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Enseigner sérieusement, c’est poser les mains sur ce qu’il y a de plus vital chez un être humain. C’est essayer d’accéder au plus vif et au plus intime de l’intégrité d’un enfant ou d’un adulte. […] L’enseignement médiocre, la routine pédagogique, un style d’instruction qui, délibérément ou non, vise avec cynisme des objectifs simplement utilitaires, sont ruineux. Ils extirpent l’espoir à sa racine.

George Steiner, Maîtres et disciples, trad. Pierre-Emmanuel Dauzat, Gallimard, coll. Folio Essais, 2003, pp. 26-27

Van Hoof rappelle que la traduction médicale est « une des branches les plus anciennes de l’activité traduisante », car « les souffrances de l’âme et du corps ont toujours été au centre des préoccupations de l’homme » (Van Hoof, 1993, cité dans Lee-Jahnke, 2001, p. 145). Ces préoccupations sont toujours à l’ordre du jour. En effet, la santé constitue l’un des domaines en expansion en traduction humaine (Association de l’industrie de la langue, 2004). Ainsi, sans même parler du volume généré par les grandes organisations telles que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’obligation de fournir, au Canada, une documentation en anglais et en français, essentiellement à des fins de formation des professions médicales et paramédicales et de réglementation, a pour conséquence la production d’une grande quantité de textes hautement spécialisés.

Les connaissances et les compétences requises pour le traitement de ces textes ont suscité une réflexion sur la nécessité ou non d’une formation acquise au sein des disciplines biomédicales ainsi que sur la préférence à accorder à une formation générale ou à une formation spécialisée (Gile, 1986; Lee-Jahnke, 2001). En fait, bien que la plupart des étudiants aient rarement une formation préalable dans les sciences de la santé, l’expérience montre qu’ils peuvent devenir des professionnels à la compétence avérée, leur compétence langagière spécifique pouvant même leur conférer un avantage par rapport à des spécialistes qui n’auraient pas de formation en traduction (O’Neill, 1998). Quant à la formation, il va de soi que la traduction biomédicale exige des connaissances et des compétences partagées par l’ensemble des traducteurs, mais nous convenons avec Balliu qu’elle « relève d’un enseignement particulier, dissociable de la pédagogie de la traduction générale » (2005, p. 67). L’ampleur du domaine, sa complexité, ses spécificités sociolectales, mais aussi la diversité des ressources pouvant être consultées, imposent en effet une formation spécifique, surtout si l’on tient compte des graves conséquences qui découleraient d’erreurs éventuelles. À l’instar d’autres auteurs qui se sont penchés sur les difficultés de la traduction médicale, nous reconnaissons que la dimension terminologique n’est d’ailleurs pas la plus prégnante – même si elle constitue une difficulté réelle – et accordons tout autant d’importance à la dimension phraséologique (Wakabayashi, 1996; Lee-Jahnke, 2001; Balliu, 2005), à l’acquisition de vastes connaissances encyclopédiques (Wakabayashi, 1996, Lee-Jahnke 2001) nécessitant de maîtriser la recherche documentaire (Vandaele, 2001a; Francoeur et Brisebois, 2001; Sánchez, 2005) et, enfin, à la prise en compte de la typologie et de la structure textuelles ainsi que de la situation de communication (Sánchez, 2005; Balliu, 2005).

Ces difficultés, particulières au domaine médical, s’intègrent dans le cadre plus large du processus de traduction. Nous souscrivons à l’idée que traduire est avant tout une activité de résolution de problèmes menant à des prises de décision continuelles (Kussmaul, 1995, p. 149; Dancette, 2006; Politis, 2007, p. 158). Il ne s’agit en aucun cas de ramener l’activité traduisante à un quelconque enchaînement d’algorithmes, mais bien de souligner que le traducteur est amené à faire des choix dont il assume la responsabilité et qu’il doit être en mesure de justifier. Les études empiriques – notamment à l’aide des protocoles de verbalisation utilisés en contexte d’apprentissage (entre autres Kussmaul, 1995; Dancette, 2003; Atari, 2005) – montrent que les stratégies employées spontanément par les individus sont très variables, avec des performances très inégales, notamment en début de formation. Le réflexe initial est la traduction centrée sur le mot et la phrase au détriment de l’analyse du texte dans son ensemble et des circonstances de la traduction (Atari, 2005, p. 188), ce que nos propres observations corroborent et ce qui suggère une prédominance de mécanismes cognitifs préexistants et de présupposés plus ou moins conscients. Un élément crucial de l’enseignement consiste alors à remettre en question certains des chemins cognitifs utilisés par défaut pour les remplacer par des modes de raisonnement plus efficaces « basculant dans le réflexe » (Seleskovitch, 1973; cité par Delisle, 2005). Cette position rejoint celle de Robinson, qui s’appuie sur les triades de Peirce (intuition/expérience/habitude et abduction/induction/déduction) pour décrire le processus cyclique d’acquisition des compétences traductionnelles s’instaurant en habitudes chez le traducteur professionnel (Robinson, 1997, p. 96-107).

