Corps de l’article

1. Introduction

Depuis quelques années, les chercheurs se préoccupent de la persévérance scolaire, en montrant un intérêt particulièrement marqué pour l’apport de la communauté à la mission de l’école. Le soutien de la communauté peut prendre la forme d’une bonne collaboration entre l’école, les organismes communautaires, les établissements du réseau de la santé et des services sociaux et les municipalités. Le soutien peut aussi se manifester par l’engagement de représentants de la communauté à l’intérieur d’instances politiques comme le conseil d’établissement des écoles (Deslandes, 2006). En parallèle à ces écoles dites traditionnelles, se sont développés des centres de formation en entreprise et de récupération (CFER), oeuvrant auprès des élèves en difficulté grave d’apprentissage, et dotés d’un conseil d’administration où siègent des membres de la communauté. Or, le CFER de Victoriaville semble avoir connu un succès notoire et les gens de la communauté, membres du CA, auraient contribué de façon importante à ce succès. C’est dans une perspective de meilleure compréhension du processus d’engagement des gens de la communauté au sein du CFER de Victoriaville que s’inscrit cette étude. Dans cet article, nous présentons d’abord le contexte, le cadre théorique, les objectifs de l’étude ainsi que la méthodologie privilégiée. Puis, nous discutons des résultats avant de conclure sur un bref bilan de la recherche, sur l’identification des limites de celle-ci et sur quelques pistes pour des projets de recherche futurs.

2. Contexte pratique

2.1 Centres de formation en entreprise et de récupération

Les centres de formation en entreprise et de récupération (CFER) sont des lieux de formation pratique non traditionnelle, créés dans le but d’offrir un programme adapté aux élèves en difficulté grave d’apprentissage et ainsi favoriser leur insertion sociale et professionnelle (Maurice, 1993 ; Rousseau, 2003). Les centres de formation en entreprise et de récupération proposent une pédagogie unique, sanctionnée par un certificat remis par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2005a). Parmi les composantes de chaque CFER figure un conseil d’administration qui comprend un représentant de la Commission scolaire, des enseignants engagés dans le projet et des individus provenant du milieu. Selon Normand Maurice (entretien personnel, 2004), l’implication des gens de la communauté joue un rôle majeur dans le succès des centres et, tout spécialement, celui de Victoriaville. Maurice (2004) précise que les centres de formation en entreprise et de récupération sont des acteurs importants dans la communauté, et non pas les parents pauvres de la communauté. Les finissants des centres de formation en entreprise et de récupération se présentent à la communauté comme des personnes capables de contribuer à celle-ci. Chaque centre constitue une corporation à but non lucratif, responsable de ses engagements, en vertu de la 3e partie de la Loi des compagnies. Il n’entre pas dans nos intentions de verser dans le droit corporatif ; toutefois, il apparaît évident que le rôle des membres du conseil d’administration des CFER est profondément distinct de ceux des conseils d’établissement des écoles traditionnelles (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005b), spécialement en ce qui concerne le rôle des membres de la communauté. C’est ce dernier volet que nous voulons explorer dans le cadre de la présente étude.

2.2 CFER de Victoriaville

Créé en 1987, le CFER de Victoriaville a été conçu et initié par une équipe d’enseignants sous la direction de Normand Maurice, surnommé depuis le Père de la récupération au Québec. Tout comme dans les 19 autres centres du Québec, les élèves admis dans le programme de deux années sont âgés entre 16 et 18 ans. La première partie du programme est consacrée aux matières de base, les mathématiques, le français et les sciences sociales ; la deuxième porte sur le développement personnel et la formation sociale tout en mettant l’accent sur les problèmes environnementaux, tandis que la troisième insiste sur la formation pour l’emploi. À Victoriaville, le centre de formation en entreprise et de récupération s’est particulièrement distingué par la création d’entreprises dans le domaine du recyclage (papier, rebuts de verre, plastique, peinture et pièces de métal et porcelaine) et par son engagement dans la fabrication de compost et de plantation d’arbres. Le CFER de Victoriaville est sans aucun doute une histoire à succès.

