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Réinsérant la notion d’agence au sein du cadre théorique institutionnaliste en relations internationales (ri), cet ouvrage collectif dépasse le débat traditionnel interrogeant la place des institutions dans le système anarchique international. Il est plutôt question d’expliquer quand, pourquoi et comment les États délèguent une autorité à une organisation internationale (oi), laquelle peut, une fois cette autorité acquise, poursuivre des intérêts dissemblables de ceux de ses créateurs. La délégation génère différents degrés d’opportunisme pour les oi, acteurs politiques qui forcent les États à déployer des ressources considérables pour les contrôler. Les auteurs, tous rattachés à des universités américaines, s’inspirent des propos tenus en 2002 lors d’une conférence à la Brigham Young University.

Les articles s’inscrivent dans la mouvance épistémologique des ri qui emprunte aux sciences économiques pour approfondir le comportement des États. En effet, les auteurs utilisent la théorie de l’agence, appliquée habituellement à la gestion d’entreprises, pour expliquer les relations entre l’État et l’oi. Plus spécifiquement, l’interaction entre ces deux entités est toujours définie en termes contractuels. Le principal (l’État), lequel détient le pouvoir de négocier, de renégocier et de résilier le contrat, délègue des tâches et des fonctions à un agent (l’oi). L’objectif est donc de modéliser les moyens employés pour contraindre l’agent à agir en fonction des intérêts du principal dans un contexte d’asymétrie d’information (l’agent se spécialise et établit une expertise que le principal ne possède pas). Cernant d’abord le problème principal-agent en ri, les chapitres subséquents, divisés en deux grandes sections, illustrent chacun une situation concrète entre l’État et une oi donnée.

La première section se penche sur les caractéristiques internes du principal qui influent sur le contrat négocié avec l’agent. Plus spécifiquement, les auteurs du chapitre 2 s’interrogent sur la fidélité des agents quant à la poursuite des préférences du principal, et ce, en examinant la relation entre les États-Unis et les banques de développement multilatérales. L’analyse démontre la nécessité de considérer la complexité des processus décisionnels internes du principal afin d’évaluer justement la loyauté des agents au regard des préférences du principal.

Dans le troisième chapitre, les auteurs montrent que les intérêts financiers de groupes privés qui influencent les responsables politiques américains ont un impact indirect sur les politiques du Fonds monétaire international. Est ainsi mise en avant l’incidence de la chaîne décisionnelle interne d’un principal clé sur la mise en oeuvre de politiques d’un agent.

On explique ensuite qu’en dépensant une partie de l’aide au développement par l’intermédiaire d’institutions multilatérales le pays donateur cherche à contenter son électorat. Cette forme de délégation permet ainsi à l’État créditeur d’accroître sa crédibilité et de résoudre un problème principal-agent interne. En effet, il semble que l’électorat intériorise des préférences différentes de celles de l’État quant à la façon de répartir les ressources allouées à l’aide au développement.

Le chapitre suivant examine l’évolution du fmi, passant d’un ensemble de règles régulant les comportements des États à une oi jouissant d’une certaine autonomie. Ce changement s’est concrétisé grâce à la progression des débats qui ont mené aux politiques de conditionnalité du fmi. L’autonomie du fmi est donc obtenue grâce aux modifications des préférences et à l’accroissement de la demande d’information des États membres.

Dans le chapitre 6, les auteurs expliquent pourquoi les États ont convenu de former l’Union européenne telle qu’elle se présente aujourd’hui. Ils concluent que la théorie de l’agence permet de mieux cerner les motivations sous-jacentes à sa création, mais qu’il est nécessaire d’outrepasser la simple application de la théorie à un cas concret. En ce sens, il serait pertinent d’étudier l’influence organisationnelle d’oi déjà existantes sur les nouvelles structures institutionnelles qui émergent dans le système.

En guise de transition, le chapitre 7 introduit la seconde section de l’ouvrage, qui évalue les stratégies rationnelles employées par les agents pour accroître leur autorité et leur autonomie auprès du principal. L’identification de ces stratégies aide à mieux comprendre les changements institutionnels qui se sont produits dans le temps. La Convention européenne des droits de l’homme illustre ces propos.

Le chapitre 8 soutient que, dans le cas d’une éventuelle intervention militaire contre un État déviant, les oi diffusent l’information quant aux menaces potentielles que constitue cet État. Cette diffusion permet aux États de décider d’appuyer ou non l’intervention. Ici, l’auteur défend le rôle du Conseil de sécurité lors de l’intervention dans le golfe Persique en 1990-1991.

Le chapitre 9 précise les conditions qui poussent les oi à agir en fonction de leurs propres préférences, indépendamment de celles des États membres. Cette situation se produit lorsque les employés de l’oi ne représentent pas les États desquels ils sont issus et lorsque le pouvoir décisionnel de l’oi est réparti à travers la majorité des États membres. Il se peut néanmoins que le personnel de l’oi ne s’engage pas dans des actions non souhaitées par les États membres de peur de miner la mission et la réputation de l’oi.

L’auteur du chapitre 10 reconnaît l’apport de la théorie de l’agence pour expliquer les grandes lignes comportementales des oi et il explique la conformité des oi par rapport aux préférences du principal. Cependant, cette approche ne peut pas prévoir de quelle manière une oi profitera de son autonomie et, si cela est le cas, de quelle manière les agissements de l’oi dévieront des préférences du principal.

Enfin, le chapitre 11 aborde la question de l’autonomie des cours de justice internationale à la lumière de la théorie de l’agence. L’auteur affirme que le pouvoir du principal de renégocier le contrat de l’agent, pouvoir qui lui permet d’exercer une influence sur les oi, ne constitue pas un outil de contrôle sur les cours.

En conclusion, les auteurs proposent de raffiner le programme de recherche en introduisant la notion de la tierce partie, souvent des ong, et son rôle dans le système de gouvernance globale. Ils tentent donc d’adapter la théorie de l’agence aux nouvelles réalités de la délégation au niveau international.

Cet ouvrage s’adresse à un public spécialisé qui saisit les nuances d’une modélisation inhabituelle de la théorie institutionnaliste. Avançant de nouvelles idées quant aux origines et aux difficultés de la coopération internationale, ces réflexions font preuve d’originalité en appliquant la théorie de l’agence au champ des ri. Le problème principal-agent a plutôt été examiné dans la sphère interne des États où les gouvernements délèguent des responsabilités aux bureaucraties afin d’alléger leurs propres tâches. Bien que certains auteurs concluent que les caractéristiques et les stratégies sous-jacentes à la délégation dans la sphère interne d’un État se reproduisent au niveau international, cet ouvrage ne constitue que les balbutiements d’un programme de recherche qui appelle à être davantage précisé et étudié en ri.

En dépit de l’apport de la théorie de l’agence à l’institutionnalisme néolibéral, les cas présentés par les auteurs se recoupent trop souvent. La majorité des cas étudiés touchent à des enceintes juridiquement non contraignantes pour les États ou à des institutions financières. L’unique article qui se concentre sur la problématique sensible des cours internationales conclut que la théorie de l’agence est inapte à répondre, dans ce cas, aux problèmes principal-agent. Cette critique prend racine dans un raisonnement fondamental en ri : les perceptions que chaque État entretient par rapport à sa souveraineté étatique doivent être prises en compte pour comprendre le choix des compétences que l’on décide de déléguer à une oi et l’évolution institutionnelle de ces organisations. Or, les considérations normatives sont totalement esquivées de la réflexion, laissant au passage de nombreuses interrogations quant au contexte entourant l’acte de déléguer.