Nous avons déjà évoqué l’importance, chez l’apprenant, de la « construction “d’une architecture de connaissances” à laquelle il fera appel lorsqu’il se verra placé devant des problèmes à résoudre » (Vandaele, 2001b, p. 18), principe issu de la psychologie cognitive appliquée à la pédagogie (Tardif, 1997). Au sein de cette architecture, il importe de prendre en compte, d’une part, les noyaux conceptuels formant les connaissances de bases indispensables (Vandaele, 2001b) et, d’autre part, l’acquisition d’un savoir-faire se fondant sur : (1) la formulation, pour soi-même, des questions correspondant aux difficultés soulevées par le mandat de traduction[2]; (2) l’adoption de stratégies permettant de trouver des réponses pertinentes aux questions; (3) la capacité à prendre les décisions traductionnelles optimales à partir de ces réponses. Les réponses peuvent trouver leur source dans le bagage cognitif préalable (ce qui correspond à « l’intuition » de certains auteurs [Robinson, 1997], celle-ci n’étant pas autre chose que « l’expérience intégrée » [Nord, 1993; Vandaele, 2007]) ou dans le cadre d’une recherche documentaire stratégiquement organisée.

Comme le soulignent, entre autres, Delisle (2005, p. 20), Francoeur et Brisebois (2001, p. 130) et Vandaele (2001a), la recherche documentaire constitue un aspect essentiel à maîtriser. L’usage des mémoires de traduction en contexte professionnel tend à faire sous-estimer l’importance de la documentation, alors que devant des suggestions proposées par un outil informatique, le langagier devra de toute façon se prononcer au mieux de ses connaissances. Toutefois, en cette ère de surinformation où presque tout est accessible au bout du clavier, le mieux est jusqu’à un certain point l’ennemi du bien : plusieurs années d’expérience d’enseignement nous ont permis de constater que l’arrimage des questions soulevées par l’analyse d’un texte à traduire (dans toutes les dimensions précitées) aux ressources se fait difficilement. L’apprenant s’y perd facilement et tend à abuser de Google – solution facile mais peu spécifique – sans discrimination. De plus, même au sein de certaines ressources pourtant de grande notoriété, des erreurs se sont glissées[3]. Il est donc nécessaire de baliser le parcours d’apprentissage au moyen de ressources sélectionnées qui permettront à l’étudiant de se construire un référentiel et de se forger des habitudes de travail qui constitueront le socle de sa pratique future.

L’ensemble de ces difficultés nous a conduites à construire une ressource informatisée accessible en ligne qui permette d’abaisser les « coûts cognitifs » imposés par l’enseignement et l’apprentissage de la traduction biomédicale. Le concept de « coûts cognitifs », développé par Memmi (2003; cité par Plassard, 2005), rend compte des éléments freinant la prise de décision dans l’utilisation des connaissances[4] : l’accès, l’acquisition, la transmission, l’intégration, la (ré-)organisation et la maintenance. Nous étendons cette notion de « coût » à l’ensemble du processus traductionnel, ainsi qu’au processus d’enseignement et d’apprentissage, et nous l’appliquons donc autant au traducteur qu’à l’étudiant et au professeur. Idéalement, le traducteur professionnel doit pouvoir réduire au minimum les coûts cognitifs de sa pratique – sous peine de voir le coût réel de son travail augmenter et d’y « laisser sa chemise ». Quant à l’étudiant, comme nous l’avons déjà dit, un excès de complexité le conduit à adopter des stratégies inadéquates, qui, si elles ne sont pas corrigées, l’amèneront à des coûts de pratique professionnelle trop élevés (perte de temps ou… perte de contrats!). Pour le professeur, la mise en oeuvre d’une ressource et sa maintenance peuvent s’avérer trop lourdes pour être efficaces au plan pédagogique. Par conséquent, le site se veut une ressource, d’entretien simple, facilitant :

