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Malgré le réchauffement de la planète et la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, malgré la menace à peine voilée d’une seconde crise pétrolière, le territoire d’urbanisation de la ville de Québec, tout comme celui de nombreuses villes américaines et européennes, continue de s’étendre. Le phénomène d’étalement est à ce point généralisé que s’articule de part et d’autre de l’Atlantique une nouvelle vision de la ville (Mantziaras, 2006 ; Rivière D’arc, 2001) : edge city (Garreau, 1991), ville polynucléaire ou polycentrique (Remy et Voyé, 1992 ; Chalas, 2000), ville diffuse (Secchi, 2006), métapole (Ascher, 1995), ville franchisée (Mangin, 2004), espace des flux (Castells, 2001), le « tout urbain » (Choay, 1994 ; Paquot, 2003), l’urbain « sans lieu ni bornes » (Webber, 1996), la ville-territoire (Chalas, 2000). Si les termes sont loin de faire consensus pour nommer cette nouvelle ville, la réalité sous-jacente est plus facile à caractériser : étalement croissant des lieux de résidence, de travail et de consommation dans le périurbain et (auto)mobilité accrue.

Le périurbain est le lieu de rencontre de la ville et de la campagne. Au Québec s’y retrouvent des maisons plus ou moins récentes sur de vieux chemins de campagne, des lotissements pavillonnaires récents et des chalets dans des zones agricoles, forestières ou de villégiature. Contrairement aux banlieues pavillonnaires édifiées principalement entre 1960 et 1975, les secteurs périurbains sont le plus souvent en discontinuité avec le périmètre d’urbanisation déjà édifié. Dans l’agglomération de Québec, la combinaison de l’étalement et d’un faible taux de natalité (Duchesne, 2006) a eu pour effet que, si la population des quartiers centraux se maintient ou augmente légèrement, celle des banlieues de première et de deuxième couronnes a amorcé son déclin, et que la plus grande croissance démographique s’effectue dans les secteurs périurbains (Morin et al., 2000 ; Morin et Fortin, à paraître). Dans une perspective de développement durable, plusieurs municipalités mettent en place des mesures pour inciter les ménages à s’établir dans des quartiers centraux. C’est le cas de la ville de Québec. Cela dit, les règlements plus sévères en matière de construction résidentielle à l’intérieur des limites de la ville semblent avoir l’effet pervers de repousser les ménages en quête d’une maison au-delà du périmètre d’urbanisation, dans les municipalités rurales voisines.

Comment dès lors contrer l’étalement urbain ? Il est extrêmement difficile de proposer des mesures efficaces et convaincantes si on ne comprend pas ce qui attire et retient la population dans des quartiers toujours plus lointains. « Ce que les gens veulent, c’est une maison dans la nature située à côté d’un Wal-Mart », c’est ainsi qu’on résume les résultats d’un sondage mené par l’Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec (APCHQ) auprès d’acheteurs potentiels de maisons (Bergeron, 2004) ! Au-delà de la boutade, divers facteurs identifiés à ce jour s’entrecroisent pour expliquer ce choix de la périphérie et il est difficile a priori d’évaluer leur importance relative (Crump, 2003). Au Québec, les facteurs souvent mentionnés sont liés au milieu proprement dit et à ses caractéristiques, comme le plus faible prix du foncier et l’attrait de la maison neuve (Sénécal et Hamel, 2001), la proximité des lieux de consommation et de services qui s’éloignent de plus en plus des quartiers centraux (Biba et al., 2006), la déprise agricole et la recomposition sociodémographique des territoires ruraux (Gamache et al., 2004) et enfin le désir de se rapprocher de la nature (Fortin et Bédard, 2003), ce dernier élément semblant particulièrement important pour les retraités (SHQ, 2006 ; SCHL, 2001) et les familles en quête d’un milieu de vie sain pour les enfants (Walker et Fortin, 2007). Au-delà des caractéristiques objectives du milieu, nous proposons dans ce texte de suivre une autre avenue pour comprendre le choix résidentiel du périurbain, soit celle de l’influence combinée de la biographie résidentielle des résidants et de leurs représentations de la ville, de la banlieue et de la campagne.

En effet, depuis l’introduction par Fried (1963) et Proshansky (1978) des notions d’attachement au lieu et d’identité du lieu dans les années 1960 et 1970, un nombre croissant de recherches empiriques sont venues renforcer leur pertinence pour rendre compte des choix résidentiels, notamment aux États-Unis (Feldman, 1990, 1996, 1997), en Italie (Giuliani et Feldman, 1993 ; Pollini, 2005), en Suède (Gustafson, 2001) et au Québec (Luka, 2001, Després et Lord, 2005 ; Fortin et Després, sous presse) [1]. Il en ressort globalement que les milieux dans lesquels on grandit et on vit influencent les comportements résidentiels (préférences, aspirations, choix et représentations).

Empruntant à Bourdieu (1972, 1979), nous postulons qu’un habitus [2] résidentiel se développe au fil des ans, par l’influence combinée et réciproque des conditions matérielles actuelles et antérieures de vie des individus d’une part, mais aussi des pratiques et des représentations sociales [3] d’autre part. Les représentations de la ville, de la banlieue et de la campagne sont ainsi nourries par les milieux où on a vécu, leurs caractéristiques sociales et spatiales, ainsi que par les routines spatiotemporelles et les significations qui y sont attachées. Ces représentations à leur tour induisent des aspirations résidentielles et des choix résidentiels. En ce sens, les habitus résidentiels se construisent dans l’influence mutuelle des lieux de vie d’un côté et des représentations sociales de la ville, de la banlieue et de la campagne de l’autre. La notion d’habitus renvoie ainsi à l’histoire personnelle, et par le fait même, à la construction identitaire [4].

Les résultats de l’enquête qualitative présentée ici visent à dégager les habitus résidentiels des résidants du périurbain (sans prétention de représentativité statistique) en croisant les origines résidentielles et les représentations sociales du territoire.

Une enquête qualitative dans le périurbain

Nous avons analysé les habitus résidentiels de résidants du périurbain à partir d’entretiens semi-dirigés menés à l’été 2005 au domicile de 132 ménages habitant dans six secteurs de la communauté métropolitaine de Québec [5]. Afin de saisir les variations dans les histoires résidentielles et les représentations, nous avons diversifié les milieux d’enquête. Deux secteurs sont situés sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, dans la plaine agricole [6], tandis que les quatre autres sont situés sur la rive nord, deux sont en bordure du fleuve Saint-Laurent [7] et deux autres près de la montagne ou d’un lac, dans d’anciens lieux de villégiature [8]. Ces secteurs comprennent des populations aux revenus plus ou moins élevés [9]. Le temps de déplacement en voiture vers le centre historique de Québec varie, par les autoroutes, de 20 à 50 minutes.