3. Contexte théorique

3.1 Rôle de la communauté

La communauté retient particulièrement l’attention des chercheurs et des décideurs politiques quant à son rôle direct et indirect dans la formation et la socialisation des jeunes (Deslandes et Bertrand, 2001a, 2001b ; Sanders, 2001). Les écoles sont situées dans des communautés et la collaboration école-communauté est associée au développement du capital social et aux occasions d’apprendre offertes à tous les élèves (Coleman, 1988). Parmi les partenaires habituels de la communauté, figurent les associations professionnelles et les entreprises (Sanders, 2006). Ces dernières, et tout spécialement le rôle des dirigeants d’entreprise (business leaders) dans le cadre du fonctionnement du conseil de l’école ou, notamment, du conseil d’administration du centre de formation en entreprise et de récupération de Victoriaville, attirent notre attention dans le cas présent.

3.2 Collaboration école-communauté

Selon Janosz, Fallu et Deniger (2001), la complexité des facteurs qui régissent l’apprentissage et la persévérance scolaire exige que l’on intervienne simultanément à plusieurs niveaux. Ces auteurs soulignent l’importance de faire participer l’ensemble des acteurs à l’amélioration de la situation en s’assurant qu’ils agissent en concertation. Dans la même foulée, Deslandes (Deslandes, 2001 ; 2004 ; Deslandes et Bertrand, 2001a, 2001b) met en évidence la nécessité, pour l’école, d’établir des liens avec la communauté pour mieux répondre aux besoins des jeunes.

De même, dans sa discussion sur la sélection des membres de l’équipe chargée de promouvoir la collaboration école-communauté au sein d’une école, Sanders (2006) rapporte l’importance d’inclure des enseignants, des administrateurs et des entrepreneurs considérés comme leaders dans leur domaine. Ainsi, la composition de l’équipe est variée et chaque membre a un rôle clairement défini. Par exemple, un individu peut se démarquer par l’abondance de ses contacts avec la communauté, alors qu’un autre possède une expertise sur le plan technique et un dernier, dans les stratégies d’évaluation. Ces membres sont habituellement des bénévoles, et ils manifestent un engagement sincère dans la formation et le développement des jeunes. De tous les facteurs influençant le fonctionnement de la collaboration école-communauté, une communication ouverte constitue indéniablement le plus important, voire la pierre angulaire à travers laquelle se développe une vision commune et autour de laquelle s’articulent les rôles et les responsabilités de chacun. Suivent de près le partage dans la prise de décision, la réflexion, l’évaluation et la résolution de conflits. Sanders (2006) met aussi en évidence l’importance du leadership de la direction qui s’assure que les individus invités à se joindre à l’équipe possèdent les habiletés, l’expertise et l’expérience requises pour réussir. Tout en agissant à titre de facilitateur et de partenaire, ce leader fait en sorte de reconnaître et de complimenter chacun pour ses efforts. Il joue un rôle essentiel dans le modelage de l’ouverture aux autres, dans l’établissement d’un dialogue ouvert et dans le soutien visant à développer une culture propice à la collaboration.

Cependant, les défis sont énormes, comme en témoignent les différents projets présentés dans le cadre du colloque de l’ACFAS (Observatoire international de la réussite scolaire, 2007), intitulé Collaboration école-famille-communauté liée aux apprentissages des élèves. La complexité des interactions école/famille/communauté a été mise en lumière lors de la présentation, notamment, du projet de l’École éloignée en réseau (Laferrière, Breuleux, Allaire, Hamel et Turcotte, 2008), d’une étude de cas réalisée dans un milieu à risque (L’Hostie et Doyon, 2008) et également par le biais de l’étude des processus dans l’élaboration et l’implantation de programmes globaux (Deslandes, 2008). Jusqu’ici, aucune étude n’a permis de décrire le processus de l’implication des gens de la communauté qui joue un rôle majeur dans le succès des centres de formation en entreprise et de récupération et, tout spécialement, dans celui de Victoriaville.