  • l’acquisition de réflexes analytiques;

  • l’établissement de liens entre l’analyse et les ressources;

  • l’acquisition de capacités de jugement sur la validité des ressources;

  • l’exploration de différentes solutions possibles;

  • la mise en place de méthodes de rechange efficaces lorsqu’une ressource ne contient pas la réponse cherchée;

  • la prise de décision, appuyée par des fondements théoriques;

  • et, enfin, la valorisation des travaux des étudiants.

II – Structure du site BiomeTTico

L’objectif du site, nommé BiomeTTico en référence à BIOMédecine, Traduction et Terminologie, COgnition, et aussi à Technologies de l’Information et de la Communication, est d’orienter l’apprentissage vers une optimisation des pratiques cognitives, tout en tenant compte des contraintes imposées par la durée des sessions de cours et le nombre d’heures de travail, la taille des groupes (souvent trop importante, malheureusement) et l’ensemble du programme dans lequel le cours s’insère (Vandaele, 2002). Les pages d’accueil et les parties accessibles au public sont présentées également en anglais et en espagnol, une page regroupe les questions les plus fréquemment posées en une « foire aux questions » (FAQ) et un plan du site est accessible. Le site ne se veut ni normatif, ni exhaustif. Il est le complément des cours, dans lesquels sont abordées les différentes composantes de la situation de traduction (comme l’analyse du texte ou les rapports avec le donneur d’ouvrage, par exemple). Il ne prétend donc pas couvrir l’ensemble des problèmes soulevés par une traduction particulière, mais se veut plutôt un carrefour des activités d’enseignement et de recherche ouvert sur l’extérieur. Il centralise différents outils issus de la recherche menée au cours des dernières années ainsi que l’ensemble de la documentation qui était initialement répartie dans les sites WebCT correspondant à chacun des cours.

Le recours à une plate-forme du type WebCT a de fait constitué une avancée importante dans la mise en oeuvre de sites consacrés à la formation en traduction spécialisée (Vandaele, 2003). Au chapitre des points les plus positifs, citons l’inscription automatisée des cohortes d’étudiants à chaque session, l’amélioration de la communication entre étudiants ou avec le professeur (courriel réservé au groupe), l’affichage aisé des plans de cours et de tout document ultérieur jugé important dans la suite du cours, la diffusion et la remise des travaux par voie électronique (permettant de simuler certaines pratiques professionnelles). Au chapitre des inconvénients, la gestion des sites s’est révélée assez lourde, du fait que le téléchargement et l’organisation des ressources nécessitent de nombreuses opérations. Comme une bonne partie de la documentation fournie peut être utilisée dans différents cours, il est nécessaire de les copier dans chacun des sites. La mise à jour est donc assez laborieuse. Outre le fait que l’interactivité est limitée et qu’elle n’accepte pas l’introduction de bases de données interrogeables, les inconvénients les plus marqués de la plate-forme WebCT sont la structure de répertoires emboîtés contraignant l’affichage des documents et l’absence d’indexation des ressources par mots-clés, ce qui se traduit par un accès peu convivial et une sous-utilisation des ressources offertes de la part des étudiants. Le « coût » de mise en oeuvre, de maintenance et d’utilisation est donc élevé. Avec la mise en ligne du site BiomeTTico, la vocation des sites WebCT se concentre alors sur les aspects particuliers à chaque session, tels que le plan de cours, la gestion des cohortes d’étudiants et la communication par courriel. Nous n’avons pas recours aux débats en ligne permis par cette plate-forme, d’une part parce que nous privilégions l’exploration de la documentation permettant d’objectiver les solutions et d’augmenter le bagage de connaissances, d’autre part parce que les forums de discussion semblent être perçus par la plupart des étudiants comme une perte de temps et comme une activité sociale plutôt que pédagogique[5]. Les discussions autour des solutions de traduction s’effectuent en classe.