L’échantillon en est un de maisons individuelles dont nous avons cherché à diversifier les types : constructions neuves et moins neuves, cottages et bungalows, demeures ancestrales et chalets reconvertis en résidences principales, avec l’hypothèse que les occupants différeraient tout comme leur biographie résidentielle et leurs représentations des milieux de vie (figure 1) [10].

Figure 1

Paysages périurbains des secteurs d'enquête

Développement des années 1960

Développement des années 1960

Secteur de villégiature

Secteur de villégiature

Nouveau développement

Nouveau développement

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Les entretiens duraient entre une heure et une heure et demie, et comprenaient six parties : choix résidentiels et biographie résidentielle, représentations sociales de l’espace, pratiques de consommation, rapport à l’automobile, mode de vie et caractéristiques sociodémographiques. L’analyse que nous présentons ici se base essentiellement sur la deuxième partie de ces entretiens ; nous préciserons au fil du texte les questions utilisées pour étudier tel ou tel aspect de l’habitus résidentiel [11]. Nous n’évoquerons les pratiques que brièvement, dans la mesure où elles éclairent les représentations ou en découlent.

Près de la moitié des 132 ménages a des enfants de moins de 18 ans à la maison et dix autres en ont des plus vieux, pour un total de 73 ménages avec enfants ; parmi eux, quatre familles sont monoparentales. La proportion de ménages avec enfants dans notre échantillon est liée au nombre de couples dans la trentaine et la quarantaine (tableau 1). Elle est plus élevée dans certains secteurs que d’autres et en congruence avec les données du recensement (Fortin et Cournoyer Boutin, 2007 ; Morin et Fortin, à paraître) [12]. Neuf personnes vivent seules ; quatre ménages sont multigénérationnels, dont trois avec enfants de moins de 18 ans. Enfin, on compte 50 couples, jeunes et vieux, sans enfant.

Origines résidentielles et identités territoriales

Pour vérifier l’existence d’un habitus résidentiel, il était essentiel de connaître les lieux où les répondants avaient grandi, ces derniers étant tous établis dans le périurbain au moment de l’enquête. Nous avons identifié cinq types d’origine résidentielle : 1) les natifs, c’est-à-dire les ménages où au moins un des deux membres du couple, si couple il y a, a grandi et vit toujours dans la municipalité où nous les avons rencontrés ; 2) les ruraux, originaires de la campagne ou d’une petite ville d’une autre région administrative ; 3) les ex-villégiateurs, dont les parents d’un des membres du couple avaient un chalet dans la municipalité où les répondants ont leur résidence principale ; 4) les ex-suburbains ayant grandi en banlieue ; et 5) les ex-urbains qui l’ont fait en ville.

Tableau 1

Âge de la personne la plus vieille dans le ménage selon les secteurs d'étude

Secteur actuel de résidence

Nombre de personnes par groupe d'âge

Total

- de 29

30-39

40-49

50-59

+ de 60

 

L'Ange-Gardien

2

3

3

4

11

23

Lac-Beauport

0

6

11

5

4

26

Sainte-Catherine

2

6

5

3

4

20

Saint-Augustin

0

5

4

7

6

22

Saint-Étienne

1

4

6

4

5

20

Breakeyville

1

5

4

5

6

21

Total

6

29

33

28

36

132

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Dans le cas des natifs et des ex-villégiateurs, leur localisation résidentielle actuelle les maintient dans un secteur où ils ont grandi ou passé une partie de leur enfance ; ce groupe est loin d’être négligeable puisqu’il constitue le tiers des répondants (tableau 2). Les ruraux, largement majoritaires, disent s’être « rapprochés de la ville » ou même s’être établis « en ville ». À peine le quart de tous les ménages sont originaires d’un quartier plus central que celui où ils habitent actuellement, la majorité d’une banlieue (les ex-suburbains), et quelques-uns d’un quartier central (les ex-urbains). En outre, chez plusieurs ex-suburbains, la mobilité résidentielle depuis l’enfance est minime, les membres du ménage étant originaires d’une banlieue plus centrale mais située dans le même axe autoroutier [13]. La localisation actuelle est ainsi souvent vécue comme un maintien. Certains ex-suburbains ont même ajouté que dans leur enfance, les banlieues où ils ont grandi étaient alors « la campagne ». Dans l’ensemble, les habitus résidentiels des résidants du périurbain rencontrés sont marqués par l’absence d’expériences de vie dans les quartiers centraux.

Tableau 2

Origine résidentielle des répondants* selon les secteurs d'étude

Secteur actuel de résidence

Nombre de personnes selon l'origine résidentielle

 

Natifs

Ruraux

Ex-villégiateurs

Ex-suburbains

Ex-urbains

Total

L'Ange-Gardien

12

6

0

2

3

23

Lac-Beauport

2

14

2

7

1

26

Sainte-Catherine

4

9

2

4

1

20

Saint-Augustin

0

12

3

5

2

22

Saint-Étienne

8

6

0

5

1

20

Breakeyville

11

9

0

1

0

21

Total

37

36

7

24

8

132

*

Dans le cas des couples, au moins un des deux conjoints a cette origine résidentielle.

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Notre échantillon (constitué sur la base des maisons, faut-il le répéter) ne prétend à aucune représentativité statistique. Cela dit, le portrait qui se dégage va dans le sens de la tendance observée en 1978 selon laquelle plus un nouveau développement était excentrique, plus on y trouvait des gens originaires de la campagne ou de petites villes (Bédard et Fortin, 2004). Le périurbain se développerait donc encore de nos jours plus par l’exode rural ou le maintien sur place d’une population « de souche » que par un exode des quartiers centraux et des banlieues. En résumé, si les nouveaux lotissements et la construction de maisons contribuent à l’étalement géographique de la ville, les migrations interrégionales semblent rendre compte de la provenance de plusieurs nouveaux ménages périurbains (4/10 dans notre échantillon).

