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Ce texte a été révisé par Christelle Lison

Introduction

Dans les dernières décennies, les changements démographiques accélérés de la société québécoise ont transformé les populations desservies. Historiquement composé d’élèves d’origine canadienne-française, canadienne-anglaise et amérindienne, l’effectif scolaire québécois s’est considérablement diversifié dans les dernières décennies (Benes, 2001 ; Pronovost, 2004). Les enfants qui venaient d’Europe et d’Amérique du Nord proviennent aujourd’hui surtout d’Asie, des Antilles, du Maghreb, des anciennes républiques somaliennes, du Proche-Orient et d’Amérique latine. Dans la grande région montréalaise, où plus de 50 % des jeunes sont immigrants de première ou de deuxième génération, 33 % de ceux qui fréquentent l’école parlent une langue maternelle autre que le français ou l’anglais (Benes, 2001). Quoique encore minoritaires, de plus en plus d’enfants immigrants se retrouvent en région ou dans d’autres villes que Montréal (Benes, 2001). Ce virage démographique pose un défi à l’école, tant au niveau de son rôle d’éducation qu’au niveau de sa position charnière entre les familles immigrantes et la société hôte.

Les caractéristiques spécifiques des populations immigrantes jouent un rôle important dans l’apprentissage et l’adaptation sociale des enfants qui présentent souvent une trajectoire de développement en dehors des normes et dont l’expérience de vie est marquée par des carences et des pertes. Plusieurs travaux ont permis d’étudier l’impact du vécu prémigratoire (traumatismes) et migratoire (séparations, pertes) sur l’adaptation des jeunes immigrants et réfugiés (Hodes, 2000 ; Papageorgiou, Frangou-Garunovic, Iordanidou, Yule, Smith et Vostanis, 2000 ; Sabin, Lopez, Nackerud, Kaiser et Varese, 2003). Cependant, les difficultés auxquelles sont confrontées les familles immigrantes et réfugiées dans le pays hôte influencent aussi le développement et l’adaptation sociale des jeunes : conditions économiques précaires, isolement, connaissance limitée de la langue du pays d’accueil, problèmes légaux associés au statut (Fazel et Stein, 2002 ; Montgomery, Rousseau et Shermarke, 2001), expériences de discrimination et d’exclusion (Guarnaccia et Lopez, 1998 ; Lustig, Kia-Keating et Knight Grant, 2004). Par ailleurs, l’identité sociale (Rumbaut, 1994), le sentiment d’appartenance (Pratt, 2002), la cohésion familiale ou des significations collectives associées à la migration (Fuligni, 1997 ; Vatz Laaroussi, 2001) pourraient avoir une influence positive et faciliter leur adaptation.

Devant la complexité de ces différents facteurs de vulnérabilité et de résilience, il importe de bien saisir la réalité de ces jeunes immigrants et réfugiés et de leur famille, afin d’identifier les sources de souffrance et de stress, de même que les forces et les ressources qui influencent l’apprentissage et l’adaptation des jeunes. À cet effet, la communication entre les représentants de l’école et les parents est essentielle pour que puisse s’établir un pont entre les deux mondes qui permette, d’une part, d’ajuster l’enseignement en fonction du vécu de ces jeunes, et favorise, d’autre part, le développement de nouveaux référents identitaires indispensables à l’adaptation dans la société hôte.

Or, la création de liens parents immigrants-écoles représente un défi difficile à relever (Thomas, 2000). Parmi les problèmes les plus communément identifiés par les enseignants et les parents, on retrouve : les difficultés de communication liées à l’absence d’interprètes ou à l’analphabétisme des parents (Warner, 1999 ; Pena, 2000), les attentes face au rôle des professeurs et à la participation des parents à l’école (Lynch et Stein, 1987), les conflits de valeur, l’école prônant l’autonomie alors que la famille souhaite plutôt la conformité aux normes de la communauté (Okagaki et Sternberg, 1993 ; Singh, 1999), la perception de ce qui constitue un développement normal (Valsiner, 1997) et la stigmatisation des enfants (Pavlovskaia, 2001).

La communication parents immigrants-écoles est également modulée par les tensions sociales et politiques. À l’échelle internationale, les événements comme celui du 11 septembre ou les guerres d’Afghanistan et d’Irak ont pu exacerber les préjugés et les tensions intercommunautaires, de même que la méfiance entre les parents et les représentants des institutions des pays hôtes. Les zones de tension locales et spécifiques au contexte d’accueil, comme, par exemple, la question raciale aux États-Unis ou le débat sur la laïcité de l’école en Europe (Moro, 2004), et plus récemment au Québec, influencent également la relation et la communication entre les parents immigrants et l’école. Dans le contexte scolaire québécois, les questions linguistiques, dont celle de la langue d’enseignement, font l’objet de débats passionnés (McAndrew, 2001a, 2001b). L’enjeu du bilinguisme et du biculturalisme, particulièrement présent dans l’espace montréalais, constitue un défi pour l’adaptation des familles immigrantes : en plus d’être confrontées à un système de valeurs souvent très différent du leur, elles doivent trouver leur place et de nouveaux référents identitaires à l’intérieur d’une société elle-même divisée. D’un autre côté, la proportion de plus en plus grande d’immigrants dont la langue seconde est l’anglais représente également un défi de taille pour les écoles francophones, où les enseignants sont coincés entre leur mandat de promouvoir le français et la nécessité de communiquer avec des parents dont plusieurs se montrent peu réceptifs à l’apprentissage et à l’usage du français. La récente controverse sociale autour des accommodements raisonnables met en relief l’étendue de ces enjeux dans les écoles québécoises, et soulève un débat et une réflexion sur le pouvoir accordé aux minorités ainsi que sur la définition des limites dans les ajustements au sein des milieux scolaires. De plus, les négociations relatives aux revendications des minorités et aux accommodements qui en découlent mettent les questions identitaires à l’avant-scène. D’une part, la société québécoise doit se définir à la fois en tant que minorité au sein du Canada et par rapport aux valeurs véhiculées par les minorités ethniques de plus en plus nombreuses ; d’autre part, les immigrants ont à relever le défi de l’adaptation dans une société hôte et celui du développement d’une identité éventuellement plurielle, dans la mesure où elle peut intégrer une ou des identités d’origine avec de nouvelles identités proposées par la société hôte ou par les groupes d’appartenance des familles au sein de celle-ci. Ces enjeux identitaires et les tensions soulevées par la question de la répartition du pouvoir entre la majorité et les minorités ethniques sont présents dans les écoles, et influencent la relation entre les parents immigrants, les enseignants et les administrateurs.

