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Ce numéro de Cinémas ne propose pas tant un « retour » à la filmologie — ou un retour de la filmologie — qu’un retour sur la filmologie, sur la séquence « filmologie » dans l’histoire de la théorie du cinéma. Cette séquence historique tire son importance de l’hypothèse qu’avait formulée Gilbert Cohen-Séat en 1946 dans son Essai sur les principes d’une philosophie du cinéma (désormais Essai) — qui tient à l’objet de cette « science nouvelle » et à ses méthodes — et, au-delà de cette origine, aux développements que cette hypothèse connut dans un faisceau de directions. Il est évident que cette importance a pour corrélat l’évaluation de ses résultats. Or sur ce point tout semble dit et tient dans les quelques lignes que l’on consacre à la filmologie quand on l’évoque dans les ouvrages généraux ou les dictionnaires. Le sort de la filmologie peut dès lors paraître des plus paradoxaux : le projet intellectuel et culturel connaît à ses débuts une quasi-unanimité et son développement paraît ne rencontrer aucun obstacle, en particulier au plan institutionnel : l’Institut de filmologie crée un réseau d’enseignement et de recherche en France, gagne rapidement une véritable audience internationale, a des prolongements dans des établissements, des centres de recherche, des organismes sociaux dans le monde entier, et est intégré treize ans durant à la Sorbonne, où il développe un cursus, impulse des recherches expérimentales, des enquêtes, organise des débats, des colloques, publie une revue et des ouvrages. Tout cela s’interrompt brusquement et l’oubli recouvre ces années d’effervescence. Il convient donc de se demander ce qui s’est passé : pourquoi ce succès immédiat et durable, pourquoi cette disparition soudaine et cet effacement ?

Il faut pour cela passer par d’autres voies que la seule « histoire des idées ».

Le point de départ de notre enquête tient, en quelque sorte, à une omission dans la première ébauche d’un projet de recherche du groupe Arthemis [1], que dirige Martin Lefebvre à l’Université Concordia à Montréal, portant sur l’histoire et l’épistémologie des études cinématographiques : étude des possibilités (intellectuelles, technologiques, institutionnelles) qui président à l’émergence, au maintien et au développement des études cinématographiques dans les espaces francophones et anglophones d’Europe et d’Amérique. Cette mouture préliminaire passait sous silence l’Institut de filmologie. Sollicité sur la teneur du projet, François Albera mentionna cet oubli et vint parler à Concordia de cette entreprise singulière et notoirement oubliée qu’est la filmologie — à laquelle il s’intéressait de loin en loin dans une perspective d’histoire de la théorie [2] —, puis participa à un séminaire commun avec André Gaudreault à l’Université de Montréal. À cette occasion, il apparut que l’on pouvait également tirer quelque profit — dans la perspective du « cinéma des premiers temps », cette fois — à réexaminer les contributions de Georges Sadoul à la Revue internationale de filmologie (désormais RIF). En pleine rédaction des différents volumes de son Histoire générale du cinéma, l’historien y reprenait en effet une partie de ses matériaux (en particulier concernant Méliès) sous l’angle du « langage cinématographique ».

Le projet d’un numéro de Cinémas s’imposa alors et André Gaudreault nous en confia la direction.

Il fut alors convenu de reprendre la question à nouveaux frais : avant toute appréciation et tout jugement de valeur, il s’agissait de revenir aux sources, aux textes, aux faits.

Compte tenu de la carence criante d’informations à disposition, nous avons été conduits à entreprendre une véritable enquête « policière », passant non seulement par le dépouillement de la RIF et des publications liées à l’Institut de filmologie et à ses activités (ouvrages, documents préparatoires et actes de colloques…) — où, pour partie, Edward Lowry nous avait précédés —, mais par le repérage et la consultation d’archives, de fonds, de témoins, avec leurs lots d’incertitudes et de surprises (traces, suppositions, lacunes, disparitions subites…). Tout dans cette affaire est étonnant, on va le voir. Non seulement la personnalité de Cohen-Séat lui-même, atypique et mystérieuse, mais la dimension institutionnelle de l’Institut et ses rapports avec l’Université, ou encore les surprenantes ramifications qu’on a découvertes entre la filmologie et… la Défense nationale, le 2e Bureau et plusieurs gouvernements de la IVe et de la Ve République, soit une dimension inattendument politique.

Si, depuis une cinquantaine d’années, l’intérêt pour tel ou tel des travaux publiés dans la RIF s’éveillait de temps en temps, notamment dans le monde anglo-saxon et en Allemagne [3], la connaissance du « dossier » n’avait en effet guère progressé depuis les travaux de Lowry, G. de Vicenti et Z. Gawrack. On constatera, dès cette introduction, que les recherches des responsables du présent numéro de Cinémas occupent une place quelque peu inhabituelle dans un tel ensemble collectif : c’est qu’il leur est rapidement paru indispensable de fournir aux lecteurs les éléments de leur enquête, un état des lieux dont on peut espérer qu’il suscitera de nouvelles explorations compte tenu de la richesse des fonds découverts et de l’ampleur des « terres vierges » encore à parcourir. Les chercheurs sollicités l’ont été sur la base de leur spécialité dans la mesure où elle croisait certains secteurs « clés » de la filmologie — comme la psychologie (Peter Bloom, Laurent Jullier), la sociologie (Jean-Marc Leveratto) —, afin que nous puissions évaluer l’apport filmologique en la matière, et d’autres pour leur connaissance de telle ou telle personnalité ayant participé à la mouvance filmologique, comme Souriau (Alain Boillat), Kracauer (Leonardo Quaresima), Epstein (Laurent Le Forestier), Sadoul (Valérie Vignaux) et Francastel (François Albera).

L’ambition de ce numéro de Cinémas est de renouveler la connaissance de cet objet qu’est la filmologie en s’attachant à sa dimension institutionnelle et en recourant — au-delà des textes publiés dans la RIF —, à de nouvelles sources.

Contexte : « un besoin réel »

En 1946, Cohen-Séat publie son Essai, en 1947, il lance son entreprise filmologique et rallie à peu près tout le monde à sa cause : étudier le cinéma et le film sur des bases scientifiques, se déprendre de la seule approche « gustative », analyser les effets sur le spectateur de ce spectacle particulier.

Le cinéma est visé dans sa dimension de moyen de communication de masse, approche inexistante jusqu’ici, en France tout au moins [4]. Comment l’accueil de cette approche nouvelle peut-il être à ce point large et quasi unanime ?

La situation de l’immédiat après-guerre explique sans doute en grande partie ce phénomène, cette conscience nouvelle de la dimension sociale du cinéma. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le commentaire « sociologique » à propos du cinéma concerne principalement le divertissement qu’il représente, le type de culture ou d’inculture qu’il répand, éventuellement les influences qu’il exerce sur les conduites (modèles corporels, attitudes…), mais l’utilisation du cinéma comme moyen de propagande pendant la guerre et sa préparation conduit à une réflexion sur la « crise » morale du cinéma qui a dévoyé sa capacité de mobilisation émotionnelle des masses [5].

Dès la fin de la guerre, la libre circulation retrouvée des films va de pair avec une réflexion sur les responsabilités du cinéma dans la période précédente, en particulier dans le « bourrage de crâne » et la propagande belliciste. L’avènement de Hitler et le développement de régimes fascistes ou militaires dans une grande partie de l’Europe ont mis fin à tout ce qui contrebalançait « l’usine de rêves » : cinéma militant, ouvrier, indépendant, « avant-garde », cinéma à vocation artistique. Plusieurs protagonistes de ce courant réprimé s’expriment en septembre 1945 lors du Congrès international du cinéma de Bâle, organisé par des militants d’extrême gauche qui viennent de fonder les Archives cinématographiques suisses dans cette ville et ont monté une fameuse exposition sur le cinéma (articulant économie, société et esthétique) [6]. Dans son introduction à Cinéma d’aujourd’hui (Lang 1945), Peter Bächlin évoque « les nouvelles tâches » auxquelles le cinéma a à faire face. Mais, dans ce même ouvrage, c’est sans doute l’intervention de Slatan Dudow qui est le plus vigoureux appel au sens des responsabilités des professionnels du cinéma : songeant aux cinéastes demeurés en Allemagne et à ceux qui collaborèrent dans l’Europe du IIIe Reich, il les compare à ces « hommes moyens », ces « employés » de la mort qui faisaient fonctionner les chambres à gaz et les fours crématoires, coupables d’« assassinat comme travail de bureau » (Lang 1945, p. 85 ; l’expression, comme on le sait, fera fortune après la publication des comptes rendus du procès Eichmann par Hannah Arendt [1966] dans le New Yorker, où l’auteure avança l’expression de « banalité du mal » : « Les cinéastes, eux aussi, commirent des actes non moins criminels que ceux des douaniers de la mort. »

En France, cette prise de conscience a commencé pendant la guerre, durant laquelle se publient des feuilles clandestines comme L’Écran français. Songeons à cette profession de foi du jeune André Bazin (1975, p. 51), en 1943, selon laquelle le cinéma ayant affaire aux masses, son « esthétique […] sera sociale ou le cinéma se passera d’esthétique », ou, plus encore, à cette déclaration de René Clément, en 1945 (p. 8-9), qui a les accents prémonitoires de la (trop) fameuse formule d’Adorno sur l’impossibilité de la poésie « après Auschwitz » :

Après Buchenwald on ne peut plus faire de films mièvres, il y a quelque chose d’autre à exprimer, et il n’y a pas que les histoires d’amour qui intéressent le public. Les conversations dans un boudoir ne sont plus de notre époque. […] On triche trop souvent avec la réalité et elle se venge. De tous les films de guerre, les montages d’actualité sont ceux qui nous émeuvent le plus. Combien de films actuels sont vrais [7] ?

