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Ce numéro des Cahiers québécois de démographie est consacré aux rapports entre la démographie et les politiques publiques. On y retrouve des textes issus de communications présentées au colloque que l’Association des démographes du Québec a organisé sur ce thème au printemps de 2007, ainsi que des textes qui ont été soumis à la rédaction dans le cadre de l’appel lancé à l’automne de la même année. Cet appel de textes a été fait conjointement avec un appel en tout point similaire lancé par la revue Canadian Studies in Population qui a également préparé un numéro sur le même thème. Ces appels s’adressaient à tous ceux qui s’intéressent aux rapports entre la démographie et les politiques, et notamment aux auteurs qui avaient présenté des communications au colloque organisé par la « Collaboration en recherche sur les politiques liées à la population, au travail et à la famille », un forum de collaboration entre le monde universitaire et le gouvernement fédéral parrainé par le « Projet de recherche sur les politiques ».

On associe souvent la démographie à l’État. On rappelle qu’elle est née en bonne partie du besoin des États de connaître leur population et que l’expert-démographe, comme on le nomme en France, est le spécialiste formé pour répondre à ce besoin. Contrairement aux autres associations scientifiques internationales nées après la deuxième guerre mondiale à l’initiative de l’ONU, l’Union internationale pour l’étude scientifique de la population (UIESP) n’a pas été uniquement mise sur pied par des chercheurs membres d’associations ou de sociétés scientifiques nationales, mais aussi par les employés d’agences nationales de la statistique et avec la collaboration de celles-ci.

Malgré cela, la relation entre la recherche démographique contemporaine et les politiques n’est pas évidente lorsque l’on examine les sujets des numéros thématiques des Cahiers parus depuis le début de la décennie : les Approches longitudinales en démographie (2006, 35.1), la Démographie historique (2005, 34.2), les Enquêtes biographiques en Afrique francophone (2004, 33.2), L’immigration (2002, 31.1), la Transition démographique et l’urbanisation au Québec à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle (2001, 30.2) et les Mutations de la fécondité dans le monde industrialisé (2000, 29.2). On répondra que plusieurs des articles publiés dans ces numéros font état de résultats et de conclusions qui peuvent servir à fonder l’action de l’État et à élaborer, corriger ou réorienter des politiques. Il n’en reste pas moins que l’ensemble témoigne d’un fait indéniable : l’étude de la population est devenue une activité intellectuelle qui a largement échappé aux circonstances étatiques de ses origines et qui évolue aujourd’hui principalement à partir de sa propre dynamique. Ce fait n’est pas propre au Québec : on arriverait vraisemblablement à la même conclusion en examinant les numéros récents de toute autre publication consacrée à ce champ d’études.

Dans ce contexte, l’appel conjoint des Cahiers québécois de démographie et de Canadian Studies in Population prend un sens particulier car il évoque les actes des colloques organisés par la Fédération canadienne de démographie en 1995 sur les Tendances socio-démographiques et les enjeux politiques au Canada, puis en 2001 sur les Enjeux politiques des avenirs démographiques et de la mondialisation, dont les thèmes reliaient explicitement la démographie et les politiques. Il semble bien que le dialogue entre les démographes des deux solitudes, lorsqu’il se réalise, se noue autour de ce qui les relie spécialement et de ce qu’ils ont en commun en plus de la discipline : l’appartenance à la même entité politique.

L’appel de textes des deux revues a été fait en collaboration avec ce qui se nommait alors le « Réseau stratégique de connaissances sur les changements démographiques et les politiques publiques » et qui est devenu depuis le « Réseau stratégique de connaissances sur les changements démographiques et les parcours de vie ». Ce réseau, financé par le CRSH, regroupe des chercheurs universitaires de tout le Canada, parmi lesquels de nombreux démographes, ainsi que des fonctionnaires et a pour but de promouvoir la recherche pour mieux comprendre la relation entre la dynamique de la population et la vie des individus de manière à ce que les politiques soient fondées sur cette connaissance. On comprend sans difficulté l’intérêt de ce réseau pour l’élaboration d’un numéro thématique sur la démographie et les politiques publiques. L’existence de ce réseau et celle de la « Collaboration en recherche sur les politiques liées à la population, au travail et à la famille » donnent à penser que les relations entre la démographie et l’État se reconstruisent en suivant un modèle nouveau. La démographie est devenue un champ d’études et de recherches universitaires et réinvente la collaboration avec l’État par le dialogue plutôt que dans la symbiose. Une métaphore anthropomorphique conduirait à dire qu’elle est devenue adulte ou est en voie de le devenir.

Les articles et les notes de recherche qui constituent ce numéro illustrent à la fois les préoccupations contemporaines des gouvernements et les différents rapports que la connaissance démographique peut entretenir avec l’État : on traite de transformations profondes – vieillissement, modification des relations familiales –, comme de questions appliquées, – prévision de la demande, planification de besoins. Les travaux sont réalisés par des universitaires de leur propre initiative ou, au contraire, par des chercheurs oeuvrant au sein de l’appareil de l’État lui-même.