C’est dans ce contexte global que se sont réunis les groupes de discussion dont les résultats sont rapportés dans cet article. Ces groupes de discussion avaient pour but de documenter la relation parents immigrants-écoles dans l’espace montréalais. Ils s’inscrivaient dans un programme de recherche plus large sur une comparaison internationale de programmes de prévention et d’intervention pour les enfants immigrants et réfugiés (Valorisation-Recherche Québec, subvention obtenue en 2002). L’objectif spécifique de ces groupes de discussion était de documenter les perceptions qu’ont les parents immigrants du milieu scolaire québécois, à savoir la place qu’ils y ont, leur engagement, leurs sources de satisfaction et d’insatisfaction, leurs critiques, leurs questionnements et leurs souhaits. Il s’agissait, d’autre part, de documenter les perceptions des enseignants quant aux gratifications par rapport aux défis rencontrés dans leur travail avec une clientèle multiethnique. Dans un troisième temps, il s’agissait de s’inspirer des recommandations faites par les enseignants et les parents immigrants pour repenser les échanges entre les écoles et les communautés, et générer des domaines de compréhension partagée. Cet article ne prétend pas refléter toute la complexité du débat linguistique au sein des établissements scolaires québécois, dans la mesure où il ne documente qu’un aspect des relations entre certains des acteurs impliqués et dans la mesure où il ne décrit pas les enjeux identitaires et sociaux que cette situation génère pour la majorité.

Méthodologie

Les données ont été recueillies lors de groupes de discussion organisés séparément avec les parents et les enseignants. Dans le cadre de l’étude internationale, les groupes de discussion se sont réunis simultanément au Québec, en Angleterre, en Belgique et aux Pays-Bas. Au Québec, les groupes de discussion avec les parents ont eu lieu à trois moments différents : en décembre 2004, en juin 2005 et en avril 2006. Les enfants des familles participantes fréquentaient une école primaire (section préscolaire) localisée dans le quartier Parc-Extension. Ce quartier est un secteur pluriethnique de Montréal, caractérisé par la présence d’un grand nombre de migrants nouvellement arrivés et par une forte représentation des communautés musulmanes sud-asiatiques. Les conditions socio-économiques des habitants du quartier sont précaires : 30 % des personnes sont sans emploi et 25 % des citoyens n’ont pas terminé leur secondaire 3. Un grand nombre de familles vit dans une réelle pauvreté. Comme la majorité des immigrants et des réfugiés récents qui ont quitté leur pays pour des raisons politiques, beaucoup de ces familles ont un vécu prémigratoire traumatique. Les données issues d’une étude quantitative (Rousseau, Benoit, Lacroix et Gauthier, sous presse) réalisée auprès des parents des enfants fréquentant une école qui participe aux présents groupes de discussion illustrent bien le profil sociodémographique des familles du quartier. Parmi les 105 parents qui ont participé à cette étude quantitative, 64 % provenaient de différents pays d’Asie du Sud-Est. L’origine des autres parents immigrants ou réfugiés se distribuait parmi les pays d’Asie (8 %), du Moyen-Orient/Maghreb (8 %), de l’Afrique sub-saharienne (7 %) et des Caraïbes (7 %). Un nombre important de ces parents rapportaient avoir été témoins de violence (22 %) ou victimes de persécution (30 %) dans leur pays d’origine. Les principales causes d’immigration rapportées étaient politiques (58 %). De façon générale, les parents s’exprimaient plus facilement en anglais qu’en français.

L’étude a été appuyée par les directions d’école, qui ont participé à l’organisation de ces rencontres en mettant à notre disposition des locaux, des interprètes, une collation et un service de garde. Dans la mesure du possible, les discussions se sont déroulées dans la langue d’origine des parents, en présence d’interprètes préalablement formés pour animer ces groupes. À chacun des trois temps de mesure mentionnés précédemment, quatre groupes ont été constitués en fonction des majorités linguistiques des parents : il y avait un groupe anglais, regroupant des parents de différentes origines ethniques dont la langue seconde est l’anglais (certains pays du Sud-Est asiatique : Afghanistan, Chine, Vietnam, etc.) ; un groupe franco-espagnol, regroupant des parents venant d’Haïti et de divers pays d’Amérique latine ; un groupe composé de parents venant d’Asie du Sud-Est parlant l’hindi, le punjabi ou l’urdu, et un dernier groupe composé de parents parlant le tamoul. Les 12 groupes formés comprenaient de 4 à 12 personnes, et un total de 70 parents ont participé à ces groupes de discussion. Les groupes les plus importants étaient ceux qui regroupaient les parents originaires des pays d’Asie du Sud-Est. En plus de recevoir une lettre d’invitation traduite dans leur langue d’origine leur expliquant le but de ces rencontres, les parents ont été contactés par téléphone par des interprètes. Les rencontres étaient animées par des interprètes de l’Hôpital de Montréal pour enfants, de même que par des membres de l’équipe de psychiatrie transculturelle de différentes origines culturelles et formations scolaires. D’une durée d’environ une heure trente, ces rencontres avaient pour but d’offrir un espace de parole aux parents afin qu’ils puissent s’exprimer sur leur perception de l’école et du système scolaire, de même que sur les défis et les avantages d’élever des enfants dans une société autre. Elles visaient également à permettre aux parents d’exprimer leurs craintes et leurs espoirs par rapport à l’éducation de leurs enfants, et à permettre aux chercheurs de recueillir leurs suggestions pour améliorer la communication avec l’institution scolaire. Pour les animateurs, la consigne était de favoriser un espace de paroles dans lequel les parents se sentiraient libres de s’exprimer ouvertement, tout en encadrant la situation pour éviter que la discussion ne tourne au débat. Toutes les discussions ont été enregistrées puis retranscrites et traduites en français par les interprètes.

Lors de ces groupes de discussion, les principaux thèmes abordés avec les parents étaient les suivants : 1) les éléments soutenants et les difficultés associés au fait d’élever un enfant dans un pays autre ; 2) la perception, par les parents, du système scolaire ainsi que leur opinion sur la discipline et les valeurs transmises à l’école ; 3) les différences et similitudes avec le système d’éducation dans leur pays ; 4) la relation et la communication entre les parents et l’école ; 5) les attentes et les inquiétudes par rapport au futur des enfants. Puisque les groupes de discussion regroupaient des parents dont les enfants étaient au préscolaire, il s’agissait, pour plusieurs d’entre eux, d’un premier contact avec l’école québécoise.