La sortie du livre de Kracauer, From Caligari to Hitler (1947) vient en quelque sorte offrir un modèle d’approche ; rappelons qu’il est sous-titré : A Psychological History of the German Film [8] et qu’il conjugue psychologie, sociologie et histoire. Son introduction est publiée dans les numéros 3-4 de la RIF (Kracauer 1948) et, pendant plusieurs années, il demeure « la » référence pour une approche sociologique du cinéma (Friedmann et Morin se situent dans sa perspective [9] ; voir l’article de L. Quaresima dans le présent numéro de Cinémas). Au reste l’approche de Kracauer, proche, on le sait, d’Erwin Panofsky, au moment où il écrit son livre, consonne pour partie avec celle de la « sociologie de l’art » de Francastel, qui écrit qu’« il est indispensable de considérer tous les modes d’expression d’une époque comme la manifestation extérieure d’une impulsion psychologique commune à toute une société [10] » (voir les articles de F. Albera et de J.-M. Leveratto dans le présent numéro de Cinémas).

Cohen-Séat, dans son Essai (1946), avait fondé la nécessité d’une science filmologique sur le caractère incontrôlable du cinéma et sa dangerosité. Cette nécessité impérieuse d’en étudier les mécanismes est, en somme, le casus belli de son initiative, et les statuts de l’Association pour la recherche filmologique parlent bien du « plus puissant générateur de mouvements et d’arrêts de mouvements à l’état naissant qui se soit jamais attaqué de façon aussi corrosive, à l’état normal de l’esprit humain et derrière lui, peut-être, à l’organisme ».

Marc Soriano (1947, p. 9), secrétaire de rédaction de la RIF, évoque très clairement, dans le premier numéro de la revue, le « climat psychologique » qui voit l’émergence de la filmologie :

La plupart du temps on se bornait à constater cette vérité élémentaire : « la projection d’un film impressionne le public ». Quant à dire pourquoi et comment c’était une autre question. Cette question la guerre la pose d’une manière aiguë sans cependant la présenter comme un problème. Le cinéma est tout naturellement utilisé comme une arme. On sait l’usage qu’en firent les nazis. On sait aussi que les États-Unis ont considéré Frank Capra et John Ford […] comme des canons à longue portée. Parce qu’il avait été instrument de propagande, le cinéma se découvrit domaine pour la sociologie…

« La filmologie correspond à un besoin réel » : cette affirmation de Soriano trouve ainsi un écho immédiat et une traduction institutionnelle puisque le Comité de libération du cinéma, dont Louis Daquin était le secrétaire général, avait élaboré, avec le soutien de Jean Painlevé — qui devint directeur de la Cinématographie de la France libérée —, un programme en dix points dont le sixième était : « fondation d’un laboratoire de recherches, d’une école de cinéma, d’un bureau d’études et d’une cinémathèque » (Lapierre 1948, p. 264), soient la Cinémathèque française, l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) et… l’Institut de filmologie.

Les courants de pensée de l’après-guerre, l’importance de personnalités de gauche, issues de la Résistance, souvent proches du Parti communiste français (PCF) ou y adhérant (Painlevé mais aussi bien Wallon, Moussinac…) expliquent ainsi, pour une part, la faveur qu’obtient l’initiative de Cohen-Séat (lui-même ancien résistant) — qui bénéficie en outre d’un soutien interne à l’Université en la personne de Mario Roques, socialiste, ancien membre du cabinet Albert Thomas durant la guerre de 1914, et de connexions politiques dues à son passé auprès de Léon Blum durant le Front populaire (voir l’article de M. Lefebvre dans le présent numéro de Cinémas).

Cette attitude, Cohen-Séat va la conserver en l’orientant dans deux directions qui sont plus ou moins mentionnées dans l’article des statuts de l’Association cité ci-dessus : l’une liée aux effets du film sur le corps et l’esprit des individus (cf. l’étude des « effets psychologiques somatiques et électro-encéphalographiques du stimulus lumineux intermittent rythmique » [Gastaut et Roger 1951]), l’autre à son rôle social (incluant les questions de moralité publique et de délinquance associés au cinéma, de même que ses effets sur la jeunesse).

Le ton alarmiste qu’a adopté Cohen-Séat au moment de la fondation ne se dément pas : en 1947, l’éditorial de la RIF (Deprun 1947a [11], p. 109) parle d’« urgence » :

[…] nous sommes en face d’effets massifs : massifs par l’extension des foules qu’à la lettre ils informent, massifs aussi par la profondeur d’une action qui touche, en chacun de nous, un noyau presque impersonnel, un invariant de tendances et d’images. Nul ne peut rester indifférent à cette quotidienne effraction. Nul n’en est, non plus, à l’abri.

En 1955, le voilà « dialoguant » avec le pape au moment de ses « Exhortations au monde du cinéma » et de ses propositions pour un « Film idéal efficace instrument d’élévation, d’éducation et d’amélioration ». Cohen-Séat y stigmatise les « esthètes » du septième art qui refusent de voir la place qu’occupe le cinéma dans le bouleversement des mentalités et des conduites. Les milieux catholiques ne sont en effet pas en reste pour ce qui est de l’attention portée aux effets du cinéma. Un contrôle moral des films est alors exercé depuis le Vatican, qui a des relais dans tous les pays catholiques. La Revue internationale du cinéma (de l’Office catholique international du cinéma) rend bien compte de cela et s’intéresse de près à la filmologie (voir l’article de F. Albera à la page 103 du présent numéro de Cinémas).

Avec la problématique de la « manipulation » des masses, que le développement de la télévision semble promouvoir plus efficacement encore que le cinéma (on entre chez chacun), Cohen-Séat renoue avec les utopies et les anti-utopies de la société du futur : société contrôlée, robotisée, etc. (cf. Zamiatine, Huxley, Orwell, Bradbury, qui « renversent » les utopies positives de Jules Verne, Robida, Saint-Pol Roux…) À cet égard, la critique de Cohen-Séat, Fougeyrollas et Morin que firent, en 1964, Bourdieu et Passeron dans Les Temps modernes, touche indiscutablement juste en ciblant le caractère auto-suggestif de ces discours prophétiques que rien ou pas grand-chose n’étayent sur le plan des données [12]. L’exaltation ou la peur des images — envers et endroit d’une même attitude [13] — n’a d’ailleurs rien perdu de sa vigueur de nos jours. Si, avant l’« iconosphère » de Debray, Morin (2008, p. 194) annonçait l’avènement d’un « cosmopithèque », les discours sur le caractère mortifère des images (Marie-Josée Mondzain), le décervelage informatique (Bernard Stiegler), etc. (Serge Tisseron, Serge Kagdansky…), vont bon train depuis lors.

L’institut, l’institution, la destitution

C’est donc en 1947 qu’est fondée, autour de Cohen-Séat, l’Association pour la recherche filmologique (relevant de la loi de 1901), dont le but est de créer un centre de filmologie, avec le projet de fondation d’une « science » qui étudierait le cinéma comme un fait social (la référence à Mauss, explicitée par Georges Friedmann et Edgar Morin, qui rejoindront un peu plus tard le mouvement, est sous-jacente au propos [voir l’article de J.-M. Leveratto dans le présent numéro de Cinémas]). Elle aurait pour nom : filmologie. Le centre aurait quant à lui pour tâche de créer un institut de filmologie. L’Association comporte des groupes d’étude — l’un, très actif, à l’École normale supérieure (ÉNS) — et des correspondants internationaux ; elle se donne d’ailleurs un bureau international.

Le président du Centre de filmologie qui est créé est Mario Roques (Collège de France), les vice-présidents, Henri Wallon (Collège de France) et Léon Moussinac (directeur de l’École nationale des arts décoratifs), le secrétaire général, Gilbert Cohen-Séat, le secrétaire général adjoint, Claude Jaeger (sous-directeur du Centre national de la cinématographie [CNC]), le trésorier, Alexandre Kamenka (producteur, Confédération nationale du cinéma français), le trésorier adjoint, Marc Allégret (réalisateur). Parmi les membres fondateurs, on relève les noms de Gaston Bachelard et Étienne Souriau, tous deux professeurs à la Sorbonne, André Chamson, conservateur au Petit Palais, Jean Guéhenno, écrivain, Georges Huisman, du Conseil d’État, Louis-Martin Chauffier, essayiste, Paul Montel, de l’Académie des sciences, et, dans le monde du cinéma, des réalisateurs comme Raymond Bernard (président de l’Association des auteurs de films), René Clair, Louis Daquin, Jean Delannoy, Jean Grémillon, Jean Lods, les scénaristes Pierre Bost et Henri Jeanson, le critique Georges Charensol (président de l’Association de la critique cinématographique), l’historien du cinéma Georges Sadoul, Marc Cantagrel (membre du Conseil supérieur de l’enseignement public et de la commission ministérielle du cinéma d’enseignement), le directeur de l’ÉNS, etc. On ne relèvera qu’une « absence », celle de la Cinémathèque française, pourtant sollicitée dès la parution de l’Essai [14] (Cohen-Séat 1946). Suspicieux au départ, Langlois se montrera par la suite franchement hostile dès lors que l’Institut viendra « concurrencer » sa volonté de dispenser des cours en Sorbonne [15]

L’Association a deux objets : recherche scientifique appliquée aux faits du cinéma (étude du film cinématographique et des effets sur les individus et sur les groupes de sa présentation et de sa communication au public) ; vulgarisation de l’idée filmologique. Le travail est défini selon deux axes : a) enquêtes épistémologiques ; b) problèmes pratiques. Le premier axe (a) compte cinq aspects : 1) recherches expérimentales (quels laboratoires, quels instruments, quels procédés sont-ils nécessaires pour une investigation valable) ; 2) évolution de l’empirisme cinématographique (documentation pour retracer l’histoire des techniques, évolution, intentions permanentes ou successives) ; 3) esthétique — psychologie et philosophie générale — sociologie ; 4) études comparatives (rapports avec les autres moyens d’expression, langage cinématographique/langage verbal/langage spécifique des différents arts, grands phénomènes collectifs éclairés par le cinéma — mythologie, iconographie) ; 5) recherches normatives d’application (fonctionnement possible du cinéma ; plan strictement scientifique). Les problèmes pratiques (b) concernent le statut du Centre, l’organisation des travaux, les relations internationales, la documentation et les archives, les publications scientifiques et de vulgarisation. Cette dernière tâche — qui explique l’ampleur du consensus que reflètent les noms énumérés ci-dessus et les associations et institutions qu’ils représentent — est cependant abandonnée après la création de l’Institut en 1950 (officieusement en 1948), au profit d’une spécialisation accrue. Aussi la RIF (créée en 1947) « se trouvera [après les deux premiers numéros] plus éloignée du public et […] des problèmes ordinaires du spectacle cinématographique » (Anonyme 1948, p. 235).