Identité déclarée des périurbains

Les lieux de l’enfance, s’ils contribuent à la définition des habitus résidentiels, ne les déterminent pas. En effet, les représentations sociales des territoires de la ville, de la banlieue et de la campagne, construites au fil des ans et au gré de l’expérience de ces milieux, y participent aussi activement. Aussi, en toute fin d’entrevue, les répondants devaient se définir comme une personne de la ville, de la banlieue ou de la campagne, ce qui a permis de saisir ce qu’ils retiennent eux-mêmes de leurs expériences résidentielles (tableau 3).

Tableau 3

Origine résidentielle et identité résidentielle

Origine résidentielle

Identité résidentielle

De la campagne

De la banlieue

De la ville

À la fois 2 ou 3 de ces catégories

Total

Natif

11

17

2

8

38

Rural

15

26

3

11

55

Ex-villégiateur

2

1

0

4

7

Ex-suburbain

4

15

3

2

24

Ex-urbain

3

3

1

1

8

Total

35

62

9

26

132

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De manière intéressante, cette identité déclarée ne se superpose pas nécessairement à l’origine résidentielle. Alors qu’ils sont plus des deux tiers à être originaires de leur municipalité ou secteur de résidence actuel ou à avoir grandi dans la campagne ou dans une petite ville d’une autre région, seulement le quart des répondants se définit comme une personne de la campagne. La moitié se définit comme de la banlieue. Pourtant, moins de un sur cinq sont des ex-suburbains. Cet état de fait témoigne-t-il des transformations que subissent les paysages périurbains avec l’importation des modèles urbanistiques et architecturaux suburbains, notamment les lotissements et la présence de commerces traditionnellement associés à la banlieue ? [14] Enfin, un répondant sur cinq se définit à la fois comme une personne de la campagne et de la banlieue, de la campagne et de la ville, voire même de la campagne, de la banlieue et de la ville, révélant ici des identités multiples, ceci reflétant l’expérience de l’ensemble de ces territoires.

Pour mieux saisir la construction des identités déclarées, nous avons recensé les lieux de travail des répondants et de leurs conjoints pour un total de 184 actifs (tableau 4). L’expérience de travail en ville est limitée : seulement le quart des actifs travaille dans les quartiers centraux, le principal pôle d’emploi de la région ; un autre quart travaille dans les banlieues de 1re couronne ; pour l’autre moitié des actifs, la majorité travaille dans son secteur (soit dans sa municipalité de résidence ou une municipalité voisine) et le reste dans un autre arrondissement périurbain, à l’extérieur de l’agglomération ou encore est sur la route. Sans surprise, plus leur lieu de résidence est éloigné du centre historique, moins ils sont nombreux à y travailler. Ceux qui effectuent des navettes quotidiennes travaillent souvent dans des banlieues de première couronne [15]. Pour la majorité, les courses s’effectuent dans les centres commerciaux de banlieue. Ces données sont révélatrices dans la mesure où les représentations de la ville, pour la majorité, ne sont pas confrontées à la fréquentation des quartiers centraux autrement que pour des événements culturels comme le carnaval d’hiver ou le festival d’été.

En résumé, la grande majorité des résidants du périurbain interrogés dans notre enquête ne sont ni d’anciens urbains ni des travailleurs des quartiers centraux. Cela se reflète dans les représentations dont nous discutons dans la prochaine section.

Tableau 4

Lieu de travail des actifs, incluant les deux membres du couple, le cas échéant, selon le secteur actuel de résidence

Secteur actuel de résidence

Lieu de travail

 

Quartiers centraux

Banlieue de 1re couronne

Secteur actuel de résidence

Ailleurs**

Total

La Cité

Limoilou

Beauport

Charlesbourg

Sainte‑Foy ‑ Sillery

Les Rivières

Maison

Municipalité

Secteur*

Autres périurbains ou extérieur de l'agglomération

Sur la route***

L'Ange‑Gardien

13

7

6

0

4

30

Lac‑Beauport

11

14

8

3

5

41

Sainte‑Catherine

3

5

18

1

3

30

Saint‑Augustin

6

13

8

4

3

34

Saint‑Étienne

3

2

12

0

5

22

Breakeyville

7

7

7

3

3

27

Total

43

48

59

11

23

184

*

Le secteur comprend pour L’Ange-Gardien : toute la Côte-de-Beaupré ; pour Sainte-Catherine : Portneuf, Valcartier et Saint-Augustin ; pour Saint-Augustin : Cap-Rouge et L'Ancienne-Lorette ; pour Saint-Étienne et Breakeyville : le « grand » Lévis.

**

Renvoie aux arrondissements périurbains de la ville de Québec, à l’agglomération au complet ou à l’extérieur de l’agglomération (Beauce, Rive-Sud ou Portneuf).

***

« Sur la route » désigne les professions sans lieu de travail fixe, comme les représentants, agents d’immeubles, policiers ou camionneurs.

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Les représentations de la ville, de la banlieue et de la campagne

Pour aborder les représentations sociales de la ville, de la banlieue et de la campagne des résidants, ces derniers devaient répondre successivement aux questions suivantes : « Quels sont les deux mots qui vous viennent à l’esprit quand je dis ville… banlieue… campagne… village ? ». Ces mots ont été regroupés en grandes catégories thématiques. Les répondants avaient tendance à expliquer leurs choix de mots ; nous faisons aussi état ici de ces explications. Dans la discussion, les chiffres présentés ne sont bien sûr qu’indicatifs de tendances. Les extraits d’entrevue cités sont accompagnés du genre et de l’âge du répondant, ainsi que de son origine au sens du tableau 2, pour illustrer les liens entre l’origine résidentielle du répondant et ses représentations [16].

La ville : trop bruyante, trop polluée

Tu sais la ville, c’est comme un manteau trop petit. Tu ne te rentres pas les bras dans les manches.

femme, 65 ans, rurale

Quand on leur demande quels sont les mots qui leur viennent à l’esprit à propos de la ville, les résidants du périurbain parlent surtout de la forte densité d’habitation, du trafic, du bruit et de la pollution. Le bruit, les mauvaises odeurs, le brouhaha sont évoqués par 48 personnes ; la pollution et la chaleur par 42 ; le trafic et les voitures par 35 ; la proximité ou la promiscuité avec les voisins par 24. Par ailleurs, les services et les magasins sont mentionnés par 14 personnes, et l’intensité, l’activité et les loisirs par 13. Les représentations sont essentiellement négatives, même si quelques-unes renvoient à l’animation urbaine. Rien de très surprenant pour des gens qui ont choisi de s’établir loin de la ville et qui, pour les trois quarts, n’y travaillent pas. Cette faible expérience des quartiers centraux n’est pas sans contribuer à la construction des représentations négatives : « J’haïs ça ! Surpopulation ! » (femme, 35 ans, rurale). Les plus positifs ont souvent une appréciation plus ambivalente qu’enthousiaste : « une ville, c’est génial, mais pas pour y vivre » (homme, 40 ans, rural).