4. Objectifs de l’étude

Le but de la présente démarche est de mieux comprendre le rôle des membres de la communauté en lien avec le succès des CFER, en l’occurrence celui de Victoriaville (Rousseau, 2003). Les objectifs consistent à : 1) documenter les critères de sélection de ces membres ; 2) identifier les différentes fonctions attendues et réelles comme participants au conseil d’administration du centre de formation en entreprise et de récupération ; 3) décrire les connaissances et les habiletés personnelles, professionnelles et entrepreneuriales ainsi que les attitudes aidantes dans l’exercice de ces fonctions et 4) approfondir les facteurs de réussite du CFER de Victoriaville.

5. Méthodologie

Sur le plan méthodologique, la présente recherche vise à examiner le succès d’un centre de formation en entreprise et de récupération sous l’angle de la participation de quatre membres de la communauté, fondateurs du CFER de Victoriaville. L’étude de cas a été privilégiée comme méthode de recherche, car elle permet l’analyse en profondeur des phénomènes dans leur contexte (Gagnon, 2005).

Des entrevues semi-dirigées auprès de quatre membres du conseil d’administration fondateurs et retraités du CFER de Victoriaville ont été effectuées en février et en mars 2004. Chacune des quatre entrevues a duré environ deux heures. Lors du premier contact téléphonique avec la chercheuse responsable du projet, les participants avaient été informés de la confidentialité de leurs propos et de l’usage exclusif des données par les chercheurs impliqués dans l’étude. Les volets du protocole d’entrevue correspondent aux objectifs visés (voir en annexe). Le volet portant sur les fonctions s’inspire en partie des domaines d’intervention retenus dans la Loi 180 (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005b), notamment en ce qui concerne les sujets visés par les prises de décision, et le processus de prise de décision proprement dit (accès à des procès verbaux, des documents officiels, partage des informations, décision prise par vote ou consensus, etc.). S’y greffent quelques éléments retrouvés dans les documents officiels du réseau des centres de formation en entreprise et de récupération. Les entrevues ont été enregistrées sur des bandes audio et retranscrites. Pour effectuer les analyses, la procédure d’analyse de contenu proposée par Van der Maren (1995) a été employée. Le corpus de données a été transcrit en ne tenant pas compte du non verbal. Les propos sont normalisés : organisation des phrases, suppression des euh…, des hésitations répétitives, transformation du chu en je, etc. Cependant, aucun énoncé n’est modifié au point d’altérer le propos ou de changer le sens initial. Van der Maren (1995) préconise de s’attarder uniquement au contenu manifeste, c’est-à-dire ce qui est dit explicitement dans le verbatim. Nous avons choisi d’analyser un corpus de données selon une méthode d’analyse qualifiée de thématique par Paillé (1996). L’analyse thématique consiste à procéder au repérage des thèmes abordés dans un corpus. Afin de permettre une vue d’ensemble du corpus à analyser, nous avons effectué plusieurs lectures avant de pressentir les premières unités d’information. L’Écuyer (1990) définit une unité d’information par une unité de sens qui est, en fait, le plus petit segment de texte relatant la même idée. La subdivision du corpus en unité de sens permet la codification dans un système catégoriel. Le système catégoriel qui a émergé fait ressortir les différents thèmes portant sur l’engagement des gens de la communauté au sein du CFER à l’étude. Ainsi, la préoccupation première a été de laisser émerger les données, c’est-à-dire les propos des participants (Landry, 1997 ; Van der Maren, 1995). Le codage a été effectué avec l’assistance du logiciel N’Vivo, un logiciel de traitement de données de nature qualitative.