Il n’empêche que, sur un point au moins, l’engagement de départ — vulgarisation, documentation — est tenu : la bibliographie commentée des écrits sur le cinéma en France établie par Jean Malfreyt est à ce jour sans égale. Reprenant « les éléments pour une bibliothèque internationale du cinéma » que commença de publier La Revue du cinéma en 1946, c’est la mise en place d’un répertoire raisonné qui fait encore défaut aujourd’hui, alors que ne manquent pourtant ni les centres de recherche, ni les départements universitaires, ni les laboratoires (comme ceux du Centre national de la recherche scientifique [CNRS], par exemple), ni les bibliothèques spécialisées, etc., où de jeunes chercheurs auraient pu être chargés de ce type de recension analytique [16]. Enfin, il y a encore les activités publiques, comme le 1er Congrès international de filmologie, tenu à Paris à l’automne 1947, et nombre d’autres rencontres (Knokke-le-Zoute, Venise, Edimbourg, Stockholm, Milan, Londres, Paris, Milan). En 1961, la Prima Conferenza Internazionale di Informazione Visiva de Milan marque le déplacement du centre de gravité en Italie, auprès de l’Istituto « Agostino Gemelli » per lo studio sperimentale di problemi sociale dell’informazione visiva, de la fin de « l’aventure » filmologique française.

Oubli

Pourquoi, cependant, la filmologie — « science » et institution — fut-elle oubliée, au mieux appréhendée au seul titre de « précurseur », d’« intuition » ou de prémices par quelques ouvrages généraux sur la théorie du cinéma [17] ? En France, en particulier, où cet Institut eut son siège, auquel nombre de chercheurs de toutes disciplines collaborèrent, où son enseignement se développa, pourquoi escamota-t-on si rapidement, après sa « fin » institutionnelle, un épisode aux effets pourtant durables et, pour peu qu’on se penche sur ce qui le caractérisa, à la fois riche et fécond ?

Ainsi, pour ne s’en tenir qu’à quelques-uns des noms qu’on rencontre parmi les protagonistes de l’entreprise filmologique, on peut relever (par ordre alphabétique) ceux de Didier Anzieu, Gaston Bachelard, Béla Balázs, Roland Barthes, Claude Bremond, Roger Caillois, Jean Duvignaud, Pierre Fougeyrollas, Paul Fraisse, Pierre Francastel, Georges Friedmann, Enrico Fulchignoni, Agostino Gemelli, Marcel Griaule, Jean Hyppolite, Roman Ingarden, Vladimir Jankélévitch, Robert Kemp, Siegfried Kracauer, Serge Lebovici, Henri Lefebvre, Maurice Merleau-Ponty, Albert Michotte Van den Berck, Edgar Morin, Léon Moussinac, Jean Painlevé, Vsevolod Poudovkine, Hans Richter, Georges Sadoul, Pierre-Maxime Schuhl, Lucien Sève, Marc Soriano, Etienne Souriau, Jean Vendryès, Jean Vivié, Alphonse de Waelhens, Jean Wahl, Henri Wallon, René et Bianca Zazzo… On pourrait encore citer l’épistémologue et mathématicien suisse Ferdinand Gonseth, qui présida le Bureau international, Jean-Paul Sartre, qui participa au 1er Congrès, Jean Epstein, qui s’intéressa de près à l’entreprise et envisagea d’y collaborer (voir l’article de L. Le Forestier dans le présent numéro de Cinémas)…

Cette simple énumération — ou celle des membres de l’association créée en 1947, de son Bureau international et national, des intitulés de cours et conférences organisés par l’Institut, des programmes de colloques ou congrès auxquels l’Institut est mêlé quand il n’en est pas l’organisateur, des études publiées dans la RIF, des échos que l’hypothèse filmologique suscite auprès de personnalités et d’institutions reconnues (jusqu’au Vatican, en 1952, en la personne de Pie XII !) — suffirait à établir qu’il s’est passé là quelque chose dont l’ampleur n’est plus perçue à sa juste dimension.

Frappent en effet au premier abord trois aspects qu’on ne rencontre pas si fréquemment dans les études cinématographiques : une pluridisciplinarité effective (s’y croisent psychologues, philosophes, sociologues, historiens de l’art, historiens du cinéma…) ; une audience internationale immédiate ; des liens de collaboration et des échanges dans le monde entier avec des universités, des centres de recherche, des institutions sociales.

La clé de cette réussite presque instantanée : non pas la fondation ex nihilo d’une institution mais une structure en réseau reliant des laboratoires, des lieux d’enseignement, des chercheurs déjà établis dans leurs disciplines, et la recherche de synergies entre des institutions de natures assez différentes, des personnalités liées à des milieux variés qui promeuvent, chacune dans le sien, le projet filmologique, le font bénéficier de leur propre réseau d’échange et en répercutent l’écho dans les revues spécialisées auxquelles elles participent. Songeons qu’en quelques années, tandis qu’en France le Collège de France, l’École pratique des hautes études (ÉPHÉ), le Centre national de la recherche scientifique, la Sorbonne, l’École normale supérieure, l’École nationale supérieure des arts et métiers, l’École des arts décoratifs se trouvent impliqués à un titre ou à un autre dans le projet, au niveau international, ce sont les universités de Londres, d’Oxford, de Bruxelles, de Liège, de Louvain, de Budapest, de Cracovie, de Prague, de Göteborg, de Genève et de San Marco au Pérou, de même que l’Ohio State University, l’Institute of Film Technique de Chicago, les instituts de psychologie de Stockholm, de Rome, la VOKS soviétique, le Central Office of Information de Grande-Bretagne… qui entrent dans la mouvance filmologique. La Conférence internationale de 1947 qui se tient à Paris se prolonge à Knokke-le-Zoute et à Venise en 1949, à Edimbourg en 1950, à Stockholm en 1951, à Milan en 1952, à Londres en 1955, jusqu’au 2e Congrès qui se tient à Paris en 1955 — où s’élargit encore la sollicitation d’institutions d’enseignement et de recherche dans le monde entier —, et à Milan en 1957 et en 1961.

Autre aspect de cette structure réticulaire : les liens et les échanges avec des revues de philosophie, de sciences ou d’esthétique qui sont en intersection avec la Revue internationale de filmologie ; on peut citer La Revue d’esthétique (à la direction de laquelle participent Étienne Souriau et Raymond Bayer et où publie notamment Pierre Francastel), La Pensée (à la direction de laquelle participe Henri Wallon et où publient notamment Marc Soriano et Maurice Caveing), L’Âge nouveau (au comité de direction de laquelle siège Étienne Souriau), mais aussi bien la Revue de psychologie appliquée, le Journal de psychologie normale et pathologique (où P.-M. Schuhl publie sur les mêmes thèmes que dans la RIF), les Annales médico-psychologiques ou La Revue neurologique — où Cohen-Séat cosigne des articles… À cela s’ajoute le prosélytisme de Cohen-Séat (mais pas de lui seul) pour diffuser l’idée filmologique [18].

En 1954, à la veille du 2e Congrès international de filmologie, Jan C. Bouman [19], de l’Institut de psychologie de l’Université de Stockholm, correspondant suédois de l’Association internationale, dresse sa « Bibliographie sur la filmologie considérée dans ses rapports avec les sciences sociales », qui atteste de cette expansion en pas moins de 42 pages de références données en français et en anglais [20]. La seule prise en compte des interventions faites durant le congrès qui a lieu l’année suivante et des références bibliographiques que l’on trouve dans la plupart des rapports présentés doublerait à n’en point douter cette recension, sans parler des travaux ultérieurs et des prolongements, au-delà de l’Institut et de sa revue.

Le 2e Congrès et après

On peut observer d’assez près la préparation et la tenue du 2e Congrès international de filmologie grâce à un ensemble de matériaux qu’a conservés l’un de ses participants pour les déposer à la Cinémathèque suisse. Antoine Borel, secrétaire de la Conférence suisse des chefs de départements cantonaux de l’Instruction publique, président de l’Association suisse des Offices du film d’enseignement et président de la Chambre suisse du cinéma, s’inscrit à ces trois titres au congrès, qui a sollicité les trois organismes (deux lettres de 1954 signées par Cohen-Séat sont conservées). Dans le cahier où il prend des notes détaillées sur les séances de travail et sur les différents « événements » liés au congrès (réception des délégués étrangers par M. Edgar Faure, ministre des Affaires étrangères, et Madame), on apprend qu’à l’ouverture, les organisateurs informent que 430 participants se sont inscrits alors qu’on en attendait 80 !