Le stress occasionné par la vie urbaine est l’envers de l’intensité des activités qui constitue, aux yeux de certains, l’aspect positif de la ville. Certains sont plus ouverts à l’urbanité, mais à certaines conditions.

Services, culture. Moi, je déteste pas la ville. J’y vivrais peut-être à l’essai ; un condo au centre-ville, près du Musée, près du Grand Théâtre. C’est peut-être un lieu où je serais capable d’aller vivre, en autant qu’il y ait un arbre devant la maison.

femme, 57 ans, rurale

Même chez ceux qui apprécient les activités culturelles de la ville, elles ne contrebalancent généralement pas les inconvénients et la pollution de celle-ci : « J’aime le beat citadin, mais je suis banlieusard », déclare un homme pour qui la ville évoque les mots « ça pue » (homme, 33 ans, rural).

La banlieue : calme et tranquille

Pour près de la moitié des personnes interrogées, la banlieue évoque la tranquillité ou la sécurité  ; l’envers de cette tranquillité étant « l’ennui » dont parlent quelques-uns. Du point de vue positif, ce sont les caractéristiques environnementales qui prévalent dans les représentations. Le calme et la tranquillité sont évoqués positivement par 62 personnes et négativement par 6 autres ; la nature et la verdure sont mentionnées par 29 ; les grands terrains, l’espace par 14. Inversement, quelques-uns décrient un modèle d’urbanisme : l’uniformité ou le quétaine [17] ainsi que la conformité sociale sont dénoncés par 10 personnes.

La tranquillité renvoie à la fois à des aspects environnementaux et sociaux : c’est « moins bruyant » et cela favorise la « paix d’esprit », la « qualité de la vie » : « J’adore la banlieue. Je trouve ça beau. C’est comme ici. C’est tranquille » (femme, 42 ans, rurale). Qu’est-ce qui fait la beauté de la banlieue ? La nature, la verdure, « les arbres matures » (femme, 36 ans, ex-suburbaine). Plus rares sont ceux qui ont une vision négative de la banlieue, associée aux autoroutes, au trafic, mais surtout à l’uniformité et à la conformité sociales qui y règnent : « Le jour, ça se vide parce que tout le monde va travailler. Puis, le soir, tout le monde retourne à la maison, puis tout le monde part sa tondeuse en même temps ! » (homme, 49 ans, rural).

Même si la critique de la banlieue est somme toute assez rare, on lui préfère presque unanimement la campagne.

La campagne : un idéal à atteindre

La campagne : oxygène, les arbres. Plus d’oxygène et plus d’air pur qu’en ville. C’est plus beau aussi, du point de vue du paysage.

femme, 62 ans, native

La campagne a la cote chez nos répondants : « C’est le paradis » (homme, 58 ans, ex-villégiateur). Le mot campagne évoque la nature, l’agriculture, la forêt ou les animaux pour 63 personnes ; le calme et la tranquillité aussi pour 63 personnes, et les grands espaces pour 36. Les défauts de la campagne ne sont pratiquement jamais mentionnés ; seulement cinq personnes mentionnent que c’est ennuyant, cinq soulignent l’absence de services, et trois les mauvaises odeurs.

Ça serait le best. C’est la nature, l’éloignement des voisins. Il y a moins de proximité des services. Il y a de plus grands terrains.

femme, 39 ans, rurale

Une des raisons de cette appréciation positive de la campagne est l’origine rurale, évoquée plus haut, d’un grand nombre des personnes rencontrées.

La campagne… Ça fait toujours du bien d’y retourner. Peut-être parce qu’on a des racines à la campagne.

femme, 30 ans, rurale

En résumé, on aime la campagne parce qu’elle est loin de la ville. Les grands espaces et l’éloignement des voisins sont souvent mentionnés dans les atouts de la campagne.

Le village : l’envers et l’endroit de la communauté

Village, ça dépend. Ça dépend des villages. Ça peut être bien, ça peut être charmant. Mais ça peut être aussi petit et mesquin. Moi, je viens d’un petit village.

femme, 34 ans, rurale

Le mot village, contrairement aux trois autres dont nous venons de parler, renvoie essentiellement à des caractéristiques sociales. Dans l’ensemble, les réponses sont plus diversifiées, moins consensuelles que pour la ville, la banlieue ou la campagne  ; cela étant sans doute lié à la diversité du monde rural qu’évoque la citation précédente selon laquelle « ça dépend ».

L’aspect communautaire et convivial est la dimension positive la plus citée (36 fois) : « Tout le monde se connaît » est une affirmation qui revient souvent et comporte sa part d’ambiguïté. Les répondants parlent en effet du commérage, qui est l’aspect négatif le plus souvent mentionné (23 fois) :

C’est compliqué vivre dans un village. Les gens sont trop curieux. Je le sais, j’ai resté dans des villages…

femme, 39 ans, native

Le calme et la tranquillité ont été cités par 15 répondants, la proximité de services par 14 personnes (mais l’absence ou le peu de services par 10 !) :

Ça me fait penser, dans le fond, aux commerces qui s’y retrouvent. On retrouve la caisse, les épiceries.

femme, 30 ans, native

Enfin, le caractère agréable, charmant a été cité par 11 répondants ; l’éloignement par 10.

Bref, le village, c’est avant tout un milieu social, dont plusieurs ont l’expérience.

Des représentations bien caractérisées

Dans l’analyse des représentations sociales, on distingue généralement le noyau central, largement partagé, et les éléments périphériques qui varient selon les individus (Abric, 2001). De notre analyse se dégagent en ce sens des consensus très forts autour de représentations négatives de la ville, et positives de la banlieue et de la campagne (tableau 5).