Dernier élément pris en compte dans la structuration du site BiomeTTico : les catégories d’utilisateurs. L’accès au contenu du site est géré au moyen de permissions : tout est accessible aux administrateurs, mais certaines parties sont réservées aux membres de l’équipe de recherche (travaux en cours), ou aux étudiants inscrits aux cours (travaux avancés ou terminés, documentation à visée pédagogique). Les liens utiles et les bases de données peuvent, quant à eux, être consultés librement, mais certaines restrictions (nombre de champs interrogeables, accès aux bases en cours de construction ou de vérification, affichage de contextes détaillés…) sont imposées selon le niveau de permission accordé. Ainsi, outre son objectif pédagogique, le site vise à valoriser les produits de la recherche[6] et à les mettre à la disposition de la communauté des traducteurs et des terminologues ainsi que des chercheurs et des professeurs.

a) Du texte au questionnement : le coeur de la structure du site

La structure du site BiomeTTico est conçue à partir de deux séries de paramètres : d’une part, une série de questions-types se posant lors de l’analyse d’un texte; d’autre part, les ressources disponibles à l’interne (documentation sélectionnée et produits de la recherche) et à l’externe (accessibles par Internet). Une attention particulière a été portée à l’utilisabilité[7] de l’ensemble du site[8], tant pour l’utilisateur que pour le professeur (ou l’administrateur) chargé de sa maintenance.

Comme l’indique l’introduction sur la page d’accueil (Figure 1), plusieurs chemins d’accès au site peuvent être empruntés, en fonction du type du questionnement de l’utilisateur – qui dépendent notamment de sa perception des difficultés soulevées par le mandat de traduction – et de son degré de familiarité avec le site :

  • explorer les questions affichées dans des phylactères;

  • examiner un petit bloc de texte contenant des difficultés pour lesquelles il est proposé des réponses orientant sur l’usage du site;

  • accéder directement au contenu des onglets : documentation, corpus, bases de données, théorie;

  • effectuer une recherche au moyen de mots-clés indexant toutes les ressources contenues dans le site.

b) Questions-types et phylactères

Le graphisme, constitué d’une spirale agrémentée de phylactères et disposée parallèlement au texte d’introduction sur la page d’accueil du site, se veut évocateur des pensées émergeant en situation de traduction. Les phylactères contiennent sept questions-types, dont six organisées de façon logique, du général au particulier. Si la question 6 pointe d’emblée sur un problème particulièrement aigu dans le domaine (les formes abrégées), les autres sont assez générales pour pouvoir s’appliquer à d’autres contextes de traduction spécialisée. La question 7 vise à renforcer l’acquisition et l’application du métalangage et des notions théoriques. Des bulles contextuelles, s’affichant lorsque l’utilisateur clique sur les phylactères (Figure 2), orientent celui-ci vers les parties du site susceptibles d’apporter les réponses à la question posée.

Figure 1

Page d’accueil du site BiomeTTico

Page d’accueil du site BiomeTTico

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Figure 2

Fenêtre contextuelle associée au phylactère 7

Fenêtre contextuelle associée au phylactère 7

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Analyse de quelques difficultés pratiques

La deuxième voie d’exploration consiste à examiner un petit bloc de texte à traduire accompagné de sa traduction (Figure 3). Un certain nombre de difficultés, représentatives de problèmes fréquemment soulevés, sont repérables par des couleurs et sont associées à des fenêtres contextuelles explicitant les questions à se poser (Tableau 1a). La solution proposée dans le texte traduit en français est, quant à elle, reliée à une fenêtre indiquant les ressources pouvant aider à trouver les diverses solutions possibles (Tableau 1b).

Figure 3

Bloc de texte contenant des difficultés types, avec sa traduction en français

Bloc de texte contenant des difficultés types, avec sa traduction en français

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Tableau 1

Bulles contextuelles reliées à l’anglais (a : à gauche) et au français (b : à droite)

Bulles contextuelles reliées à l’anglais (a : à gauche) et au français (b : à droite)

