souvent mentionné dans les études juridiques sur la question. L’auteure note cependant les limites de la capacité de contrôle de ces comités, de même que l’absence totale de contrôle parlementaire provincial sur les négociations conduites par le gouvernement fédéral. La première section se termine par un bref examen de la composition des délégations canadiennes lors des négociations internationales conduites par le Canada.

Le processus canadien de conclusion des traités proprement dit est analysé dans la deuxième section du premier chapitre. Celle-ci débute par une description de la manière dont le gouvernement fédéral gère, au plan interne, son monopole pratique sur l’expression du Canada à être lié juridiquement au plan international. L’auteure n’aborde toutefois pas la question nébuleuse du possible consentement préalable obligatoire des provinces à cette étape, question qui refait surface à l’occasion[2]. Elle rappelle ensuite l’absence de tout rôle constitutionnel joué par le Parlement fédéral à cette étape, mais mentionne la pratique d’approbation préalable qui a eu cours de 1926 à 1966 concernant les traités importants. Elle souligne avec raison l’utilité d’une telle pratique dans l’hypothèse d’un gouvernement minoritaire à la Chambre des communes, pour terminer en signalant la nouvelle politique de dépôt des traités aux Communes annoncées en janvier 2008 par le gouvernement Harper. La discussion du rôle des provinces à cette étape fait surtout ressortir la pratique actuelle voulant que le gouvernement fédéral attende l’adoption de lois de mise en oeuvre par chacune des provinces avant de ratifier un traité portant sur des matières de compétence provinciale. Quoiqu’elle soit soulignée, la procédure québécoise d’approbation parlementaire obligatoire des engagements internationaux ne fait pas l’objet de développements approfondis[3]. De même, ne sont pas abordées les difficultés posées par les traités relevant à la fois des compétences fédérales et provinciales, ou encore par les traités dont l’identité du titulaire de la compétence législative correspondante ferait l’objet d’un différend. L’auteure conclut le premier chapitre en affirmant, avec raison, que la coopération fédérale-provinciale est indispensable dans le processus canadien de conclusion des traités.

Le deuxième chapitre présente le processus communautaire de conclusion des traités, en suivant le même plan que le premier chapitre, mais de manière plus condensée. L’auteure précise d’entrée de jeu qu’elle n’examinera pas les accords mixtes, liant à la fois la Communauté européenne et ses États membres, ni les accords relevant des deuxième (politique étrangère et sécurité commune) et troisième (coopération policière et judiciaire en matière pénale) piliers de l’Union européenne. Les accords mixtes permettant à la Communauté et aux États membres d’agir ensemble dans des domaines qui relèvent de la compétence de chacun, l’auteure aurait pu s’y intéresser davantage puisque cette problématique apparaît fort pertinente pour un État fédéral comme le Canada.

La première section du deuxième chapitre porte sur le processus communautaire de négociation des traités. La procédure de base conduite par la Commission européenne sous le contrôle du Conseil des ministres est d’abord examinée, puis c’est au tour de la procédure particulière dans les domaines monétaire et du commerce international. L’auteure relève la culture et les structures de consultation de la société civile et des États membres qui sont fermement ancrées dans le processus communautaire, avec notamment le Comité économique et social, le Comité des régions et les comités ad hoc mis en place par le Conseil pour permettre aux États membres de garder un oeil sur les négociations. La deuxième section porte sur le processus communautaire de conclusion des traités, où le Conseil des ministres – et, partant, les États membres – joue un rôle quasiment exclusif, prenant ses décisions à la majorité qualifiée ou à l’unanimité selon qu’il s’agit de la procédure habituelle ou d’une procédure sectorielle particulière. Le rôle exceptionnel joué par la Commission européenne dans la conclusion d’ententes administratives non juridiquement contraignantes est mentionné, sans toutefois explorer les parallèles qu’il y aurait pu avoir à faire avec les ententes internationales conclues par le Québec. Le chapitre se termine avec la description du rôle joué par le Parlement européen, qui doit obligatoirement approuver certains accords, dont les accords d’association, avant que le Conseil puisse confirmer le consentement de la Communauté à être liée.

Le troisième et dernier chapitre de l’ouvrage énumère brièvement les recommandations que l’auteure tire de son étude pour améliorer le processus canadien de conclusion des traités. En ce qui concerne la participation de la société civile, il est recommandé que le gouvernement fédéral adopte des lignes directrices générales pour encadrer la manière dont il la consulte et qu’il voit à la mise sur pied de groupes de contact formels réunissant des représentants de celle-ci auprès de chaque ministère fédéral. En ce qui concerne les provinces, l’auteure fait d’abord une recommandation pragmatique, appelant à l’amélioration de la coopération intergouvernementale au sein des comités ministériels fédéral-provincial lors des négociations internationales. Puis, elle formule une recommandation plus audacieuse, soit l’approbation provinciale préalable des traités touchant aux matières relevant des compétences des provinces, exigence qui pourrait être consignée dans une entente intergouvernementale. En ce qui concerne la participation du Parlement fédéral, l’auteure recommande d’abord la création d’un nouveau comité mixte permanent sur les traités, qui suivrait spécifiquement les négociations internationales du Canada et déchargerait le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de cette fonction. De manière plus audacieuse, l’auteure préconise que l’approbation préalable des traités importants par le Parlement fédéral soit rendue obligatoire par une loi à cet effet, tablant sur la pratique qui a été suivie antérieurement. Enfin, elle suggère que des représentants des provinces, du Parlement fédéral et de la société civile puissent faire partie des délégations canadiennes lors des négociations, sans toutefois y jouer un rôle de premier plan.

Au final, cet ouvrage documente bien la pratique administrative suivie par le gouvernement fédéral dans le processus canadien de conclusion des traités, qu’il décrit en détail dans une langue parfois technocratique. Il synthétise et répertorie des documents gouvernementaux dont certains ne sont pas facilement accessibles, l’auteure les ayant elle-même obtenus au moyen de demandes d’accès à l’information. Il se fonde également sur une bonne recherche concernant les écrits récents sur la question. Par ailleurs, les recommandations spécifiques formulées par l’auteure sont pertinentes et allient pragmatisme à audace, mais l’on aurait pu souhaiter davantage de réflexions sur leur faisabilité concrète et leur impact potentiel sur la conduite de ses relations internationales par le Canada. La principale lacune de cet ouvrage demeure son aspect très descriptif du processus canadien de conclusion des traités, où l’auteure pose le cadre juridique convenu du droit canadien des traités, sans jamais en éclaircir davantage les zones d’ombre. Cela décevra fort probablement le lecteur qui aurait pu s’attendre que le sujet soit soumis à une analyse critique plus poussée. Les deux autres tomes annoncés permettront peut-être ces approfondissements.