6. Résultats

Les résultats sont présentés en fonction des objectifs visés, en l’occurrence, la composition du conseil d’administration du CFER de Victoriaville, les fonctions des représentants de la communauté, leurs connaissances et leurs habiletés, les éléments de succès du centre de formation en entreprise et de récupération et certaines difficultés à relever.

6.1 Composition du CA du CFER de Victoriaville

Sous ce volet, on retrouve les catégories suivantes : 1) nomination des membres, 2) qualification et critères d’admission, 3) composition du conseil d’administration, 4) climat du conseil, 5) motivation à devenir membre du conseil d’administration et 6) liens entre les membres. Tous les participants ont mentionné qu’ils avaient été nommés pour faire partie du CA du centre de formation en entreprise et de récupération de Victoriaville et qu’il n’y avait pas eu d’élection : Normand venait nous chercher, mais il fallait qu’il fasse entériner la nomination par la Commission scolaire. Selon les participants, leur nomination au sein du conseil d’administration s’explique par le fait qu’ils étaient dans les affaires, dans l’industrie, des gens du terrain et aussi pour l’intérêt qu’ils manifestaient pour la mission du centre de formation en entreprise et de récupération. Parmi les critères d’admission, on retrouve la disponibilité, l’ouverture d’esprit et le goût du risque :

[…] Des gens avec qui ils savaient que le personnel de CFER pourrait s’entendre : si on avait été des fauteurs de troubles réputés, probablement qu’ils auraient évité de nous en parler. C’est surtout parce que j’avais une entreprise […]. […] on m’a approché à cause du poste que je tenais au sein de […].

Le climat du conseil d’administration est qualifié de beau milieu de travail. On y mentionne l’amitié, l’entente et la collaboration entre les membres, le respect, la cordialité de même que la confiance envers Normand Maurice, les enseignants et la mission du centre de formation en entreprise et de récupération. Voici quelques exemples de commentaires : […]c’était fait sérieusement, mais on avait du plaisir […]. […] tout le monde pouvait exposer librement et pleinement leur point de vue […]. On n’a jamais eu de mésentente […].

L’ampleur et les projets novateurs du centre (entre autres, l’environnement, l’approche pédagogique et la mission du centre), ont motivé les membres du conseil d’administration pendant les nombreuses années qu’ils ont siégé au comité.

Les gens [les membres du CA] sont restés pendant 12-13 ans sur le comité. […] c’est le côté novateur […] du point de vue novateur comme modèle d’enseignement et novateur aussi sur le plan de l’environnement : il y avait des projets incroyables là-dedans […]. […] de récupérer des jeunes, bien ça, ça venait me chercher, c’est sûr […].

De plus, deux des participants mentionnent qu’il est important pour eux de s’impliquer dans la société.

[…] je me disais que moi, il fallait que je fasse quelque chose pour la société parce que je me disais : « Coudonc, j’ai été gracié, j’ai eu toute sorte de belles choses dans la vie : pourquoi que je ne serais pas capable d’en faire profiter un peu à mes semblables, comme un retour du balancier ? » Pourquoi faire partie du CFER ? C’est peut-être la question de vouloir réussir, de vouloir contribuer, aider des jeunes qui sont réellement en difficulté, puis de leur donner la chance en voyant plusieurs plateaux de travail […]. […] ça prenait quelqu’un qui n’avait pas peur de se lancer. Qui était prêt à prendre des risques […].

Deux des quatre participants indiquent la personnalité de Normand Maurice comme facteur important de leur motivation :

Bien, Normand, c’est le genre de gars qui sait ce qu’il veut. Quand il vous propose quelque chose, vous n’avez quasiment pas le choix de dire oui. (RIRES) Ça s’est produit, ça, à chaque fois qu’on a parlé d’un projet de construction, d’agrandissement. On n’a jamais été capable de dire non.