Dans leur article, Luc Godbout, Pierre Fortin, Matthieu Arsenau et Suzie St-Cerny abordent l’impact du changement démographique sur les finances publiques du Québec d’ici à 2051. Ils traitent de l’effet de l’augmentation de la population âgée de 65 ans ou plus, de même que le rapport de ce groupe à l’effectif des 15 à 64 ans. Ils s’intéressent également à l’évolution du nombre moyen des heures travaillées et au taux d’emploi par groupe d’âge. Ils évaluent l’effet du vieillissement démographique sur les revenus de l’État, ainsi que sur ses dépenses dans la santé et les services sociaux. Ils comparent le coût des dépenses moyennes de santé selon le groupe d’âge et estiment ce que pourrait être le déficit du budget de l’État au cours des prochaines décennies. Enfin, les auteurs proposent différentes solutions pour réduire la progression de la dette que pourrait entraîner le vieillissement démographique, mais, au-delà des solutions, on comprend qu’à leurs yeux l’enjeu central est l’équité fiscale intergénérationnelle.

L’article de Maxime Fougère et Simon Harvey traite également des conséquences économiques du vieillissement démographique. Les auteurs se concentrent sur le lien entre l’évolution de l’activité et l’évolution de la population active. Ils se servent dans leur exercice, d’un modèle régional d’équilibre général, calculable, dynamique, de cycle de vie afin de projeter les conséquences de la « rareté » future de la main-d’oeuvre au Québec. Ils comparent le Québec à l’Ontario et à l’ensemble du Canada, et cherchent à établir les effets du vieillissement démographique, dans ces deux provinces, sur l’évolution de plusieurs indicateurs économiques dont le PIB réel par habitant, le rapport du capital au travail, l’investissement, l’offre effective de main-d’oeuvre, le taux de salaire réel, le taux effectif d’imposition des revenus d’emploi et le taux d’intérêt réel. Les auteurs cherchent ensuite à établir comment certaines politiques pourraient modifier cette évolution et éviter ou amoindrir la dégradation des finances publiques du Québec, notamment la prolongation de la vie active, l’augmentation de l’immigration et la réduction de l’inactivité chez les personnes en âge de travailler.

L’article de Diane Bédard et Ghislain Léveillé porte quant à lui sur un sujet plus spécifique, soit la retraite des professeurs d’université et le coût de leurs régimes de retraite. L’étude est fondée sur des données administratives provenant de cinq universités québécoises et recourt également à des données américaines sur la mortalité pour la construction de tables de mortalité. Les auteurs font état des différents types de rentes qui sont versées et varient selon l’âge à la retraite. Dans leurs analyses actuarielles, ils tiennent compte de la mortalité selon le sexe et le statut d’emploi (régulier ou contractuel) afin d’estimer les probabilités de survie et de comparer les tables générales et les tables des professeurs. Les auteurs évaluent ainsi les conséquences, sur les régimes de retraite, des différences qu’ils observent entre la mortalité générale et celle des professeurs, de même qu’entre l’âge à la retraite chez les professeurs et chez les autres travailleurs.

L’article de Philippe Pacaut, Céline Le Bourdais et Benoît Laplante traite du cheminement des femmes sur le marché du travail avant et après la naissance d’un enfant. Cette étude présente un lien étroit avec les politiques parce qu’elle permet d’évaluer l’impact du Programme national de prestations de maternité et parentales dont l’entrée en vigueur, en janvier 2001, a augmenté la période pendant laquelle une femme en congé de maternité reçoit des prestations. Le recours aux données longitudinales de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu a permis d’éclairer la question en faisant l’analyse sur les années 1994 à 2003, donc avant et après l’entrée en vigueur de la nouvelle politique. Les auteurs prennent notamment en considération les formes que revêt la participation des femmes au marché du travail avant la naissance d’un enfant, la réception de prestations, le type de situation familiale, l’âge de la mère, le niveau de scolarité et le statut d’immigration. Ils distinguent également les retours effectués sur le marché du travail dans des emplois à temps plein et à temps partiel en établissant un lien avec le rang de naissance.

La note de recherche de Sylvain Dufresne aborde la question de l’évolution démographique et des perspectives économiques au Québec. L’auteur met en relation le vieillissement démographique et l’évolution de la situation économique. Cette démarche se fait à la fois du point de vue du produit intérieur brut et de la consommation. L’auteur examine en particulier la variation de l’effectif des personnes de 65 ans ou plus et celui des personnes de 20 à 64 ans. Il examine divers scénarios de participation au marché du travail et d’évolution de la productivité, en tenant compte également de l’impact possible de l’immigration au Québec. Il relie la transformation de la structure de la population à l’évolution de l’investissement et la production afin d’en estimer les conséquences économiques, notamment son impact sur le budget de l’État.

La seconde note de recherche rédigée par Luc Roy appartient à la démographie appliquée et aborde la demande énergétique au Québec en se concentrant sur l’importance des changements démographiques. La projection des ménages comme unité de base occupe une place centrale dans la démarche de l’auteur. Le nombre de ménages est utilisé comme intrant dans une prévision économique qui permet d’évaluer l’évolution de la demande d’électricité, tout en considérant l’évolution des naissances, celle du solde migratoire et la formation des nouveaux ménages. L’exercice de projection des ménages à court terme est relié notamment à des éléments de conjoncture économique, mais la projection à long terme se fonde plutôt sur les tendances démographiques et le taux de formation de ménages. Le vieillissement de la population et les changements dans les besoins selon le type de logement sont de plus pris en compte dans cet exercice. Enfin, l’auteur analyse la consommation moyenne d’électricité selon son évolution dans le temps et évalue l’importance de l’accroissement démographique dans la consommation totale.