Les groupes de discussion avec les enseignants travaillant en milieu multiethnique ont également eu lieu en trois temps : en décembre 2004 et en juin 2005, avec des enseignants du préscolaire ; puis en juin 2006, avec des enseignants du secondaire (secteur difficultés d’apprentissage). Vingt enseignants ont participé à ces groupes de discussion. Les rencontres avec les enseignants ont également été enregistrées puis retranscrites. Les principaux thèmes abordés avec eux étaient les suivants : 1) les similarités et les différences entre l’enseignement en milieu pluriethnique et l’enseignement dans d’autres milieux ; 2) les principales difficultés rencontrées avec les enfants en milieu pluriethnique et par comparaison avec d’autres milieux d’enseignement ; 3) les principales difficultés rencontrées avec les parents et, par comparaison, avec d’autres milieux d’enseignement ; 4) leur perception de l’effet du climat international actuel sur les parents, les enfants et l’école ; 5) les suggestions à propos de ce qui pourrait aider les parents, les enfants et les enseignants.

À la suite des groupes de discussion avec les parents, les chercheurs ont rencontré les intervieweurs pour recueillir leurs commentaires, perceptions et feed-back sur le déroulement des discussions, de façon à situer le discours des différents acteurs. Afin de procéder à l’analyse qualitative des données, les bandes audio ont été retranscrites puis traduites en français lorsque cela s’avérait nécessaire. L’analyse s’est déroulée en trois étapes : d’abord, après une première lecture, les données recueillies lors des groupes de discussion avec les parents et les enseignants ont fait l’objet de discussions d’équipe, afin de cibler les catégories dominantes émergeant de l’analyse de données et d’élaborer une grille de codification ; l’ensemble du matériel a subséquemment été analysé en fonction de cette grille ; finalement, les résultats de cette analyse ont été présentés aux écoles (enseignants et direction) afin de valider et de nuancer l’interprétation des données.

Dans le cadre du programme de recherche plus large, portant sur le développement de programmes de prévention et d’intervention pour les enfants immigrants et réfugiés, des questionnaires ont été distribués au début et à la fin de l’année scolaire 2004-2005 aux parents des enfants qui fréquentaient le préscolaire. Une grande partie de ces parents ont participé aux groupes de discussion. Quelques données descriptives provenant de ces questionnaires, et permettant d’étayer les résultats, sont rapportées dans la section ci-dessous.

Résultats

Nous avons regroupé les principales catégories ayant émergé de l’analyse qualitative sous les rubriques suivantes : 1) une vision généralement bienveillante et nuancée du milieu scolaire ; 2) des zones de tension dans des domaines spécifiques tels que la langue et la communication, la discipline et le respect, le besoin d’affirmer les différences tout en cherchant des référents identitaires communs, les difficultés associées au contexte de l’immigration, au statut minoritaire et à l’exclusion raciale ; 3) la perception du futur ; 4) les points de convergence et les recommandations.

Une vision bienveillante et nuancée du milieu scolaire québécois

Un des points de convergence qui ressort clairement de l’analyse des groupes de discussion auprès des parents et des enseignants, ainsi que de l’analyse des réponses à une question ouverte sur la satisfaction par rapport à l’école posée aux parents dans un questionnaire distribué lors de l’étude quantitative (Rousseau et collab., sous presse) est que les différents acteurs impliqués montrent une ouverture et ont en général une vision bienveillante et nuancée les uns des autres. Du côté des parents, malgré les zones de tension dont il sera question plus loin, ceux-ci ont une vision relativement positive de l’école et de la société québécoise. Les points de satisfaction qui sont régulièrement rapportés, autant lors des groupes de discussion qu’en réponse à la question ouverte du questionnaire, sont l’accessibilité à l’éducation, la disponibilité des enseignants, la relation des enseignants avec les enfants, les modalités d’apprentissage (jeux, chansons, créativité), les ressources disponibles et le sentiment général de sécurité, autant à l’école que dans leur milieu de vie : L’éducation ici est très progressive. 99 % meilleure que dans mon pays. Avec l’école, c’est positif, c’est bien. Parce que, si vous avez un problème avec votre enfant, s’ils (les enseignants) voient que votre enfant a besoin de quelque chose, ils vont vous en parler gentiment (groupe urdu, Asie du Sud-Est, avril 2006). Voilà qui peut témoigner, entre autres, de l’importance, pour les parents, de maintenir un lien positif avec l’école.

Évitant dans l’ensemble la critique directe de l’école, les parents attribuent parfois leurs insatisfactions au gouvernement plutôt qu’aux enseignants et à l’école. Par exemple, faisant référence à l’usage du français à l’école, un parent dit : Le problème, ce n’est pas l’école. Le problème, c’est le gouvernement. Les enseignants font de leur mieux. C’est le gouvernement qui joue avec la vie de tout le monde (groupe anglais, Bengale, juin 2005).

Pour leur part, les enseignants qui ont participé aux groupes de discussion, autant au niveau du primaire que du secondaire, disent de façon consensuelle apprécier travailler avec la clientèle pluriethnique. Certains comparent avec d’autres milieux éducatifs et préfèrent travailler avec les immigrants. Malgré certaines zones de tension, ils apprécient la stimulation que leur procure l’exposition à la diversité culturelle et à la différence, trouvent leur travail plus valorisant et se sentent en général respectés et considérés par les enfants et les parents immigrants : Moi, je trouve ça formidable ici. J’ai l’impression d’enseigner pour vrai. La relation avec les enfants est plus facile, la gestion de classe est plus facile. Ici, on a le respect de l’enseignant de la part des enfants et des parents. Je me sens considérée et valorisée. Ils sont facilement émerveillés. Ils ont la sensibilité des relations humaines (enseignante du préscolaire, décembre 2004).

Ces points de satisfactions, rapportés autant par les parents par rapport à l’école que par les enseignants à propos de leur travail avec la clientèle pluriethnique, ont émergé systématiquement dans tous les groupes de discussion.

