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Initialement paru en 1968 dans la célèbre collection « Que Sais-Je ? », ce classique, figurant parmi les derniers livres du psychologue et épistémologue Jean Piaget (1896-1980), a connu douze réimpressions et plusieurs traductions. Fait exceptionnel, plus de 100 000 exemplaires ont été vendus. Parfois, bien que rarement, les « best-sellers » sont écrits par de grands penseurs. Selon Piaget, le concept de structuralisme se fonde à partir du « postulat qu’une structure se suffit à elle-même et ne requiert pas, pour être saisie, le recours à toutes sortes d’éléments étrangers à sa nature » (p. 8). Pour définir autrement le structuralisme, Piaget explique que la « structure est un système de transformations, qui comporte des lois en tant que système » (p. 8).

Outre sa concision, l’ouvrage de Piaget a l’avantage d’aborder le structuralisme selon différents cadres disciplinaires, sans toutefois négliger l’apport essentiel de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss (né en 1908). Chacun des sept chapitres offre un éclairage interdisciplinaire centré successivement sur les mathématiques, la logique, la biologie, la psychologie, la linguistique, et bien sûr les sciences sociales. Mais les philosophes sont aussi fréquemment convoqués, dès l’introduction. Pour Piaget, « le structuralisme recouvrirait en fait toutes les théories philosophiques non strictement empiristes qui ont recours à des formes ou à des essences, de Platon à Husserl en passant surtout par Kant » (p. 9). Le dernier chapitre de l’ouvrage, « Structuralisme et philosophie », me semble assez audacieux sur le plan conceptuel : Piaget appelle à un « structuralisme sans structure », en s’inspirant du livre Les mots et les choses de Michel Foucault (p. 112).

Toute l’argumentation du livre se base sur des questions épistémologiques et l’articulation de concepts, selon diverses approches disciplinaires et en comparant plusieurs courants. C’est précisément cette re-lecture critique des auteurs les plus influents du courant structuraliste, tels que revus par Jean Piaget au summum de son cheminement intellectuel (il était alors âgé de 72 ans), qui fait la force principale de ce livre dense : ainsi, au fil des pages, le psychologue suisse perçoit dans le livre La pensée sauvage (1962) de Claude Lévi-Strauss le prolongement de la Critique de la raison dialectique de Jean-Paul Sartre (p. 105) ; plus loin, il rapproche le concept d’epistêmê de Foucault des paradigmes lancés par Thomas Kuhn (p. 115). Mais au-delà de la théorisation, Piaget conclut que « le structuralisme est bien une méthode » (p. 124). Nul besoin de réaffirmer que cette lecture demeure convaincante et nécessaire.