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Comme l’indique son titre, cet ouvrage d’une extrême concision s’adresse aux ingénieurs de terrain. On peut donc s’interroger sur l’intérêt qu’il présente pour le lectorat universitaire, sachant que l’essentiel du propos porte sur des problèmes concrets qu’il s’agisse des drains à manchon, des techniques de nivellement ou du fonctionnement des vannes papillon. Pourtant, une fois prise la mesure des références techniques, cette Ingénierie des eaux et du sol frappe par l’ampleur et la complexité de son contenu.

Ampleur : Le parcours est impressionnant qui, dans une première partie à dominante théorique, va des éléments de la dynamique des fluides à l’érosion hydrique en passant par les échanges sol-atmosphère et les écoulements souterrains. Suivent, sur un registre plus proche des problèmes de terrain, l’assainissement des sols, l’irrigation et enfin la maîtrise du ruissellement et de l’érosion. Bref, l’ouvrage propose un continuum qui va des précipitations aux relations entre l’eau, le sol et la végétation d’un côté, et des interactions entre ces composants multiples et l’action humaine. Vaste programme que revendiquent les auteurs qui se disent « guidés par l’idée de proposer une vision à la fois complète, équilibrée et suffisamment détaillée pour que l’ensemble représente le bagage que tout ingénieur en sciences et techniques de l’environnement se devrait de posséder ».

Complexité : La liste des symboles et unités présentés dans le corps de l’ouvrage et répertoriés dans une annexe ne compte rien de moins que 200 entrées où figurent, outre les coefficients bien connus de Chézy et de Manning, un indice de stabilité de Bouyoucos, un coefficient de Kutter et diverses gâteries comme les coefficients de détachement, de convergence et de divergence dont le lecteur même passablement averti n’avait jamais eu connaissance. La présentation de ces symboles occupe de pleines pages notamment dans la première partie de l’ouvrage et aucune formule mathématique n’échappe à la sagacité des auteurs, qu’il s’agisse de la relation entre pente et écoulement laminaire ou des relations entre canal et contre-canal.

Ainsi présentée, cette Ingénierie des eaux parait bien rébarbative. Et pourtant… Le fait que les formules les plus absconses peuvent être développées avec les moyens de calcul actuels suffit à conférer sa logique à l’ouvrage. Mieux, la plupart des données théoriques sont illustrées au moyen de croquis, schémas et photos qui rendent le propos intelligible au lecteur ignare et le renvoient à nombre de situations et de problèmes concrets dont l’intérêt géographique va de soi. Citons pêle-mêle le calcul des bilans hydriques, les facteurs de l’érosion hydrique, les limites du passage du ruissellement diffus à l’écoulement linéaire, les relations entre écoulement et alimentation des nappes ou encore les techniques de protection des sols en montagne. On trouvera donc au fil des pages, des éléments d’autant plus susceptibles de s’insérer dans un enseignement géographique centré sur la gestion environnementale, que leur exposé pédagogique ne laisse rien à désirer.

Qu’il soit toutefois entendu qu’un tel ouvrage ne dépasse pas certaines limites : la dynamique des fluides n’englobe pas l’hydrologie, tout comme l’assainissement des sols ne remplace pas la pédologie (il est vrai que les Presses polytechniques de Lausanne ont publié d’excellents manuels sur ces questions). Autre limite du genre, toutes les références portent sur un milieu qui correspondrait assez bien au Mittelland suisse tout en ignorant les spécificités d’autres milieux, depuis le tropical humide jusqu’aux marges de l’écoumène. Reste enfin la question du style, certes concis, mais aussi aride que le sermon d’un pasteur vaudois par un dimanche de pluie.