Des zones de tension

Parallèlement aux zones de satisfaction, les discussions avec les parents et les enseignants permettent également de mettre en évidence des zones de tension. Une première zone de tension concerne la communication entre les parents et l’école, et tourne principalement autour de la question de la langue. Les parents trouvent que l’absence d’interprètes est problématique à divers niveaux. D’abord, pour l’enfant qui commence l’école et qui ne peut pas s’exprimer :

Quand nos enfants commencent l’école, ils sont très jeunes. Ils ne peuvent pas communiquer dans une langue étrangère. Par exemple, quand ma fille a commencé l’école, nous venions tout juste d’arriver du Pakistan. À l’école, elle a uriné dans ses pantalons. Personne ne s’en est aperçu et personne ne lui a demandé si elle avait envie d’aller à la salle de bain. C’est le travail du professeur de vérifier ces choses parce que ma fille ne pouvait pas le dire en français et personne ne parlait ourdou. Il devrait y avoir un interprète durant la première semaine d’école pour expliquer aux nouveaux arrivants comment exprimer les besoins élémentaires comme aller à la toilette, manger, boire, etc. Ma fille a commencé l’école en hiver. Il faisait froid et elle a passé la journée dans ses pantalons mouillés (groupe tamoul, décembre 2004).

Les parents dont la langue seconde est majoritairement l’anglais considèrent comme problématique l’utilisation exclusive du français à l’école, particulièrement dans un pays qui est officiellement bilingue. Ils souhaiteraient que l’école communique avec les parents en français et en anglais afin de faciliter la communication :

Toutes les lettres qui sont envoyées à la maison sont écrites en français. C’est un grand problème, puisque nous n’avons aucune idée de ce qui est écrit dans ces lettres. Nous aimerions que ces lettres soient envoyées en anglais, un langage que nous comprenons mieux. Nous recevons ces lettres en français et nous ne savons pas ce que nous signons ou à propos de quoi nous disons oui ou non (groupe urdu, Asie du Sud-Est, décembre 2004).

Les parents disent également que les enseignants interprètent mal l’absence de réponse des parents en pensant qu’ils ne répondent pas parce qu’ils ne sont pas concernés par l’éducation de leurs enfants, qu’ils sont négligents ou qu’ils ne veulent pas que leurs enfants participent à une activité : Les enseignants pensent qu’ils (les parents) ne répondent jamais ou qu’ils ne veulent pas que leur enfant participe. Mais c’est à cause de la langue. Les parents ne comprennent pas les lettres (groupe punjabi, Asie du Sud-Est, décembre 2004).

La question de la langue inquiète également les parents parce qu’ils se sentent limités dans leur capacité de s’impliquer dans l’éducation de leurs enfants : Les parents veulent aussi l’anglais à l’école pour qu’ils puissent comprendre ce qui se passe, ce que l’enfant est en train d’apprendre, pour que l’enfant les respecte aussi (groupe tamoul, juin 2005). Les parents craignent également pour leur communication et leur lien avec leurs enfants. À la difficulté de devoir s’adapter et d’élever leurs enfants dans une autre culture, ce qui implique déjà une certaine rupture avec leur passé, s’ajoute la difficulté associée au fait que leurs enfants apprennent à parler une langue seconde qu’ils ne comprennent pas. Ils ont le sentiment que cela les éloigne et creuse un fossé encore plus grand entre eux : Nous venons d’autres pays, nous parlons notre langage qui vient de nos ancêtres… et parce que nous vivons au Canada, au Québec, particulièrement au Québec et à Montréal, c’est un problème. Qu’est-ce qui serait plus facile pour nous pour communiquer avec nos enfants ? (groupe anglais, Pakistan, décembre 2004).

Finalement, l’utilisation exclusive du français à l’école inquiète les parents pour le futur de leurs enfants. Ils se disent limités au Québec et au français, ce qui suscite un sentiment de colère mais aussi d’impuissance, parce qu’ils ne se sentent ni considérés ni entendus au niveau politique : L’apprentissage seulement en français pose un problème. Si nos enfants retournent au Pakistan, ils sont des zéros. Ils peuvent seulement vivre ici ou en France. À cause du langage, mes enfants sont confinés ici. Cela me met en colère (groupe anglais, Pakistan, décembre 2004). Le gouvernement du Québec force nos enfants à apprendre le français. Maintenant, comme parents, nous nous sentons encore plus faibles que nos enfants parce que nous sommes forcés par le gouvernement (groupe anglais, Inuit, décembre 2004).

De leur côté, les enseignants considèrent aussi que la question de la langue est problématique et rend la communication difficile avec les parents. Des enseignants du secondaire rapportent que les jeunes servent souvent d’interprètes à leurs parents, ce qui les amène à assumer certaines responsabilités qui les dépassent, ou à manquer régulièrement l’école pour accompagner un membre de leur famille à un rendez-vous médical ou autre. Les enseignants du primaire trouvent que les enjeux autour de la langue sont particulièrement problématiques avec les parents dont la langue seconde est l’anglais. La réticence de certains parents face à l’apprentissage du français suscite des réactions de la part des enseignants :

Je parlais avec un papa qui est ici depuis 10 ans et il ne parle pas le français. Je lui ai demandé comment ça se faisait qu’il n’avait pas eu l’opportunité d’apprendre le français depuis 10 ans et il m’a répondu « why ? ». J’en étais bouleversée. Je trouve parfois qu’ils peuvent être opportunistes et qu’ils n’ont pas de respect pour la société qui les accueille (enseignante du préscolaire, décembre 2004).

Avant, il y avait un trou dans la loi. Les parents pouvaient envoyer leurs enfants à l’école anglaise. Maintenant, le trou est bouché et ils s’installent à Cornwall, près des frontières de l’Ontario, dans l’espoir que leurs enfants puissent fréquenter l’école anglaise. Ils sont filous. Ce n’est pas la majorité, mais plusieurs le font (enseignante du préscolaire, décembre 2004).

Au-delà de la question de la langue, les enseignants trouvent également la communication avec les parents immigrants difficile en raison du rapport de force entre ces derniers et l’institution qu’ils représentent. Les enseignants souhaiteraient en savoir davantage sur les parents pour mieux les comprendre, mais ils perçoivent que leur alliance avec eux est fragile : J’aimerais en savoir plus sur leur histoire et sur ce qu’ils ont vécu… sauf que c’est délicat d’en savoir plus et de poser des questions. Les parents ne nous considèrent pas comme des alliés. Ça peut être perçu comme menaçant parce qu’on représente l’institution (enseignante du préscolaire, juin 2005).