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L’objectif pédagogique d’un extrait de texte à traduire est de favoriser la catégorisation des problèmes et des solutions pour mettre en place des habitudes de travail. Nous avons observé que le problème principal du débutant est que s’il peut repérer, la plupart du temps, les difficultés, la maîtrise des concepts théoriques et du métalangage lui manque pour les formuler clairement et donc accéder à des stratégies de résolution personnelles. Il arrive cependant que le repérage des difficultés elles-mêmes pose problème, comme le souligne O’Neill (1998, p. 74) : « There is an axiom in medicine, which […] could apply equally to translation: “If you don’t think of it, you can’t diagnose [translate] it.” » L’avantage de procéder à l’aide de questions accessibles à partir d’un texte est que l’étudiant peut compléter sa propre réflexion de façon personnalisée.

d) Exploration directe du contenu du site

La troisième voie d’accès consiste à explorer directement les onglets qui mènent aux différentes sections du site. Chaque onglet permet d’accéder à une page d’accueil explicitant brièvement les ressources qui y sont déployées.

Si l’usage de bases de données bibliographiques telles que Medline peut être adapté au contexte de la recherche documentaire en traduction (Vandaele, 2001a), il n’en reste pas moins que ces ressources ne constituent que l’un des outils à maîtriser. De plus, l’expansion prise par Internet a vu le développement et la mise en ligne de nombreuses ressources : certains dictionnaires canoniques, tel que le Dorland’s, sont maintenant accessibles directement en ligne, gratuitement[9]. Le manuel Merck, un classique à consulter, est également accessible, dans sa version anglaise[10]. Les glossaires, les vocabulaires, les cours en ligne et les sites universitaires prolifèrent. De nombreux ouvrages de référence peuvent être consultés en format électronique sur les sites des bibliothèques universitaires. Le problème est donc plutôt de sélectionner les ressources les plus pertinentes. L’onglet Documentation (Figure 4) donne accès à des ressources biomédicales thématiquement organisées : références d’articles sélectionnés, liens utiles (par exemple, liens vers les sites de nomenclature de gènes ou de protéines), liens vers les bibliothèques. Il ne s’agit, en aucun cas, de lister exhaustivement l’ensemble des ressources accessibles, véritable gageure au demeurant superflue à l’ère de Google, mais de favoriser l’usage de ressources faisant autorité.

Figure 4

Page d’accueil de l’onglet Documentation

Page d’accueil de l’onglet Documentation

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Par ailleurs, le recours à des corpus à des fins pédagogiques a pris un essor, ces dernières années, grâce à l’utilisation des outils informatiques, ce qui permet d’imaginer des exercices spécifiques et de préparer à l’usage des mémoires de traduction (Bowker et Pearson, 2002). L’onglet Corpus (Figure 5) donne accès à des corpus non annotés, unilingues ou bilingues, interrogeables au moyen d’un concordancier, ainsi qu’à des corpus annotés pour des projets spécifiques. Là également, la constitution de corpus à partir de critères de pertinence et de qualité est déterminante.

Figure 5

Page d’accueil de l’onglet Corpus

Page d’accueil de l’onglet Corpus

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L’usage de grandes bases de données telles que Termium ou le Grand dictionnaire terminologique est de façon générale bien intégré. Toutefois, le modèle adopté par ces bases ne permet pas de répondre à des questions autres que terminologiques, par exemple l’analyse et le choix des collocations ou le traitement des formes abrégées. Certains domaines biomédicaux très pointus ne sont pas non plus couverts en détail. L’onglet Bases de données (Figure 6) contribue à combler ces lacunes et permet d’accéder à des bases de données élaborées dans le cadre de différents projets de recherche : terminologie de la biologie cellulaire et moléculaire, nomenclatures anatomiques, collocations, formes abrégées.

Figure 6

Page d’accueil de l’onglet Bases de données

Page d’accueil de l’onglet Bases de données

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Enfin, une attention particulière a été portée à la réalisation d’une section du site regroupant des notions théoriques. Dans l’onglet Théorie (Figure 7), sont regroupés les articles de l’équipe et des références de textes théoriques en terminologie et en traduction. Un glossaire des termes les plus importants du métalangage utilisé dans les cours complète cette section.