Le fait que Cohen-Séat insiste auprès de Borel pour qu’il assiste au congrès est significatif (il figure déjà parmi les participants pressentis du 1er Congrès de 1947). Ensuite, l’ensemble des matériaux préparatoires atteste l’ampleur de la visée et de l’organisation de l’événement ainsi que la volonté d’élargir les débats et confrontations en dehors des spécialistes, avec des praticiens de l’enseignement, de l’animation sociale, de la prévention, etc. [21]. On se rappelle que la volonté de vulgarisation qui figurait dans les statuts de 1947 avait été mise de côté quelque temps plus tard, au moment de la création de l’Institut. Le congrès de 1955 affiche cependant une volonté d’ouverture sur la société. Si le 1er Congrès et les différentes réunions qui suivirent convièrent des participants de disciplines très diverses, le second proclame sa détermination à construire une « coopération de différentes disciplines » et à rechercher « une convergence des recherches ». Deux sections sont distinguées : « Études objectives des effets du film » (section divisée en sept groupes de travail) et « Questions posées par la pratique à la recherche expérimentale ».

Le moment semble venu de réunir les représentants de ces disciplines pour qu’ils fassent l’inventaire des connaissances déjà acquises, qu’ils examinent la validité des méthodes et des techniques employées et qu’ils définissent ensemble les problèmes d’intérêt commun, problèmes dont la solution rend souhaitable la convergence des méthodes de recherche [22].

Les communications sont écrites à l’avance — et publiées dans un recueil de plus d’une centaine d’interventions de sept pages en moyenne, auxquelles s’ajoutent un certain nombre d’autres interventions ronéotées — et tout le temps est consacré à la discussion entre spécialistes et experts (de disciplines extérieures) afin de développer la coopération interdisciplinaire souhaitée. Les journées sont structurées selon un schéma dialectique qui conduit le deuxième jour la section I à devoir répondre aux questions de la section II afin d’aboutir le troisième jour à une série de synthèses [23].

Quoi qu’il en soit des « résultats », ce congrès, s’il témoigne sans doute de la lucidité dont avait fait preuve Maurice Caveing (comme on verra plus loin) en pressentant assez tôt le destin cumulatif à l’infini de l’entreprise, offre également une cartographie des recherches ayant le film ou le cinéma pour objet dans le monde au milieu du xxe siècle. On constate que la « ligne » pédagogique qui naît très tôt dans l’histoire du cinéma [24] et se développe continûment depuis (avec Jean Benoit-Lévy, entre autres), jusque dans les années soixante, puis mute ensuite pour occuper le terrain de la télévision scolaire, irrigue l’actuelle faveur pour Internet [25]. Seul un resserrement de la réflexion sur le cinéma autour de la seule appréciation critique (goût, jugement esthétique, cinéphilie) conduit à ignorer cet ensemble important quantitativement, et qu’il faudrait pouvoir évaluer qualitativement, d’autant plus qu’il ne manque pas de passerelles et de passages entre le discours « élevé », qui retient l’attention, et cet ensemble de travaux, de recherches [26].

Du médium au média

On a dit pour commencer que l’hypothèse filmologique se soutenait d’une définition d’objet et d’une conviction de méthode. L’une et l’autre venaient rompre avec le discours ambiant sur le cinéma (critique, historique, esthétique) et tiraient de cette rupture leur ambition de fonder une science (ou, mieux peut-être, une approche scientifique) du cinéma. Pour ce faire, le « cinéma » est appréhendé autrement que dans la tradition critique, qui avait édifié sa prévalence de médium (spécificité) et, par là, d’art : il l’est en tant que média, au sein des moyens de communication de masse, ou mass media (ces mots n’apparaissent pas d’emblée dans le discours sur le cinéma, mais y sont introduits progressivement — notamment grâce aux sociologues [27]).

Cette hypothèse d’objet anticipe — pour l’Europe en tout cas — sur les études de mass media, de la communication de masse, qui vont se développer d’abord au sein de la filmologie (ou partiellement en son sein, grâce au réseau), s’autonomiser dans les années soixante (grâce à la relève du Centre d’études des communications de masse [CECMAS]), connaître une grande faveur en Italie (Istituto Gemelli) et devenir une discipline dans les départements de sociologie, pour aboutir (?), en France, au coup de force « médiologique » de Régis Debray (dont l’opportunité « politique » serait sans doute, elle aussi, à examiner…).

La filmologie opère donc — pour la France — le passage du médium (auquel toute la réflexion antérieure est vouée depuis Lindsay ou Arnheim jusqu’à Bazin : ontologie, art et langage) au média (que Balázs, certains chercheurs des Payne Fund Studies aux États-Unis, de même que Kracauer, Benjamin et l’École de Francfort avaient entrevu : c’est-à-dire la dimension d’appareil social, idéologique, culturel). La fameuse distinction de Cohen-Séat entre fait filmique et fait cinématographique est l’oeuf de Colomb de cette innovation conceptuelle ; grâce à elle on peut mettre le film, l’oeuvre singulière (éventuellement « oeuvre d’art ») à distance pour appréhender le milieu et les conditions qui le rendent possible, l’accueillent, et sur lesquels il agit en retour.

Cette perspective de communication audiovisuelle (soulignons que Cohen-Séat, dans son Essai [1946], ne parle pas de l’« image » visuelle seulement — comme on continue souvent de le faire en la matière — mais également de l’image sonore [28]) considère que le cinéma est le média dominant, l’interprétant, en somme, de l’espace de la communication et de l’information de l’ère industrielle. Et le film, au sein du cinéma, est l’objet central, le « modèle » heuristique pour comprendre le rapport de l’être humain à ce « fait ». D’où la domination de l’approche psychologique — à la base de la filmologie —, qui sera supplantée dans les années soixante par la sociologie (d’abord psychosociologie) puis la sémiologie, et aujourd’hui par les neuro-sciences et les sciences cognitives.

C’est là sans doute que la filmologie atteint une limite, car si l’immédiat après-guerre permet d’octroyer cette place au cinéma, au milieu des années cinquante, sa domination est remise en cause par la télévision. Le pari — juste — d’appréhender le cinéma comme média et non de se cantonner à l’étude du medium et de « l’art cinématographique » a pour corrélat la relativisation de l’importance du cinéma dès lors qu’un nouveau média ou de nouveaux médias apparaissent qui ne peuvent plus être saisis sur la seule base du « film », même s’ils partagent avec lui nombre de traits. La filmologie n’ignore certes pas la télévision, elle l’intègre à ses recherches — à l’exception sans doute de l’étude de R. C. Oldfield (1948) —, elle le fait à l’aune du film ou du spectateur du film.

La filmologie, n’étant pas « appréciative », n’a guère investi dans la valorisation du médium cinéma — si l’on excepte l’approche historique (Sadoul) et esthétique (Francastel) — elle en a étudié le fonctionnement et les effets. Or la secondarisation du cinéma comme média a ouvert un espace à une telle valorisation (spécificité, art : de l’esthétique à la sémiologie) et favorisé la perpétuation des études sur le cinéma et leur entrée à l’université comme discipline reconnue (dans des cadres somme toute assez convenus, ceux de la littérature et de l’art, réticents à un « décentrement » des oeuvres et des auteurs). Assez paradoxalement en effet, la théorisation post-filmologique de la sémiologie, et au-delà (notamment du côté de la psychanalyse et de l’énonciation), « fige » en quelque sorte le « modèle » du film, de son dispositif, de son spectateur, sur un état qui est déjà dépassé par les conditions de production, de diffusion, de réception, d’appréhension des images et des sons au moment même où elle s’énonce [29].

La fin de la filmologie

La première Conférence internationale sur l’information visuelle de Milan (9-12 juillet 1961) a été commentée en détail par Roland Barthes (1961) dans le premier numéro de Communications. Nous y reviendrons plus loin, mais on peut d’ores et déjà souligner que le compte rendu de cette manifestation, organisée par l’Istituto per lo studio sperimentali di problemi sociali con ricerche filmologiche e altre techniche, fait état d’un commencement… qui ressemble beaucoup à ce qui se discutait depuis plusieurs années à l’Institut de filmologie (on trouve d’ailleurs le mot « filmologie » dans le nom de l’institut italien). En effet, cette re-fondation repasse par les mêmes questions (« l’image relève-t-elle d’une psychophysiologie ou d’une sociologie ? »), repose sur les mêmes exigences scientifiques, et on y fait de nouveau « l’inventaire de tous les problèmes posés par la promotion massive de l’information visuelle dans le monde contemporain » pour « établir un plan international de recherches ». Les groupes de travail se divisent en : neurophysiologie, psychologie, sociologie, pédagogie, presse, histoire de l’image — et chacun a établi « la liste des recherches souhaitables » tandis que « la vaste confrontation interdisciplinaire, qui restait l’objectif principal de la conférence », n’a pu avoir lieu faute de temps… On a ainsi vu des groupes de travail méconnaître certains résultats déjà acquis, « on a parfois découvert avec assurance des problèmes anciens comme s’ils étaient nouveaux et on a demandé des réponses qui ont déjà été données ». Les différentes disciplines, qui souvent s’ignorent, ne sont pas parvenues à se coordonner et les degrés de spécialisation des participants étaient très inégaux. Ce remake du 2e Congrès international de filmologie témoigne donc avant tout d’un apparent surplace.