Une deuxième zone de tension concerne la question du respect et de la discipline. En général, les parents ne sont pas satisfaits de la discipline à l’école, qu’ils perçoivent comme trop laxiste. Selon eux, les enseignants n’ont pas suffisamment d’autorité sur les enfants et ne leur apprennent pas le respect envers les autres. Les parents déplorent également la trop grande familiarité et l’absence de hiérarchie dans le rapport enseignant-enfants : Ici, il y a trop de liberté dans la classe. Dans notre pays, les enseignants corrigent les enfants et les enfants les respectent. Ils ont peur de leur professeur et ils font ce qu’il leur demande. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ici, les enfants appellent leur professeur par leur prénom ? (groupe urdu, Asie du Sud-Est, avril 2006). Dans certains cas, les parents interprètent les différences au niveau de la discipline comme une absence de soutien de la part des enseignants et de la société envers l’autorité des parents, qui se sentent dépouillés de leur pouvoir : Ici, les professeurs n’enseignent pas le respect envers les parents (groupe anglais, Sri Lanka, décembre 2004). Les enfants apprennent très rapidement qu’ils peuvent appeler 911 si leurs parents les frappent, et ils jouent avec ça (groupe français, Haïti, décembre 2004). Nous n’avons pas le contrôle sur nos propres enfants… L’État ne nous aide pas en limitant nos droits sur nos enfants (groupe punjabi, Asie du Sud-Est, avril 2006).

Les parents perçoivent la surveillance institutionnelle comme une intrusion et comme l’expression de préjugés et d’un manque de confiance à leur égard : Si le gouvernement vient chez vous et trouve votre enfant avec des contusions, ils vont amener votre enfant loin de vous, même s’il s’agit d’un accident (groupe anglais, Afrique, décembre 2004). Ce n’est pas parce que nous venons d’un autre pays que nous sommes des monstres et que nous allons tuer nos enfants (groupe anglais, Pakistan, décembre 2004).

Une troisième zone de tension se rapporte à la dualité entre le besoin d’affirmer des différences identitaires et celui de trouver des référents identitaires communs avec la société d’accueil. D’un côté, les parents souhaiteraient que la différence au niveau des valeurs soit davantage respectée. Par exemple, ils mentionnent les restrictions alimentaires : Nous sommes musulmans et notre religion est très importante. Nous avons des restrictions alimentaires. Nous aimerions que ce soit respecté (groupe urdu, Asie du Sud-Est, avril 2006). C’est également le cas au niveau de leur conception de l’enseignement et de l’école. Par exemple, certains parents trouvent que les enfants devraient commencer plus tôt à avoir des devoirs. Des parents trouvent également que les enfants n’apprennent pas à écrire assez rapidement comparativement à d’autres pays, qu’ils jouent trop et ne sont pas assez performants. Un point particulièrement épineux est celui qui touche à la question de l’éducation sexuelle, que les parents trouvent en général trop précoce : Les parents apprécieraient que l’école leur demande la permission avant de montrer des films sur l’éducation sexuelle et sur comment les enfants sont faits (groupe tamoul, juin 2005).

Les parents sont choqués par la différence des valeurs et ne se sentent pas entendus et respectés dans les leurs. Ils ne trouvent pas d’espace pour exprimer leurs différences au sein de la culture dominante qui leur est imposée :

Nous sommes venus ici avec notre culture et des choses nous sont imposées. Pourquoi sommes-nous forcés de changer ? Il devrait y avoir plus de respect dans les lieux publics… c’est difficile d’aller dans des parcs ici parce qu’on voit toujours des couples qui font des choses en public (groupe urdu, Asie du Sud-Est, juin 2005).

L’école force les parents à accepter et faire des choses, même s’ils ne le veulent pas. Pourquoi les femmes consultent des hommes médecins ici ? (groupe urdu, Asie du Sud-Est, décembre 2004).

Souvent, les parents ne se sentent pas entendus dans leurs revendications : Les enseignants font la sourde oreille. Ils ne s’occupent pas de ce qu’on dit. Nous nous plaignons, mais personne n’écoute (groupe anglais, Pakistan, décembre 2004).

La différence entre les valeurs suscite des réactions de la part des enseignants, particulièrement au niveau de la conception de l’école, de l’enseignement et de la discipline : Pour eux, l’école, c’est pour étudier. Pas pour jouer. Ils ne comprennent pas nos méthodes (enseignante du préscolaire, décembre 2004). Il faut souvent justifier ce qu’on fait. Les parents sont sceptiques (enseignante du préscolaire, juin 2005). Les enseignants réagissent également aux différences des valeurs quant à la question de la ponctualité : C’est chronique. La directrice, quand elle voit qu’on est tannées, elle appelle les parents, le matin, pour les stimuler. Ça, c’est différent au Québec. Ça ne se passerait pas ça, que la directrice appelle les parents le matin pour les réveiller… (enseignante du préscolaire, décembre 2004).

Cependant, les enseignants se montrent désireux d’en savoir davantage sur les parents et leur culture et de laisser une place à la différence entre les valeurs : Je fais attention au niveau de valeurs, j’essaie de respecter la décision des parents. Ils apprécient qu’on respecte leurs valeurs et leur culture (enseignante du préscolaire, juin 2005). Il y a deux règles : à la maison et à l’école… On ne s’insère pas dans les choses à la maison (enseignante du secondaire, avril 2006). 

Pour les parents, le respect des valeurs et des différences est important, dans une perspective de continuité et de transmission de leur culture et de leur identité à leurs enfants :

Moi je suis musulmane. Pour moi, il faut que je lui dise qu’on est musulmans. Mais il demande beaucoup, pourquoi à l’école ils ne sont pas musulmans. Il pose beaucoup de questions. J’explique tout : « Nous faisons ça pour ça, pour ça », mais j’espère qu’il va garder parce qu’à l’école, ils n’étudient pas ça (groupe français, Algérie, décembre 2004).

Ma fille est née ici. Elle a maintenant cinq ans et demi. Nous parlons avec elle en anglais, mais aussi dans notre langue maternelle. Elle est consciente de la culture dans mon pays. Notre langue et nos valeurs, c’est l’héritage que je souhaite lui laisser. Ça ne devrait pas mourir avec moi. Il faut que ce soit continué (groupe urdu, Asie du Sud-Est, décembre 2004).