Le noyau central des représentations de la ville, de la banlieue et de la campagne rassemble les caractéristiques environnementales de ces milieux. Les caractéristiques sociales sont plus périphériques et viennent nuancer, compléter les premières. En gros, on pourrait dire que la ville s’oppose à la banlieue et à la campagne, comme le gris du béton au vert de la végétation, et comme le stress et l’agitation au calme et à la tranquillité. Les représentations de la ville se construisent de façon diamétralement opposée à celles de la campagne et de la banlieue : pour la ville, les aspects environnementaux sont qualifiés négativement alors qu’ils le sont positivement pour la banlieue et la campagne. Symétriquement, les aspects sociaux de la ville sont appréciés et ceux de la campagne et de la banlieue, critiqués. Enfin, la représentation du village se démarque globalement de celle des trois autres milieux : les aspects sociaux y priment et sont marqués par une ambivalence. En d’autres termes, la ville, la banlieue et la campagne sont d’abord des milieux physiques, alors que le village est pensé d’abord comme un milieu social.

Tableau 5

Syntèse des représentations sociales de la ville, de la banlieue, de la campagne et du village

Territoires

Représentations

Noyau central

Éléments périphériques

Ville

Aspects environnementaux (‑)

Aspects sociaux (+)

Banlieue

Aspects environnementaux (+)

Aspects sociaux (‑)

Campagne

Aspects environnementaux (+)

Aspects sociaux (‑)

Village

Aspects sociaux (+ ‑)

Aspects sociaux (+ ‑)

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Représentations et origine résidentielle

En croisant l’origine résidentielle des résidants avec leurs représentations, il ressort clairement que ces deux composantes de l’habitus résidentiel sont intimement liées. Nous avons en effet vérifié quelle était l’origine résidentielle des répondants qui avaient des représentations divergentes des noyaux centraux, soit des représentations positives de la ville, et des représentations négatives de la banlieue ou de la campagne. Nous avons distingué les représentations sans équivoque, quand les deux mots allaient dans le même sens, des représentations ambivalentes, quand les deux mots allaient dans des sens différents (tableau 6).

Les gens qui ont les représentations les plus positives de la ville n’en sont pas originaires pas plus que de la banlieue, ce n’est pas surprenant car quand ils sont issus de quartiers centraux, ils ont choisi de s’en éloigner pour s’établir dans le périurbain. Les représentations négatives de la banlieue sont plus présentes chez les ex-suburbains (6) et les ex-urbains (3), qui cherchent la campagne dans le périurbain. Enfin, chez les rares répondants ayant des représentations négatives (8) ou ambivalentes (6) de la campagne, liées à l’éloignement, neuf sont d’origine rurale.

Tableau 6

Origine résidentielle des répondants en fonction des représentations

Origine résidentielle

Représentations

Ville

Banlieue

Campagne

Total

 

(+)

(+ ‑)

(‑)

(+)

(+ ‑)

(‑)

(+)

(+ ‑)

(‑)

 

Natif

6

2

30

34

1

3

36

2

0

38

Rural

7

5

43

48

3

4

46

3

6

55

Ex-villégiateur

1

0

6

5

1

1

7

0

0

7

Ex-suburbain

1

5

18

18

3

3

21

1

2

24

Ex-urbain

2

0

6

5

1

2

8

0

0

8

Total

17

12

103

110

9

13

118

6

8

132

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Représentations et identité déclarée

Les identités déclarées par les répondants sont aussi étroitement liées à ces représentations divergentes, révélant synthétiquement des éléments de leur expérience personnelle. Parmi les 17 répondants qui ont des représentations positives de la ville, cinq personnes se disent « de la ville », sept « de la banlieue » et une seule « de la campagne ». En ce qui concerne les représentations négatives (13) ou ambivalentes (9) de la banlieue, elles sont surtout présentes chez ceux qui s’identifient comme étant « de la campagne » (12). Enfin, les rares répondants ayant des représentations négatives (8) ou ambivalentes (6) de la campagne se disent presque tous « de la banlieue ». Les identités déclarées éclairent davantage les divergences dans les représentations ; cela reste à explorer dans des analyses ultérieures.

En lien avec le lieu de travail, mentionnons seulement que cinq des 43 personnes travaillant dans un quartier central ont des représentations positives de la ville. À cet égard, le lieu de travail ne serait pas un élément important dans une représentation positive de la ville, ce qui avait déjà été observé par Harvey et Nizeyimana (2007).

Tableau 7

Identité déclarée des répondants en fonction des représentations

Identité déclarée

Représentations

Ville

Banlieue

Campagne

Total

 

(+)

(+ ‑)

(‑)

(+)

(+ ‑)

(‑)

(+)

(+ ‑)

(‑)

 

Ville

5

1

3

5

1

3

8

0

1

9

Banlieue

7

7

48

58

1

2

51

5

6

62

Campagne

1

2

32

24

6

5

34

0

1

35

Multiple

4

2

20

23

1

3

25

1

0

26

Total

17

12

103

110

9

13

118

6

8

132

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Les représentations du milieu de résidence

Ici, c’est un peu à la campagne, sans être vraiment campagne, mais au bord de la campagne.

femme, 55 ans, rurale

Si les représentations de la ville, de la banlieue et de la campagne sont bien caractérisées, sont-elles cohérentes avec la manière dont les répondants nomment caractérisent leur propre milieu résidentiel ? Leurs représentations sont-elles alors aussi claires que lorsqu’il s’agit de qualifier la ville, la banlieue ou la campagne générique ? Plusieurs auteurs ont en effet noté des différences importantes entre les représentations de la ville ou de la banlieue en général et celles de la ville ou de la banlieue de résidence (Arlaud et al., 2005 ; Ramadier, 2002). C’est également ce que nous avons observé.

Nommer son milieu de vie

Pour savoir comment les résidants du périurbain se représentaient leur milieu, nous avons analysé les réponses à la question : « Si vous aviez à caractériser votre milieu de vie pour quelqu’un qui ne le connaît pas, comment le décririez-vous ? ». Nous avons aussi inclus dans l’analyse tous les passages de l’entretien où les répondants qualifiaient leur milieu de résidence ou le comparaient à un autre.

Quatre répondants sur dix utilisent un seul mot pour désigner leur milieu : 26 parlent de « campagne », 16 de « banlieue ». Trois parlent de « village », trois autres de « nature » et une autre encore de « villégiature ». Une seule personne le qualifie de « ville ».

La même proportion de répondants (4/10) utilise deux termes pour décrire son milieu, soit sous le mode du « et… et », soit sous celui du « ni… ni ». Les combinaisons sont nombreuses. Lorsqu’elles comprennent le mot ville, elles évoquent alors souvent un entre-deux ; quand la « ville » est absente, les combinaisons renvoient davantage à la « périphérie » [18]. Vingt-trois répondants situent leur milieu de vie dans un entre-deux : « ville/campagne » est la combinaison utilisée par 21 de ceux-ci. Le milieu de résidence est parfois deux choses en même temps : « C’est la campagne. C’est la banlieue. On est bien » (femme, 61 ans, native). « J’appelle cela presque mi-banlieue mi-campagne » (homme, 45 ans, rural).

