Corps de l’article

C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu ce nouvel ouvrage sur l’équité en éducation réalisé sous la direction de Claudie Solar et de Fasal Kanouté. Habituée à lire surtout des études portant sur les problématiques d’équité en éducation relatives aux femmes, j’ai apprécié la perspective élargie présentée dans ce livre où, en plus des rôles sociaux de sexe[1], l’équité en éducation et en formation est analysée au regard des personnes à très faible revenu, de celles qui souffrent de handicap physique, sensoriel ou intellectuel, des minorités culturelles et des minorités visibles. Cette perspective plus large sur l’équité constitue ainsi l’une des forces de l’ouvrage.

De plus, cet ouvrage est, de manière générale, accessible aux néophytes des questions d’équité en éducation, car il est composé de textes riches en exemples concrets sur les situations étudiées. Comme il s’adresse plus particulièrement aux personnes qui sont appelées à intervenir en éducation et en formation, cette qualité de l’ouvrage est d’autant plus importante et permet sans doute d’atteindre le but visé. J’ai également apprécié le fait que, dans leur réflexion sur les contextes particuliers sur lesquels les auteures et les auteurs se penchent, la plupart appliquent le modèle proposé en introduction par Claudie Solar quant aux quatre clés de l’équité. Un fil conducteur guide donc les lectrices et les lecteurs d’un chapitre à l’autre, ce qui est rarement le cas dans les ouvrages collectifs.

L’ouvrage débute par une brève introduction signée Claudie Solar. On y trouve quelques définitions du concept d’équité, suivies de la toile de l’équité et de ses quatre clés ainsi que d’une présentation de chacun des chapitres du livre. Comme le concept d’équité n’est pas défini par la suite dans les différents chapitres, à l’exception du chapitre 4 signé Sylvie Rocque et Nadia Desbiens et du chapitre 6 signé Gina Thésée et Paul Carr, cette introduction aurait gagné à être plus étoffée en ce qui a trait aux fondements de la notion d’équité en général, et en éducation plus particulièrement. Il en est de même en ce qui a trait à la toile de l’équité qui constitue un modèle explicatif très éclairant pour analyser et comprendre l’éducation et la formation et mieux intervenir dans ces domaines. Malheureusement, à moins d’avoir lu les autres textes de Solar sur la toile de l’équité, les lectrices et les lecteurs risquent d’en avoir une compréhension très partielle et de ne pouvoir s’en inspirer efficacement dans leurs interventions.

Le premier chapitre, de Fasal Kanouté, de l’Université de Montréal, porte sur le rapport à l’école de parents québécois vivant en milieu défavorisé. Kanouté y présente d’abord un aperçu de que l’on peut lire dans les écrits sur la question, puis elle rapporte les résultats d’une recherche réalisée auprès de 30 familles dont les enfants fréquentent trois commissions scolaires francophones de Montréal. Cette chercheuse visait à savoir comment ces parents décrivent leur participation à l’école, s’ils pensent avoir les moyens matériels et symboliques pour s’engager de manière satisfaisante, s’ils font le lien entre leur contribution à l’école et la réussite scolaire de leur enfant et ce qui, selon eux, les aiderait à mieux y prendre part. Les réponses obtenues lors des entrevues sont riches en pistes qui rejoignent les conclusions d’autres études américaines, canadiennes ou québécoises et qui confirment le besoin de modifier le type de rapport actuellement établi par les agents et les agentes scolaires avec les parents de milieux défavorisés.

Dans le deuxième chapitre, Irene Rahm, de l’Université de Montréal, s’intéresse elle aussi aux jeunes de milieux défavorisés et examine plus précisément le rôle des activités scientifiques extrascolaires dans leur rapport aux savoirs scientifiques. Dans la première partie du chapitre, Rahm introduit sa problématique par l’entremise de l’analyse de la manière dont les jeunes utilisent leur temps libre, en incluant leur participation aux activités extrascolaires du type scientifique, et elle distingue leurs pratiques selon le sexe et le statut socioéconomique de la famille. Cette analyse l’amène à constater à quel point les jeunes de milieux défavorisés, et particulièrement les filles, participent peu aux activités scientifiques extrascolaires, ce qui expliquerait en partie leur plus faible présence dans les programmes d’études postsecondaires en sciences, technologie et ingénierie. Dans la seconde partie du chapitre, Rahm décrit trois programmes d’activités scientifiques extrascolaires qui ciblent tout particulièrement ces populations de jeunes : City Farmers aux États-Unis, les Scientifines à Montréal et COSMOS également aux États-Unis. Rahm documente l’influence que ces programmes ont sur les jeunes et la manière dont ils transforment leur rapport aux sciences et au savoir scientifique. Dans ce chapitre, les liens entre la première et la seconde parties auraient gagné à être resserrés pour permettre aux lectrices et aux lecteurs de mieux apprécier l’importance de tels programmes dans l’établissement d’une plus grande équité sociale, les recherches ayant démontré à quel point les diplômes en sciences, en ingénierie et en technologie mènent à de meilleurs emplois et assurent souvent une meilleure qualité de vie.