D’un autre côté, l’adaptation au pays d’accueil nécessite que se créent des ponts entre la culture d’origine et la culture du nouveau pays. Ainsi, bien qu’ils veuillent maintenir leurs valeurs et leur identité, les parents sont également en quête de référents identitaires communs. Ils manifestent le désir d’en savoir davantage sur le pays d’accueil et sont à la recherche d’un sentiment d’appartenance : Les enfants devraient apprendre plus jeunes l’histoire et la géographie pour qu’ils connaissent le pays dans lequel ils habitent. Les enfants devraient chanter l’hymne national du Canada le matin à l’école (groupe anglais, Pakistan, avril 2006). Je viens du Sri Lanka. Puisque nous sommes ici, nous devons nous habituer à la vie au Canada. Je ne dis pas qu’il faut oublier la culture et les valeurs que nous avons dans notre culture d’origine. Dans mon cas, j’essaie d’aider mon garçon à s’habituer à la vie ici, au Canada (groupe anglais, Sri Lanka, avril 2006).

Une autre zone de tension concerne les difficultés associées au contexte de l’immigration, au statut de groupe minoritaire, au statut économique et à l’exclusion raciale. Les parents trouvent difficiles les réglementations qui concernent la reconnaissance des diplômes professionnels obtenus dans leur pays d’origine. Ils déplorent la rigidité de ces réglementations, ainsi que l’absence de reconnaissance du statut social et du niveau d’éducation qu’ils avaient dans leur pays d’origine. La question du statut économique est également une dimension difficile pour les parents. Plusieurs familles vivent dans des conditions précaires et les parents se sentent diminués et humiliés par leur situation, ce qui s’exprime, entre autres, par le souhait explicite du port de l’uniforme à l’école pour atténuer les différences économiques : Si tout le monde porte un uniforme, il n’y a pas de complexe. Certains enfants portent des vêtements coûteux et d’autres non, dépendamment de leur statut financier (groupe tamoul, décembre 2004).

De leur côté, les enseignants trouvent que les jeunes portent le poids de l’immigration de leur parent sur leurs épaules. Selon eux, les parents mettent de la pression sur les enfants et sur les enseignants pour que les enfants réussissent. La réussite scolaire devient un enjeu important pour les parents dont le statut social et le niveau d’instruction n’ont pas été reconnus : Les parents focalisent sur le point de vue académique et donnent peu d’importance à l’aspect social. Ils mettent beaucoup de pression sur l’enfant sur le plan académique (enseignante du secondaire, avril 2006). Il y a des parents qui travaillent avec les enfants à la maison pour qu’ils apprennent plus vite, jusqu’à ce que les enfants pleurent… Ils mettent trop de pression (enseignante du préscolaire, décembre 2004). Les enfants portent l’immigration des parents sur leurs épaules. Les parents sont venus ici pour leurs enfants, pour qu’ils réussissent (enseignante du secondaire, avril 2006). 

La perception du futur

En ce qui concerne la perception du futur de leurs enfants, les parents sont partagés entre l’espoir et la crainte. D’une part, ils entretiennent beaucoup d’espoir, parce que le contexte du pays hôte peut faciliter la réussite et permettre l’atteinte d’une bonne qualité de vie, tout en maintenant une continuité dans la transmission de leurs valeurs, de leur identité et de leur culture : Le plus important, c’est que mon enfant ait une bonne éducation pour qu’il puisse devenir quelqu’un et réussir (groupe urdu, Asie du Sud-Est, juin 2005). Le plus important est que mon enfant grandisse dans un pays sécuritaire (groupe anglais, Afghanistan, avril 2006). Nous espérons que ce que nous enseignons à nos enfants prévaudra (groupe anglais, Pakistan, décembre 2004).

Parallèlement à ces espoirs, plusieurs craintes subsistent : plusieurs parents ont peur de ne pas réussir à offrir une bonne éducation à leurs enfants ou à leur transmettre les valeurs provenant de leur héritage culturel. De plus, ils se sentent démunis face aux exigences grandissantes de leurs enfants qui se développent dans une société souvent plus matérialiste que la leur et formulent des demandes qu’ils ne peuvent pas satisfaire : Pourquoi les frais pour l’éducation sont si élevés ici ? Dans mon pays, on peut payer les coûts jusqu’à l’Université. Mais ici, c’est très difficile d’aller à l’Université. Je m’inquiète pour mes enfants. Nous ne serons pas capables de payer pour nos enfants (groupe anglais, avril 2006). Les enfants passent jusqu’à 8 heures à l’école et ils n’apprennent rien sur leur propre culture et langage. Nous verrons ce qui arrivera quand ils seront plus âgés (groupe urdu, Asie du Sud-Est, décembre 2004). Les enfants ici sont très gâtés. Ils ont tout facilement. Ce n’est pas comme dans mon pays où ils doivent attendre jusqu’à Noël pour avoir des cadeaux. C’est tous les jours Noël ici. C’est très difficile de les satisfaire (groupe anglais, Sri Lanka, décembre 2004). À cause de ces craintes, certains parents expriment un sentiment d’impuissance face à leur situation et au futur : Si vous trouvez une façon de réussir dans ce pays, vous pouvez vous considérer chanceux… Vous pouvez vous considérer chanceux si vous êtes bien payés. Ce n’est pas facile dans ce pays (groupe anglais, Afrique, décembre 2004). Le futur ? Quel futur ? (groupe urdu, Asie du Sud-Est, décembre 2004).

Les points de convergence et les recommandations des parents et des enseignants

Comme nous l’avons vu plus haut, il existe, au-delà des zones de tension, une appréciation mutuelle entre les enseignants et les parents, ainsi que des points de satisfaction clairement indiqués par leur émergence spontanée et systématique dans tous les groupes de discussion. La participation en grand nombre des parents à ces rencontres qui avaient lieu à l’école montre que leur relation aux enseignants et à l’institution est importante et investie. Les réponses à la question ouverte : Qu’est-ce qui pourrait aider votre enfant ? indiquent, tant dans les groupes de discussion que dans les questionnaires passés dans le cadre de l’étude quantitative, que les parents sont plus ouverts à la fin qu’au début de l’année scolaire à l’aide qu’ils peuvent recevoir de l’école, ce qui peut témoigner, entre autres, de l’établissement d’un lien de confiance des parents vis-à-vis des enseignants. Par ailleurs, à la fin de l’année scolaire, les parents expriment davantage leur souhait qu’il y ait plus de discipline et d’encadrement à l’école, de même qu’un besoin plus grand de soutien au niveau de la communication avec l’école. Il est intéressant également de noter que les parents ayant participé aux groupes de discussion qui ont eu lieu à la fin de l’année scolaire montrent plus d’ouverture à l’apprentissage et à l’usage du français que ceux qui y ont participé au début de l’année scolaire, la discussion s’orientant alors davantage sur l’insatisfaction par rapport à la langue d’usage. Certains parents sont soulagés, à la fin de l’année, de constater que leur enfant a appris rapidement le français et se disent motivés à l’apprendre eux-mêmes, notamment pour pouvoir mieux aider leur enfant. Puisqu’il s’agissait pour plusieurs de ces parents d’un premier contact avec l’école québécoise, ce bilan est plutôt positif et suggère une certaine évolution au cours de l’année scolaire en termes d’ouverture à l’autre et de l’établissement d’un lien de confiance.