Faisant partie d’une petite communauté, tous les membres du conseil d’administration se connaissaient et tous connaissaient Normand Maurice :

[…] Victoriaville, ce n’est pas tellement gros, alors tout le monde se connaissait, on faisait tous partie de la Chambre de commerce. Parce qu’on connaissait chacun, par ses activités, aussi par son caractère. […] Normand, on le connaissait. Sa réputation était intègre et puis tout ça, il n’y avait pas de manigances en dessous de l’organisation, pour dire, pas de favoritisme et tout ça.

6.2 Fonctions attendues

Ce volet regroupe les énoncés portant sur les différentes fonctions attendues et réelles des participants au conseil d’administration du CFER. On y retrouve les catégories : 1) fonctionnement, 2) prise de décision et 3) implication.

Fonctionnement. Au début, aucun document officiel ne donnait d’explications à propos des fonctions des membres du conseil d’administration : J’ai jamais eu un document officiel expliquant mes fonctions quand je suis arrivé… […] il y avait une charte, mais il n’y avait pas de définition de tâches précisément. Ça fonctionnait avec le bon sens […]. Cependant, les membres recevaient des comptes rendus écrits et verbaux de l’état des entreprises, des rapports et de l’information fournie sur place. Par la suite, lors de la formation d’autres centres, on a eu les chartes et tous les règlements. Le conseil d’administration du CFER fonctionnait comme un CA de compagnie complètement privée. Normand Maurice avait les idées et il voulait s’assurer que son idée pouvait monter, puis avec les contacts que les différents membres du conseil d’administration avaient, c’est de même que ça progressait […].

Prise de décision. La prise de décision se faisait par vote ou par consensus et tous les participants affirment qu’ils avaient leur mot à dire sur la façon de faire. Voici quelques commentaires :

[…] les votes étaient pris et ils ont toujours été corrects. Il n’y a jamais eu de troubles par après. […] on s’est toujours rallié. Tout le monde y croyait et tout le monde était bien d’accord aussi. On travaillait tous le même but : c’était d’aider des élèves en difficulté.

Implication (dans les différentes approches). Aucun des participants n’avait eu à intervenir lorsqu’il s’agissait de l’approche pédagogique. L’implication des membres du CA dans les prises de décision touchait principalement les volets de la préparation au travail et les exercices de fonctions de travail. L’un des participants mentionne : On a toujours deviné que notre contribution se faisait plus au niveau des entreprises du CFER.

6.3 Connaissances et habiletés

Ce volet regroupe les énoncés portant sur les connaissances et les habiletés aidantes dans l’exercice des fonctions comme participants au conseil d’administration du CFER. On y retrouve les catégories qui suivent : 1) connaissances et habiletés personnelles, 2) connaissances et habiletés professionnelles et entrepreneuriales, 3) attitudes et 4) liens avec la communauté.

Connaissances et habiletés personnelles. Parmi les habiletés ou les qualités personnelles, figurent la disponibilité, la facilité à travailler en équipe, l’ouverture d’esprit, la volonté de se dévouer pour la communauté et la sociabilité.

Connaissances et habiletés professionnelles et entrepreneuriales. Tous les participants avaient des connaissances et des habiletés professionnelles et entrepreneuriales. Pour certains, c’est leur expertise dans le monde des affaires qui a été davantage utile pour faire avancer les entreprises du centre.

[…] les expertises et les expériences qu’on a chacun dans nos entreprises a servi à établir des conventions avec le personnel, à développer des comportements avec le personnel, avec les élèves aussi un moment donné dans le cadre du travail. […] ce qui a été le plus utile au CA, ce sont mes habiletés à gérer le personnel. […] c’est surtout ce qui impliquait des investissements monétaires. C’est finalement nous qui influencions souvent la décision finale parce que, par nos expériences vécues, on nous faisait confiance.

Attitudes. Les participants sont d’avis que certaines attitudes manifestées par eux-mêmes ou par leurs collègues ont contribué positivement au fonctionnement du conseil d’administration :

Ça revient encore à l’ouverture ou le respect en parlant de Normand, c’est un peu ça aussi. Le respect des uns envers les autres. […] jamais il y a quelqu’un qui s’est senti blessé. Tout le monde avait une facilité d’émettre ses opinions sans blesser personne. Sans écraser les autres non plus […].