Pour Barthes (1961, p. 223), cependant, le succès de la conférence tient à la profusion des questions qui y ont été posées « sur un sujet très neuf et qui n’a pas encore été pris en charge par aucune science particulière ». Cette formulation semble bien exclure l’entreprise filmologique de toute prétention en la matière et, de fait, la suite de l’argumentation vise à combattre « l’impérialisme du cinéma sur les autres procédés d’information visuelle » en nommant cette fois Gilbert Cohen-Séat, « l’un des initiateurs de la conférence ». Ce dernier est certes salué pour avoir, en pionnier, lutté pour faire reconnaître le caractère spécifique de la perception filmique et proposé « d’accorder à l’image mobile le privilège d’une science indépendante et adulte, la filmologie », mais on proclame qu’il serait « dangereux » de faire de l’expression « d’information visuelle » « un euphémisme destiné à couvrir presque uniquement le cinéma » : « si l’activité filmique est spécifique […] cela signifie en toute logique que les autres formes d’images ne le sont pas moins ». La domination du cinéma se justifie sans doute « historiquement », elle ne saurait se justifier « épistémologiquement » (p. 224).

Sur ce point, Barthes (1993, p. 875) a évolué de manière décisive car, en 1960 encore, il affirmait que le cinéma était « reconnu comme le modèle des mass-media ».

L’autre « préjugé » que relève Barthes est la réduction de l’information visuelle à ses effets : « à une sociologie ou à une physiologie de l’information visuelle, il faudrait donc ajouter une sémantique des images ». Avec ce deuxième point, Barthes avance une exigence de type sémiologique et périme toute une part des motivations de départ de la filmologie, à savoir la « dangerosité » du cinéma, ses effets sur le psychisme ou les conduites [30]. En fait, poursuit-il, « on sait que la communication de masse considère actuellement, selon ses derniers travaux, que l’information modifie rarement : elle confirme surtout des croyances, des dispositions, des sentiments et des idéologies qui sont déjà donnés par l’état social, économique ou culturel du public analysé ». Et de souhaiter qu’on en vienne « à reconnaître un jour » que les effets de cette information « sont faibles ou nuls », ce qui priverait toute censure de ses alibis [31].

Ces remarques invalident en grande partie la conviction de base de Cohen-Séat, encore que tout y tienne à la notion d’« information », qui laisse de côté la mise en forme « émotionnelle » de la fiction (tension, attente, ambiguïté des situations, identification aux personnages, etc.) qui a été au centre des préoccupations filmologiques, jusque dans les tests filmiques (comme on va le voir).

La fin de l’aventure filmologique s’explique de différentes façons : il y a des raisons proprement institutionnelles (certaines sont documentées ici, voir Lefebvre plus loin), mais il y a aussi des raisons sociales et culturelles qui se manifestent au sein des sciences humaines et sociales à partir des années soixante et surtout après les événements de mai 68 et la crise des valeurs qu’ils représentent. En ce sens, l’ultime moment de « renversement » de la filmologie a lieu en 1969 quand la politisation du champ de la théorie et de l’histoire du cinéma (sous l’impulsion de Cinéthique puis des Cahiers du cinéma, mais dont les échos se font sentir également dans La Nouvelle Critique, Les Temps modernes…) conduit plusieurs auteurs à revenir sur ce qui leur paraît sous-tendre l’entreprise sémiologique inaugurée par Christian Metz en 1964, à savoir la filmologie. Soit, par exemple, la théorie de l’idéologie de la caméra introduite dans Cinéthique par Marcelin Pleynet dans un entretien avec Gérard Leblanc et qui lance l’idée selon laquelle

l’appareil cinématographique est un appareil proprement idéologique, c’est un appareil qui diffuse de l’idéologie bourgeoise avant même de diffuser quoi que ce soit. Avant même de produire un film, la construction technique de la caméra produit de l’idéologie bourgeoise.

Pleynet et Thibaudeau 1969, p. 10

Bien que, pour une part, l’argumentation de Pleynet et de ceux qui lui emboîteront le pas (Leblanc, Fargier, Comolli, Narboni) procède d’une lecture « gauchie » des études de Pierre Francastel sur la perspective et l’art de la Renaissance [32] — rappelons que Francastel participa dix années durant à l’enseignement de l’Institut de filmologie —, la filmologie n’interviendra dans ce débat que comme un repoussoir : Gérard Leblanc (1969), en effet, liera la construction (idéologique) de la caméra à l’« impression de réalité » qui devient synonyme d’« idéologie », soit — en termes althussériens — de « système de représentations (images, mythes, idées ou concepts) » formant un « obstacle épistémologique » à l’avènement d’une connaissance scientifique [33] : « […] il suffit de filmer selon l’idéologie produite par la construction de la caméra : l’impression de réalité… ».

Or l’impression de réalité est un des « objets » les plus étudiés par les psychologues et les philosophes à l’Institut : Michotte Van den Berck l’a introduite dans la RIF dès 1948 et Christian Metz en repartira dans un article des Cahiers du cinéma de 1965. Cinéthique reprochera à Metz de l’avoir reprise sans la critiquer et d’en avoir conservé dès lors l’idéalisme et l’essentialisme (Collectif 1971, p. 53).

Enfin, le recours à la psychanalyse vient à son tour renverser toute une part des recherches filmologiques qui étaient débitrices de la psychologie ou des psychologies à travers Wallon, Zazzo, Michotte, etc., tandis qu’on passe sous silence les contributions filmologiques qui se référaient déjà à la psychanalyse comme celles de Jean Deprun puis Cesare Musatti notamment, sans compter, paradoxalement, la recherche entreprise par Barthes autour des « unités traumatiques » au cinéma [34].

Sous l’impulsion de ce que Paul Ricoeur nomme l’« herméneutique du soupçon » (Nietzsche, Marx, Freud) et d’un nominalisme qui conduit le structuralisme au « post-structuralisme », l’épistémologie positiviste qui avait animé de nombreux travaux filmologiques tombe alors dans le discrédit, antichambre de l’oubli. Or, n’est-ce pas toute l’histoire de la réflexion sur le cinéma qui s’est trouvée, d’une façon ou d’une autre, à osciller entre une part de « réalisme » et une part de « nominalisme » ?

L’héritage dénié : de l’aérolithe à la constellation

Si la mémoire de l’Institut de filmologie, de sa revue et de ses travaux s’est estompée, ses effets se sont pourtant inscrits durablement dans la réflexion sur le cinéma. Pour ce qui concerne la France : Edgar Morin dans son Cinéma ou l’homme imaginaire (1956), ses Stars (1957) et son Esprit du temps (1962) ; Jean Mitry dans son Esthétique et psychologie du cinéma (1963 et 1965) ; Christian Metz dans ses Essais sur la signification au cinéma (1968 et 1972) et dans Langage et cinéma (1971), ces trois piliers de la théorie du cinéma citent et utilisent des travaux de l’Institut. D’ailleurs, le premier d’entre eux participa près de dix ans aux travaux de l’Institut, le second y donna quelques conférences et le troisième ambitionna d’y prendre une place.

En 1978, lors de la réédition du Cinéma ou l’homme imaginaire, Morin parle de son livre comme d’un « aérolithe » oubliant la « constellation » d’où il provenait et les années durant lesquelles lui-même enseigna et publia dans le cadre de l’Institut, comment il fut recruté par le Centre d’études sociologiques de Georges Friedmann, au CNRS, au titre, justement, de cette collaboration avec l’Institut de filmologie, dans le groupe « sociologie du cinéma » (Violette Morin sera recrutée dans un deuxième temps et deviendra secrétaire de rédaction de la RIF). La remarque vaut pour Les stars et L’esprit du temps, qui participent également à la logique des travaux de l’Institut de filmologie [35].

Quant à Metz, il tint à s’inscrire, à ses débuts, dans la filiation de la filmologie (voir plus loin l’article de M. Lefebvre) et ses premiers articles poursuivent les travaux engagés dans l’Institut : « Le cinéma langue ou langage ? » ne croise-t-il pas cette réflexion de Cohen-Séat (1949, p. 39) selon laquelle « le film, par essence, n’est pas, ne peut pas être, ni devenir un langage » mais que, « dans l’étude de la communication filmique, l’élimination de l’idée de langage n’entraîne pas celle de discours [36] » ; et son « À propos de l’impression de réalité au cinéma » (1965) ne procède-t-il pas des travaux de Michotte et des autres psychologues de l’Institut ?

Il faut d’ailleurs constater tout crûment qu’après qu’ils ont cessé d’exister en tant que tels, l’Institut de filmologie et la RIF paraissent bel et bien continuer… sous d’autres noms : on a coutume de nommer à titre de successeurs l’Istituto Gemelli de Milan et la revue IKON cinéma télévision iconographie (dont le sous-titre est : « Revue internationale de filmologie ») [37], mais on pourrait plus directement encore citer, à Paris, le Centre d’études des communications de masse (CECMAS), que dirige Georges Friedmann à l’ÉPHÉ (créé en 1960), et la revue Communications. Le numéro 1 (1961) de cette dernière ressemble à s’y méprendre à un numéro de la RIF : mêmes noms à la direction et au comité de rédaction (Friedmann, Barthes, Bremond, Edgar et Violette Morin), mêmes signatures, mêmes types de recherches et de recensements bibliographiques. Ou plutôt chacun y poursuit sa recherche, en l’infléchissant bien entendu [38]. Rendant compte de la première Conférence internationale sur l’information visuelle de Milan dans ce numéro, Roland Barthes thématise même explicitement ce « passage », comme on l’a vu.

En découvrant, par des entretiens avec des acteurs de l’aventure filmologique et des documents trouvés dans les archives du rectorat de Paris, qu’en 1961 on avait intimé à Cohen-Séat l’ordre de s’intégrer au CNRS ou de disparaître et qu’on cherchait à poursuivre le projet (que plusieurs autorités intellectuelles soutenaient et jugeaient viable, tout en déplorant de voir peut-être « partir » à l’étranger des acteurs associés à ce projet — Souriau notamment), mais en se débarrassant de son initiateur, M. Lefebvre offre une des explications possibles de ce transfert et de cet « oubli ».