De leur côté, dans les groupes de discussion, les enseignants expriment leur désir et leur besoin d’en savoir davantage sur l’histoire, la culture et le vécu des familles immigrantes afin de mieux les comprendre. Comme les parents, ils considèrent que la barrière de la langue représente un obstacle important à la communication, et ils aimeraient avoir davantage accès aux services d’interprètes, particulièrement au niveau du préscolaire et avec les nouveaux arrivants.

Ces résultats révèlent de part et d’autre un désir de se rencontrer. Les parents et les enseignants voudraient que les parents soient davantage impliqués à l’école. Les uns comme les autres proposent qu’il y ait plus de lieux de rencontre et d’échange entre les parents et les enseignants. Les uns comme les autres sont par ailleurs conscients des difficultés associées à l’instauration de ces lieux d’échange, compte tenu des contraintes des milieux scolaires et de la disponibilité des parents qui ne peuvent souvent se libérer que les soirs ou les fins de semaine. Les parents ont dit avoir apprécié les groupes de discussion et souhaité que ces rencontres soient établies sur une base régulière au cours de l’année scolaire.

Discussion des résultats

Alors que, dans l’espace public, l’accent est mis sur les difficultés du vivre ensemble, il est frappant de constater que, de diverses façons, les différents acteurs de la rencontre famille immigrante-école présentent surtout l’école comme un lieu investi qu’il faut protéger. Au-delà des zones de tension, parents immigrants et enseignants montrent un respect et une appréciation mutuels, de même qu’un sincère désir de rencontre. En général, les parents perçoivent positivement l’école québécoise et rapportent plusieurs domaines de satisfaction. Bien qu’ils souhaitent que leur système de valeurs soit pris en considération, ils valorisent aussi l’importance de développer de nouveaux référents identitaires ainsi qu’un sentiment d’appartenance vis-à-vis du pays d’accueil. Au fur et à mesure qu’un lien s’établit avec l’école, les parents se montrent même plus réceptifs à l’apprentissage du français, pourtant un des sujets traditionnels de conflit.

Même s’il est possible que le discours des parents ait pu être influencé par des facteurs de désirabilité sociale, étant donné que la recherche s’est déroulée à l’école, il est aussi possible de penser que l’importance que les parents immigrants accordent à l’éducation les amène à minimiser ce qu’ils perçoivent comme irritants dans le milieu scolaire et à en attribuer la responsabilité à des instances politiques externes, par exemple, en blâmant le gouvernement. Cela semble leur permettre de préserver, dans une certaine mesure, la relation avec l’école et les enseignants de leur enfant, même lorsque des difficultés de communication sont présentes. Cette image des parents en majorité relativement soucieux d’intégration est beaucoup plus nuancée que celle de parents immigrants critiques ayant des revendications linguistiques ou religieuses qui a été au premier plan dans les médias lors de la remise en cause juridique de la loi 101, et dans le cadre de certains reportages faits autour des accommodements raisonnables, en particulier ceux qui se rapportent au cas du Kirpan (voir notamment La Presse et Le Droit).

Il en est de même pour les enseignants qui mettent principalement l’accent sur les sources de gratification dans leur travail avec les familles immigrantes, et expriment le désir de les connaître et de les comprendre davantage. Le fardeau éventuellement associé aux difficultés de compréhension est présenté sous un jour positif et comme une source d’enrichissement mutuel plutôt que comme un obstacle, malgré le contexte de travail extrêmement exigeant de ces enseignants qui oeuvrent en classes d’accueil et en classes de cheminement particulier. On peut penser que cette stratégie révèle un désir que ces enfants puissent se développer le mieux possible dans une école attentive à leurs besoins, et que ce désir peut éventuellement les amener à minimiser certaines difficultés et tensions pour protéger la relation entre l’école et la famille.

Ces observations quant au climat général d’ouverture et d’appréciation mutuelles entre les parents et les enseignants vont dans le même sens que celles issues d’un projet de recherche portant sur les collaborations familles immigrantes-écoles dans les régions de Montréal et de Sherbrooke, et dans le cadre duquel la parole avait également été donnée aux différents acteurs (Vatz Laaroussi, Rachedi, Kanouté et Duchesne, 2005). Dans ce contexte de volonté explicite d’ouverture et de respect mutuel, les zones de tension pourraient être fécondes dans la mesure où elles sont reconnues et assumées. Ces zones de tension suscitent en effet des questionnements et des réflexions qui permettent de se redéfinir, de définir des balises et de renégocier le pouvoir, pourvu que chacun des acteurs puisse s’extraire des positions rigides qui enferment l’autre dans des représentations stéréotypées. D’où l’importance que le dialogue soit maintenu à travers des espaces de réflexion et d’échanges, essentiels à la gestion des tensions. Les principales zones de tensions explicites concernent la langue, les valeurs éducatives telles que l’éducation sexuelle et la discipline, de même que l’expression publique de certaines pratiques religieuses et culturelles spécifiques ; entre autres, autour des questions de genres (masculin ou féminin). Ces résultats ne sont pas surprenants et rejoignent les questions soulevées dans le cadre des grands débats médiatiques sur l’école en milieu pluriethnique.

Inquiets pour le futur de leur enfant, les parents ont aussi exprimé un sentiment d’impuissance et des doutes par rapport à leur capacité de soutenir le succès scolaire et l’adaptation de leur enfant dans la société hôte. Sans qu’il s’agisse d’une critique directe, cette inaptitude reflète peut-être des difficultés à trouver ou obtenir une place qui leur convienne dans le cheminement scolaire de leur enfant. Or, comme le suggère entre autres Epstein (2001), l’implication des parents dans l’éducation de leurs enfants nécessite un processus d’appropriation du pouvoir par ceux-ci. Cette implication est souvent prônée théoriquement dans des approches éducatives qui tiennent compte de la culture sans que ces positions se traduisent par un questionnement réel du pouvoir de l’institution scolaire (Thomas, 2000). Cette médiation du pouvoir est cependant peut-être plus difficile à cerner ou à nommer directement que des enjeux plus concrets comme la langue.