Plus nombreux sont ceux qui situent leur milieu de vie « en périphérie » : ils sont 32. La palme des combinaisons revient à « banlieue/campagne », privilégiée par 25 personnes. Un milieu peut être à la marge d’un autre ; il y a ici une notion de limite : « C’est un peu comme quasiment la campagne à la porte de la ville » (homme, 56 ans, rural). Le milieu est parfois caractérisé plutôt par la négative : « Lac-Beauport, c’est un peu à part » (homme, 50 ans, ex-banlieusard).

Parmi ces réponses doubles, « campagne » apparaît 47 fois, « banlieue », 31 fois, et « ville » 23 fois. « Nature » et « village » apparaissent respectivement cinq et quatre fois. La fréquence relative des termes est donc la même qu’on désigne son milieu de vie par un seul ou par deux mots.

Enfin, quelques répondants ont utilisé des combinaisons de trois ou quatre termes pour nommer leur milieu de résidence ou n’ont carrément pas su le nommer, reflétant la complexité des représentations pour certains.

En ville, puis tu es dans la forêt quasiment. Puis tu as le lac à côté, puis ça fait bien. Ça fait justement la nature en ville. […] Pour moi c’est une banlieue ici. Puis c’est un petit peu en même temps, un petit peu la campagne presque. […] C’est pour ça que je vous dis que c’est la ville en campagne.

homme, 45 ans, rural

Que la « campagne » soit l’épithète le plus souvent mentionné, tant dans les réponses simples que complexes, est cohérent avec les représentations où celle-ci fait figure de milieu « idéal ».

Si donc les représentations sociales de la ville, de la banlieue et de la campagne sont assez tranchées, elles ne correspondent pas, pour plusieurs répondants, à leur milieu de vie qui, selon plusieurs, relève à la fois de la banlieue, de la campagne et de la ville. La complexité de la désignation de leur milieu de vie par les répondants reflète celle des agglomérations urbaines, que géographes et sociologues ont parfois eux aussi du mal à nommer, comme nous l’avons évoqué au début de ce texte (voir aussi Oatley, 2001). Cette ambiguïté peut être perçue comme un attrait : « On a comme le deux pour un » (femme, 30 ans, native).

Les attributs sociaux des milieux de vie

Ici, tout le monde me connaît, tout le monde m’arrête, puis ils jasent.

homme, 60 ans, natif

Examinons maintenant les attributs sociaux de leurs milieux de vie selon les résidants du périurbain ; s’ils sont périphériques dans les représentations générales de la ville, de la banlieue ou de la campagne, ils sont centraux dans la façon dont ils parlent de leur milieu de vie. Plusieurs caractérisent leur milieu par sa convivialité ou l’esprit communautaire, donc non par ses caractéristiques environnementales, mais sociales. Les composantes de cette convivialité sont l’entraide, la sécurité, la présence des familles.

Tu vas au dépanneur, t’es connue […] Tu sens qu’il y a un esprit d’appartenance au milieu. Tu vas au centre des loisirs, le 24 juin, le monde du village se ramasse là, c’est le fun.

femme, 39 ans, native

Du point de vue des nouveaux arrivants, cet esprit communautaire peut être perçu comme un esprit de clocher : « On s’est fait dire ça, hein ! On était… des étrangers… Tu sais, on n’était pas né ici » (homme, 49 ans, rural). Cela dit, ce ne sont pas que les personnes natives du milieu qui ont évoqué la communauté. Les femmes, et plus particulièrement les mères de famille ont parlé d’une sociabilité à l’échelle de la rue, laquelle se construit entre personnes ayant des enfants du même âge, quelle que soit leur origine (native, rurale ou ex-suburbaine). Les enfants apparaissent comme des « vecteurs » de sociabilité pour leurs parents, ce que nous avions déjà remarqué dans des banlieues étudiées dans les années 1980 (Fortin et al., 1987).

On est 4-5 familles. On se fréquente vraiment beaucoup. On fait des activités avec les enfants. On s’invite à souper très régulièrement. […] C’est vraiment très familial, très cocooning, très sociable. […] C’est un endroit où il fait bon vivre.

femme, 38 ans, ex-suburbaine

La convivialité en tant que telle est appréciée ; elle a aussi des effets bénéfiques : elle favorise l’entraide, ce qui contribue au sentiment de sécurité. Cela n’est certainement pas étranger à la « tranquillité » évoquée dans les représentations de la banlieue et de la campagne où disent vivre les répondants, et la renforce tout à la fois.

Je connais tous mes voisins […] On a nos numéros de téléphone ; des fois, on se prête les clés si on part. C’est sécurisant.

femme, 33 ans, ex-suburbaine

Cette vie communautaire, avec ses versants positifs et négatifs, renvoie à la représentation sociale du village, même si peu de répondants nomment ainsi leur milieu de vie.

Le proche et l’ailleurs : services et centralité

On est dans le centre, entre la ville puis la côte de Beaupré. On est dans le centre. On est proche de la ville.

femme, 73 ans, native

Une représentation sociale situe habituellement son objet par rapport à d’autres. Toujours pour approfondir la compréhension des représentations de leur milieu de vie par les répondants, et comprendre ce qui les attire/maintient dans ces milieux « périphériques », voyons comment ils se représentent leur milieu en regard d’autres milieux. Ainsi, dans ce qui suit, nous nous intéressons non pas à la représentation du milieu de vie, mais à celle de sa situation dans l’agglomération [19].