Figure 7

Page d’accueil de l’onglet Théorie

Page d’accueil de l’onglet Théorie

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L’ensemble des ressources, sélectionnées en fonction de critères de pertinence et de cohérence, forme un riche ensemble à explorer. Cette richesse entraîne une variabilité dans les stratégies et les solutions possibles, ce qui permet d’alimenter les discussions en classe portant sur les critères à privilégier et sur la tension entre norme et usage, source de questionnements des plus anxiogènes chez les apprenants (nous évoquerons plus loin l’idée d’intersubjectivité partagée). Le site constitue également un bon moyen de valoriser les recherches, il se veut d’ailleurs évolutif et la contribution des étudiants de tous les cycles à son enrichissement est fortement encouragée.

III – Quelle pédagogie pour la traduction (spécialisée)?

La constitution du site BiomeTTIco s’inscrit dans le cadre d’une réflexion portant non seulement sur la pédagogie de la traduction spécialisée, mais aussi sur la pédagogie de la traduction dans son ensemble. Nous ferons état de points saillants issus des travaux d’autres auteurs et préciserons notre approche.

Delisle souhaitait ardemment, en 1988, que les professeurs de traduction s’interrogent enfin sur leur pratique. Quelque vingt ans et plusieurs colloques plus tard, on peut constater qu’un véritable débat est désormais engagé. Plusieurs auteurs ont contribué à alimenter une réflexion fondée avant tout sur la pratique de la traduction elle-même, notamment en contexte professionnel (par ex., Durieux, 1988; Pym, 2002; Gouadec, 2005; Delisle, 2005; plus spécifiquement en traduction médicale : Van Hoof, 1986; Rouleau, 1994). Différents auteurs cherchent à arrimer leur recherche aux différents courants de pensée de la pédagogie. Ainsi, comme le font de nombreux pédagogues, Kiraly (2005) critique le mode d’enseignement « transmissioniste », tenu pour dominant, centré sur la performance magistrale. González Davies (2004) rappelle que différentes approches pédagogiques ont contribué à l’évolution de l’enseignement (Richards et Rodgers, 1986/2001; cité dans González Davies, 2004). Ainsi, les approches communicatives ont souligné l’importance des situations pragmatiques de communication, les méthodes d’apprentissage coopératif se sont fondées sur l’idée que le travail d’équipe améliorait globalement l’apprentissage, l’enseignement humaniste insiste sur le rôle joué par l’étudiant dans l’évolution de ses propres compétences et celles du groupe, tandis que le puissant courant socioconstructiviste envisage l’acte d’apprentissage comme un acte social dans lequel l’apprenant construit ses connaissances à partir de ses connaissances préalables, son expérience et sa motivation. Les perspectives humanistes ont par ailleurs mis en relief l’importance de l’affect dans les situations d’apprentissage (González Davies, 2004, p. 5), corroborant en cela les découvertes récentes en matière de neurobiologie (Damasio, 2003). Kussmaul (1995), Dancette (2003), Durieux (2005) et Politis (2007) s’appuient sur les courants cognitifs, tandis que Robinson (1997) s’appuie sur la suggestopédie de Lozanov et que Kiraly (2005) ainsi que González Davies et Scott-Tennent (2005) ont recours aux approches socioconstructivistes résolument centrées sur l’apprenant.

Selon notre perspective, la priorité doit être accordée aux processus cognitifs intervenant dans l’apprentissage (Tardif, 1997), mais en rapport avant tout avec les exigences particulières de la pratique traductionnelle et à partir d’observations de la réalité des salles de classe et des exigences du marché du travail. Ceci place l’enseignant dans une situation d’engagement à l’égard du contexte d’enseignement, et non pas dans un rôle passif déléguant à l’étudiant la tâche de s’éduquer lui-même. Par ailleurs, nous reconnaissons tout l’intérêt d’élaborer une méthodologie axée sur les étudiants, mais ne rejetons pas pour autant la performance magistrale qui, lorsqu’elle est convenablement ciblée au sein d’autres activités pédagogiques, peut se revéler un moment extrêmement dynamique de l’enseignement (voir par exemple Deroth, 2005), pourvu qu’elle apporte une réponse à un besoin en termes d’apprentissage et qu’elle soit conçue de manière à favoriser ultérieurement les interactions professeur-étudiants et entre les étudiants eux-mêmes.