Enfin, au-delà de ce qui s’est dit ou tu à l’intérieur des groupes de discussion, il semble que le processus même d’être invité à l’école pour discuter avec d’autres parents dans leur langue d’origine a agi comme révélateur des espaces de dialogue souhaités et possibles. En effet, les parents ont grandement apprécié les groupes de discussion et ont exprimé le désir qu’ils soient instaurés sur une base régulière. Leur présence en grand nombre et leur participation active à la discussion ont montré qu’ils profitent au maximum de l’espace de parole offert dans lequel ils ont exprimé leurs craintes, leurs revendications, leurs satisfactions ainsi que leurs souhaits. Le fait que les parents aient eu la possibilité, dans l’espace scolaire, de parler dans leur langue, ou dans une langue dans laquelle ils sont plus à l’aise, semble avoir pu représenter symboliquement une coexistence de leurs mondes, celui d’un pays hôte et celui du ou des pays d’origine, et favoriser l’établissement d’un rapport de pouvoir plus équilibré entre majorité et minorités au sein de l’institution. Le besoin de créer des espaces de rencontre, exprimé dans le cadre de la présente étude, autant par les enseignants que par les parents, appuie les recommandations issues du projet de recherche sur la collaboration familles immigrantes-écoles (Vatz Laaroussi et collab., 2005). Ces nécessaires espaces d’échange et de discussion peuvent prendre différentes formes et impliquer différents acteurs ; par exemple, des membres d’organismes communautaires qui assument alors une fonction de médiation. Cela s’avère particulièrement important lorsque les institutions scolaires ne se sentent pas prêtes ou pas équipées pour créer de tels espaces. Parmi plusieurs possibilités, les groupes de discussion, tels qu’ils ont été conduits dans la présente étude, représentent une forme d’espace d’échange. Peu importe la forme choisie, la rencontre des différences au travers des espaces d’échange souhaités par les parents et les enseignants peut avoir des répercussions bénéfiques et ce, à plusieurs niveaux. Les espaces de dialogue entre la maison et l’école permettent de redonner un certain pouvoir aux parents qui peuvent exprimer leurs besoins, inquiétudes, insatisfactions et questionnements, devenir plus actifs, participer davantage à l’éducation de leur enfant et se sentir plus intégrés dans un système scolaire qu’ils peuvent, dès lors, percevoir comme moins menaçant et moins hermétique (Ghosh, 2002). Ces espaces de dialogue pourraient également contribuer à réduire le risque que les enfants immigrants soient écartelés entre des systèmes de valeurs qui n’arrivent pas à coexister, ce qui peut représenter un obstacle au développement intégré d’une identité plurielle, et avoir d’importantes conséquences individuelles et sociales en fournissant un terrain propice aux difficultés d’apprentissage et aux problèmes de santé mentale. En se sentant soutenus par l’école et la famille, plutôt qu’en ayant à choisir entre les différences, ces jeunes peuvent se remettre en projet en faisant le lien entre leur passé, leur présent et leur avenir, et en identifiant des personnes et des rêves qui seront les vecteurs de leur résilience. Finalement, ces rencontres peuvent également contribuer, d’une façon plus large, à atténuer les tensions intercommunautaires. La rupture du dialogue majorité-minorités ouvre en effet la porte au sentiment de menace identitaire qui provoque des radicalisations de part et d’autre, et peut aboutir à des manifestations de violence institutionnelle ou communautaire, lorsque celles-ci deviennent la seule modalité d’expression possible du malaise social. Dans le cadre d’une prochaine étude, il pourrait s’avérer pertinent de comparer l’effet des espaces d’échanges, qui existent dans différents milieux communautaires et institutionnels, afin d’en évaluer l’impact et la complexité éventuelle.

Limites de l’étude

Les approches privilégiées dans cette étude peuvent comporter certaines limites. Ainsi, les contraintes inhérentes à l’organisation de groupes de discussion se déroulant dans la langue d’origine des parents impliquent une asymétrie des groupes. Certains groupes linguistiques étant plus larges que d’autres, il est par conséquent impossible de les comparer entre eux. De plus, afin de favoriser un climat d’ouverture et de confiance, nous avons privilégié une approche non intrusive, moins menaçante pour les immigrants et les réfugiés, souvent originaires de pays en proie à la violence ou à de fortes tensions politiques. Ce choix implique, en contrepartie, de renoncer à certaines informations qui pourraient s’avérer fort intéressantes. Nous avons également choisi de rapporter la voix collective plutôt que de faire la compilation des voix singulières. Il est par conséquent impossible de quantifier le nombre de parents qui sont d’accord ou non avec les commentaires rapportés dans le texte. Finalement, l’étude s’étant déroulée dans un quartier de Montréal où il y a une forte majorité d’immigrants en provenance de pays du Sud-Est asiatique et dont la langue seconde est l’anglais, il importe de considérer que les résultats auraient pu être différents dans un quartier de la ville où vit une majorité de parents originaires de pays francophones ou dont la langue seconde est le français.

Conclusion

Les zones de tension qui émergent des groupes de discussion sont similaires à celles observées dans d’autres institutions et sont inhérentes aux sociétés pluralistes où doivent coexister différents systèmes de valeurs. De par son rôle d’institution charnière entre les familles immigrantes et la société québécoise, l’école se trouve au coeur du débat actuel sur les accommodements raisonnables et est particulièrement confrontée à la très complexe et délicate gestion de la diversité culturelle. Il existe une marge étroite et un équilibre fragile, et continuellement à rétablir, entre le respect des différences culturelles et celui des mandats d’instruction, entre le respect de la liberté d’expression des identités religieuses et celui des valeurs fondamentales de notre société comme les reflète la Charte des droits et libertés de la personne.

Dans la présente étude, nous avons montré que la création d’espaces d’échange dans le cadre desquels les interlocuteurs peuvent s’exprimer librement permettent de générer, chez les différents acteurs de la relation famille immigrante-école, une vision plus nuancée et moins stéréotypée de l’autre, minoritaire ou issu de la majorité, que ce qui est reflété dans les médias. C’est cette représentation plus nuancée de l’autre, indispensable à la gestion créatrice des zones de tension, qui pourrait rendre possible la rencontre souhaitée des mondes et des rêves.