Liens avec la communauté. Tous les participants étaient très engagés dans la communauté de Victoriaville. Voici quelques propos retenus :

[…] j’avais des liens personnels, professionnels à peu près avec tout le monde de ma communauté, incluant le maire, oui, oui, pas de problème, on en a fait élire, on en a fait battre. (RIRES) […] Oui, oui, donc j’étais très impliqué dans ma communauté.

Un autre affirme : […] j’ai été mêlé à toutes les entreprises possibles à Victoriaville. J’ai fait beaucoup de bénévolat. En fait, j’en ai fait au niveau social […], je suis une personne qui s’implique.

6.4 Défis à relever

Selon les membres du conseil d’administration interrogés, une des difficultés auxquelles doivent faire face les centres de formation en entreprise et de récupération demeure la perception négative des gens à propos de leur mission :

Il a été un temps où ça a été un peu difficile parce qu’il y avait, c’est bien certain, des perceptions qui ont traîné longtemps, autant chez les élèves que chez les parents. Aller à CFER ça voulait dire… mon enfant n’ira jamais plus loin que… « Comment ça se fait qu’il n’est pas bon, il me semble qu’il est capable… » C’est accepté qu’il y ait une certaine limite. La perception, j’ai l’impression, n’est pas nécessairement bonne. […] Mais, même ici, il y a toujours cette perception-là. Il y a peut-être des gens aussi qui tiennent à envoyer ces jeunes-là à l’Éducation aux adultes […]

Le défi de la relève des enseignants est aussi mentionné par les participants aux entretiens semi-dirigés :

Le problème, je pense, qui arrive présentement, je le mentionnais un peu tantôt : je me demande si les professeurs qui ont moins le feu sacré que les anciens professeurs, je me demande s’ils croient à ça, qu’ils ont besoin d’être aidés… Quand on regarde ça dans d’autres CFER, il y en a beaucoup qui n’ont pas de conseil d’administration, ils n’ont pas besoin de ça. Ils ne voient pas l’utilité d’un CA.

6.5 Facteurs de succès du CFER de Victoriaville

Selon les participants, le centre de Victoriaville est un modèle de succès. La dynamique de groupe entre les membres du CA et la présence de Normand Maurice sont soulignées à plusieurs reprises : [] il y avait, premièrement, une condition bien essentielle à mon sens, c’est que tous et chacun, on voulait que la récupération fonctionne, on voulait que les jeunes apprennent réellement. On avait tous une vision commune []. Un autre ajoute :

[…] il y avait un arrimage entre les membres. Il y avait des conditions gagnantes. Est-ce qu’on peut parler d’un ensemble de facteurs, finalement, qui étaient là ? Les enseignants qui se sont laissés gagner en confiance par Normand, justement ont pris son style vite, se sont aperçus qu’il y avait beaucoup à faire du côté des jeunes « dropouts » d’abord et ensuite, ils se sont fait prendre à leur propre jeu, ils se sont mis à aimer ça. C’est pour ça moi que je les appelle « les apôtres » et c’est vrai !

Un deuxième facteur, souvent mentionné par tous les participants, est l’importance du réseau social de chacun des membres du CA comme lien facilitateur dans la réussite des projets du centre de formation en entreprise et de récupération. Par exemple, un participant mentionne : C’est incroyable comme c’est important les relations que peut amener un membre dans un comité d’administration. Un deuxième ajoute : []quand Normand arrivait avec un projet qui fallait que la ville embarque… « Bon ben, écoute, le maire, on va le voir demain matin, on s’arrange… » À ce niveau-là, on pouvait être une aide. C’est assez précieux, la carte : il n’y a pas grand monde qu’on ne pouvait pas aller chercher. Ah oui, on faisait le tour, oui, oui, de la communauté. Un troisième poursuit :