Le point de départ qui nous paraît essentiel consiste à apprendre à repérer les différents paramètres de la communication soulevés par la demande de traduction, qu’ils soient contenus dans le texte ou non, et de les intégrer dans une démarche de résolution de problèmes liée aux difficultés rencontrées. La stratégie d’apprentissage proposée a pour objectif de favoriser la catégorisation des problèmes et des pistes de solution, plutôt que de lister sans fin des solutions de traductions. L’injonction de douter, encore trop fréquente, devrait être littéralement éradiquée au profit de l’incitation à prendre conscience des raisonnements suivis et à envisager la perception d’une inconnue ou d’une difficulté comme un défi à la curiosité et à l’intelligence envisagé de façon ludique : là se trouve le plaisir de traduire – ce qui est bien la moindre des choses lorsqu’on se prépare à y passer une bonne partie de sa vie. Souligner le caractère ludique des processus traductifs permet d’éviter l’occultation des critères d’exigence professionnels, qui, s’ils étaient les seuls à être pris en compte, axeraient les cours sur une dynamique strictement utilitaire quelque peu stérilisante. S’il nous paraît important, à l’instar de González Davies (2004, p. 5), de mettre l’accent sur le processus d’apprentissage et sur la construction de la compétence, il ne faut cependant pas oublier que la formation des traducteurs est étroitement liée aux contraintes du monde du travail, auquel il faut les préparer le mieux possible – ce que les étudiants réclament de toute façon.

La non-homogénéité des groupes nous paraît être une constatation incontournable pourtant trop souvent passée sous silence. Comme le souligne González Davies (2004, p. 5) : « The students […] are often regarded as a homogenous group starting their translator education from tabula rasa, with the same aptitudes and attitudes. » S’il est évident que l’on peut classer les textes en fonction des difficultés intrinsèques qu’ils recèlent (condition nécessaire si l’on veut proposer une démarche progressive), il est clair également que la perception de la difficulté est très variable d’une personne à l’autre. De même, la motivation n’est pas égale chez tous. L’outil proposé devrait aider les étudiants à prendre conscience des étapes d’acquisition des compétences, quel que soit leur point de départ, et à accroître, dans la mesure du possible, leur motivation.

De nombreux théoriciens de la pédagogie tiennent pour acquis que les stratégies pédagogiques conférant aux apprenants une autonomie plus ou moins complète sont appréciées par tous ou conviennent à chacun d’entre eux. De nombreux témoignages, au cours des dernières années, nous incitent cependant à penser qu’il convient de rejeter tout autant une attitude pédagogique excessivement normative fondée sur l’autorité, qu’une position d’effacement déléguant entièrement la responsabilité à l’étudiant de son auto-apprentissage. La première conduit le futur traducteur à rechercher l’autorité qui l’absoudra de toute « faute » éventuelle, tandis que la deuxième est génératrice d’un haut degré d’anxiété en raison de l’absence de repères – ce qui conduit souvent au même résultat. Au lieu de susciter, comme on le voudrait idéalement, autonomie et construction spécifique d’un ensemble de compétences et de connaissances, l’effacement prématuré de l’enseignant conduit plutôt à rendre beaucoup plus difficile la construction d’un référentiel personnel fondant la pratique professionnelle future. Nous sommes convaincues qu’il ne faut pas négliger la part d’identification (positive ou négative) qui opère à l’égard de l’enseignant, et qu’il est préférable de l’assumer éthiquement plutôt que de chercher à l’occulter. Certes, le professeur a un rôle de guide et de conseiller, mais, selon nous, cela suppose un engagement – plutôt qu’une prise d’autorité – mettant à contribution ses connaissances et son expérience. Nous envisageons en fait l’enseignant comme un pivot, un point d’appui (ce que l’anglais rend par fulcrum) autour duquel l’étudiant (ré-)organise ses propres connaissances et en intègre de nouvelles, ce qui n’exclut d’ailleurs pas, de la part de ce dernier, une prise de position opposée. Ce modèle d’engagement vise à établir une empathie réciproque consciente, ce qui revient à mobiliser une faculté humaine fondamentale, à savoir ressentir l’autre. De même qu’il est impossible pour le professeur de comprendre pourquoi telle ou telle erreur est commise sans lui-même saisir le cheminement suivi, il est impossible pour l’étudiant de modifier son mode réflexif sans accepter consciemment les méandres d’une nouvelle démarche réflexive, au moins temporairement, quitte à la rejeter ensuite. La fréquentation des modes de pensées et des diverses allégeances en contexte universitaire doit d’ailleurs fournir l’occasion de se situer, en tant que futur professionnel ou futur enseignant, au sein des différents courants de pratique et de recherche : se positionner, c’est aussi se découvrir et s’affirmer. À cette fin, l’enseignant est amené à prendre de plus en plus conscience de ses propres mécanismes de raisonnement et à les confronter à ceux qui sont utilisés par les étudiants, ce qui suscite une dynamique d’interaction propre à enrichir les deux parties et qui prépare le futur traducteur à affirmer ses choix sur des bases raisonnées et raisonnables.