Plusieurs situent leur lieu de résidence dans une position « centrale », « de proximité ». À cet égard, il s’agit encore de représentations, et non de distances objectives. De quoi parle-t-on ici ? Comment se mesure la centralité ou la proximité ? [20] On l’évalue en temps : « En voiture, tu es quand même capable d’aller où tu veux dans le temps de le dire » (homme, 56 ans, rural). Une affirmation comme : « Parce que, je vous dirais : 5 minutes, on est en ville. Puis tout de suite après on est vraiment, pas à la campagne, mais pas loin » (femme, 50 ans, rurale) laisse entendre que « la ville » c’est toute l’agglomération sauf le périurbain. D’autres répondants, sans habiter nécessairement plus loin que la résidante dont nous venons de citer les propos, ont une représentation différente de la situation de leur lieu de résidence : « On est à 15 minutes de tout » (femme, 39 ans, native). Et quand on se dit proche « de tout », de quoi parle-t-on ? Essentiellement des centres commerciaux :

Tout est à proximité. C’est ça le mot. Ça ne me prend pas longtemps, puis je suis rendue en ville. […] Écoute, tu as les Galeries de la Capitale, ça prend 15 minutes. Puis, tu as aussi Place Laurier, puis après ça, tu as le nouveau centre LeBourgneuf. Tu sais, c’est facile.

femme, 43 ans, rurale

Le seuil « de proximité » n’est pas le même pour tous. Les personnes originaires du monde rural ont souvent été habituées dès leur jeune âge aux longs déplacements pour avoir accès aux services ; pour certaines d’entre elles, de longs déplacements sont « normaux », mais d’autres se sont localisées stratégiquement à proximité de leur travail (ou ont trouvé un travail près de leur lieu de résidence).

Jamais de trafic. Ça, pour moi, c’était important. Parce qu’être venu ici, pour me payer du trafic, j’y aurais pensé deux fois. Travailler au centre-ville, j’étais pas fait pour ça.

homme, 57 ans, rural

Le fait de ne pas avoir voulu s’établir « plus loin » pour ceux qui ne sont pas des « natifs » est mentionné par de nombreux répondants. « Mettons qu’on est à la limite, le plus loin qu’on voulait aller » (femme, 31 ans, ex-suburbaine). Il y a ambivalence chez plusieurs quant à la localisation de leur milieu de résidence ; en effet, plusieurs, tout en se disant « proches de tout » ou « au centre » affirment du même souffle qu’ils ne seraient pas allés « plus loin » parce que cela aurait trop compliqué leur quotidien.

Et où est le centre-ville ? « Bien, ça dépend, le centre-ville ! Le centre-ville change de place » (femme, 51 ans, ex-urbaine). Comme les résidants du périurbain sont par définition et obligation des automobilistes, ils se représentent souvent le centre-ville à la jonction d’autoroutes : non pas dans le Vieux-Québec et le centre historique, mais dans l’arrondissement Les Rivières, où il y a plusieurs magasins à grande surface, et un immense centre commercial, les Galeries de la Capitale, auquel il est très difficile de se rendre autrement qu’en voiture.

Le centre se déplace ; quels sont désormais les quartiers résidentiels centraux ? Certaines banlieues de première couronne, notamment Sainte-Foy et Charlesbourg sont « en ville » selon nos répondants. Les quartiers explicitement qualifiés de banlieue sont souvent dans la deuxième couronne, sur un axe qui relie le milieu de résidence au centre historique ou autoroutier.

Des propos des répondants, on déduit que la « campagne » recule et que s’éloignent progressivement les terres agricoles et les lieux de villégiature. Ainsi, les plus âgés évoquent le caractère rural d’autrefois de certaines banlieues aujourd’hui intégrées à la ville de Québec. « J’ai grandi en campagne ! Pleine campagne, sur la 1re avenue à Charlesbourg, près de l’église » (homme, 64 ans, rural). Ces transformations concernent également le milieu où vivent actuellement les répondants.

Il y avait un chemin où on pouvait marcher à travers la forêt. Mon fils appelait ça le « chemin du bois ». Puis cet hiver, ils en ont déboisé une bonne partie. […] Ça fait que la forêt va être un petit peu plus loin.

femme, 33 ans, ex-suburbaine

Bien sûr, les changements en cours ne concernent pas que la coupe des arbres et se traduisent du point de vue social. « Ça change tranquillement. On s’en vient de plus en plus une ville, je te dirais, qu’un village » (homme, 41 ans, natif). Toutes les composantes de ce changement se renforcent mutuellement, les nouveaux arrivants forçant le développement domiciliaire et conséquemment les changements environnementaux.

Oui, ça a changé tout à fait. Avant, il y avait l’église avec un rang de maisons et puis après c’était le champ. […] Avant, on connaissait plus le monde, mais là, on connaît plus personne.

femme, 31 ans, native

Ces changements contribuent à la difficulté des répondants de nommer leur milieu de vie et de se le représenter clairement. Leur milieu de résidence se situe dans une agglomération en transformation où « le centre » englobe dorénavant des banlieues de première couronne et où les pôles commerciaux sont à la jonction d’autoroutes.

Le lieu idéal : projets résidentiels

Moi je ne veux pas déménager. J’aimerais mourir ici.

femme, 55 ans, rurale

Avec les transformations du périurbain en cours, les résidants souhaitent-ils y demeurer ? Nous avons questionné les répondants sur leurs rêves et aspirations : « Si vous n’aviez pas de contraintes, quelle serait pour vous la maison idéale ? – Et où serait-elle située ? », « Si votre travail ou d’autres raisons personnelles vous amenaient à déménager dans une autre région, choisiriez-vous un environnement semblable à celui où vous vivez actuellement ? » Ces rêves et aspirations à la fois découlent des représentations, et les reflètent.

Près de trois-quarts des répondants n’ont pas prévu déménager. Nombreuses sont les personnes âgées ayant affirmé vouloir mourir dans leur maison actuelle. Trente six personnes ont envisagé de déménager. Quatre s’installeront dans le même secteur que celui où elles vivent déjà, pour avoir une maison plus grande ou mieux adaptée à leurs besoins. Déménager dans un autre milieu périurbain est le choix de 16 autres de ces 36 ménages. Ce sont donc plus de la moitié (20/36) des ménages envisageant déménager qui ne quitteront pas le périurbain. Parmi ceux qui pensent changer de milieu, dans sept cas, ils s’établiraient encore plus loin. Et la ville-centre ? Cinq personnes se rapprocheraient de la ville, mais sans aller jusqu’à y déménager ; seulement quatre prévoient s’y installer.

De façon plus prospective, le tiers (45) des répondants affirme que leur maison idéale est située « ici ». Des personnes de tous les âges ont dit, d’une façon ou d’une autre, réaliser leur rêve : ce rêve peut concerner la maison ou la localisation, mais les deux sont largement associés. « La maison, ici, c’est notre rêve (rire) ! On est en train de terminer notre rêve » (femme, 48 ans, ex-urbaine). Près d’un répondant sur cinq (25) resterait dans la municipalité où il vit, mais irait dans un secteur plus luxueux et/ou avec vue sur le fleuve ou le lac :

Si on n’a pas de contraintes, ça serait vraiment une maison québécoise. Tu sais, vraiment une maison typique. […] Entièrement rénovée, bien isolée, chauffage au bois. J’aimerais ça !.

homme, 43 ans, natif

Plus de la moitié des répondants (70/132) ne déménagerait pas ou pas très loin pour s’établir dans sa maison idéale. On peut les dire, globalement, attachés à leur milieu résidentiel. Ceux-ci sont autant des natifs, que des ruraux ou des ex-suburbains.