Cette dimension politique, dans tous les sens du terme (politique d’État, politique universitaire), est, en quelque sorte, le « scoop » de ce dossier. Mais il faut distinguer au moins deux autres aspects : a) au plan institutionnel, le lien tout à fait singulier que la filmologie noue avec l’Université : une association loi de 1901 qui fonctionne sans rien coûter à celle-ci — au contraire ! —, lui fait délivrer des diplômes et parvient à faire collaborer dans son réseau des lieux généralement disjoints sinon « concurrents » ; b) le contenu de l’hypothèse filmologique proprement dite, son projet intellectuel.

Ces deux points sont à considérer pour analyser la place qu’a occupée la filmologie et celle qu’on a fini par lui disputer. Cela sans préjuger de l’articulation avec le niveau politique, qui demandera de poursuivre l’enquête historique et l’analyse des faits, ni de l’éventualité d’un épuisement de la direction adoptée au départ et de sa relève par l’étude des communications de masse.

« Une attitude nouvelle »

Revenons à l’hypothèse filmologique. C’est celle de la fondation d’une science, ou d’une discipline… Cohen-Séat appelle à fonder une « science », Pierre Francastel (1949) la voit venir (« une science filmologique en voie de se constituer »), Agostino Gemelli (1948) célèbre sa naissance (« una nuova scienza »), Henri Wallon (1947a) explique ce qu’elle est (« Qu’est-ce que la filmologie ? »), Marc Soriano (1947 et 1947b) en dresse l’état (« état d’une science nouvelle ») et, ailleurs, parle de « révolution », Jean Deprun (1947a) en évoque les « espoirs » ; si Gabriel Deshaies (1951, p. 573) nie qu’elle puisse « constituer une science nouvelle », Mario Roques (1947) parle, lui, de « discipline nouvelle », « ou du moins [d’]une conscience nouvelle… de faits humains qui se produisent autour du film de cinéma ».

Au plan scientifique, la filmologie est l’étude ou la recherche des effets de la filmographie [39] analysables aux plans psychologiques et psycho-physiologiques : effets sur la perception, le jugement, l’habitude, la mémoire, l’association d’idée, l’attention » : « le film est sans conteste le plus puissant générateur de mouvements et d’arrêts de mouvements à l’état naissant, qui se soit jamais attaqué de façon aussi corrosive, à l’état normal de l’esprit humain et derrière lui, peut-être, à l’organisme [40].

On constate donc que la filmologie se donne le cinéma et le film comme objets : a) parce qu’elle voit en eux un moyen nouveau de nature à influer sur les pensées, les conduites, les affects mais aussi, à la limite, sur l’organisme ; b) en vue de prévenir les dangers qu’ils représentent à plusieurs points de vue ; et c) afin de les maîtriser pour les soustraire à ces dangers et pour en soustraire les spectateurs : « Quels sont les nouveaux rapports qui pourraient s’instituer, en raison du cinéma, non seulement entre la pensée et les signes mais entre la réalité et l’intelligence ? » L’ambition n’est pas mince, mais il faut commencer de manière plus modeste, plus empirique, tâcher de circonscrire un champ, celui des « effets humains de l’image », « étudier l’attitude du spectateur » (Deprun 1947a, p. 109), en recherchant des collaborations au sein des « sciences humaines ». D’emblée, on affirme que cette science filmologique a besoin de réunir les efforts conjugués de psychologues, sociologues, anthropologues, linguistes, ethnographes — auxquels on peut ajouter psychanalystes, neurologues, philosophes et historiens de l’art et du cinéma. Dans son Essai, Cohen-Séat (1946, p. 62-63) affirmait déjà que

[…] l’étude approfondie du cinéma par un seul homme doit être considérée aujourd’hui comme impossible. […] on ne fera entrer ni l’énorme quantité de facteurs sociaux qui s’attachent au cinéma dans les limites de l’esthétique, ni dans les cadres de la sociologie l’ampleur et la minutie des problèmes de l’art filmique. […] Sauf à s’en tenir à son histoire, le cinéma présente ce trait d’autonomie que sa recherche est impliquée dans beaucoup d’autres et en implique beaucoup.

Cette collaboration avec les autres sciences humaines et disciplines est donc à double sens : « l’étude du film doit, en retour, apporter à l’esthétique, à la sociologie, à la psychologie, à l’étude du langage… », continue l’auteur. Marc Soriano (1947a, p. 117) reprendra la question avec plus de précision : « Le cinéma offre-t-il en psychologie une possibilité d’expérimentation nouvelle ? »

Mais si l’entreprise filmologique en appelle à une collaboration entre les différentes sciences humaines, peut-on parler véritablement d’interdisciplinarité à son sujet ? Ou encore de « science », comme certains filmologues se plaisaient à dire ? Ce qu’on appelle habituellement une « discipline » constitue une entreprise rationnelle relativement unifiée par un ensemble de méthodes, de problématiques et de concepts communs, lesquels sont sujets à des transformations dans le temps. Dans les sciences « dures », il n’est pas rare qu’un même « objet » soit envisagé à partir de différentes disciplines qui conservent néanmoins leurs frontières respectives. C’est plus délicat du côté des sciences humaines, où l’« objet » tend à jouer un rôle encore plus important. Comme le laisse entendre Cohen-Séat, on peut approcher le cinéma au moyen de l’économie, de la sociologie, de la psychologie, de la linguistique, de l’histoire, et ce, au sein même de ce qu’on appelle aujourd’hui les « études cinématographiques ». En ce sens, ce qui distingue principalement ce domaine de celui des études littéraires ou picturales, ce n’est pas tant les problématiques que les objets (le cinéma plutôt que la littérature, le film plutôt que le tableau, etc.). Mais cela ne signifie nullement qu’il faille distinguer entre « objets » et « problématiques » de façon absolue ou étanche : une telle distinction serait d’ailleurs impossible à effectuer, les problématiques étant des interprétants des objets eux-mêmes. En outre, ce qu’on remarque dans la constitution des études cinématographiques, c’est que ce ne sont pas toutes les approches du film qui s’intègrent dans leur discours : par exemple, alors que des travaux psychologiques sur la perception du mouvement y trouvent place, ceux sur la composition chimique — ou encore moléculaire ! — de la pellicule cinématographique ne s’y intègrent pas ou ne le font que très marginalement [41]. Un des intérêts de la filmologie, dans cette perspective, consiste précisément à reconnaître — vraisemblablement pour la première fois — cette « ouverture » constitutive des (futures) études cinématographiques tout en en dessinant plus ou moins vaguement les frontières depuis les territoires déjà formés des sciences humaines. Mais cela ne fait pas de la filmologie une « science », ou encore un domaine « interdisciplinaire ». Certes, la RIF et l’Institut étaient des espaces où l’on pouvait approcher le cinéma à partir de diverses perspectives disciplinaires et dans une optique scientifique (ou « scientiste ») — contrairement à la plupart des périodiques de l’époque se consacrant au cinéma, par exemple. Mais malgré les nombreux énoncés d’intention, malgré les voeux pieux de Cohen-Séat et d’autres encore, aucune véritable synthèse, aucune véritable collaboration interdisciplinaire ne vint jamais impulser la recherche (comme le note aussi Laurent Jullier). Quant à la scientificité des travaux filmologiques (visées et protocoles expérimentaux, savoirs, modes de représentation des phénomènes, etc.), elle était principalement assurée par les différentes sciences associées à l’un ou l’autre des programmes de recherche. La filmologie n’était pas une science et n’avait pas l’unité que requiert une science. En ce sens, on dira plutôt que c’était une approche, une attitude visant à introduire différentes démarches scientifiques dans notre compréhension du cinéma. Et c’est en cela qu’on peut affirmer, comme l’a fait Metz, que « la filmologie, dans le fond, fut à certains égards une préfiguration de la sémiologie du cinéma » (voir plus loin l’article de A. Boillat), à condition toutefois d’envisager la sémiologie dans une acception plus large que la seule « science des signes » saussurienne.

Méthodes

La différence qu’apporte Cohen-Séat, cependant, avec cette nébuleuse — y compris la sienne propre, quand il « prophétise » —, est son exigence au plan de l’expérimentation. C’est un réquisit de départ et il va innerver progressivement l’ensemble des activités filmologiques.

Au plan méthodologique, la filmologie, qui veut rompre avec le commentaire et l’appréciation gustative, on l’a dit, entend édifier un savoir fondé sur le protocole expérimental qui se pratique en science : hypothèse, expérience, théorisation. C’est pourquoi sont d’emblée recherchés des liens et des alliances avec des sciences humaines, comme la psychologie et la sociologie, et avec des disciplines constituées comme la philosophie, l’esthétique et l’histoire de l’art. Deshaies (1951, p. 573) va plus loin en affirmant que la légitimité de la filmologie tient à « la convergence sur un objet propre de méthodes appartenant à des disciplines connues » —, mais son corrélat est qu’elle ne tire pas son « autonomie », dès lors, de « la coexistence d’une méthode et d’un objet propres » et « ne saurait constituer une science nouvelle […] mais une synthèse spécialisée des études qu’elle promeut ».

Cependant, « alliance » ou « synthèse », dès le départ, Cohen-Séat tient à prévoir le développement de tests, d’expériences sur les effets du cinéma sur le spectateur ou le public — selon qu’on se place au plan de la perception, de l’affection ou des conduites collectives (qui vont jusqu’aux mesures de l’électroencéphalogramme pendant la projection cinématographique et des rythmes bioélectriques du cerveau — en 1954 — et qui culminera avec les Tests Filmiques Thématiques).

Enfin, Cohen-Séat (1946, p. 66) — et Wallon le suit sur ce point — entend développer une partie « normative », faire des propositions de « cinéma » en somme… Dans son Essai, il est fait état d’« une arrière-pensée d’intervention [42] ».