La position que nous défendons ici doit être perçue en pleine cohérence avec celles prises ailleurs en faveur d’une approche cognitive de la traduction (Vandaele, 2007) : nous nous sommes expliquées sur nos repères épistémologiques, mais nous voudrions insister ici sur le fait que notre perspective n’est pas celle dans laquelle le cerveau est assimilé à un ordinateur fonctionnant à l’aide d’algorithmes. Ce qui doit être privilégié est une exploration et un balisage des voies de réflexion diverses émergeant des individus, en rapport avec leur justesse logique et l’efficacité des résultats obtenus, sans oublier les composantes affectives et imaginatives. Nous admettons également que la variabilité des solutions de traduction s’inscrit dans la diversité propre à la pratique elle-même, et l’on pourra remplacer avec profit la notion d’autorité par celle, plus réaliste, d’intersubjectivité partagée par un groupe social (en l’occurrence les professionnels de la santé). Dans cette perspective, qui prend en compte les habitudes sociolectales de ces professionnels conjuguées à celles des rédacteurs et des traducteurs, le traducteur trouve sa place, puisqu’il contribue à influer sur cette intersubjectivité par ses choix propres. On peut par ailleurs observer que l’intersubjectivité partagée se développe au sein même du groupe d’apprenants et qu’elle évolue au cours d’une session. En effet, au fur et à mesure que sont intégrés les principes méthodologiques et les connaissances, un consensus de plus en plus important sur les meilleures solutions à adopter s’établit. Le résultat est que si, en début de session, le professeur est le témoin le plus important de cette intersubjectivité en raison de sa compétence et de sa connaissance du domaine, le groupe prend progressivement le relais, ce qui contribue à la formation du référentiel interne de l’apprenant et à sa prise d’autonomie.

Enfin, il nous paraît essentiel de débusquer et de remettre en cause rapidement les méthodes et les conceptions erronées. Il faut encourager l’étudiant à combler au plus vite les éventuelles lacunes relevant de la connaissance générale de la langue et cibler dès que possible, par exemple, la tendance naturelle des débutants à traduire au mot à mot, l’usage abusif de Google (qui ramène des centaines de pages priorisées selon des critères inaccessibles à l’utilisateur) ou la confusion entre forme linguistique et référent ou concept (ce qui mène à des erreurs courantes du type : « La maladie est un terme fréquent dans les textes biomédicaux »). Il ne s’agit pas de traumatiser les étudiants, mais de les amener à modifier leurs mécanismes cognitifs pour adopter des stratégies plus efficaces (Kussmaul, 1995; Tardif, 1997). L’idéal étant de pouvoir accéder à un questionnement en rapport avec leurs méthodes de travail dès le début des cours, sans attendre la correction des premiers travaux, l’usage de questions-types nous paraît contribuer à le susciter de façon personnalisée, en fonction des présupposés propres à chacun.

En conclusion, nous souscrivons à l’idée de Gouadec selon laquelle l’université est le seul endroit où il est possible d’insister sur l’acquisition d’une bonne méthodologie et de stratégies de réflexion adéquates (Gouadec 2000, cité dans González Davies, 2004, p. 4) et que des outils spécifiques aux différentes situations pédagogiques doivent être développés. Nous sommes très loin d’envisager la dyade professeur-étudiant comme un rapport de maître-disciple et n’en faisons donc pas l’apologie, mais la citation en exergue, tirée de l’ouvrage de Steiner, nous rappelle que le questionnement éthique doit constamment être présent en contexte d’enseignement. Il nous indique aussi que s’interroger sur le rapport profondément humain et multidimensionnel qui s’établit entre enseignants et apprenants est une urgence dans le cadre des débats actuels menés à tous les niveaux du monde de l’éducation.