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Ces deux titres d’un même ouvrage publié en versions groenlandaise et danoise témoignent de l’intérêt des Groenlandais d’aujourd’hui pour leur histoire écrite et orale. Nuummi Noorliit / Ny Herrnhut i Nuuk 1733-2003 («Les frères moraves à Nuuk 1733-2003») est publié sans nom d’auteur. On y apprend cependant à la page 4 qu’il a été écrit en danois par Kathrine et Thorkild Kjaergaard, et traduit en kalaallisut par nul autre que Robert Petersen, fondateur et ancien recteur de l’université du Groenland (Ilisimatusarfik). C’est d’ailleurs cette université qui a publié l’ouvrage en 2003, pour commémorer les 275 ans de la ville de Nuuk, capitale du Groenland, ainsi que le 270e anniversaire de l’arrivée des missionnaires moraves.

Ilisimatusarfik avait de bonnes raisons de commander la publication de ces deux volumes. Depuis 1987 en effet, l’université du Groenland occupe — mais plus pour longtemps — le lieudit Ny Hernnhut («Nouveau Herrnhut»), c’est-à-dire le bâtiment construit en 1747 par les moraves — ou Herrnhuter, du nom de la ville de Herrnhut en Allemagne, siège de leur Église — pour y loger leur mission. Originellement situé à l’extérieur de la colonie danoise de Godthaab, Ny Herrnhut se retrouve maintenant au centre même de Nuuk (quoiqu’à l’écart de l’artère principale), l’urbanisation ayant étendu de beaucoup les limites de la ville.

L’ouvrage raconte, en kalaallisut comme en danois, l’histoire de ce lieu et de ceux qui l’ont occupé. Arrivés d’Allemagne en 1733 (leur nom groenlandais, Noorliit, signifie d’ailleurs «les Allemands»), les frères moraves venaient épauler les pasteurs luthériens (présents au Groenland depuis 1721) dans leur travail d’évangélisation des Inuit. Issus de la première réforme protestante, prêchée en Bohême et en Moravie (d’où leur nom) par Jean Hus au 15e siècle, ils se spécialisaient dans la conversion des populations jugées «difficiles», c’est-à-dire peu enclines à adopter le christianisme. Dans le cas du Groenland — et du Labrador, où les moraves s’installèrent en 1771 —cette difficulté avait été surestimée puisque les Inuit y devinrent assez rapidement chrétiens.

Les quatre premiers chapitres de l’ouvrage décrivent de façon détaillée la vie des Moraves et de leurs ouailles: arrivée des premiers missionnaires (1733), construction du bâtiment encore en place (1747) et, surtout, apport des frères moraves à la vie spirituelle, sociale, culturelle (c’étaient de grands musiciens) et intellectuelle (ils ont eu un impact important sur l’étude du kalaallisut, grâce surtout aux travaux du linguiste Samuel Kleinschmidt) de la colonie groenlandaise. En 1900, ils quittent le Groenland, l’Église luthérienne danoise ayant décidé de reprendre le contrôle de la vie religieuse du pays. Ny Herrnhut passe alors aux mains de l’État danois (chapitre 5), qui l’utilise à diverses fins (ferme d’élevage du renard, résidence pour fonctionnaires, etc.). Au cours des années 1970, on en fait un embryon de musée national groenlandais jusqu’à ce que l’université du Groenland, nouvellement créée, s’y installe en 1987 (chapitre 6).

L’ouvrage est intéressant, bien documenté (à partir de nombreuses sources manuscrites et publiées) et, surtout, il est agrémenté de gravures, photos et autres illustrations qui lui donnent une valeur iconographique certaine. Signalons, entre autres (p. 41), une gravure de 1757 avec légende en français, qui représente un «Baptême des Groenlandois» dans la grande salle de la mission morave, aujourd’hui utilisée par Ilisimatusarfik comme amphithéâtre principal pour ses cours et conférences.