Cet aspect est sans doute le plus ambigu de l’entreprise. Dans l’éditorial du numéro 2 de la RIF (Deprun 1947a, p. 109), il est affirmé que la filmologie « n’a pas pour objet les techniques propres à l’écran, et nul ne songe à imposer aux cinéastes on ne sait quel conseil judiciaire ». Certes, elle requiert des « spécialistes des sciences humaines : esthéticiens, psychiatres, pédagogues, linguistes, philosophes », mais « leur ambition ne va pas jusqu’à mettre le cinéaste en tutelle. Il s’agit d’étudier l’attitude du spectateur. Leur point de vue est celui du patient. Ni protection, ni annexion : rencontre sur un terrain commun ».

L’homme malade

La distinction entre fait filmique et fait cinématographique fournit la base d’une triple préoccupation psychologique (psychologie-physiologique et psychologie expérimentale ; psychologie de l’enfant ; psychologie médicale ; psychologie collective, psychologie sociale), sociologique (au plan de la représentation : les types sociaux et nationaux ; au plan des publics et des comportements : la problématique des « effets dangereux ») et esthétique (Souriau : esthétique générale, comparatisme entre les arts ; Francastel : histoire de l’art, pensée plastique). Une part minoritaire mais pourtant présente est, enfin, dévolue à l’histoire du cinéma, à sa technique (classée dans l’approche « empirique ») dont est chargé Sadoul dès le départ et jusqu’au bout : c’est le quatrième volet.

Henri Wallon (1947, p. 16-17), l’une des autorités intellectuelles et politiques qui parrainent l’entreprise, reprend, dans le premier numéro de la RIF, l’argumentation d’une suspicion d’effets pathologiques à partir d’attendus de types psychologiques : le cinéma en tant que réalité technique modifie le milieu vital de l’homme, exige des accommodations et produit par conséquent des effets biologiques, psychologiques. Il touche à des couches profondes et élémentaires de la sensibilité et peut-être à des mécanismes physiologiques (comment l’oeil va-t-il s’accommoder des différences dans le rapport à l’image : relief, éloignement ? l’excitation unisensorielle, le caractère anormal des conditions de perception — immobilité, obscurité, mutité — va-t-il développer des pathologies ?). Enfin, il fait naître un besoin « dont la privation crée une sorte d’anxiété ».

On est frappé de voir, sur le plan de la démonstration de ces hypothèses, la place de la pathologie, l’examen des effets du cinéma sur des organismes plus « faibles » : enfants, adolescents, mais aussi enfants anormaux et « sauvages ». L’éditorial déjà cité dit que « c’est l’homme malade qui fait découvrir l’homme » (Deprun 1947a, p. 109) et Didier Anzieu (1947, p. 175) développe ce propos en partant de Durkheim et de sa distinction du normal et du pathologique. « Le problème que la filmologie pose à la sociologie, écrit-il, est le suivant : le fait cinématographique est-il un phénomène normal ou pathologique ? » Georges Poyer (1947) (de la Sorbonne) rapproche de son côté, dans sa psychologie « différentielle », les enfants, les primitifs et les psychopathes. Sa méthode part du principe selon lequel il faut étudier ceux qui sont « réfractaires » au film et étudier la maladie, la pathologie pour définir le corps et l’esprit sains. Qui sont ces personnes réfractaires ? Les économiquement faibles ; les déficients sensoriels ; les oligophrènes ; les psychopathes graves ; les surnormaux ; les vieillards… (p. 111-113) René Zazzo entreprendra également nombre d’expériences sur des populations « diminuées [43] »…

La sociologie, qui est d’ailleurs au croisement de la psychologie à cette époque-là, aborde, à son tour, cette argumentation concernant les « effets dangereux » (Morin), « criminogènes » (Lebovici) du cinéma. Mais tandis que l’ethnologue John Maddison (1948) se préoccupe des différences d’idéation entre « sauvages » et civilisés [44], Morin (1953a) critique les préjugés moraux qui créent leur objet en institutionnalisant son contrôle [45] et Friedmann (1961), inspiré par des travaux américains, va également dans ce sens.

Soriano avait fort bien posé le problème mais autrement : si le cinéma semble promettre autant de nouveauté pour la psychologie que le microscope pour les sciences de la nature, l’« anormalité » de la situation du spectateur de cinéma — du sujet de la psychologie — peut nous inciter à inscrire son observation dans la psychopathologie ou dans « cette psychologie qui s’intéresse aux phénomènes de la distraction ». Or la distraction du spectateur est une distraction « normale », ce n’est pas celle des aliénés, car si la perception au cinéma est « particulière », elle n’en appartient pas moins au même registre que la perception normale. Partant, l’attention au cinéma ne diffère pas radicalement de l’attention « tout court », elle est faite de rapports complexes entre attente et tension, elle est un mixte de passif et d’actif. En revanche, le cinéma offre un terrain particulièrement riche pour comprendre, par exemple, les mécanismes de l’accommodation (au sens de Piaget et Claparède — référence de Soriano, mais on a vu que Wallon la mettait au centre également) — qui se trouvent décuplés en raison de la situation du spectateur.

Ces résumés peuvent paraître transcrire une approche dogmatique de la part des psychologues — et Laurent Jullier en propose plus loin une évaluation au regard de l’évolution de la discipline, en particulier du cognitivisme —, mais ce n’est pas tout à fait vrai, car tous tiennent à vérifier expérimentalement ce qu’ils avancent et n’affirment rien en attendant, sinon à titre de convictions et d’hypothèses. La question des données fiables, des tests et des questionnaires est centrale pour eux, qui n’hésitent pas à faire état de leurs scrupules quand ils ne disposent pas de telles vérifications en nombre suffisant (ainsi Zazzo [1949, p. 29] déplore dans une intervention de n’avoir pu faire subir à ses idées « l’impitoyable contrôle des faits »).

Conséquence de cette démarche, l’une des exigences qui se fait jour assez vite est la mise au point d’un matériel expérimental permettant de mener des expériences plus démonstratives. Fraisse et de Montmollin (1952, p. 69) — qui travaillent au Laboratoire de psychologie expérimentale de la Sorbonne sur « la mémoire des films » (« quels souvenirs gardons-nous de la projection d’un film ? ») — utilisent des extraits d’un film « déjà ancien et peu connu » (Le camion blanc) puis des bandes d’actualités, mais dans leur conclusion ils écrivent

[qu’]il serait […] extrêmement utile de pouvoir réaliser des bandes expérimentales dans lesquelles on pourrait systématiquement faire varier la nature et la durée des plans pour voir dans quelle mesure ces plans, en fonction de leurs différents caractères de forme ou de contenu, seraient compris, retenus pour eux-mêmes, omis, ou au contraire condensés avec d’autres.

C’est ce qui se produit avec les Tests Filmiques Thématiques (TFT), point culminant de ce type de recherche, qui occupent tout un numéro de la RIF en 1958 (Cohen-Séat, Bremond et Richard 1958) et offrent une série de références à plus d’un collaborateur ultérieur — dont Roland Barthes (1960a). Claude Bremond, qui s’y investit manifestement avec beaucoup de détermination, reprendra d’ailleurs une part de la formalisation des TFT dans « la logique des possibles narratifs » qu’il élaborera par la suite. Pour Barthes — qui avait auparavant introduit une réflexion sur « le problème de la signification au cinéma » (Barthes 1960), où il prenait un exemple concret de film avec Le beau Serge de Chabrol pour évoquer « le lexique visuel » du statut social du jeune bourgeois intellectuel qu’est François, l’ami de Serge —, l’intérêt des TFT tient à leur caractère « expérimental » : on peut offrir plusieurs versions, et faire varier tel détail, ou soumettre une unité signifiante filmique à l’épreuve de la commutation et espérer par là établir un « inventaire raisonné des signes filmiques [46] ».

À considérer cependant la matière même proposée dans ces tests filmiques (des situations de convention qu’il s’agit pour les « cobayes » de décrire en identifiant les personnages, les lieux et les possibilités de développement narratif), inspirés des « Thematic Aperception Tests » (TAT) de H.A. Murray [47], on peut, bien sûr, sourire quelque peu, comme on peut le faire des observations qu’on tire des questionnaires. Les exemples ad hoc sont élaborés avec des restrictions qui en faussent manifestement la démonstrativité : absence de son, « extraits » d’un tout qui n’est que virtuel et pourtant déterminant (enjeu) plutôt qu’extraits de films existants ; caractère ultra-conventionnel des situations et de leur mise en forme — postulation en quelque sorte « à la Bordwell », d’un niveau standard de la communication filmique et questions faisant fond sur une telle postulation non explicitée, etc. On voit s’exprimer, dans le cas particulier d’un Camerounais (qui prépare son bac philo) auquel on soumet les films-tests, un condensé de ces ambiguïtés. Le commentaire retient surtout le TFT no 7, mettant en scène un trio (deux hommes et une femme) dans une voiture qui tombe en panne sur une route forestière de la région parisienne. Le sujet, considéré comme une sorte de « bon sauvage », aurait projeté son monde de référence (brousse, case, patron, etc.) sur la situation « bien française » qu’on lui propose [48] … Ainsi, en dépit d’une certaine sophistication de la démarche (en particulier en ce qui a trait aux schémas qu’on tire des réponses, à la formalisation des résultats), les TFT paraissent plutôt vérifier les idées reçues des examinateurs que mettre à jour des mécanismes de réception. Reconnaissons toutefois, dans ce cas comme dans celui — évoqué plus haut — de la recherche de Fraisse et Montmollin sur la mémoire des films, que le commentaire se livre à une sévère critique des limites de ces tests.