Ben, mes connaissances de personnes, de débouchés, premièrement. Les contacts que je pouvais avoir. Quand il s’agissait d’aller chercher des subventions, ben moi, les têtes dirigeantes de X, je les connaissais. Quand il s’agissait d’avoir quelqu’un pour établir des prix de revient, bien je connaissais des gens qui pourraient nous donner un coup de main et venir travailler dans ça, donner un peu de temps. Quand… un bon moment donné, on cherchait quelqu’un pour fabriquer la machinerie qu’on avait besoin. Fallait patenter ça et il fallait trouver quelqu’un. Alors, tous ensemble, on se disait : « Aïe, untel, il ne serait pas capable de… ? » Par nos connaissances, il y en avait toujours un qui savait que c’était ça, pis va là, pis va là.

En résumé, les facteurs ayant contribué au succès du CFER de Victoriaville les plus souvent mentionnés par les participants sont : ne pas avoir peur du risque (M1 : 37 ; M1 : 150 ; M3 : 512), avoir de l’intérêt pour la mission du centre (M1 : 101 ; M2 : 428 ; M3 : 509) ou aimer ce que l’on fait (M1 : 123), la stabilité au sein du conseil d’administration (M1 : 126), des atomes crochus (M1 : 24) ou des affinités entre les membres (M1 : 69), l’encouragement de la municipalité (M1 : 180 ; M2 : 371), la participation et l’implication de certaines entreprises telles que Hydro Québec (M1 : 181 ; M2 : 253), Centre de tri de la région de Victoriaville, (M1 : 174), Cascades (M3 : 467), Laurentide (M1 : 178), Bell Canada (M2 : 253), RONA et Canadian Tire (M2 : 312), et la Commission scolaire (M2 : 258), l’engagement ou le feu sacré des enseignants (M1 : 185 ; M2 : 328 ; M2 : 348 ; M3 : 477 ; M4 : 585). Cependant, le plus grand succès que les participants reconnaissent au centre de formation en entreprise et de récupération demeure celui des élèves. Voici l’un des propos retenus :

[…] c’est énorme ce que le CFER de Victo a fait. Juste, je sais pas combien, je ne pourrais pas vous lancer de chiffre, juste le nombre d’élèves que le CFER de Victoriaville a réussi à sauver du bien-être social et de la criminalité. Juste ça, c’est énorme, énorme, énorme […].

7. Discussion

Nul doute que le centre de Victoriaville constitue un exemple de succès au sein des lieux de formation CFER, succès caractérisé tant par le nombre et la variété de ses projets d’entreprises que par le nombre d’élèves formés, diplômés et employés par la suite. Nous avons tenté de mieux comprendre ce succès à travers la perception des représentants de la communauté oeuvrant au sein du conseil d’administration. L’analyse des propos des participants a apporté certains éléments de réponse à nos interrogations. Nous les avons regroupés en fonction, principalement, de la composition et du fonctionnement du CA ainsi que des connaissances et des habiletés requises des représentants de la communauté.

D’emblée, il ressort que c’est, avant tout, une question de leadership, surtout de la part de Normand Maurice, puis de chacun des représentants de la communauté. Personnage créatif, visionnaire, Normand Maurice savait créer des relations personnelles authentiques et mettre les gens en confiance. Tout en transmettant l’information, il partageait ses valeurs, soulevait l’enthousiasme et savait toucher les gens pour les persuader. Ses habiletés de communication suscitaient l’esprit d’équipe et orientaient l’atmosphère de travail vers le respect, l’entente et la collaboration. Bref, il possédait les qualités jugées essentielles pour mobiliser les gens (Laliberté, 1994). C’est ce leadership qui l’a guidé dans la sélection de représentants de la communauté considérés comme des leaders dans le milieu des affaires et ayant des expertises à la fois différentes et complémentaires (ex. : expert en gestion du personnel, en investissement monétaire, en ingénierie), des attitudes favorables au travail en équipe et une motivation à s’engager et à se dévouer pour le succès des jeunes.