Un grand nombre (53) déménagerait « plus loin » pour trouver sa maison idéale. Pour plusieurs (18), cette maison idéale serait située près d’un cours d’eau ou d’un lac. Ils iraient « à la campagne » dans sept cas [21]  ; trois personnes retourneraient dans leur ancien milieu de résidence (à la campagne), et six autres choisiraient un site patrimonial, une maison ancestrale ou une ferme. Six parlent explicitement de s’éloigner des voisins : « En forêt, loin. […] Tu sais, un coin tranquille, discret. Personne ne me voit, aucun voisin » (homme, 39 ans, rural). Enfin une personne a dit « peu importe si la maison est plus grande ». Trois personnes ont parlé du Sud de la France ou de la Polynésie.

Rares sont les répondants qui s’établiraient plus près du centre-ville, dans un quartier central (5) ou dans une banlieue de première couronne (4), mais pas n’importe où : dans un quartier huppé et aussi très vert. « Une maison plus grande, vue sur le fleuve et fleurs en abondance » (femme, 61 ans, rurale.)

Voilà des rêves qui révèlent pour plusieurs un attachement au milieu de résidence, mais clairement dans l’ensemble un fort habitus résidentiel. Si leur rêve les entraîne ailleurs que dans un milieu périurbain, c’est la plupart du temps vers la campagne. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les choix comme les aspirations résidentielles sont clairs : la ville n’a pas la cote, pas plus que dans les représentations.

Conclusion

« Le juste milieu », voilà ce que recherchent les résidants du périurbain. Milieu comme milieu de vie. Milieu comme entre deux. Milieu comme à mi-chemin des services et de la nature.

Si la ville se diffuse et s’étale, ce n’est pas seulement le résultat de forces économiques (Mangin, 2004 ; Garreau, 1991), d’une norme imposée par le pouvoir public et de l’offre résidentielle (Mercier, 2006), mais aussi d’habitus résidentiels. Nous n’avons pas fait état dans l’analyse de différences entre les secteurs. En effet, ces habitus résidentiels attirant et retenant nos répondants dans le périurbain caractérisent l’ensemble des milieux étudiés, certains étant habités par des résidants très fortunés, d’autres par des personnes au budget plus modeste, le noyau villageois de certains datant du XVIIIe siècle, voire du XVIIe siècle et d’autres du début du XXe siècle.

Le choix du périurbain, pour des personnes originaires de milieux ruraux ou de régions éloignées, constitue une façon de se rapprocher de la ville pour profiter de ses services, de la proximité des enfants et petits-enfants ou pour travailler sans pour autant s’établir dans ce milieu ; elles s‘installent dans un milieu qu’elles apprécient et dont elles connaissent le mode d’emploi. Si plusieurs ont dit qu’ils s’étaient établis « le plus loin possible », pour avoir accès en un temps raisonnable à leur travail, aux hôpitaux, aux écoles ou aux collèges que fréquentent leurs enfants ou tout simplement aux services, un grand nombre, et parfois les mêmes, disent qu’idéalement, ils s’éloigneraient de la ville. Nos résultats vont dans le sens contraire de certaines études menées en France et ailleurs au Canada (Charvet et Bryant, 2003) : les résidants du périurbain de l’agglomération de Québec ne sont pas d’anciens urbains et ne travaillent pas nécessairement dans les quartiers centraux. Les périurbains de l’agglomération de Québec que nous avons rencontrés ont des représentations de la ville négatives, et pour plusieurs, rarement confrontées à l’épreuve des faits car ils ne la fréquentent pas sur une base régulière [22]. Le choix résidentiel qu’ils ont fait est clair, cohérent avec leurs représentations mais aussi leur trajectoire résidentielle. Ils ne sont pas d’anciens urbains et ne souhaitent pas plus le devenir.

L’avenir de ces milieux

Notre enquête suggère que l’étalement géographique dans l’agglomération de Québec ne constitue pas nécessairement de la dispersion sociale de la population des quartiers centraux et des vieilles banlieues [23]. S’il y a construction domiciliaire en périphérie, elle sert, dans plus des deux tiers des cas, des résidants originaires du milieu même ou d’autres régions. Ce faisant, toutefois, l’identité du périurbain se transforme par l’importation de modèles d’habitat suburbain dans des milieux agricoles et de villégiature. S’il y a complexité dans les représentations sociales du milieu de vie des résidants rencontrés, c’est en ce sens lié à la perte des identités paysagères. Cela dit, le vieillissement démographique en cours fait que les milieux périurbains actuels ne se transformeront pas en banlieue pavillonnaire, comme ce fut le cas dans les années 1950 ou 1960 quand de nouveaux développements domiciliaires ont transformé les milieux agricoles qu’étaient alors Sainte-Foy, Charlesbourg ou Beauport par exemple.

Comment dans ce contexte agir sur l’étalement domiciliaire ? Les politiques de développement durable visant à contrer l’étalement urbain devront prendre en considération ces phénomènes d’ancrage et d’attachement à la campagne des résidants du périurbain afin d’offrir un cocktail résidentiel qui fasse écho aux habitus résidentiels de ceux-ci. Une politique de revitalisation des centres de villages, et d’aide au maintien des commerces de proximité, pourrait être un élément de la solution en évitant plusieurs déplacements aux résidants, dont un grand nombre parle de son milieu de résidence dans les termes où ils se représentent le village. Vivre dans un quartier plus central, si celui-ci était plus « vert », pourrait plaire à certains, mais pas à la majorité qui est attachée à son milieu ; plusieurs préféreraient s’éloigner de la ville que de s’en rapprocher. En ce sens, le dépeuplement amorcé et le vieillissement des infrastructures et équipements des banlieues de première couronne fournissent une occasion unique de repenser et de réaménager ces milieux de manière à rejoindre les représentations positives de la campagne : nature et tranquillité devront être au rendez-vous si on veut inciter les résidants du périurbain à s’y établir.