Dans le troisième chapitre, Mohamed Hrimech et Manon Théorêt, de l’Université de Montréal, présentent une recension des écrits sur les facteurs personnels qui semblent expliquer les différences observées dans le phénomène de l’abandon scolaire des garçons et des filles. Leur recension retient comme facteurs les caractéristiques cognitives, les stratégies scolaires, le sentiment d’auto-efficacité et la perception de la compétence, les attentes de performance et la comparaison sociale, la valeur de la tâche et le style attributionnel, le concept de soi et la participation des parents. Un des facteurs proposés, les attitudes à l’égard de l’école, ne contient pas de références à l’appui, ce qui est peut-être un oubli puisque cet aspect de la question est bien documenté. Hrimech et Théorêt résument cette recension en confirmant ce que d’autres chercheurs et chercheuses ont déjà proposé (voir, entre autres, les travaux du Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES)), c’est-à-dire que deux catégories de facteurs, internes et externes aux élèves, expliquent les différences dans la persévérance et la réussite scolaires des filles et des garçons. À partir de ces constats, Hrimech et Théorêt proposent cinq mesures de prévention et d’intervention qui pourraient s’adresser précisément aux garçons de milieux défavorisés ou immigrants.

Sylvie Rocque et Nadia Desbiens, de l’Université de Montréal, signent le quatrième chapitre qui porte sur l’équité considérée relativement à des élèves souffrant d’un handicap physique, sensoriel ou intellectuel. Elles situent particulièrement bien l’origine et l’évolution des lois contemporaines relatives à l’égalité, à l’équité et à l’accommodement en matière d’éducation pour ensuite décrire les défis qui se posent toujours au regard de l’inclusion des élèves souffrant d’un handicap. Ces deux auteures soulignent les contraintes inhérentes aux structures, telles que les conventions collectives, mais insistent surtout sur les changements nécessaires concernant les systèmes de valeurs et les attitudes des personnes-ressources et spécialistes en milieu scolaire afin d’offrir une inclusion authentique à tous les élèves.

Fasal Kanouté, de l’Université de Montréal, propose, dans le cinquième chapitre, une analyse de l’équité du point de vue de ses applications en ce qui a trait à la diversité culturelle. Elle base son analyse sur la notion de l’interculturel, privilégiée au Québec alors qu’ailleurs au Canada on retient le terme « multiculturalisme », notion qu’elle définit clairement en début de chapitre. D’autres concepts associés sont également définis : identité; culture; racisme et ethnocentrisme; socialisation. Kanouté présente ensuite trois compétences du référentiel de compétences professionnelles en enseignement adopté par le gouvernement du Québec en 2001, qui, à son avis, sont liées à la notion d’interculturel. Elle poursuit en expliquant comment il est possible de développer une telle compétence de l’interculturel, ce qui passerait par une relation pédagogique où l’enseignante ou l’enseignant : 1) se « décentre » pour comprendre l’autre; 2) sensibilise les élèves à la diversité dans le développement des réseaux relationnels de pairs en classe; 3) utilise le curriculum de manière à refléter la diversité culturelle; et 4) établit avec les familles des relations où les personnes se connaissent mutuellement. Elle conclut en rappelant que le premier palier dans la construction de cette compétence professionnelle en enseignement est l’engagement de l’enseignante ou de l’enseignant « dans une démarche toute personnelle d’acquisition de savoirs pour comprendre, dire, apprivoiser et vivre la diversité » (p. 138).

Le sixième chapitre est signé Gina Thésée, de l’Université de Montréal, et Paul Carr, de la Youngstown State University. Ils y poursuivent une réflexion sur l’équité relativement aux minorités culturelles. Le début de leur chapitre comporte la plus solide définition du concept d’équité que l’on trouve dans l’ouvrage. Ils expliquent ensuite les dimensions quantitative et qualitative du mouvement international en faveur de l’équité en éducation et proposent d’étudier la question de l’équité en éducation pour les minorités culturelles en utilisant une théorie anthropologique inspirée des travaux de Malinowski et développée par Ogbu : la théorie de la discontinuité culturelle. Thésée et Carr appliquent cette théorie à deux groupes de jeunes qui vivraient cette discontinuité culturelle : ceux de la communauté haïtienne scolarisée de Montréal et ceux de la communauté noire de Toronto. Cet exercice les amène à conclure qu’il est nécessaire, dans ce type de contexte, d’appliquer une « analyse critique et authentique des relations de pouvoir » si l’on veut agir de manière véritablement équitable en éducation.

Le septième et dernier chapitre de l’ouvrage, rédigé par Annick Lavoie et Frank Pons, de l’Université Laval, aborde une question cruciale en éducation au Québec : la sous-représentation des étudiantes et des étudiants d’origine immigrante en formation initiale des maîtres. Après un état des lieux de l’immigration au Québec et des politiques générales d’intégration, Lavoie et Pons présentent des statistiques sur les proportions d’élèves immigrants récents à Montréal, dont 75 % fréquentent les écoles de langue française. Ils font ensuite le parallèle avec le portrait ethnoculturel des effectifs dans les programmes de formation des maîtres dans les deux grandes universités de langue française de Montréal. Leurs données les amènent à conclure à une forte sous-représentation des groupes minoritaires en formation initiale des maîtres à Montréal. En se basant sur les recherches internationales qui ont étudié cette problématique, Lavoie et Pons décrivent les facteurs qui peuvent expliquer cette sous-représentation et proposent des pistes pour améliorer le recrutement et le maintien des étudiants de minorités ethnoculturelles dans les programmes de formation des maîtres offerts dans les universités de langue française de Montréal.

En terminant, je tiens à souligner la pertinence et l’intérêt de cet ouvrage pour le monde de l’éducation au Québec et dans la francophonie canadienne. Bien que la révision linguistique paraisse faire défaut dans certains chapitres, et qu’il manque parfois des références plus récentes pour documenter l’état des connaissances, cela demeure un ouvrage qui, dans l’ensemble, répond à un véritable besoin et qui éclaire avec justesse la problématique de l’équité en éducation et en formation au Québec.