Lors des rencontres, le fonctionnement du CA suivait les règles de l’art prévues dans le cadre du travail en groupe de tâche (Leclerc, 1999). L’atmosphère qui y régnait était favorable aux échanges, qui permettaient aux projets du centre de formation en entreprise et de récupération de se développer et favorisaient l’engagement affectif de chacun des membres envers la mission du CFER. Les décisions se prenaient soit par consensus ou par vote, résultat auquel tous les membres se ralliaient. Les rôles et responsabilités de chacun étaient fonction de son expertise, reliée par-dessus tout au milieu des affaires.

À l’instar des travaux de Sanders (2001, 2006), les propos recueillis mettent en valeur l’importance des contacts que les participants entretenaient avec d’autres membres, d’autres organismes ou d’autres entreprises de la communauté. Ces liens, instrumentaux, dans la mesure où ils facilitaient l’accès à des informations et à des ressources additionnelles, sont apparus cruciaux pour la réussite des projets du CFER de Victoriaville.

8. Conclusion

Le but de la présente étude était de développer une meilleure compréhension du processus d’engagement des représentants de la communauté au sein du CFER de Victoriaville. Les analyses indiquent que les facteurs de succès ont trait principalement à la composition du conseil d’administration, au climat qui y régnait, à la motivation de chacun des membres et aux liens qui les unissaient. De même, un fonctionnement marqué par une grande collégialité, et des prises de décision basées sur le consensus ou par vote auquel tous se ralliaient paraissent y avoir contribué. Entrent également en ligne de compte les connaissances, les habiletés personnelles, professionnelles et entrepreneuriales de chacun, des attitudes de respect mutuel et un engagement réel de tous les membres dans la communauté.

En clair, le rôle des représentants de la communauté au sein du conseil d’administration du CFER de Victoriaville correspondait, on ne peut mieux, à la définition du capital social mise de l’avant par Coleman (1988). Les liens, les contacts et les ressources additionnelles provenant de la communauté, ainsi que l’apport de sa propre expertise en matière d’entreprises, voilà qui résume la contribution concrète de chacun des participants interrogés par rapport au succès du centre de formation en entreprise et de récupération de Victoriaville. Des ingrédients essentiels devaient toutefois être présents pour permettre l’éclosion d’une telle synergie favorable au développement. Mentionnons, à ce titre, le leadership de Normand Maurice en particulier, qui a su reconnaître l’expertise des représentants de la communauté et les rallier à sa vision de la mission du CFER. S’ajoutent des principes de communication ouverte, et d’attitudes reliées à l’honnêteté, au respect et au partage d’idées.

Il convient cependant de mentionner quelques limites à la recherche. La première tient au fait que les résultats s’appliquent uniquement au contexte du CFER de Victoriaville. Il est donc impossible de généraliser à tous les CFER du Québec. De plus, les propos recueillis auprès des membres de la communauté siégeant au conseil d’administration reflètent leurs propres représentations. Cependant, à aucun moment, les attitudes et les comportements rapportés n’ont fait l’objet d’observation systématique.

Malgré tout, les données offrent des pistes prometteuses à des chercheurs désireux d’expliquer les succès obtenus par d’autres CFER. Comme autre perspective de recherche, il pourrait être intéressant de vérifier dans quelle mesure ces facteurs se retrouvent dans certains conseils d’établissement d’écoles traditionnelles reconnues pour leur succès et leur bonne marche. Certes, selon les termes de la Loi 180 (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005b), les représentants de la communauté n’ont pas le droit de vote, ce que certains qualifieront de malencontreux. Ce qui ne les empêche pas d’utiliser leur pouvoir d’influence et de persuasion, de mettre à profit leurs ressources personnelles et professionnelles, et de favoriser un climat de travail sain, motivant, dynamique et engagé dans la réussite des élèves.