C’est sans doute la déception majeure que l’on peut ressentir à parcourir les treize ans de recherches et de publications de l’Institut mais, en dépit de cela, toute cette démarche, certes datée, aura eu le mérite certain d’aborder de manière autre que spéculative un certain nombre de problèmes du fonctionnement du film, domaine jusque-là largement livré à la spéculation d’auteurs n’engageant qu’eux-mêmes et leurs propres réactions ou leurs propres visées — ou préjugés — esthétiques. Nombre de questions, qui seront reprises ultérieurement — sans le souci de la vérification expérimentale —, sont en effet avancées dans diversees directions : l’impression de réalité, la participation, la croyance (« comme si »), la mémoire [49] et la remémoration, le transfert, la typologie (expériences de portraits composites à partir des expériences de Galton)…

Dans La nef de 1948, où il expose son projet avec vivacité, Cohen-Séat (1948, p. 58-63) pointe du doigt le « grand appétit » qu’a le cinéma à « se définir » et le rapproche de la « puérilité de la pensée égocentrique » telle que la définit Piaget [50] :

Se définir, il faut donc entendre que le cinéma cherche à le faire du dedans. Persuadé qu’il peut donner une cohérence logique interne à sa propre conception de lui-même, il est tout prêt à s’en satisfaire.

Il propose, au contraire, de « sortir du cinéma, [de] le penser du dehors, autant dire [de] changer de planète ».

Ainsi, au moment même où Cohen-Séat énonce son programme et où on le met en oeuvre dans les laboratoires du CNRS, du Collège de France et de l’ÉPHÉ, Bazin édifie, de son côté, sa théorie du spectateur libre de choisir au sein d’un cinéma du plan-séquence et de la profondeur de champ. C’est peu de dire que quelque intérêt qu’ait la postulation bazinienne (adossée, on le sait, à une série de convictions philosophiques et spirituelles), en particulier au plan d’une « poétique » du film, elle ne s’appuie sur aucune démonstration expérimentale sérieusement organisée (la pratique du ciné-club et des discussions avec les spectateurs n’offrant que des « données » très aléatoires, non fiables, en tout cas non vérifiables). On comprend aussi, à l’évocation de cette opposition — jamais formulée vraiment comme telle, sinon au début de la RIF, dans l’article en trois parties de Lucien Sève (1947, 1947a et 1948) —, que l’hostilité de Bazin à l’endroit de la filmologie est aussi motivée par cet aspect. Au plan scientifique — perception, idéation, etc. — l’opposition entre la « passivité » et l’« activité » du spectateur est évidemment une billevesée.

Il est cependant évident aussi que les niveaux définis par la filmologie (psychologie/sociologie) « sautent » celui — pourtant « prévu » par Cohen-Séat dans son livre et que Francastel et Souriau sont les seuls à étudier — de l’esthétique, dont le discours bazinien s’occupe, de son côté, « à l’aveugle » (puisque tous les réquisits théoriques qu’il emploie — événement, réalité — visent à « contourner » l’instance des codes du cinéma, démonisés dans le montage). Francastel (1955, p. 63) s’en fait l’écho dans son compte rendu des travaux du « Groupe VI » lors du 2e Congrès international de filmologie, tenu en 1955 (auquel participent Jean Duvignaud, Clara Malraux, Geneviève Rodis-Lewis, Jean Giraud, Paul Léglise, notamment) :

Il serait tout à fait nécessaire que dans le développement ultérieur des recherches filmologiques, une plus juste importance soit accordée désormais au point de vue esthétique ou figuratif, étant entendu que le film […] constitue […] un moyen d’expression spécifique.

Il détaille alors trois problèmes qui définiraient ce niveau de la figuration filmique : celui du pré-cinéma, d’une « mentalité pré-filmique que la caméra est venue servir » ; celui du temps filmique (« distinct du problème de la succession et de l’ordonnancement matériel des images ») ; enfin le caractère esthétique de la réalité filmique.

Le lien avec des interventions de philosophes sur un certain nombre de points ne se fait pas et, d’ailleurs, les contributions de ces derniers disparaissent progressivement : de Waelhens sur la phénoménologie, Jolivet sur le temps, Pierre-Maxime Schuhl sur le merveilleux et le réel ou l’abstraction, Roman Ingarden sur le temps, l’espace et le sentiment de réalité (qui avance la notion de « comme si »), Etcheverria-Vanez sur les « virtualités » du cinéma, sans compter celles dont on n’a pas de traces dans la RIF ni les actes de congrès comme ni celle de Merleau-Ponty sur la signification au cinéma [51], ou celle de Jean-Paul Sartre [52]

Dès le départ les questions de méthode ont pourtant été abordées : Marc Soriano, Lucien Sève et Maurice Caveing, en particulier, discutent assez vivement les attendus de l’introduction de l’Essai sur les principes d’une philosophie du cinéma de Cohen-Séat. Caveing est le plus « ravageur » qui met en lumière une certaine incohérence conceptuelle dans l’énoncé même du projet filmologique. Cependant, la « méthode » selon Caveing [53] s’inspire avant tout de la Logique de Hegel. L’enchaînement de l’exposé est imparable, à condition de se situer à l’intérieur de la Logique en question… Reste la partie critique, qui décèle plus d’une faiblesse native de la filmologie, son caractère additionnel notamment :

M. Séat la lance [la filmologie] dans une voie où elle ne disposera d’autre méthode que celle d’un dénombrement quasiment indéfini de matériaux toujours renouvelés accompagnés de l’espoir d’une systématisation complète quelque jour encore lointain [54].

La discussion menée par Soriano est plus intéressante car elle vise avant tout à complexifier ce que Cohen-Séat a tendance à présenter avec lyrisme, certes, voire avec un peu d’emphase, mais sur le ton de l’évidence.

Conclusion et ouverture

L’entreprise filmologique incitait des chercheurs et des enseignants de « lettres et sciences humaines » à prendre le cinéma comme objet ou comme instrument dans leurs propres recherches. Les recherches des psychologues, sociologues, historiens de l’art et philosophes associés à l’Institut ne « doivent » peut-être pas grand-chose à l’hypothèse de Cohen-Séat, mais elles lui doivent en tout cas leur intérêt pour le film, les mécanismes de la perception, le spectateur, les conduites des publics, etc. Comme l’écrit Ferdinand Gonseth, lors du 1er Congrès, « plusieurs personnalités de très haut rang scientifique vinrent répondre préalablement à la question commune : “Pourquoi suis-je déjà filmologue [55] ?” ».

À cet égard, la filmologie ouvre un espace qui sera frayé des années durant et dont les échos n’ont sans doute pas cessé de se faire entendre [56].

Le présent numéro de Cinémas constitue un dossier qui n’a pas la prétention, on l’aura compris à la lecture de cette introduction, d’être exhaustif ni même de faire le tour de la question : il propose quelques pistes en espérant avoir fait soupçonner l’ampleur du problème.

Il resterait à examiner de plus près plusieurs aspects du phénomène, notamment la nature des liens entre les différents centres de recherche, laboratoires, lieux d’enseignement et de formation. Comme il faudrait aussi revenir sur quelques-unes des « avancées » que pratiqua l’Institut de filmologie, notamment sur le point de l’« interdisciplinarité », où il « anticipe » une doctrine qui fut avancée, après la révolte étudiante de 1968, par le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Edgar Faure (conseillé notamment par Michel Foucault), et qui fut inaugurée à la rentrée de l’année 68-69 et incarnée par l’Université de Vincennes. Il faudrait enfin se pencher sur l’Institut de filmologie en tant qu’association loi 1901 assurant la coordination de l’enseignement de diverses matières et permettant la délivrance de diplômes, où il anticipe peut-être bien aussi des pratiques qu’on tend à impulser aujourd’hui et que le monde de la recherche connaît déjà. L’attitude du rectorat de Paris en 1961, qui met comme condition sine qua non de « rapatrier » l’Institut au sein du CNRS et d’en exclure Cohen-Séat, est une manière de mettre fin à ces singularités — mais aussi à ce qu’elles permettent. Enfin pour une bonne part, la filmologie « anticipe » la « nouvelle science » qui fera son apparition sous Mitterand, la médiologie de Régis Debray (qui reprend le terme d’« iconosphère » à Cohen-Séat), avec cette différence que la filmologie mettait l’accent sur l’expérimentation et les tests et ne se bornait pas au commentaire.

Ce renouvellement des connaissances concernant la « constellation » filmologique passera à n’en point douter par l’examen de fonds d’archives dont nous n’avons entrouvert qu’une petite partie et pu exploiter qu’une faible part : sans parler des archives de Cohen-Séat, auxquelles nous n’avons pas eu accès auprès de ses descendants (soucieux de les examiner avant de les ouvrir aux chercheurs), que nous réservent celles de l’Istituto Gemelli à Milan, du CNRS, de l’École des hautes études en sciences sociales (ÉHÉSS), du Collège de France, du CNC, de la Cinémathèque française, de même que les archives Wallon (Archives nationales), le fonds Souriau (Paris IV), le fonds Francastel de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), le fonds Sadoul (Cinémathèque française), le fonds Metz (idem), le fonds Epstein (idem), le fonds Painlevé (Les Documents cinématographiques), le fonds Merleau-Ponty (ses cours au Collège de France [1953-1954 et 1960-1961] dont les notes sont encore inédites), le fonds Barthes de l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec), le fonds Gonseth (bibliothèque de l’Université de Lausanne), et les témoins et participants de l’aventure filmologique qui pourraient apporter leurs témoignages (Edgar Morin, Lucien Sève, Maurice Caveing, Claude Bremond…).

Figure

Page couverture de la Revue internationale de filmologie, no 5, 1949.

Collection Cinémathèque québécoise

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Figure

Deuxième de couverture de la Revue internationale de filmologie, no 2, 1947.

Collection Cinémathèque québécoise

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